Asgard des siècles avant notre ère
-« Vas-tu donc enfin bouger, fichu bloc de métal ?! »
Avec la témérité qui le caractérisait si bien le fougueux Asgardien tenta d'agripper l'objet de sa convoitise. Face à lui reposait fièrement sur un autel, une arme sans nulle autre pareille. Forgé dans l'Uru par le roi des Nains en personne, enchanté par le Père de tout lui-même, Mjolnir reposait attendant un porteur digne de lui. À la fois capable de briser les matériaux les plus durs et de demeurer insensible à l'usure du temps, Mjolnir ne cessait de susciter la convoitise des plus valeureux guerriers Ases. Sa solidité n'était cependant que le moindre de ses dons, il était dit que le marteau était capable de canaliser la foudre et de commander au tonnerre lui-même.
Les mains puissantes du jeune guerrier se refermèrent sur la poignée. Il inspira bruyamment, les muscles de ses bras semblaient être d'airains. Ses doigts enserrèrent si fort la poignée qu'il eut davantage l'impression d'étrangler un ennemi que d'extirper ce maudit marteau de son socle. Il bascula la tête en arrière, ses longs cheveux blonds virevoltants et tira de toutes ses forces. En dépit de ses efforts, le marteau ne daigna pas bouger d'un iota. Un rictus de rage dévora les traits délicats du jeune Asgardien. Ses dents grincèrent sous l'effet de l'exaspération. Il tira à nouveau de toutes ses forces, ses muscles se tendirent comme un arc. Rarement il s'était senti si ridicule. De tous les Ases, il était déjà celui doté de la force physique la plus exceptionnelle. Il était capable de soulever un Drakkar d'une seule main et de jeter d'immenses rochers avec la même aisance qu'un bambin balançant un galet.
-« Vas-tu donc m'obéir ?! Misérable bloc d'Uru ! » S'époumona-t-il.
Le visage rougi par l'effort, il insista malheureusement, le marteau se révéla aussi immuable que les racines de l'arbre-monde. Ce n'était pourtant pas sa force qui lui fit défaut. La légende infirmait que seul le plus digne des guerriers bénéficierait de l'honneur de brandir Mjolnir.
-« J'ai terrassé des dragons ! Abattus à mains nues des loups aussi grands qu'un homme ! J'ai mené et remporté plus de batailles que des vieillards ayant deux fois mon âge ! Jamais l'adresse et le courage ne m'ont fait défaut ! Comment ne pourrais-je pas être digne ? » Grogna-t-il.
Enfin, il lâcha brise, exténué. Ivre de rage, il frappa violemment l'autel de son pied. Un bruit sourd résonna et se fit probablement entendre des lieux à la ronde.
-« Le Père de tout m'en soit témoin, un jour tu m'appartiendras Mjolnir ! » Pesta le guerrier blond.
-« Thor que fais-tu là ? Est-ce toi le responsable de ce vacarme ? » Fit une voix aussi douce qu'autoritaire.
Sous les yeux honteux du petit Dieu du Tonnerre, apparu l'épouse d'Odin en personne. Frigga, Déesse de la fertilité et de l'amour toisa son fils impétueux d'un air réprobateur. Devant la mine dépitée qu'affichait le jeune guerrier, ses traits s'adoucirent peu à peu. Elle jeta un bref coup d'œil au socle avant de reporter son attention sur son fils.
-« Tu t'évertues encore à soulever ce marteau ? Ton acharnement ne te fait pas honneur mon enfant. Depuis combien de temps es-tu ici ? Ne me dis pas que tu as, une fois de plus, passé le plus clair de la matinée à vainement tenter de l'arracher à son socle ! »
-« Je l'ai senti bouger mère ! Je te l'assure ! » Se défendit Thor, sur un ton qui peinait à convaincre.
-« Est-ce donc si terrible d'admettre que tu n'es pas encore prêt ? » Fit Frigga d'une voix douce.
-« Je l'entends m'appeler ! Comme le tonnerre qui gronde ! Mon destin est de manier le marteau mais pourtant il persiste à me défier ! » S'emporta le jeune Ase. « Imagine ce que je pourrais accomplir avec une arme à ma mesure ! Plus aucun ennemi dans les neuf royaumes Asgard n'oserait se dresser face à Asgard la belle ! Je pourrais défendre notre foyer et bâtir une paix durable dans les neuf mondes comme père l'a toujours souhaité et…
-Tes intentions sont louables mon fils mais en vérité n'as-tu pas d'avantage soif de gloire ? Est-ce la puissance que te prodiguerais une telle arme qui t'incite à la convoiter ou le désir de défendre ton royaume ? » L'interrompit l'Asgardienne.
-« Mère jamais je ne…
Frigga sourit malgré elle.
