Amoureusement parlant, son meilleur ami Clyde l'avait presque toujours fortement déçu. Parce qu'il était son meilleur ami justement. Son ami d'enfance, un super pote, le compagnon de tous les instants, un fidèle complice de ses meilleures blagues. Et sûrement pas son petit ami officiel désiré avec une silencieuse résignation, bien que le gamin au bonnet péruvien l'eut toujours placé en premier dans ses références en matière de garçon parfait à ses yeux.

Au risque de passer pour un grand romantique (plus qu'il ne l'était déjà, encore pire !) Craig admettait que cet amour tourné vers son meilleur ami ne datait pas d'hier. Qu'il avait toujours aimé et désiré Clyde, à sa façon.

Avec une lente évolution qui, malgré ses débuts incertains, lui avait toujours semblé harmonieusement tracée. Aussi loin que remontait leur relation, à cette époque purement amicale. Bien avant que l'éternel soupirant de Bebe Stevens soit conscient des sentiments sincères de son ami devant demeurer secrets. N'était-ce pas une des manières la plus belle (et facile) d'aimer ? Assez chiante et agréable pour plaire à Craig Tucker en tout cas.

Dès les débuts de leur amitié, au jardin d'enfants, ils se rassuraient déjà. Se complétaient, se plaisaient, s'appréciaient sans même avoir eu besoin de se le dire ou le prouver plus que nécessaire. Bien que ce cher Clyde se chargeait très bien de faire des compliments pour deux si d'aventure leur si belle amitié gagnait quelques points en plus...

Les deux gamins avaient toujours été Clyde et Craig. Craig et Clyde. Même quand le plus âgé des deux avait eu sa propre petite bande de potes, dont son meilleur ami faisait bien entendu partie. Pour ensuite former à nouveau et très récemment un petit groupe se composant uniquement de deux personnes, deux amis de longue date s'adonnant à quelques pratiques plus romantiques qu'uniquement et platoniquement amicale. Une rareté, un miracle que le fervent défenseur de cochons d'Inde ne s'était même plus donné le droit d'y croire ailleurs qu'en rêve oublié au fil des jours.

Jusque-là, en plus de s'intéresser à d'autres gars, Craig avait vécu confortablement avec la présence fantasmée, imaginée en connaissance de cause, de ce petit ami parfait à ses yeux. Inatteignable face à la force de leur précieuse amitié exemplaire et l'hétérosexualité supposée de son meilleur ami Clyde. Il ne s'attendait donc pas à ce que Clyde, justement, soit si... Entreprenant ! (Et pas uniquement intéressé par les filles surtout)

Avec sa naïveté et son enthousiasme à le rendre si craquant. Un peu gay aussi, pour le coup ! Peut-être bien qu'une petite part d'homosexualité sommeillait en lui depuis quelques temps, qu'il avait juste fallu un déclic pour que son cher ami envisage de se poser certaines questions et commence à considérer sa bisexualité comme plus qu'une simple éventualité pas totalement fantaisiste. Et, visiblement, ce grand amateur de tacos l'avait presque totalement assumée. Il y avait certaines preuves qui ne trompaient pas...

La nuit dernière, phrase par phrase, Clyde lui avait écrit textuellement par SMS la chanson "See you again" de Miley Cyrus. Connaissant l'intérêt de son pote pour cette star made in Disney Channel, Craig ne s'était pas réellement étonné face à ce choix. Ni même en remarquant que Clyde connaissait cette chanson par cœur, accompagnant le grand final d'une foule de smiley souriants et plein de cœurs de différentes couleurs et outrageusement romantiques. Comme toute réponse, le plus grand fan de Bebe Stevens avait eu droit à quelques paroles d'une chanson en espagnol de Jennifer Lopez. Malgré ses faibles connaissances pour cette langue, Clyde avait compris qu'elle parlait d'un amour très fort et romantique.

