Notes d'auteur : Commençons par le plus simple. Les personnages ne sont pas à moi, mais à Eichiro Oda. Pourtant, il ne les utilise presque pas, il pourrait nous les prêter, non ?

Cela fait presque sept ans que je n'avais pas remis mes pieds virtuels sur ce site. Je ne vous raconte pas la galère pour retrouver le mot de passe. Sept ans et un nouveau pseudo (et un peu de stress et d'excitation face à ce retour), je suis de retour dans un nouveau fandom. Je me sens l'âme d'un dinosaure qui renaît de ses cendres.

Je vous préviens directement : je ne pourrai pas publier régulièrement. Pour l'instant, le chapitre deux est en cours de correction et le trois en écriture. Voici à présent le premier chapitre. J'espère qu'il vous plaira.

Bonne lecture !


Chapitre I : Le Voleur de Poulet

Comme chaque jour, ce fut au son du clairon que Ben Beckman se réveilla ce matin-là. Une nouvelle et ordinaire journée commençait sous la pluie. Qu'importait le temps, elles étaient toutes pareilles. Entraînements, petit-déjeuner, prise de poste jusqu'au déjeuner puis on reprenait son poste jusqu'au soir. Beckman avait beau s'être fait à cette routine – elle durait depuis près de neuf ans quand même – il ne parvenait pas à se motiver.

Quand, à à peine dix-huit ans, il s'était engagé, on lui avait promis monts et merveilles. Que s'il travaillait bien, il monterait en grades, qu'il verrait du pays. Peut-être même, s'il se montrait assez fort, irait-il sur Grand Line. Sans parler de la grande fratrie solidaire qu'était la Marine. Il avait quitté son île natale d'East Blue pour faire ses classes sur celle d'à côté. Dépaysement assuré ! Puis on l'avait renvoyé dans sa petite ville côtière avec le grade de Sergent deux ans plus tard où il avait été mis en poste comme chef d'équipe dans la petite prison locale. Depuis ses fabuleux voyages se résumaient de la cellule numéro un à la cellule numéro neuf – la dix étant en travaux depuis quinze ans. Malgré tous ses efforts pour se faire remarquer, il demeurait coincé au rang de sergent. En sept ans, il n'avait toujours pas remis un pied sur un bateau. Pouvait-on encore le qualifier de marin ? Il en doutait. Sans espoir de voir ses rêves d'évasions se concrétiser, il regardait en spectateur sa vie routinière défiler en enchaînant les paquets de cigarettes. Quant à la fraternité et la camaraderie, il préférait ne pas y penser. Il n'était jamais parvenu à s'intégrer. Il se sentait trop différent. Les autres lui apparaissaient stupides, se contentant du peu qu'ils avaient, naïfs. En bref, sans avenir ni intérêt. Ben était un homme ambitieux et cultivé. Il pouvait passer des nuits entières à à dévorer des livres de stratégies militaires, d'histoire, de philosophie et autres. À ses yeux, avancer dans la vie sans bagages intellectuels était suicidaire. On arrivait à rien la tête vide, l'instinct et la chance ne suffisaient pas. Bien sûr, il existait des exceptions, comme à chaque règle. Ses camarades soldats avaient bien compris, malgré leurs regards bovins, le mépris qu'ils lui inspiraient et l'évitaient soigneusement. La solitude et l'ennui rythmaient mollement les journées du Sergent Ben Beckman.

