La jambe de Damien tressautait nerveusement alors qu'il jetait des regards fréquents vers la réceptionniste. La salle d'attente était vide depuis son arrivée; pourtant, il attendait depuis plus d'une heure que le médecin se décide enfin à le rencontrer. L'attente le tuait. Forcé de se distraire en pensant à tout et n'importe quoi, il peinait à ne pas penser à son problème. Il avait bien essayé de se divertir: il avait feuilleté quelques-uns des vieux magazines fripés reposant sur une table datant d'au moins un demi-siècle; il avait compté les cinquante-trois fissures au plafond; il avait tenté d'engager une bataille de regards avec la réceptionniste, mais celle-ci n'avait jamais levé les yeux - il ne s'était jamais sentit aussi pervers, alors qu'il se faisait juste chier - et il venait de passer les dernières secondes à créer un rythme avec ses doigts sur l'accotoir de la chaise. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser, poussant son cœur à s'affoler. S'il continuait à attendre encore longtemps, il allait devenir cinglé.
Il jeta un coup d'œil à l'horloge accrochée au mur; 10h00, il était maintenant là depuis deux heures. Sa jambe sautillait de plus en plus fort, si bien qu'il finit par faire tant de bruit que cela dérangea la réceptionniste, qui releva les yeux - enfin! - et qui soupira avant de lui marmonner que le médecin arriverait sous peu. Damien se sentit alors un peu mieux et calma sa jambe.
Enfin, il entendit des pas résonner et, un instant plus tard, un vieil homme en habit blanc se présenta dans la salle d'attente et l'appela. Damien bondit de son siège et le suivit jusqu'à son bureau, plus nerveux qu'à son arrivée. Il allait finalement comprendre ce qui lui arrivait, mais il redoutait ce qu'il allait entendre. Le médecin s'installa dans sa chaise avec un grognement et fit signe à Damien d'en faire de même. Ce dernier prit place avec agitation.
-Alors, monsieur...Damien Laguionie. Qu'est-ce que je peux faire pour vous?
-J'ai une tache étrange dans le dos.
-Décrivez-la-moi.
-Je ne sais pas ce que c'est. Je me suis regardé dans le miroir, et c'est juste une grosse tache rouge.
-Vous vous êtes brûlé?, demanda le médecin en prenant des notes.
-Non.
-Vous avez des boutons?
-Non.
-Vous vous êtes blessé au dos, dernièrement?
-Non.
Le médecin sembla devenir impatient.
-Peut-être s'agit-il d'une réaction allergique? Ou bien vous vous être frotté un peu trop fort?
-Si je savais ce qu'il se passe avec moi, je serais pas ici.
Le médecin soupira longuement et se leva. Il fit vaguement signe à Damien d'enlever son chandail; ce dernier se tourna et s'exécuta. Il entendit le médecin rire.
-Vous me faites marcher? Du maquillage, hein? Travail bâclé, en tout cas. Tant qu'à vouloir me faire perdre mon temps, vous auriez pu faire ça plus professionnellement...c'est beaucoup trop rouge pour avoir l'air naturel. Maintenant, si vous avez fini...
-Perdre votre temps?, s'énerva Damien. À faire quoi? Astiquer votre stéthoscope? Vous foutez pas de moi: je me ferais pas chier à attendre deux heures pour un blague aussi nulle. Alors vous allez me regarder cette tache et me dire que je suis pas en train de crever.
Le médecin se renfrogna et dévisagea le jeune homme d'un regard mauvais. Puis, voyant que Damien ne sortirait pas, il maugréa et s'approcha de lui. Damien le laissa faire.
-Vous avez des douleurs? Ou d'autres symptômes qui ne semblent pas reliés? Maux de tête, nausée, fièvre, etc., demanda le médecin en appuyant sur son dos.
-Non, répondit Damien en réfléchissant
-Je ne sens pas de bosses...la peau n'est pas rugueuse...non, il n'y a vraiment rien, si ce n'est que la teinte rouge.
Damien sentit le vieil homme retirer ses mains; il tourna la tête et l'aperçu regarder ses doigts, à la recherche de peinture ou de maquillage. Voyant qu'il n'y en avait pas, le médecin fronça les sourcils et mit son stéthoscope pour écouter dans le dos du jeune homme. Il sembla ne rien percevoir d'anormal. Il regarda ensuite sa langue avec un bâton de bois, puis il vérifia ses oreilles à l'aide d'une lumière, mais il ne sembla rien trouver.
-Il ne s'agit clairement pas d'une blessure, mais ça ne part pas...un tatou peut-être?
-Non. Je vous le dis, je ne sais pas ce que c'est. C'est apparu il y a au moins une semaine.
-Je vous avoue que ça ne me semble pas être une infection. Je vais voir avec des collègues ce que ça pourrait être, mais pour l'instant ça ne semble pas important. Revenez me voir si ça empire ou si la tache change de couleur.
Damien hocha la tête, remit son chandail et sortit. Il traversa la salle d'attente toujours vide et fit un signe à la réceptionniste, qui semblait toujours concentrée sur son écran. Son cœur lui faisait mal sous l'effet du stress. Soudainement, il sortit son téléphone et appela Hugo pour lui demander s'ils pouvaient se rencontrer bientôt.
Aussitôt, ce dernier lui désigna un café et, peu après, ils s'y étaient rejoint. Damien lui raconta tout, sa voix montant un peu pus dans les aigus à chaque instant. Sa jambe s'était remise à tressauter.
-Qu'est-ce que je fais?, demanda ensuite Damien, effondré sur la table.