-« Enfant déjà tu t'emportais, animé du désir de toujours tout faire mieux et plus vite que tout le monde. À peine né, tu désirais déjà marcher. À peine capable de manier une épée, tu désirais déjà partir à la guerre. Contrairement à ton frère Loki, jamais tu n'as pris le temps de savourer les choses et d'apprendre à maitriser tes ardeurs. »
Le jeune guerrier adopta aussitôt une mine boudeuse. Il jeta un regard ulcéré au marteau et pesta derechef.
-« Pas plus tard qu'hier j'ai occis un dragon qui menaçait un village. Ensuite j'ai secouru un enfant kidnappé par des trolls ! Que dois-je donc faire pour me montrer digne et prouver ma vertu ? Me faut-il occire une menace plus terrible encore ? »
Frigga soupira et s'avança doucement vers son enfant. Elle frôla délicatement son visage et lui redressa le menton, le forçant à la regarder dans les yeux.
-« Mon enfant, aucun marteau, ni aucune arme dans les neuf royaumes ne fera de toi un meilleur Dieu, ni un meilleur guide pour les tiens. »
Elle posa doucement sa main gauche sur le torse de son fils et reprit.
-« Seul le cœur noble battant dans ta poitrine en est capable. Qu'importent les prouesses guerrières, un roi est certes parfois contraint de mener les siens vers la guerre mais jamais il ne doit perdre de vue qu'il est au service de son peuple et non l'inverse et que c'est en temps de paix que son peuple s'épanouit. »
Thor demeura silencieux un long moment méditant sur les paroles de sa mère. Enfin il redressa la tête.
-« Et si demain j'essayais à nouveau après avoir occis un plus grand dragon ? » Dit-il avec enthousiaste.
Frigga soupira.
-« Retourne te coucher dès à présent mon fils. Le marteau sera toujours là à ton réveil, attendant que tu te montres réellement digne de le manier.
Un monde oublié, peu avant notre ère
-« Je suis né avec la mort gravée sur le visage. »
Prostré dans les cendres d'un monde autrefois fertile et radieux, le colosse difforme contempla ce qui fut naguère son foyer. Une mutation rare l'avait pourvue d'une peau violette et d'un visage morbide. De longues estafilades marquaient son menton. Quiconque croisait son regard et s'exposait à ses yeux glacés, pareils au lit d'un lac, éprouvait aussitôt un malaise insondable. Comme une lame glacée entre les côtes. De ses pas massifs, le Titan foulait le sol poussiéreux sans afficher la moindre trace d'émotion. Il arriva enfin devant les ruines de ce qui semblait être un sanctuaire délaissé depuis des temps immémoriaux. Machinalement, le colosse y pénétra. Il franchit les longs couloirs donnant sur une arrière-salle abandonnée. Ses yeux parcoururent l'horizon, jusqu'à ce que s'offre à sa vue l'objet de sa quête. Enfin, il le vit. Au fond de l'arrière-salle délaissée, demeurait un mémorial presque intact. Alors que le paysage environnant tombait en ruine, le mémorial semblait se rire de l'usure du temps. Le colosse s'avança et tendit la main. Ses doigts massifs effleurèrent délicatement l'épitaphe, lettre après lettre. Il recula doucement ses doigts et replia le poing. Avec amertume, il fixa l'épitaphe écrite dans une langue morte et oubliée de tous. Tous sauf lui.
Ci-gît Sui-san
Epouse d'Alars Mentor de Titan, Mère défunte
La plus noble des Éternels
Le Titan avait lu les mots un nombre innombrable de fois, après tout son propre père les avait lui-même gravés. Ses pensées prirent forme dans son esprit tourmenté mais aucun mot ne sorti de son imposante bouche. Il hésitait, chose rare. Enfin, il desserra les poings, redressa la tête et rompit le silence.
-« Enfant, mon sommeil était perpétuellement troublé par d'obscures visions. Initialement je les pris pour des cauchemars mais ce qu'ils me montraient étaient bien trop nets, trop familiers, trop réels. En grandissant, je parvins à faire taire ces visions peu à peu. J'ai tout simplement cessé de dormir, j'ai découvert que je n'en avais même pas besoin. Pourtant au fil des années, les visions se manifestèrent à nouveau et ce même en état d'éveil. »
Il se tut un bref instant, inspira puis repris.
-« Je sais que cela peut sembler absurde, dément, impossible mais pourtant…..pourtant je crois me souvenir du jour de ma naissance. Je me souviens du regard horrifié des médecins lorsqu'ils m'extirpèrent de ton ventre ensanglanté. Je me souviens de leurs mots, je me rappelle de quelle façon ils parlaient de moi. Ils disaient que j'étais porteur du gène déviant. Ils ont dit que cela défiait les probabilités, que nul déviant n'avait été recensé depuis des siècles. Je me rappelle très clairement de la voix d'Alars, mon père, le bienveillant guide des Éternels. Elle était blanche et brisée. Les médecins lui ont affirmé que j'étais sain d'un point de vue purement biologique. Mes organes fonctionnaient correctement, mon sang ne présentait pas d'anomalie, ma respiration était constante. Je n'étais ni sourd, ni aveugle. Bon nombre de déviant étaient morts nés. Selon le médecin en chef, j'étais un miracle scientifique. Des années d'études seraient nécessaires pour analyser complètement chaque séquence de mon code génétique muté. Mais mon père n'en avait cure. Alars désirait voir son enfant, il écarta les médecins de son chemin et se précipita vers mon berceau. C'est alors qu'il me vit pour la première fois.