Plusieurs fois, il avait tenté de quitter cette base et cette minuscule prison. Malheureusement, sa candidature n'avait jamais été retenu pour intégrer un navire de guerre. Comme si le recrutement était superficiel ! Un an auparavant, Gold Roger, le Roi des Pirates, mourrait sur l'échafaud. Depuis, les pirates pullulaient comme des insectes sur les océans et pillaient tout sur leur passage. La Marine avait beau les capturer, les exécuter, ils revenaient sur les eaux comme du chiendent dans un jardin. En entendant parler de ce fameux trésor, le One Piece, et du défi de Gold Roger, Beckman avait fait un zèle exemplaire dans son travail. La piraterie rentrait dans son âge d'or et, donc, la Marine se montrait plus indispensable que jamais. Une nouvelle désillusion. Sa misérable petite île et sa pitoyable base militaire demeuraient invisibles aux yeux du QG et lui aussi par conséquence. Il crèverait ici. Certainement de son tabagisme virulent. Ses cigarettes étant le seul danger qu'il affrontait au quotidien.

Ce fut donc avec la même morosité qu'il quitta son lit grinçant ce matin-là. Peut-être aurait-il eu le pas plus léger s'il avait su que cette journée allait changer à jamais sa vie.

Au milieu de la matinée, il fut appelé en ville. Un homme ivre perturbait le marché. Quand il arriva sur place, Ben reconnut sans surprise le vieux Herman. Il le mettait à l'ombre presque chaque semaine pour ivresse sur la voie publique. L'homme n'opposa aucune résistance et se laissa entraîner, le sourire aux lèvres. Ben comprit qu'il allait encore devoir écouter ses histoires abracadabrantesques toute la journée. Personne d'autre que lui ne voulait le surveiller. Et il ne tenait pas à ce que ce pauvre type se fasse violenter par un soldat de mauvaise humeur. Il eut le droit pendant une heure à l'entendre se plaindre d'un voyou dans le quartier qui l'agressait à chaque fois qu'il rentrait chez lui. Pour l'éviter, Herman n'avait d'autre le choix que de rester dans le bar jusqu'à ce que la voie soit libre. Faisant mine de s'intéresser, Ben lui demanda une description. En quelques phrases, il se retrouva avec le portrait robot du chihuahua du maire.

« Vous allez l'arrêter, hein ? Vous allez l'arrêter ? s'enquit Herman, inquiet pour sa sécurité, vacillant sur le banc de sa cellule.

– Bien entendu, je vais prévenir le QG, répondit le jeune sergent d'une voix lasse. Ils enverront sûrement un amiral. »

Le cri de joie du vieillard s'interrompit dans un ronflement sonore. Profitant de l'accalmie, Ben alluma sa huitième cigarette de la journée.

Vers midi, deux soldats ramenèrent un nouveau prisonnier. Ben leva la tête de son sandwich à leur approche. Il aperçut entre les deux militaires un adolescent boudeur. Un étranger de toute évidence. Ben connaissait presque tout le monde en ville. Et ce garçon ne passait pas inaperçu avec ses cheveux rouge sang, dissimulés sous un large chapeau de paille, et son œil gauche balafré. Le sergent lui donnait quinze ou seize ans, guère plus.

« Sergent, vous avez une place pour ce criminel? » questionna l'un des soldats en secouant le garçon.

Il n'y avait jamais personne dans cette prison. Aujourd'hui, il n'y avait que Herman et un petit escroc qui terminait bientôt sa peine. Ben soupira et prit le temps d'avaler sa bouchée avant de répondre.

« Qu'est-ce qu'il a fait, cet odieux et dangereux criminel ? fit-il narquoisement en avisant la silhouette fine et la jeunesse du prisonnier.

– C'est un voleur de la pire espèce ! s'insurgea le militaire.

– J'ai volé un poulet sur le marché, expliqua avec un sourire amusé l'adolescent.

– Vivant ou mort ?

– Il était rôti, alors j'espère pour lui qu'il était mort. »

Ben se retint de rire. Il serait sorti avant la fin de la journée. Juste le temps de prévenir ses parents et de lui faire la leçon.

