Notes d'auteure :

Voilà enfin la suite, mais pas aussi longue et avec le contenu que j'avais promis. Encore une fois, la longueur du chapitre m'a paru suffisante pour couper juste avant cette conversation détaillée entre eux. Je pense que le contenu vous plaira, malgré tout.

Merci à tous pour vos reviews sur le dernier chapitre.

J'en profite aussi pour répondre à celle de Suarez (guest)

Merci d'avoir pris le temps de lire ces chapitres. Lucifer est certes habitué à se déshabiller, mais l'acte ici est très différent en raison de son état d'esprit et état physique, sans oublier sa relation brisée avec Chloé. Il est habitué à contrôler, montrer force et assurance... C'est loin d'être le cas et cela s'en ressent dans ses difficultés à se dévêtir.

Oui, c'est une fic centrée sur le dialogue et l'introspection. Il y aura des explications et j'espère que la suite te plaira, mais si jamais les conversations suivantes t'ennuient (ce que je peux comprendre ^^), n'hésite pas à fureter sur mon profil pour d'autres fics au contenu plus "mouvementé". Le fandom a aussi quelques bonnes perles !

Et merci EmilieKalin pour la vérification éclair

Une bonne lecture !


UN DIABLE À L'ÉCOUTE

6


Des bruits, des bruits s'ajoutent à son cri étranglé.

Il se contorsionne en tous sens, ses ailes frappant l'espace tout autour de lui ; il lutte et lutte encore. D'autres bruits, d'autres grondements menaçants, le sien aussi… un bruit bestial porté par l'instinct.

Ses ailes frappent encore, butent contre des choses rigides qui s'écroulent, se brisent çà et là. Elles suivent sa retraite, son dos plaqué contre une surface d'une dureté identique. Où que ses yeux se posent… N'importe où…

C'est noir.

Noir.

Il essaie de se fondre à l'intérieur de cet obstacle, ses mains le griffent, se plaquent contre lui - à l'affût.

Il entend, ils s'approchent.

Un sifflement mauvais et ils s'arrêtent.

Des sons différents lui parviennent ; pas de grondements, des sons plus doux… plus—

— ...t-ce-qui se passe, Maman ?

— Rien. R…

Pas le dialecte abjecte d'avant.

— ...ifer a fait un cauchemar, chérie.

Pas la langue céleste non plus. L'intonation est précipitée, chuchotée à bonne distance. Il ne court plus de danger immédiat, mais son corps reste tendu, prêt à lutter comme jamais.

— L-Lucifer ?

Il se raidit, sa respiration précipitée alors que ses mains se crispent sur son appui. Ses ailes frémissent, conscientes du danger.

— Lucifer, hey… t-tout va… tout va bien.

Des pas lents dans les ténèbres, juste devant lui. Ils résonnent, éclatent ses pensées ; il gronde, avertissement peu subtil de ce qui pourrait suivre si cette potentielle menace ne s'écarte pas séance tenante. Les pas ralentissent, s'arrêtent une seconde à peine avant de poursuivre vers lui.

— Tout va bien, répète cette voix.

Une voix.

Une voix, c'est une voix.

— Tout va bien.

Les pas sont si proches et lui si—

Si perdu, aux aguets d'un danger dont il ne sait plus l'origine. Sa respiration se bloque dans sa poitrine et ce qui sort de ses lèvres crispées n'a plus rien à voir avec ses avertissements bestiaux ; c'est un son pitoyable.

Faible.

Le son se répète, il inspire et expire si vite de l'air qu'il semble n'avoir jamais pénétré son corps.

La voix se répète, elle aussi ; effrayée, rassurante… sans danger pour lui.

— Tout va bien, Lucifer. Je-... Je vais juste m'asseoir près de vous, d'accord ? Tout va bien.

Si elle s'exécute, il n'a aucun moyen de le savoir.

— Respirez lentement, ça va aller.

Oui, elle est beaucoup plus proche. Il inspire.

— Oui, comme ça… Doucement.

Il expire.

Ses doigts se décrispent, glissent jusqu'au sol recouvert de toute autre chose que des cendres, que cette poussière qui l'avait encerclé. De la moquette. Bon marché.

Il inspire et la voix continue de l'encourager ; sans avancer, sans le toucher.