Comme quoi, même de manière détournée ils s'accordaient toujours aussi bien pour se comprendre dans ce langage romantiquement correct. Tout comme leur corps et leurs envies s'étaient trouvés, découverts timidement, effleurés, ressentis jusqu'à le faire savoir physiquement de la plus naturelle des façons. Une façon que ses meilleurs fantasmes et les plus doués de ses anciens petits amis ne pourraient jamais égaler. Certes, malgré son adorable narcissisme et cet air de séducteur qu'il se donnait continuellement, Clyde Donovan était encore très inexpérimenté et loin d'être un super bon coup au lit comme on disait dans le milieu... Pas encore. À un moment, Craig avait presque eu peur que son petit ami éclate en sanglots parce qu'il ne savait pas comment débuter le coït anal... Mais l'enthousiasme sincère de Clyde présageait beaucoup de passion et de très bons moments à venir ! Son meilleur ami serait bien le genre de gars à lui dire plein de trucs romantiques et très niais à l'oreille, l'embrasser maladroitement mais fiévreusement pour lui signifier qu'il en voulait plus, et le lui faire savoir encore plus ardemment pendant un moment intime où le sexe ferait bon ménage avec leur romantisme ajouté à leur si belle complicité. Si seulement pendant l'acte Clyde pouvait aussi continuer à murmurer son prénom ou faire tous ces petits gémissements et grognements aussi excitants que mignons...

Quoique, après de brèves et sages réflexions, ce n'était peut-être pas le meilleur endroit ni le moment idéal pour penser à ce genre de choses très explicitement gays trop en détail : Il se trouvait actuellement chez Mark Cotswolds. Très amicalement. Le plus amicalement du monde !

La première partie de ce moment donc strictement amical avait consisté à observer religieusement l'album photo illustrant les aventures d'Eddie, le feu cochon d'Inde de Mark Cotswolds. C'était d'ailleurs grâce à l'aura divine qu'exerçaient les cobayes sur leur plus grand admirateur et défenseur que Mark avait réussi à appâter celui qu'il désirait tant avoir comme meilleur ami (ou plus). En lui signalant sa découverte de cet album plein de beaux souvenirs et surtout de l'absence de ses parents et sa sœur. Mme et Mr Cotswolds étaient à une fête de charité tandis que Rebecca en profitait pour traîner chez son nouveau petit ami.

Toujours doté d'une certain retenue pouvant passer pour de l'insensibilité, Craig avait mentalement soupiré de soulagement en comprenant que Mark n'en avait pas profité pour s'enquérir de la vie amoureuse de cet ami si parfait et tant convoité. Le gamin au bonnet péruvien se voyait mal lui avouer avec un grand détachement qu'il était gay et s'était récemment mis en couple avec le gars à avoir causé un léger moment de froid lors de leur dernier moment ensemble en toute amitié. Alors que ce cher Mark lui donnait le sentiment de toujours lâcher plus d'indices en rapport avec d'éventuels sentiments amoureux et les attirances allant avec.

En effet, quand Mark lui avait montré les différentes photos d'Eddy, Craig avait eu l'impression que sa main effleurait trop souvent la sienne pour le faire sans aucune idée derrière la tête, bien que tout l'intérêt de son nouvel ami semblait sincèrement tourné vers les souvenirs et non vers un quelconque jeu de séduction très incorrect d'après la norme certainement imposée par ses parents...

D'ailleurs, en parlant de jeu, pas question actuellement de strip-poker (D'autant plus que le mini strip-tease de Clyde datant de la veille restait lui aussi inégalable) ou autres jeux tendancieux, les deux garnements testaient plutôt leur sensibilité stratégique en menant une partie de Monopoly. Mark avait remis la main sur son vieux Monopoly, celui avec lequel il avait si souvent joué avec son père et cet intérêt devait être gracieusement remercié en entendant Craig avouer que lui aussi adorait ce jeu de société.

Avec une bouffée de nostalgie que certains événements récents rendaient encore plus douce, Craig se souvenait également que l'éternel soupirant de Bebe Stevens adorait aussi jouer à ce jeu. Même si Clyde perdait tout le temps, en pleurnichant, pestant misérablement, et chiffonnant théâtralement ses derniers billets qui fondaient à vue d'œil sous le regard désœuvré de leur propriétaire ruiné bientôt sous la paille alors que ses beaux hôtels de luxe (et en plastique) semblaient à portée de main ! Et malgré l'aide du fan de cochons d'Inde qui s'occupait toujours de noter et calculer ses dettes de plus en plus faramineuses et volontairement ou non mal comptées pour légèrement alléger la somme finale. Ne voulant pas agacer Craig au sujet de son niveau plus que moyen pour les mathématiques et davantage faire pleurer Clyde, Token et Kyle se gardaient bien de montrer leurs meilleures connaissances pour les calculs de tête et préféraient ne pas tenter la moindre petite correction.