« Ça commence par un simple poulet, sergent, s'offusqua le même soldat. Et ça finit par…

– Ouais, ouais, je sais, le coupa Ben. Mettez-le dans la cellule quatre, en face de Herman. Ça lui fera de la compagnie quand il se réveillera. »

Il reprit aussitôt son repas en écoutant distraitement les bruits de pas s'éloigner de quelques mètres puis le son métallique de la grille qu'on ouvre et qu'on referme. Après l'avoir salué, les deux soldats sortirent, le laissant seul avec les trois prisonniers. Sa tranquillité ne dura pas longtemps. Si Herman dormait et l'escroc boudait, l'adolescent ne semblait pas aimer le silence. Une ou deux minutes suffirent à lui faire ouvrir la bouche.

« Ils sont toujours comme ça ? demanda t-il, le visage collé aux grilles et le cou tordu pour apercevoir Ben.

– Deux minutes, gamin. Je finis de manger et je suis à toi. »

Une fois, les restes avalés, il se rendit au garde-manger pour récupérer trois repas. Il glissa une assiette sous les grilles de l'escroc qui l'insulta copieusement. Ensuite, il déposa une seconde à côté de Herman qui dormait du sommeil du juste. Il termina par le garçon. Il ouvrit la grille en guettant sa réaction. Le jeune voleur avait enlevé son chapeau, dévoilant son visage basané et juvénile. Ses joues gardaient encore les rondeurs de l'enfance. Que faisait ce mioche tout seul dehors ? Il resta calme, dévisageant le sergent avec curiosité. Ben lui tendit son assiette et reçut un grand sourire en récompense. L'assiette de riz fut dévorée en quelques cuillères. Ce n'était pas pour rien qu'il l'avait voulu ce poulet.

Le gamin étant assis à même le sol, Ben s'octroya le banc. Il ne prit même pas la peine de refermer la grille la clé. Le petit ne semblait pas vouloir sortir. Quand il eut relevé le nez de son assiette, Ben attaqua la conversation.

« Je vais te poser quelques questions. » le prévint-il.

Le rouquin le regarda attentif avec un petit sourire. À le voir ainsi avec sa bouille d'ange, on lui donnerait le bon Dieu sans confession.

« D'abord, j'aimerais que tu me dises ton nom et ton âge.

– Je m'appelle Shanks et j'ai seize ans.

– Qui sont tes parents ? Où vivent-ils ? Je t'ai jamais vu en ville. Tu viens d'un village des environs ?

– J'ai pas de parents et je viens pas de cette île. Je suis arrivé hier par bateau.

– Sur une île, on vient souvent par bateau, ne put s'empêcher d'ironiser Ben. Si t'as pas de parents, qui s'occupe de toi ?

– Personne. Je m'occupe tout seul. »

Sur ces mots, le sourire de Shanks vacilla pour la première fois. Mais il se reprit vite et questionna Ben à son tour.

« Et vous, vous êtes qui ?

– Sergent Ben Beckman. Je gère la prison. Reprenons. C'est toi qui m'intéresse. Qu'est-ce qu'un gosse de ton âge fait à traîner tout seul ?

– Je vole des poulets sur le marché, pardi ! »

Beckman soupira. Le gamin était un peu trop détendu. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait attraper et enfermer visiblement. Il n'était ni impressionné ni inquiet. Le sergent voulut le recadrer.

« OK, fit-il posément. Je vois que tu es un petit rigolo. Seulement, tu es en prison pour vol. Mineur le vol, certes. Mais je ne peux pas laisser passer ça. Et je ne suis pas là pour rigoler avec toi. Je veux que tu répondes précisément à mes questions. Sinon, on sera encore là demain. »

Shanks garda un visage calme et ouvert. Un peu de curiosité brillait dans ses yeux. Il profita de l'aparté pour ramasser quelques grains de riz qui traînaient encore dans son assiette. Ben n'était pas du genre à hausser le ton ou à vouloir faire peur aux prisonniers. Généralement, on le respectait. Ceux qui ne le faisaient pas, il se contentait de les ignorer. Ces personnes étaient déjà enfermées comme des animaux. Cela ne servait à rien d'empirer leur situation. Il ne comptait pas changer ses habitudes pour ce gosse trop sûr de lui. Pourquoi d'ailleurs ? Il était sage et aucunement agressif ou irrespectueux. Juste trop inconscient et isolé. Ce qui inquiétait Ben était l'avenir de l'adolescent et comment réagiront d'autres soldats face à lui.