Il expire.

Ses doigts tremblent, ses bras, son corps entier. Même ses lèvres sans cesse caressées par son souffle brûlant. Il déglutit ; une fois… deux fois.

— I-Inspectrice ?

Ce n'est qu'un murmure, mais il l'a sentie si proche ; elle l'a forcément entendu.

— Oui, c'est moi. Vous vous sentez comment ?

Question pertinente. Il ne saurait y répondre, cependant. Il se sent… tendu, épuisé, honteux, sur ses gardes ? Tout s'embrouille dans son esprit. Lucifer élude donc sa question et se laisse aller contre le mur, cet obstacle à sa fuite, qu'il agrippait si férocement quelques instants plus tôt.

— Que— ? commence-t-il à demander sans que l'inspectrice ne le laisse terminer.

— Un cauchemar. J-... Enfin, je crois que vous avez fait un cauchemar. Vous…

Elle se tait, ne sachant pas comment décrire son précédent comportement. Lui-même ne le sait pas ; il ne veut pas y penser. L'hypothèse de Chloé se tient suffisamment pour lui faire aussitôt redouter une nouvelle expérience du genre.

Bon sang… C'était comme s'il y était encore.

Encore à...

— Navré, Inspectrice ; dit-il.

— Hm ? « Navré » ? répète-elle.

Elle sonne distraite, distante peut-être. Son attitude lui confirme qu'il a agi à l'encontre de leur éventuelle réconciliation. Leur improbable réconciliation, devrait-il dire.

Il soupire.

— Voilà que je vous donne une raison supplémentaire de craindre tout ce que je suis. Comme s'il n'en y avait pas déjà assez…

— Quo— Non, non ! Je-... C'est juste…

— « Juste » ? l'encourage Lucifer.

Elle bouge près de lui, mais ne s'éloigne pas. C'est comme si elle trépignait sur place, incapable de trouver une position suffisamment confortable auprès de lui. Mais il est parfaitement logique de ressentir un tel inconfort en sa présence, n'est-ce-pas ?

— Juste… Juste vos… euhm…

L'inspectrice prend une profonde inspiration, incapable de poursuivre sans cela.

— V-vos ailes… elles… elles sont…

Elle glousse tout à coup.

— Des ailes, répète-t-elle, riant encore de façon hystérique. Vous avez des… ailes !

Évidemment.

L'humanité et le divin ne faisait jamais bon ménage ; il l'avait presque oublié ces dernières vingt-quatre heures. Ce principe se rappelait pourtant systématiquement à lui depuis plus de deux mois ; à chaque fois que Chloé avait refusé de lui parler, de le côtoyer, de l'écouter… Son soudain revirement de comportement ne peut pas changer une telle incompatibilité entre leurs deux espèces.

Et en plus d'être ange, Lucifer est diable.

Soupirant à nouveau, ce dernier se décale légèrement du mur. Une brise légère ébouriffe l'arrière de son crâne et il est certain d'avoir soustrait le divin à la vue de son ancienne partenaire. Celle-ci a un hoquet de surprise.

— Comment vous— ?

— Je devrais m'en aller.

Sur ces mots, Lucifer fait mine de se redresser ; toujours tremblant de la tête aux pieds, se demandant par ailleurs si ses pieds sont capable de le soutenir correctement.

— Quoi ? Pourquoi ? s'étonne l'inspectrice en poussant à dessein sur son épaule.

Se faisant, Lucifer perd l'équilibre et s'affale à nouveau contre le mur froid et inconfortable de la chambre de Mazikeen. Il grogne d'inconfort et d'agacement ; pourquoi s'obstine-t-elle tant dans cette naïve direction ? À le retenir encore maintenant ? Sans doute un effet secondaire dû à la trop longue contemplation de sa divinité oubliée.

— Vous perturber davantage est la dernière chose que je souhaite, Inspectrice. Mes ailes ne sont pas… Les humains ont du mal à intégrer cette preuve du divin.

— Je ne le suis pas, affirme-t-elle.

— Ne mentez pas…

— Je ne mens pas, c'est… J'ai juste-...

Elle cherche ses mots.

