" Si tu laisses tout fuir d'entre tes mains, c'est que tu as renoncé à saisir. " Antoine de Saint-Exupéry, Citadelles.

J'ai dévalé les escaliers comme un fou, quatre à quatre. Je ne crois pas avoir couru aussi vite depuis longtemps. Mon coeur s'affole, tout s'entrechoque dans mon esprit. Je t'ai vue en sang, allongée près d'une voiture. Je n'ai pas pris le temps d'analyser la scène, d'essayer de trouver rapidement des indices visuels susceptibles de me rassurer sur ton état. Non, mon esprit s'est embrouillé. Incapable de garder mon sang froid, je me suis élancé hors d'haleine à l'extérieur de l'appartement. Les secondes s'égrainent comme des minutes, tant cet escalier me semble sans fin... En réalité, je n'ai pas mis plus de deux minutes pour arriver en bas. Et je te vois.

J'ai mal partout, j'ai du mal a garder les yeux ouverts. Une substance visqueuse me brouille la vue, coule sur mon visage, dans mon cou. Je lève la main pour tenter d'essuyer mon front, comprendre d'ou vient cette substance... Je ne suis pas dupe, je me doute de ce qu'est cette subtance, mais j'éprouve un besoin viscéral de nettoyer mon visage. Une main inconnue se saisit délicatement de la mienne, m'empêchant d'atteindre mon front.
-"Doucement. Reste immobile, tu dois certainement avoir des fractures et tu as une vilaine blessure à la tête".
Je reconnais cete voix immédiatement : Mick. C'est vrai, tu était làs bas, sur le trottoir en face, il y a quelques instants. J'étais bien plus près que toi, j'ai fait le choix de plonger pour sauver cet enfant. Tu n'aurais pas eu le temps d'intervenir, et je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je n'ai pas réfléchi plus que ça.

-"Deux fois, sugar. ça fait deux fois. Il va falloir demander à papa Saeko de revoir sérieusement les règles de sécurité en matière de voiture dans cette ville, tu ne peux pas jouer les rambos à chaque fois !"
J'ai tenté l'humour, comme à chaque fois que je souhaite dédramatiser la situation. Tu émets un faible sourire, tu as compris. D'un signe de tête, je fais comprendre à Mick que je le relaie auprès de toi. Délicatement, je passe ma main sous ta tête et j'y glisse une couverture donnée par le père de l'enfant que tu vient de sauver. Nous échangeons un bref regard, il est bouleversé. Reconnaisant, gêné, également... Il est sûrement mortifié que son fils aie échappé à sa surveillance, et des conséquences qui en ont découlées.. Je ne lui dis rien. A quoi bon ? Cet homme à l'air épuisé. Il à certainement suffit d'un court instant pour que l'enfant trompe sa vigilence. Et puis... Tu n'aimerais pas que je m'en prenne à lui. Mick me fait savoir peu de temps après qu'une commerçante à alerté les secours. Je le remercie et concentre à nouveau toute mon attention sur toi. Mon dieu, que tu es pâle...
J'essuie ton visage avec un mouchoir tendu par Mick, prenant soin d'éviter la vilaine plaie qui barre ton front. Mon instinct et mon expérience ont beau me souffler que tes blessures sont plus impressionnantes que graves, il n'empêche je suis mortifié de te voir ainsi. Je ne laisse rien transparaître, mais mon coeur bat à tout rompre, encore secoué de la frayeur qu'il à connu quelques minutes plus tôt. J'ai cru t'avoir perdu l'espace d'un instant, sugar. Et je dois me rendre à l'évidence : c'est une douleur que je ne pourrais pas surmonter.

J'ai dû sombrer dans l'inconscience un bon moment. Combien de temps, je ne sais pas.. Mais tu étais là, à tenter de me rassurer, tu es resté jusqu'à l'arrivée de l'ambulance. Tu me tenais la main... Et puis, le trou noir. Est-ce la fatigue ? La tension qui se relâchait grâce à ta présence, à ton aura ? Je ne saurais dire, mais j'ai perdu connaissance. Et me voila dans un lit d'hôpital. Je soupire... J'aurais préféré la clinique du doc, pas cet endroit ou toutes les chambres se ressemblent. Oh, non pas que le lieu soit triste à premier vue, bien au contraire, mais il n'a pas la chaleur de la clinique du doc. Mon épaule me fait mal, j'essaie de me redresser un peu, afin d'opter pour une posture ou je serais plus à l'aise, mais la douleur se rappelle à moi. Je grimace..

-"Attends, je vais t'aider"
Tu es là... Paralysée par la douleur et les bandages, je n'ai pas pu balayer la pièce du regard et voir que tu étais la, tout près. Je n'avais pas senti non plus ton aura.. Preuve que je suis bien plus amochée que ce que je pensais. Tu poses ta main dans mon dos, et lentement, tu relèves mon oreiller. Puis tu te rassois.

-"Mick et Kazue sont partis il y a quelques minutes. Ils repasseront cet après midi. Le médecin est passé tout à l'heure et ils t'ont fait une batterie d'examen. Tu as une fracture à la jambe, des ecchymoses un peu partout... Le plus important étant celui que tu as au poignet. Et tu as eu un choc à la tête. La blessure était pas très jolie mais il y a peu de points, on ne devrait pas voir grand chose... Tu vas continuer à avoir du succès auprès des clientes, ça va te donner un côté mystérieux. Pour les hommes hélas, ça ne va pas arranger ton cas.."
Tout est sorti d'un coup, comme ça.. J'ai parlé pour meubler, pour ne pas te montrer que j'étais mal à l'aise, et encore une fois, j'ai fini sur une vacherie.. Je me maudit intérieurement de ma bêtise et de mon manque de tact. J'ai eu le temps de réfléchir pendant que tu étais inconsciente, de faire le point, d'analyser ce qui venait de se passer. Et voila que je t'impose ça alors que tu viens à peine de te réveiller. Même dans ces moments là, je suis un crétin. Crétin.. le mot est faible en réalité. Un vrai connard, en fait. Je t'ai vue te décomposer à la fin de ma phrase, je crois bien, malgré ton esprit très certainement cotonneux, que tu as compris. Je viens à nouveau de te faire du mal, sugar.. Je me mettrais des baffes s'il ne s'agisait pas de faire bonne figure et de donner le change. Tu fermes les yeux. Et d'une voix certes faible, mais assurée, tu me demandes sans ménagement de sortir de ta chambre, et je m'éxécute.
D'un pas lourd, je franchis la porte, conscient que les choses ne seront plus pareilles..