« On reprend sérieusement. » Haussement de sourcils dubitatif de Shanks. « Donne-moi le nom de tes parents et ton lieu de naissance.

– Je suis né sur West Blue, mais j'en suis parti quand j'avais huit ans.

– Comment tu as fait pour arriver ici ?

– J'étais mousse sur un bateau. »

Encore une fois, l'adolescent avait contourné la question des parents. Beckman comprit qu'il n'obtiendrait rien de plus à leur propos. Si Shanks avait déjà un casier judiciaire, il pourrait en savoir plus. Cependant, il faudrait savoir sur quelle île il était avant. Ses réflexions furent interrompues par Shanks.

« Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? Je vais passer devant un juge ?

– Un juge ne va pas se déplacer pour un poulet. Normalement, je devrais faire venir tes parents ici pour qu'ils remboursent le marchand et te ramènent avec eux. Mais je suppose que ça ne fait pas parti de tes options.

– Pas vraiment, non, sourit Shanks.

– Tu sortiras demain au plus tard. J'ai bien peur que ce soit à moi de te faire la leçon par contre. »

Ben se releva et épousseta son uniforme. Il en profita pour ramasser l'assiette parfaitement nettoyée. Il quitta la cellule chacun de ses mouvements observé par Shanks. Une fois la grille refermée, Ben se tourna une dernière fois vers le rouquin. Sans conviction, il récita :

« C'est pas bien de voler. Alors, tu recommences pas, sinon… Voilà ! »

Son bref discours fit tellement rire le plus jeune qu'il réveilla Herman. Le vieil homme s'agita et appela au secours, craignant les représailles de son ennemi. Ben le rassura distraitement en passant, déclarant que le terrible chihuahua avait été arrêté. Calmé, Herman s'attaqua à son assiette. La scénette n'arrangea pas le fou rire de Shanks.

Le reste de la journée se déroula sans accro. Le rouquin persistait à vouloir discuter et posait des tas de questions. Ben l'ignora, caché derrière son livre. Le garçon finit par tenir une conversation sans queue ni tête avec Herman. Les yeux du marine repassaient éternellement les mêmes mots sans parvenir à les lire. D'où venait ce fichu gamin ? Comment pouvait-il avoir l'air si insouciant ? Il était sûrement orphelin ou alors avait fugué. Il semblait un peu trop mince et en était réduit à voler sur les marchés. Il ne mangeait de toute évidence pas à sa faim. Ben avait l'habitude de voir des gosses errer dans les rues et voler pour survivre. Mais Shanks semblait différent. Déjà, il ne possédait pas leur agressivité ni leur défiance quasi maladive. Il avait soutenu être arrivé sur bateau en tant que mousse. Avait-il travaillé sur un navire ? Aucun n'avait débarqué ici depuis des semaines. Le gamin avait menti. L'œil de Beckman glissa vers Shanks. Assis à même le sol, il riait aux histoires abracadabrantes de l'ivrogne pas vraiment dessaoulé. Cet adolescent saurait-il naviguer ? Le sergent secoua la tête. Peut-être réfléchissait-il trop ? Mais ses pensées revinrent immédiatement vers Shanks. Le jeune prisonnier cachait quelque chose. Son sourire était trop grand pour être vrai.

En fin d'après-midi, Ben se décida à ramener Herman chez lui. Il en profita aussi pour ouvrir la cellule de Shanks.

« C'est déjà fini ? s'étonna ce dernier.

– Ça ne sert à rien que je te garde plus longtemps. Tu peux filer. »

Mais le prisonnier ne bougea pas, le regard fixé sur la grille ouverte.