-Tu attends, lui conseilla Hugo. Tu ne sais toujours pas ce que c'est, alors ne t'affoles pas pour rien. Si ça se trouve, ça va partir tout seul.
-Et si ça ne part pas? Et si ça s'étend? Même le médecin savait pas ce que c'était. Je fais quoi si je meurs?
-Bah tu feras rien. Parce que t'es mort.
Damien lança un regard noir à Hugo, qui pouffa de rire.
-Écoute, tu paniqueras si ça arrive. Pour l'instant, tu restes calme. Hey, tu vas pas arrêter youtube pour une tâche, pas vrai?
Une serveuse s'approcha difficilement en bravant le vent et déposa les verres qu'ils avaient commandés en regardant les nuages noirs qui s'accumulaient dans le ciel. Damien vida le sien d'un coup.
-Tu viens chez moi? dit-il ensuite. On va se faire une partie. J'ai pas envie de rester seul ce soir, je veux me changer les idées.
-Payes la bouffe et je viens.
-Enculé
Les deux hommes se levèrent en riant et s'éloignèrent lentement dans la rue. Alors qu'ils marchaient en discutant, une première goutte s'écrasa sur le bras de Hugo. Celui-ci leva les yeux et poussa un cri lorsque la pluie tomba violemment, les détrempant en quelques secondes. Damien agrippa le bras de son ami et le tira en courant vers chez lui.
Les deux hommes se réfugièrent enfin chez Damien, trempés jusqu'aux os, mais le sourire aux lèvres. Le plus vieux grimaça cependant en voyant des flaques d'eau se former au sol.
-Si tu t'assois sur mon canapé, je t'en mets une, dit Damien en se dirigeant vers la salle de bain.
Il revint avec une serviette qu'il lança à la tête de son ami.
-T'as pas un chandail ou un truc pour moi?, demanda Hugo en s'essuyant. Parce que c'est chiant...
Le téléphone de Damien se mit à sonner et il ne répondit pas à son ami, prenant plutôt l'appel.
-Oui allo? Ah, Laink! Ouais, t'inquiètes, j'ai pas oublié...
Il disparut de nouveau dans la salle de bain, tandis que Hugo se séchait avec la serviette. Au bout d'un moment, Damien raccrocha et revint avec deux chandails; il en lança un à son ami et enleva le sien pour se changer aussi. Il sursauta lorsqu'il sentit des doigts frôler son dos. Il se retourna en vitesse et repoussa la main de son ami.
-Mec, tu fais quoi? Je suis pas homo!
-Relax, je fais juste regarder ta tache. C'est vraiment impressionnant...quand tu m'as dit qu'elle était rouge, j'imaginais un petit truc tout pâlot, mais là...on dirait que tu t'es renverser de la peinture dessus. En vrai, on dirait même que ça émet de la lumière. Je comprend pas comment tu as fait pour la remarquer. T'es pas du genre soucieux de ton corps, toi.
-Je te signale qu'elle est en plein milieu de mon dos, dit Damien en s'écartant de son ami pour remettre son chandail.
-Un miroir, tu connais?
-Je suis pas un hibou; la tache est trop petite pour que je la remarque quand je suis dos au miroir. J'ai fini par la voir en me décrochant presque le cou.
-Ta petite tache fait quand même la taille d'une main, lui fit remarquer Hugo. C'est dur à manquer.
Damien resta silencieux et contempla le vide d'un air songeur.
-Hum, mec, ça va?, lui demanda Hugo.
-T'es sûr qu'elle est aussi grande? dit Damien en fronçant les sourcils. J'ai pas souvenir...
-Tu l'as dit toi-même: tu n'es pas un hibou. Tu dois juste avoir cru la voir d'une taille différente. Arrête de t'en faire avec ce truc et vient t'asseoir, qu'on se fasse une partie.
Damien l'ignora. Il se dirigea vers son miroir, se tordant douloureusement le cou afin de voir la tache. Son cœur rata un battement lorsqu'il s'aperçut qu'elle avait grandi d'au moins un centimètre. On aurait maintenant dit qu'il avait un énorme bleu entre les deux omoplates, à la seul différence qu'il était rouge.
-Mec, lança-t-il d'une voix tremblotante, je te jure qu'elle a grandi. Je la regarde chaque matin, elle était pas comme ça quand je me suis levé!
Comme Damien semblait au bord de la panique, Hugo vint vers lui pour le guider vers le sofa avant de lui parler doucement.
-Déjà, tu vas t'asseoir et te calmer.
Damien serra les dents et s'assit sur le divan, sa jambe bougeant nerveusement.
-Ta tache serait rester identique pendant une semaine...mais elle aurait subitement grandie en moins de 24 heures?, demanda Hugo d'un air sceptique.
Damien soupira.
-J'en sais rien! Je sais même pas ce que c'est, alors la manière dont ça évolue...
-File-moi un crayon. Stylo, Sharpie, feutre, ce que tu veux.
Damien haussa un sourcil interrogateur, mais trouva un Sharpie dans ses affaires et le passa à Hugo. Celui-ci s'assit et le fit pivoter de manière à ce que Hugo soit face à la tache. Celui-ci ôta le bouchon du crayon et se mit à tracer une ligne entourant la peau rougie. Il referma ensuite le crayon.
-C'est approximatif, mais si ça grandit, on va en avoir la preuve. Maintenant, tu vas remettre ton t-shirt et tu vas aller commander de la bouffe pendant que j'allume la console. Et tu ne penses plus à cette tache, ok?
Damien hocha la tête et se leva, bien décidé à passer une bonne soirée entre potes au lieu de s'inquiéter toute la nuit.