— C'est la première fois que je les vois depuis… Vous savez…

Depuis qu'il l'avait protégée dans cette embuscade qui avait signé la fin de leur partenariat. Oui, il sait. Il serre le poing en repensant à ce moment, Pierce, ses hommes de main d'une innommable lâcheté. La façon dont ils les avaient canardés…

— P-Pourquoi avaient-elles des… hm… des zones plus sombres ?

— De quoi parlez-vous ?

— Il y avait des parties moins…

Chloé se tait, cherchant probablement un vocabulaire approprié pour la vision du divin dont elle avait pu profiter à l'encontre de la volonté du Diable. Comment décrire correctement une chose qui n'était pas supposée exister, qu'elle n'avait jamais voulu croire comme « vrai » ?

Comment l'accepter ?

— ...moins claires que le reste. On aurait dit des taches ; certaines étaient presque… presque noires. C'est normal pour u-un… ?

Encore un instant de silence.

Pour un… Qu'a-t-elle donc à l'esprit ? Comment veut-elle le définir ?

Ange ? Monstre ?

Abomination ?

Lucifer croyait être prêt à tout entendre d'elle, elle qui lui a déjà si fréquemment montré son refus et sa peur viscérale qu'il lui inspirait ; mais il se trouve incapable de l'entendre cette nuit. Il ne peut pas.

— Cela doit être à cause des balles, répond-il avec empressement, étreint par une émotion douloureuse.

— Des balles ? Quelles— ?

Elle comprend et inspire plus fort près de lui, elle réalise quelques chose.

— Pierce… Il- Bon Dieu ! souffle-t-elle, sidérée.

L'allusion de sonPaternel le fait tiquer.

— Évitez de joindre ces deux ordures dans une seule et même phrase, Inspectrice.

— Bon sang…

Mieux.

— Il… Ses hommes, ils- ils… étaient si nombreux !

Lucifer laisse échapper une exclamation moqueuse.

— J'ai affronté bien pire que ces lourdauds armés de mitraillettes, croyez-moi.

Cette prétention verbale lui rappelle des souvenirs, d'actuels cauchemars qui le font vivement frissonner sans qu'il ne puisse l'empêcher. Comment peut-il se laisser autant dominer par ses sensations physiques comme… Comment qualifier cette autre sorte de sensations, d'ailleurs ?

Il sait être vulnérable auprès de l'inspectrice, mais ça…

À quoi en est-il réduit à présent ?

N'a-t-il plus aucune hargne, aucune révolte en lui ; en sa nature profonde qu'il s'est tant évertué à défendre ?

Le doute, l'impuissance, l'incompréhension se bousculent en lui et il n'entend qu'en partie Chloé s'adresser à lui. Un bourdonnement incompréhensible, lui aussi.

— Pardon ? marmonne-t-il.

— Je ne comprends pas comment vos ailes ont pu se retrouver ainsi… répète sa partenaire d'antan.

Une profonde perplexité ressort de son intonation. Elle n'attend pas sa réponse qu'elle se remet déjà à l'interroger, à s'interroger elle-même plus en détails.

— Vous êtes— ! Comment ? Comment se fait-il que vous soyez « vous » - invulnérable et-et… ? Et pourquoi ne l'êtes-vous pas maintenant ?! Je veux dire— ! V-Vos yeux, votre main… vos ailes ?!

Chloé reprend son souffle, attend une réponse. Lucifer en a plusieurs, une majeure, mais pas nécessairement la plus acceptable. Il décide donc de commencer par la moins « délicate », s'humectant les lèvres avant de parler ;

— La raison pour laquelle mes ailes sont ainsi se résume à un manque d'agilité, si je puis dire…

— Agilité ?

— Eh bien, je ne suis pas contorsionniste et mes ailes sont… Vous les avez vues, finit-il par dire, à court de mots pour expliquer la situation, écartant les bras, faute de mieux.

Un silence s'installe et puis, quelques secondes plus tard, Chloé comprend.

— Oh.

Une longue inspiration.

— Et pour le reste ? se risque-t-elle à demander, bornée comme jamais.

Comme toujours.

— C'est différent. Plus compliqué à expliquer.

— OK. Ok…

Lucifer l'entend se redresser et s'attend à l'entendre partir, comme elle l'avait fait chez lui - trop bornée pour comprendre, trop bornée à préserver son humanité en dépit du reste. En dépit de lui.

