Bonjour à tous,
Je suis heureuse de vous retrouver pour cette nouvelle aventure Dramionesque, même si celle-ci ne sera pas tellement ivre de bonheur. J'espère que l'atmosphère un peu particulière et les sujets, plutôt délicats, abordés ne vous déplairont pas.
Ce two-shot est la fic la plus personnelle que j'ai jamais posté, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture.
Le monde tel qu'il est
Chapitre 1 : Rencontre nocturne
Quand Hermione poussa la porte du Chaudron Baveur, elle se demanda aussitôt ce qu'elle venait faire là. Il était vingt et une heure, nous étions en pleine semaine, et forcément, il n'y avait pas grand monde dans le bar. Les quelques clients qui avaient levés les yeux à son entrée, se détournèrent trop vite pour la pousser à suivre son envie de fuir. Au lieu de ça, elle fit quelques pas, et s'installa à la table la plus isolée qu'elle put trouver. Son plan n'était pas très précis, si incertain en fait, qu'elle n'avait pas vu plus loin que « se rendre au Chaudron Baveur et s'asseoir dans un coin tranquille ».
Lorsque le serveur s'approcha pour lui demander ce qu'elle voulait boire, elle fût prise de court et faillit lui demander un soda. Elle prenait tout le temps un soda. Toujours le même. Que ça soit chez des amis, au restaurant, en apéritif ou lors d'une soirée dans un bar. Le soda le plus courant, celui qu'elle était à peu près sûre de trouver partout. Elle l'aimait bien ce soda, même si elle savait que c'était trop sucré et qu'elle devrait plutôt prendre un jus de fruit mais déjà qu'elle ne buvait plus d'alcool, si elle se mettait à ne commander plus que des jus de fruit autant demander le menu enfant tout de suite.
Elle avait découvert, quelques années auparavant, que l'alcool n'arrangeait pas son acné. Ça et la charcuterie… et le chocolat. A trente ans passés, elle avait l'impression d'en avoir dix sept lorsqu'elle se regardait dans le miroir le matin. Du coup, elle essayait de faire attention, même si elle savait que le stress avait aussi un rôle sur la santé de sa peau, et sur sa santé tout court d'ailleurs. Et se priver la stressait, mais ne pas se priver la couvrait de boutons dignes d'une ado. C'était un cercle sans fin.
Elle ne voulait pas savoir quel effet négatif avait son fameux soda sur son physique, parce qu'elle ne voulait pas se priver d'un plaisir supplémentaire. Faire l'autruche, c'était plus facile.
- Madame ?
Le serveur était toujours là, attendant sa commande. Bien sûr, il l'avait reconnu, tout le monde la reconnaissait, et ça n'arrangeait pas son envie de disparaître. Elle ne savait pas comment faisait Harry pour supporter ça depuis presque le début de sa vie.
Elle commanda une bière. Dans le genre acte rebelle, on avait connu mieux. Mais après cinq ans sans une goutte d'alcool, la sensation sur sa langue et le long de sa gorge fut une extase. Elle avait négligé le verre et avait bu directement au goulot. Cinq ans qu'elle n'avait pas ressentit la fraîcheur de ce rond de verre sur ses lèvres. Elle se retint de gémir et d'expirer bruyamment.
La porte du bar s'ouvrit à nouveau et elle se tassa dans son recoin en détournant la tête, elle n'avait pas envie d'un témoin de plus. Avec un peu de chance, l'individu en question allait se contenter de traverser le bar pour accéder à l'arrière cour et au passage secret vers le Chemin de Traverse. Mais la chance n'avait pas l'air d'être avec elle ce soir, puisque la silhouette s'arrêta au bar et commanda un verre, élevant à six, le nombre des spectateurs de sa misérable défaite.
Elle n'aurait pas dû être étonnée, la chance n'était plus qu'une vague notion qui l'ignorait depuis bien trop longtemps à présent. Elle baissa un peu plus la tête sur le goulot de sa bouteille, tentant de cacher son visage avec ses cheveux long et épais.
Pour l'instant, elle donnait encore l'illusion. Après tout, rien ne disait qu'elle n'attendait pas quelqu'un. Certes, il était un peu tard mais pas encore trop tard pour se présenter dans un restaurant avec un groupe d'ami. Lorsqu'elle entamerait sa deuxième bière et si quelqu'un remarquait qu'elle ne jetait jamais un œil à sa montre, à ce moment-là, elle commencerait à faire pitié aux quelques poivrots qui, dans un sens, lui tenait compagnie.