« Je peux pas plutôt partir demain matin ? » demanda t-il, tendu, son chapeau jetant l'ombre sur son visage.

Décidément, ce môme ne faisait rien comme tout le monde. Beckman s'apprêtait à refuser quand il comprit. Shanks n'avait nulle part où aller et ne voulait pas dormir dehors. Il devait espérer aussi un dîner gratuit. De toute évidence, cette demande faisait déjà mal à son égo et il refusait de l'expliquer patientant en silence. Doucement, Ben referma la grille en marmonnant « T'es vraiment un cas ».

Une heure plus tard, le sergent était de retour. Il distribua quelques morceaux de poulet accompagnés d'une soupe aux poireaux à ses deux prisonniers. L'œil de Shanks brilla quand il vit l'assiette.

« C'est le poulet que j'ai volé ? » questionna t-il, taquin.

Beckman ne lui répondit pas, mais son sourire suffit. Il fallait bien que quelqu'un dédommage le marchand, Shanks n'ayant pas de parents pour le faire. De plus, rajouter un peu de viande aux plats maigres et fades de cette prison ne faisait de mal à personne. Une fois son service terminé il reprit son livre en dégustant une cuisse. Il ne fallait pas gâcher. Il en resservit même à Shanks qui ne regrettait absolument pas d'être resté.

« Merci, sergent ! Vous êtes vraiment sympa pour un marine. Je crois que je vous aime bien.

– Enfin, tu te déclares, répondit ironiquement Ben en tirant sur sa cigarette. Je commençais à désespérer.

– Vous êtes différent des autres soldats que j'ai rencontré. »

Le visage de Shanks paraissait sérieux cette fois.

« Je prends ça pour un compliment. »

Beckman alluma sa dernière cigarette de la journée et quitta la prison. Il croisa le veilleur de nuit en sortant. Cette nuit, il eut du mal à trouver le sommeil. L'énigme Shanks tournoyait encore dans sa tête.


Quand il arriva à son poste le lendemain matin, il remarqua aussitôt que la cellule de Shanks était vide. Il se figea et alla retrouver le garde de nuit qui grignotait un morceau de pain, l'œil vide. Il lui demanda où était passé le garçon roux.

« Le petit voleur ? Je l'ai libéré à l'aube, répondit l'autre, la bouche pleine. Il avait plus rien à faire ici. »

Sans les rires et les commentaires de Shanks, la journée lui parut plus longue et morne que les autres. Ben espérait presque qu'il se fasse prendre pour un nouveau vol. Mais personne ne lui ramena le petit rouquin. Personne ne vint aujourd'hui. Même Herman ne fit pas de vague, pas encore remis de sa cuite de la veille. Au coucher, il se tourna longtemps dans son lit avant de s'endormir. Qu'était devenu Shanks ? Avait-il déjà quitté l'île ? Avait-il trouvé de quoi manger ? Avait-il volé sans s'être fait prendre ? Ben avait mal au crâne. Il était crevé.

Il ouvrit l'œil au son du clairon qui lui semblait plus strident que d'ordinaire. Aujourd'hui était son jour de repos. Il ne resta pas au lit pour autant. Il savait qu'il ne pourrait pas se rendormir. Il prit son temps pour se préparer et quitta la base militaire directement. Une cigarette au bec en guise de petit-déjeuner, il traversa d'un pas tranquille le centre de la ville. Il aimait sa ville quand elle était vide sous les rayons hésitants du soleil. Les embruns de l'océan remontaient jusqu'ici. Il les inspira profondément, mais avala davantage de tabac que d'iode.