Actuellement, avec Mark comme adversaire, il était inutile de faire exprès (ou non) de mal additionner de trop grosses sommes ou de consoler discrètement un certain petit bébé pleurnichard. Le gamin au bonnet péruvien devait surtout puiser dans ses anciennes ruses et connaissances qui le maintenaient toujours assez longtemps dans une partie pour tenir tête face à un tel expert. En fait, il devait bien l'admettre, Craig avait rarement vu quelqu'un d'aussi doué pour tirer ainsi les ficelles du Monopoly. Son nouvel ami s'en sortait on ne peut mieux mais ne se vantait pas outre mesure. Au contraire, Mark lui faisait plutôt de sympathiques commentaires quand sa situation financière était justement en passe de légèrement le distancer de quelques luxueuses constructions en plastique !

Brusquement, pile au moment décisif de leur partie de Monopoly, Craig venait de recevoir un message. Un message de Clyde sûrement, d'après les dons de divination infinis de Mark qui n'avait pas manqué de remarquer ce détail ni de plaisanter d'une bien drôle de façon en demandant à son nouvel ami s'il ne trouvait pas que son meilleur pote était un peu trop possessif. Subitement agacé par l'humour très particulier de ce cher Mark, le fan de cochons d'Inde se retenait de répliquer de définitivement se la fermer quand il envisageait de lui parler de Clyde, si découvrir que la fameuse missive venait en fait d'Eric Cartman n'avait pas stoppé net ce vif élan d'agacement. Non pas qu'il craignait ce gros lard égocentrique, mais avoir un message de la part de Cartman n'était jamais de bon augure. Et ce fait ne pouvait que s'avérer devant la teneur du message, où cet insupportable gros lard croyait bon de lui demander s'il avait appris que son pote Clyde venait de changer son statut Facebook en se mettant en couple avec une pute assoiffée d'argent. Un charmant sobriquet que cet odieux personnage lui avait souvent affublé, ne comprenant pas pourquoi Craig ne lui avait jamais pardonné de lui avoir emprunté indéfiniment 100 dollars...

Et le fan de cochons d'Inde savait qu'il pardonnerait encore moins à Clyde s'il avait osé déballer ainsi cette partie de leur vie privée. Jamais il ne pourrait pardonner à son abruti de meilleur ami s'il avait été complètement con au point d'afficher leur relation presque en public sur un réseau social aussi populaire.

Comment son meilleur ami pouvait-il ainsi le trahir. Comment celui qui voulait passer pour le petit ami parfait pouvait commettre de telles erreurs dignes d'un petit enfant trop crédule. Comment Clyde pouvait être aussi inconscient... !

C'est vrai qu'ils n'avaient pas encore eu le temps d'aborder le fait que cette nouvelle facette de leur relation devait rester secrète mais le gamin pensait sincèrement que son petit ami n'était pas demeuré à ce point ! Sauf si cet enfoiré pensait subitement que c'était cool d'être en couple avec un gars, tellement qu'il avait décidé de le crier sous tous les toits. Quitte à détruire la vie de celui à lui faire pourtant une totale confiance, tout ça à cause d'une naïveté à la con et d'un besoin constant de reconnaissance. De quoi à la fois briser leur précieuse amitié amoureuse.

Et ce pauvre Clyde allait bientôt comprendre que les gens n'allaient pas l'applaudir à tout rompre ou lui manger dans la main en apprenant sa relation de nature homosexuelle. Les réactions allaient graduellement devenir de plus en plus haineuses et violentes, il suffisait d'une ou deux personnes pour provoquer un tel déchaînement aussi hargneux que destructeur...

Non, ce n'était pas la réaction de son nouvel ami qu'il craignait : Suite à l'interdiction de ses parents, Mark ne possédait pas de compte Facebook. C'était plutôt celle de ses amis, qui pouvaient si facilement devenir d'anciens amis et nouveaux ennemis en découvrant l'homosexualité d'un de leurs petits congénères mâles se révélant être un soi-disant détraqué sexuel ayant bavé sur eux durant toutes ces années. Et les plus mal intentionnés de tous iraient jusqu'à prévenir son père, si Cartman ne s'était pas déjà chargé de cette énième mauvaise action à coup de manipulation. Ou de ses éternelles comédies pathétiques, où il ferait mielleusement croire sous son masque de petit garçon exemplaire qu'il faisait une bonne action en allant dénoncer un méchant et vicieux homosexuel.

Oui, vraiment, Craig aurait préféré répondre à l'air interrogateur et brièvement inquiet de Mark qu'il était en effet question d'un message de Clyde. Bien qu'il n'était plus vraiment sûr de vouloir recevoir un SMS de ce dernier à présent...