Ils devaient bien se demander ce qu'elle pouvait faire ici, à boire seule, au lieu de rentrer chez elle retrouver Ronald Weasley. Elle était sûre que le jeune homme devait l'attendre, ou tout du moins attendre son message lui indiquant qu'elle partait du ministère pour mettre le repas à chauffer. Ron était un amour. Dès qu'il avait quitté le Terrier, il s'était découvert une passion et un don pour la cuisine et il aimait cuisiner pour elle, même si certains soirs la flemme était plus forte. Hermione, elle, n'était pas douée pour la cuisine, et c'était certainement pour ça qu'elle l'avait en horreur. Ce soir, Ron savait qu'elle avait passé une journée plutôt pénible et il lui avait promis des lasagnes. Elle adorait les lasagnes de Ron.
Elle l'avait prévenu qu'elle rentrerait très tard mais elle n'avait pas prémédité qu'elle finirait ici, sans vraiment savoir pourquoi, ni comment. Elle savait juste qu'elle n'avait pas eu envie de rentrer et elle avait cherché un refuge contre le froid où s'asseoir pour réfléchir.
- Granger ?
Hermione se raidit. Plongée dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendu approcher. Elle ne voyait même pas son visage, devinant simplement sa silhouette floue au travers du rideau de ses cheveux, mais elle aurait reconnu cette voix entre mille. Après tout, lorsque cette voix vous avait insulté pendant des années, il était difficile de l'oublier. Elle ne savait pas quoi faire. Elle n'avait pas envie de lever les yeux et de voir son visage, elle n'avait pas non plus envie de le saluer ou même de lui confirmer son identité. Elle avait envie qu'il disparaisse, qu'il la laisse seule avec ses sombres pensées, alors elle ne fit rien et ne répondit pas. Mais, il ne sembla pas comprendre le message et devant son silence, il insista.
- Granger ? Est-ce que ça va ?
- Va te faire foutre Malefoy, grogna-t-elle, la gorge soudain serrée.
L'insulte lui avait échappé. Elle n'était pas spécialement agressive ou grossière habituellement, mais ce soir, elle était à bout. Lorsqu'elle sentit avec horreur les larmes déborder de ses yeux, elle se maudit et détourna la tête pour qu'il ne le voie pas.
Après quelques secondes, et sans y être invité, le jeune homme glissa son grand corps sur la banquette en face de la sienne. Du coin de l'œil, elle le vit boire une gorgée de son verre. Lui devait sûrement boire quelque chose de bien plus fort qu'une stupide bière. Elle eut soudain honte de sa commande et tenta à la fois de cacher ses larmes et l'étiquette de sa bouteille. A présent qu'elle avait commencé à pleurer, elle n'arrivait plus à s'arrêter. Elle se contenta donc de retenir de toutes ses forces ses sanglots, aussi libérateurs que douloureux, et de pleurer en silence, toujours cachée derrière ses cheveux et une de ses mains. Au bout de quelques secondes, elle n'eut plus le choix, et elle abandonna sa bière sur la table pour presque plonger la tête dans son sac à main, à la recherche d'un mouchoir en papier. Evidemment, avec le bazar habituel, elle ne trouva qu'un paquet vide. Elle n'en avait même pas un usagé pour limiter les dégâts. Elle avait bien l'édition du jour de la Gazette, qui, après ce qu'elle avait lu dedans le matin même, n'aurait mérité que de servir d'essuie-morve, mais devant Malefoy, elle n'osa pas.
Soudain, un carré de tissu apparut sous son nez et sans réfléchir, elle leva enfin les yeux. Le mouchoir était pincé entre deux grands doigts pâles, un index et un majeur, rattachés à un bras recouvert d'une épaisse cape d'hiver et, au bout de ce bras, Draco Malefoy la regardait d'un air impassible, sans pitié, sans joie, sans moquerie, juste… tranquille.
Elle hésita de longues secondes à se saisir du mouchoir. Était-ce une de ses blagues absurdes destinées à l'humilier ? Allait-il récupérer son mouchoir au dernier moment, lorsqu'elle aurait admis sa défaite, accepter son aide et tendue la main vers lui ? Allait-il éclater de rire ou la laisser se moucher puis lui demander quelque chose ? Peut-être qu'il voulait entrer dans ses bonnes grâces, bien qu'elle ne voyait pas trop en quoi elle aurait pu lui être utile. Elle finit par tendre lentement la main vers le mouchoir et il la laissa s'en saisir sans un mot, sans une expression. Le tissu était agréablement doux et soyeux, un mouchoir de première qualité. Qui donc utilisait encore des mouchoirs en tissu de nos jours ? Draco Malefoy visiblement. Snob jusqu'au bout. Elle sécha tant bien que mal ses larmes et il détourna la tête pour balayer la salle du regard lorsqu'elle se moucha aussi discrètement et élégamment que possible. Sur le mouchoir, elle inspira son odeur pour la première fois. Elle l'avait côtoyé pendant des années à Poudlard, elle lui avait parlé, ils s'étaient disputés et bousculés, ils avaient même échangé quelques sorts pendant la guerre, mais aujourd'hui seulement, elle découvrait qu'il avait une odeur masculine discrète, avec une légère touche de ce qu'elle imaginait être un parfum pour homme hors de prix.