À l'opposé du port, il y avait une longue bâtisse qui aurait besoin d'un bon coup de peinture. Quand on s'en approchait, on pouvait entendre des cris et des rires d'enfants. C'était un orphelinat. Il y en avait très peu dans cette partie d'East Blue. La pauvreté et la grisaille qui se dégageaient du bâtiment ne donnaient pas envie d'y entrer ou d'adopter l'un de ses pensionnaires. Même vue de l'intérieur ce n'était guère reluisant. Et Beckman était bien placé pour le savoir. À peine eut-il fait quelques pas dans la cour au gazon jauni qu'une vieille nonne rondelette sortit à sa rencontre. Il s'agissait de la Sœur Héloïse, la directrice de l'orphelinat.

« Mon garçon ! s'exclama t-elle en lui ouvrant les bras.

– Ma sœur » salua le soldat en lui faisant la bise.

Quelques minutes plus tard, ils partageaient tous les deux un thé dans la cuisine désuète, mais pratique. La petite religieuse racontait les derniers potins de l'orphelinat d'un ton badin.

« Et toi, mon grand, reprit-elle soudain. Comment ça se passe au travail ?

– La routine, répondit laconiquement Beckman en voulant s'allumer une cigarette.

– Taratata, claqua la voix d'Héloïse. Tu sais bien que je ne veux pas de ça ici. Si tu pouvais arrêter de t'empoisonner ce serait l'idéal. Oh, je sais que je parle en pure perte » ajouta t-elle en le voyant ouvrir la bouche.

En riant doucement, le marine remit sa cigarette dans sa poche. Il termina sa tasse de thé avant de poser une question qui le travaillait.

« Tu n'aurais pas vu un adolescent roux dans le coin ces derniers jours ?

– Nous avons le petit Thomas, hasarda la bonne sœur.

– Non, un nouveau. Je pensais qu'il aurait pu passer une nuit ici ou le temps d'un repas. Tu ramasses toujours les gosses dans les rues.

– Pas de nouveau pensionnaire, non. Mais si je vois ce petit, il y a toujours de la place ici.

– Oh, il est peut-être trop vieux pour cet endroit. Il a seize ans.

– Tu es resté là jusqu'à tes dix-huit ans, lui rappela Héloïse. En parlant d'enfants, tu n'as ramassé aucun des miens récemment ?

– Non, ils se tiennent tranquilles. Je te les aurais ramenés en personne par la peau des fesses sinon. Comme d'habitude. Étrange d'ailleurs. Je ne pensais pas que Marrec et sa bande tiendraient aussi longtemps sans se battre.

– Je les tiens à l'œil ces petits voyous ! annonça fièrement la religieuse. J'en ferai d'honnêtes bonhommes !

– Je te souhaite bien du courage, ricana Beckman en fouillant parmi les gâteaux secs pour trouver ses préférés. Ils sont plutôt hargneux, les morpions !

– J'ai déjà affronté pire, rétorqua t-elle, l'œil malicieux. Regarde-toi ! Qui aurait parier dans cette fichue ville que tu te trouverais un jour du bon côté des barreaux ?

– J'avoue. »

Il était vrai qu'il l'avait bien fait tourner en bourrique. Pourtant, avant, il était un gentil garçon. Mais après la mort de sa mère, il avait changé. Son père était marin pour une compagnie de commerce. Il voyageait et ne pouvait pas s'occuper de son fils. Alors, il l'avait confié à Sœur Héloïse avec une pension. Il était revenu une fois puis repartit. Rapidement, il avait cessé d'envoyer de l'argent et des lettres. Son navire était revenu au port sans lui. Il avait déserté en laissant son fils à l'orphelinat du jour au lendemain. Héloïse lui avait cherché des centaines d'excuses, mais Beckman ne lui trouvait que des tords. Son père ne s'était jamais occupé de lui, même quand sa mère vivait encore. L'homme n'était qu'un lâche qui l'avait abandonné à la première occasion. Alors, le garçon avait décidé qu'il ne voulait plus en entendre parler et s'était débarrassé de tout ce qui le rattachait à lui.