— Je peux peut-être vous aider avec ce problème… d'agilité, annonce-t-elle alors.

Il relève la tête, incapable de la voir devant lui, mais le désirant plus que tout.

A-t-il bien entendu ?

— Inspectrice, je—

— Il vaut mieux faire ça en bas, il y aura plus de place pour… enfin, vous voyez ce que je veux dire ; poursuit-elle.

Pas vraiment. Il ne voit rien et ne comprend pas vraiment. Quoi qu'il en soit, le Diable se laisse docilement conduire hors de la chambre par cette humaine bornée.

-xXx-


Ni leur lente progression dans le couloir ou des escaliers pour la descente desquelles il ne peut se soustraire à l'aide de l'inspectrice ne changent son impression de départ ; c'est une mauvaise idée. De celle que l'on n'énonce à voix haute qu'une seule fois, car on la sait mauvaise sans vouloir laisser le temps aux autres de s'en rendre compte.

C'est une mauvaise idée.

Tout ce qui le constitue le crie, le prévient inlassablement, jusqu'à la toute dernière marche descendue avec l'assistance de Chloé, jusqu'au tout dernier pas lent dans la pièce soumise à la nuit - à cette autre nuit qui soumet son regard… Rien de bon ne peut en sortir.

Il prend une longue inspiration.

Chloé relâche son étreinte autour de son biceps gauche, il entend un léger bruit suivi d'un bourdonnement léger dans l'air ; une lueur dans l'obscurité.

— Je… commence-t-il sans tourner la tête. Je doute que ce que vous ayez en tête soit une bonne idée.

— J'ai beaucoup de choses en tête, vous savez.

Elle bouge à sa droite, bouge certaines choses d'un autre élément du salon. Il entend bientôt un crissement net sur le sol.

— Qu'est-ce-que vous faites ?

Le bruit cesse et l'inspectrice prend une brève inspiration, plus bruyante que les précédentes, essoufflée.

— On va avoir besoin d'espace pour que vous puissiez… ehm… pour que vous puissiez vous installer confortablement.

Il soupire et se tourne vers le son de sa voix, de son souffle encore hâtif.

— Je persiste à dire que c'est une mauvaise idée, Inspectrice.

— Pourquoi ? demande-t-elle, curieuse.

Lucifer ne peut que rire à sa question. Elle ne pouvait pas être sérieuse, si ? Se moquait-elle de lui, à présent ? Était-ce sa manière à elle de lui faire payer sa condition monstrueuse ?

— Vous êtes sérieuse ? s'exclame-t-il. Vous ne me parlez plus pendant deux mois, m'accusez de tuer pour le plaisir, ne supportez pas la simple pensée des ailes que vous vous entêtez à vouloir soigner dans l'heure et— !

Conscient que son emportement ne pourrait qu'aggraver la situation entre eux, Lucifer tente de se reprendre à force d'inspirations longues et mesurées, exposant plus calmement ensuite ;

— Je ne pense pas que les voir concrètement comme plus longtemps améliorera les choses. Je vous l'ai dit, l'humain ne peut—

— … ne peut pas assimiler une preuve aussi tangible du divin. Je sais.

Il fronce les sourcils.

— « Mais » ?

— Mais Linda y est bien parvenue, non ?

— Vous avez parlé au Dr. Martin ? s'étonne-t-il.

— On s'est vue assez régulièrement depuis… depuis que je me suis rendue compte de la face cachée du monde qui m'entoure. J'ai longtemps hésité à la recontacter, à vrai dire ; j'avais peur que… qu'elle ait été…

Elle ne sait pas comment formuler sa pensée, mais Lucifer s'en charge aisément pour elle.

— Qu'elle soit sous ma néfaste influence, peut-être ?

Il ne peut éviter la teinte d'amertume qui encercle chacun de ses mots. Chloé s'en rend compte, soupirant alors.

— On ne peut pas continuer comme ça, Lucifer.

Il se tait. Qu'aurait-il pu dire ? Exprimer son désaccord ? Il désire autant qu'elle une amélioration dans leur échange, mais il ne sent pas capable de contrôler sa rancœur accumulée en quelques semaines et si profondément enfouie en son sein qu'il en éprouve parfois de sérieuses difficultés à respirer. Et il est clair que l'inspectrice se retrouve elle aussi devant une impasse d'effroi et d'à priori humains, certes, mais non moins blessants à son encontre.