Le colosse se tut et s'agenouilla face au mémorial. Il toucha son visage balafré du bout des doigts.
-« Aussi improbable que cela puisse paraître, alors que je venais simplement de naître, je me rappelle exactement de quelle façon mon père m'a contemplé lorsqu'il posa pour la première fois les yeux sur moi. Son visage était déformé par l'effroi. J'étais difforme, d'aucuns diraient monstrueux. Deux fois plus gros qu'un nourrisson normal, une peau violette, de longues estafilades marquaient son menton. Mes yeux étaient, pareils au lit d'un lac. Je suis né avec la mort gravée sur le visage. »
Agenouillé le colosse écarta ses mains de son visage et les brandi devant lui. Il contempla ses mains massives un long moment.
-« Le médecin en chef a précisé qu'en dépit de mon rang, bon nombre de mes pairs se montreraient quelque peu incommodés par mon aspect monstrueux mais mon père n'en avait cure. J'étais son fils, le fruit de son amour, le digne héritier de Titan. Pourtant il me nomma Thanos. Un nom qui évoque la mort. Était-ce son premier choix ? Est-ce ainsi qu'il souhaitait réellement m'appeler avant de poser les yeux sur moi ? Cela n'a que peu d'importance, seule la suite importe. N'est-ce pas mère ? »
Thanos se redressa et contempla le mémorial d'un air froid.
-« Je me souviens de la première fois où tu m'as tenu dans tes bras. Le regard d'horreur que tu m'as adressé, la terreur qui a déformé tes traits délicats. Sans prévenir, tu t'es emparé d'un scalpel et tu as tenté de me tuer. Mon père et les médecins t'en ont empêché, ils ont cru que tu perdais la raison. Quel genre de mère tenterait de tuer son enfant le jour même de sa naissance ? Tu as hurlé qu'il fallait qu'on me tue avant que je tue tout le monde. Tu as hurlé que j'avais la mort gravée sur le visage. Ils t'ont pris pour une folle et t'ont séparé de moi. Voilà mon premier souvenir mère. Ce que j'avais pris pour un cauchemar, pour une vision n'était en réalité qu'un souvenir. Un souvenir que mon père a tenté de me cacher en vain.
Thanos serra les poings.
-« Tu n'étais pas folle mère, en vérité je pense que tu es la seule à avoir compris ce que j'étais réellement. Aussi, je me suis longtemps interrogé sur ma destinée, sur la raison pour laquelle j'ai survécu. Pourquoi suis-je né ainsi ? Comme un serpent au sein de l'Eden. Un démon disgracieux au sein d'un monde peuplé par les anges. J'ai fini par comprendre qu'en toute chose le début et la fin sont indissociables. La vie et la mort sont deux constantes universelles. Tout commencement amorce une fin. Toute étoile naissante est amenée à disparaître, toute civilisation naissante entame son inexorable déclin. Un enfant naît pour mourir, une race apparaît pour s'éteindre. Le début et la fin, deux instants clé liés par la fatalité. J'ai fini par comprendre que l'univers tel que les mortels l'appréhendaient a pris fin le jour où je suis né. Ma naissance amorçait la mort de milliards d'être. Comme en réponse à un univers surpeuplé, grouillant de vie, je suis né pour le faucher. La mort gravée sur le visage. On m'a traité de monstre, de fou, de dément, de psychopathe, de démon, d'aberration pourtant je ne suis peut-être pas plus aberrant qu'un trou noir attirant une planète dans ses ténèbres éternelles, je ne suis peut-être pas plus mauvais qu'une métastase cancéreuse dévorant un organisme, je ne suis peut-être pas plus terrible qu'un cataclysme naturel emportant tout sur son passage. Ainsi le feu brûle, l'eau noie, les prédateurs dévorent, les maladies affaiblissent et Thanos….Thanos tue !
Le Titan fixa à nouveau le mémorial de sa mère d'un air sombre.
-« Je n'ai pas choisi de naître ainsi. Mon premier souvenir fût de te voir tenter de me tuer. Je me rappelle le scalpel dans ta main et l'horreur sur ton visage. Je me souviens que mon père et les médecins m'ont arraché à toi. Je suis sincèrement désolé mère. Peut-être aurait-il mieux valu qu'ils te laissent faire. ».