Cependant, il demeurait en colère, toujours. Il avait suivi les mauvais gamins et avait commencé les bêtises. De plus en plus grosses, sourd aux remontrances des bonnes sœurs. Vols, bagarres, agressions, provocations. Il avait même passé plusieurs séjours en prison. Finalement, il s'était calmé vers quinze ans après avoir vu l'un de ses camarades de vandalisme pendu sur la place principale. Ou plutôt les larmes d'Héloïse et des autres sœurs quand elles avaient appris la mort de l'un de leurs protégés. Ces pauvres femmes lui avaient rappelé que même si son père ne voulait pas de lui, des gens tenaient à lui. Il s'était juré qu'elles ne subiraient plus jamais une telle peine. Il était retourné sur les bancs de l'école, avait décroché son diplôme et était entré dans la Marine.

Depuis, il profitait de son poste pour protéger ces orphelins d'eux-même et de la justice parfois trop cruelle. Héloïse lui avait confié que certains voyaient même en lui un héros et rêvaient de suivre ses traces.

« Je suis pas un héros, l'avait contredite Beckman. Juste un pauvre type qui essaie de faire quelque chose d'utile. »

Ils discutèrent encore de tout et de rien, puis Beckman prit congé. Il alla dire bonjour aux autres sœurs et aux enfants qu'ils connaissaient le plus. Il remarqua dans un dortoir le fameux Marrec en pleine crise de « boudage » avec trois de ses camarades. Au moins, ils ne traînaient pas dehors à chercher la bagarre. Même si visiblement, ils s'étaient battus la veille et avaient perdu comme le soufflaient les ecchymoses sur leurs visages et la lèvre ouverte du chef. Étonnant car la petite bande se faisait toujours un devoir de s'en prendre à plus faible qu'eux.

Avant de retourner à la caserne, le jeune sergent ne put s'empêcher d'aller sur le port. Il ne vit aucune tête rousse et on l'informa qu'aucun bateau n'était arrivé ou repartit depuis plusieurs semaines. La saison était assez morte. Alors, où pouvait se trouver ce fichu rouquin ? Il ne pouvait être venu et repartit à la nage ! Aucun des ouvriers du port n'avait vu Shanks. Beckman commença à se demander s'il n'avait pas rêvé de ce gosse.

Pourtant, d'autres personnes l'avaient vu. Alors qu'il erraient en ville, il surpris une conversation entre l'épicière et la boulangère – les commères attitrées du patelin. Gloussant, elles parlaient de Marrec et sa bande qui s'étaient fait bien corriger hier près du réservoir d'eau. Elles s'étonnaient particulièrement du fait que le garçon qui leur avait refait le portrait était seul contre quatre. Et il s'en était sorti sans une égratignure.

« Pourtant, il avait bien l'air gentil, ce petit, commenta la boulangère, les bras pleins de pains, avec son chapeau de paille et sa petit frimousse. J'ai bien cru que Marrec allait vraiment lui faire mal. Ça a été le contraire. Quand il s'est déchaîné, on aurait dit un démon ! Le Diable au corps, finit-elle dans un murmure.

– Oui, je me disais la même chose. Il ignorait Marrec et quand cet idiot a voulu le frapper par derrière, il s'est retourné et… J'en ai encore des frissons. »

Les mots chapeau de paille firent arrêter Beckman, sa cigarette pendant aux lèvres. Il se tourna vers les deux femmes.

« Excusez-moi, ce garçon qui a battu Marrec, est-ce qu'il était roux ?

– Difficile de faire plus roux que lui !

– Par où est-il allé ?

– Je… je ne sais pas vraiment, répondit la femme étonnée par l'empressement du sergent. Vers les bois, je crois. Enfin, il a quitté la ville, ça c'est sûr ! »

Sans attendre la suite, Beckman fila à son tour vers l'extérieur de la ville.


J'espère que ça vous a plu. N'hésitez pas à me laisser un petit message. J'essaierai de ne pas trop tarder à poster le second chapitre. A bientôt !