— On ne peut continuer à… utiliser les réponses de l'autre pour l'accuser de… de je ne sais pas trop quoi. Ça ne marche pas.

— Qu'est-ce que vous proposez ?

En ce qui le concerne, il ignore comment faire autrement. Lui parler est déjà beaucoup, plus qu'il ne pouvait rêver encore la veille. Le silence se fait entre eux, elle tergiverse, réfléchit si intensément qu'il en ressent les effets sur sa peau. Probablement un effet de son imagination ou de sa subite cécité, mais il n'empêche qu'il le ressent par tous les pores de sa peau.

— On pourrait… Et si je m'occupais de soigner vos ailes - Die-Dan sait comment ! - et vous et moi profitions de ce moment pour… discuter ?

— Discuter ? répète Lucifer, perplexe. N'est-ce pas ce à quoi nous ne cessons d'échouer dernièrement, Inspectrice ?

— Non, je veux dire vraiment discuter. Pas d'accusations implicites, de reproches, de sous-entendus dantesques… Je parle d'une séance questions-réponses simples, d'écoute.

Sur ces mots, elle a un rire nerveux.

— Honnêtement, je ne sais pas si j'en serai capable, mais-... Ça pourrait m'aider, j'ai l'impression que mon crâne risque l'implosion depuis des semaines ! C'est— ! C'est infernal !

Lucifer ouvre la bouche, hésitant malgré tout à formuler sa pensée après la demande raisonnable que venait de lui faire l'inspectrice. Il demande avec un ton prudent ;

— Autorisez-vous le sarcasme classique ? Ou dois-je plutôt me restreindre totalement ?

— Non, si… Enfin, soyez juste naturel. Sans l'agressivité débordante, si c'est possible.

Il hoche la tête.

— En ce cas, je me permettrais cette boutade concernant votre réplique ultérieure, Inspectrice. Vraiment, vous croyez ?

Elle rit franchement cette fois, un son qui le déleste d'un poids qu'il supporte depuis deux mois. Une minuscule partie de ce qui continue de l'étouffer intérieurement, mais une partie tout de même. Il se permet l'ombre d'un sourire, il s'y laisse prendre, plutôt, incapable qu'il est de ne pas réagir à l'inspectrice. Cela n'avait pas changé.

Cela ne changerait probablement jamais.

— Donc… reprit-il en s'efforçant d'aplanir la rancœur immuable tapie en lui. Quelle était votre crainte à propos de ma thérapeute ?

Il y eut une hésitation dans l'espace qui les séparait, le silence entre les paroles de chacun, entre l'abolissement de cet éclat de joie et l'apogée du malaise actuel. Il écouterait, répondrait et la questionnerait si nécessaire ; quoique la majorité des interrogations viendraient d'elle, à n'en pas douter. Un Diable à l'écoute… Cela sonnait toujours mieux que le Diable tout court et tout monstrueux qu'il n'avait cessé d'être à ses yeux.

— Je craignais qu'elle ait été… influencée par vous, lui révèle sans surprise Chloé. Est-ce que vous pouv- ?

— En aucune façon. Par ailleurs, une telle pratique irait à l'encontre d'un des principes qui me tient le plus à cœur.

— Qui est ? demande-t-elle.

— Le libre-arbitre.

— Oh… C'est vrai.

Lucifer se permet une question à son tour, curieux de savoir l'origine de cette inquiétude infondée sur ses habilités démoniaques comme divines.

— Qu'est-ce qui vous fait penser que je pourrais plier qui que ce soit à ma volonté ?

— Eh bien… Vous avez cette- ce don pour que les gens vous confessent leur plus profond désir, alors… Ça sonne un peu comme de la manipulation mentale.

— Ça n'a rien à voir.

— Ah non ?

— Non ; je-... Comment dire ? Ces désirs sont certes profondément enfouis en chacun, mais ils demeurent une envie, un plaisir que tous souhaiteraient partager avec leur entourage sans… jugement malavisé. Les gens trouvent… ressentent en moi cette… oreille attentive. Je serai bien le dernier à juger le désir d'autrui, vous en conviendrez. Avec le temps, j'ai appris à le tourner à mon avantage ; en certaines occasions.

