D'abord, ç'avait été ses cheveux qui avaient capturé son attention. Blond sale, tout emmêlés, clairement négligés. Puis il avait croisé son regard. Bleu pâle, deux grands yeux rêveurs. Et elle lui avait adressé un sourire. Lumineux, sincère, juste ce dont il avait besoin. Et puis elle avait parlé, d'une voix douce et étrange:
- Ce sera tout ?
- Hein ? Euh, oui, merci, balbutia-il.
Elle lui sourit de nouveau, et reprit:
- Ça aura dû faire un euro cinquante, mais je vais vous faire une réduction.
- Hein ? Mais, euh... Pourquoi ?
- Parce que vous avez l'air gentil.
- Mais ce n'est pas une raison, ça !
- Ah... Vous n'aimez pas les réductions ?
- Si si, mais ce n'est pas juste pour ceux qui n'ont pas l'air gentil.
- Dans ce cas, je leur donnerai une réduction pour une autre raison.
- Mais, euh... C'est légal ?
- Je ne pense pas que enlever cinquante centimes sur une chocolatine puisse être passible de prison.
- Probablement pas, mais vous allez vous faire virez, euh… Luna, avais-je ajouté en jetant un coup d'oeil à l'étiquette sur son tablier qui proclamait le nom de la jeune fille.
Elle avait écarquillé ses grands yeux rêveurs, et demandé, toujours en souriant :
- Vous croyez ?
- Bah je suppose, oui.
- Mais les gens ils aiment quand je fais des réductions ! Pourquoi je me ferais renvoyer ?
- Parce que le but de votre patron est de gagner de l'argent. Si vous faîtes des réductions à tout bout de champ, vous lui rapportez moins, et il ne sera pas content, et il vous virera.
- Mais, réfléchit elle, quand je fais des réductions, les gens sont contents et il reviennent plus souvent et ça rapporte plus d'argent.
- Mais...
Je me tus. Qu'avais-je à répondre à ça, après tout ?
- Bon, voilà votre chocolatine. Ça fera cinquante centimes s'il vous plaît. Je vous ai fait une autre réduction.
- Et pourquoi cette fois ci ?
- Parce que notre conversation était intéressante.
- Vous allez vraiment vous faire virer, vous savez.
Elle ne dit que m'adresser un petit sourire, lumineux comme à son habitude. Elle finit d'empaqueter ma chocolatine et me la tendit, toujours en souriant. Cette fille était décidément étrange. Je la remercia et me dirigea vers la porte de la boulangerie, quand elle m'interpella soudainement:
- Monsieur !
Je me retournais.
- Je ne risque pas de me faire virer, vous savez.
Elle m'adressa un énième sourire éclatant.
- Je suis la cogérante de cette boulangerie, et mon père en est le boulanger principal !
Sur ce, elle se retourna vers les fours à pain. Je quittais lentement la petite boulangerie. Arrivé au coin de la rue, je me retournais et lançais un dernier regard à la devanture de la boutique qui proclamait " Au Loony, boulangerie de père en fille ", devanture que j'étais sûr de voir bien plus souvent désormais, et pas seulement pour les réductions sur les chocolatines, mais surtout pour le sourire lumineux d'une boulangère aux yeux rêveurs.