— Vu comme ça… concède-t-elle. Et ça rejoint le ressenti premier de Linda.

— Puis-je m'enquérir du vôtre ?

Lucifer l'entend faire quelques allers et venues, déplacer, tirer ou pousser quelques autres meubles et objets et la seule force de ses bras bien qu'il se soit silencieusement proposé comme aide, aveugle mais disposé à lui épargner trop d'efforts pour le seul bien-être de ses ailes. Elle rejette sa proposition en posant à nouveau sa main sur son biceps, une tape rassurante suivi de sa voix, de son ressenti.

— Je crois que… vous tenez à cœur le libre-arbitre de chacun, que chacun reste honnête avec soi-même, comme vous essayer de l'être avec vous-même et votre entourage. Et… vous n'avez jamais utilisé ces « aveux » à votre propre avantage, ça pèse dans la balance… Je suppose.

— Il en faudra plus pour que cette balance pèse définitivement en ma faveur, hm ?

Le silence de l'inspectrice est une réponse suffisante pour qu'il n'insiste pas. Il n'insiste plus, savourant ce statut quo entre eux le temps qu'il voudra bien durer. L'une de ses réponses pourrait bien ne pas lui convenir au point de briser tout nouvel espoir d'avancée, l'une de ses questions pourrait déclencher si vite son emportement, l'une et l'autre chose pourrait tout faire basculer, faire peser cette balance d'un équilibre précaire dans l'autre sens.

Il tangue légèrement sur ses pieds, si peu reposé par ce micro-sommeil perforé de cauchemars plus vrai que nature. Quelle heure peut-il être ? Son esprit revient vite à ses inquiétudes premières. Il ne la sent pas prête pour une telle chose, il ne peut pas comparer cette situation à celle vécue avec sa thérapeute. C'est sensiblement différent.

« C'est un prétexte ! »

Pas quand il sert la vérité.

— Pas 'soin de sermon… grommelle-t-il pour lui-même.

— Vous avez dit quelque chose ? s'enquiert Chloé, nettement plus essoufflée qu'avant.

— Hm ? répond distraitement Lucifer.

Elle soupire et ses pas résonnent plus fort.

— Vous dormez debout.

— Ah oui ? dit-il sans s'en révolter, fronçant néanmoins les sourcils. L'un associé à l'autre ne me semble pas faisable, cependant.

— C'est ce que vous faites, pourtant, Monsieur-je-sais-tout.

— Pas tout, non, avoue Lucifer avec un soupir abattu. Nous en sommes là parce que je suis incapable de lire dans vos pensées. Ça vaut pour la compréhension des miennes.

Le silence se fait à nouveau et il fait rouler les muscles de ses épaules, l'inconfort est persistant et plus puissant qu'il ne l'avait escompté. C'est vrai… il en avait presque oublié l'influence indirecte de l'inspectrice sur ses sensations physiques, sur ses ailes finalement ramenées vers une douleur cuisante qu'elles avaient été si soulagées d'oublier au profit d'une autre. Ressentir les deux ensemble est… une nouvelle expérience.

Nouvelle, c'est le mot.

La main de Chloé s'enroule autour de la sienne, d'abord prudente, timide, puis assurée le long de sa paume. Il se soustrait à la douleur et tourne ses sens vers sa présence, cette autre nouvelle expérience qui garde quelques airs de déjà-vu. Ses doigts hésitent à se lier aux siens, ils restent de marbre, figés, comme sa respiration l'est depuis quelques secondes déjà. Les doigts de Chloé serrent légèrement les siens.

Un léger espoir.

— Venez, dit-elle.

Toujours inquiet, inquiétant ; il ne lui vient pourtant jamais à l'idée de reculer.


À suivre


Notes d'auteure :

Ça m'a paru un très bon moment pour couper, désolée pour la frustration ^^ (Juste un peu désolée ! XD)

Je vais continuer à écrire la suite tant que l'inspiration me tourne autour. J'espère la publier rapidement, mais je ne ferai pas de promesses en l'air.

Affaire à suivre ! ;)