Quand elle eut fini, elle ravala un dernier sanglot, se sentant enfin reprendre le contrôle d'elle-même. Comme si le simple fait de se moucher avait fermé une vanne en elle.
A nouveau, elle hésita. Devait-elle lui rendre son mouchoir ? C'était un peu dégoûtant mais en même temps elle ne se voyait pas le garder et encore moins le laver puis le lui rendre après coup, il aurait sûrement l'odeur de sa lessive bon marché après ça. Et puis, elle doutait qu'une telle situation : elle et lui, assis face à face dans un bar, ne se reproduise un jour.
Elle l'avait très peu revu depuis la fin de Poudlard. Elle savait qu'il avait un boulot convenable mais aurait été incapable de dire lequel. Dans les potions peut-être ? Ou reporter pour un journal ? Ce qui était certain c'est qu'il ne travaillait ni au ministère, ni pour le ministère car sinon elle l'aurait su. Au département de la Justice Magique on savait tout ou presque.
Voyant son air hésitant, il s'appuya en arrière contre le dossier de la banquette et croisa les doigts sur ses cuisses écartées nonchalamment.
- Tu peux le garder.
Sa voix avait toujours ce même ton traînant que lorsqu'il était à Poudlard, mais aujourd'hui elle était plus profonde. Plus froide aussi. Il continuait à la fixer sans rien dire de plus et ça la mettait mal à l'aise. Elle avait envie de le foutre à la porte mais elle n'était pas chez elle et puis maintenant qu'elle avait accepté son mouchoir, une part d'elle-même ne pouvait accepter d'être agressive. Elle était venue ici pour trouver un peu de solitude, pour réfléchir, et voilà qu'il s'invitait à sa table, déclenchait ses larmes et maintenant il lui offrait son mouchoir. Toute cette situation était complètement absurde. Cependant, elle pouvait y mettre fin. C'était très facile, elle n'avait qu'à le remercier pour le mouchoir, se lever, payer sa consommation et rentrer chez elle. Rien n'aurait été plus simple mais elle n'avait toujours pas envie de rentrer chez elle. Elle avait encore des choses à exprimer, des problèmes à régler, même si elle n'avait absolument aucune idée de comment faire tout ça. Et elle n'avait pas la force de chercher un autre refuge maintenant. Alors au lieu de ça, un seul mot franchit ses lèvres, à peine plus qu'un murmure :
- Merci.
Il pencha un peu la tête, comme pour voir sous le rideau de cheveux qu'elle lui opposait une fois de plus, puis il soupira et leva la main en l'air. Le serveur réapparut quelques secondes plus tard.
- Remettez-nous deux bourbons.
- Oui, monsieur.
Elle n'eut pas le temps de protester, que l'homme était reparti. Elle ne voulait pas de bourbon, ni quoi que ce soit d'autre de sa part. Elle avait déjà accepté le mouchoir, mais c'était uniquement pour ne pas se retrouver à se moucher dans la manche de son pull. Lorsque les deux verres arrivèrent devant eux, elle attendit quand même d'être à nouveau seule avec lui pour pousser le sien dans sa direction.
- Je n'en veux pas, croassa-t-elle.
Elle eut honte de sa voix rendue rauque par les sanglots qu'elle avait contenue. D'un geste lent, il tendit le bras, attrapa le verre et le vida d'un trait. Sous la brûlure de l'alcool, ses traits se tordirent en une grimace tandis qu'il expirait bruyamment. Puis il prit son propre verre et fit doucement tourner le liquide ambré à l'intérieur en observant comment la chiche lumière du pub s'y reflétait. Hermione retomba dans le silence, elle ne savait pas pourquoi il était là, ni même ce qu'il voulait, et elle n'avait vraiment pas la tête à se lancer dans un petit jeu ou quelques que soient ses arrières pensés. Elle prit une autre gorgée de sa bière et baissa encore la tête, décidant de l'ignorer. C'était la meilleure solution. Mais ça n'était pas si simple. Elle n'était pas à l'aise de se trouver ici, elle n'était pas à l'aise d'avoir des témoins, et pire que tout, il fallait que le mec qu'elle détestait se pointe précisément pendant cet instant de faiblesse.
Un des clients se leva et jeta une poignée de pièce sur la table avant de sortir côté moldu. Deux hommes l'imitèrent aussitôt. Draco observa leur manège. Ce comportement aurait mis la puce à l'oreille de la jeune femme en temps normal mais toute son attention était tournée vers le blond en face d'elle. Elle lui jeta un coup d'œil entre deux mèches ondulées. Il ne la regardait pas, les yeux perdus dans la salle, faisant toujours distraitement tourner l'alcool dans son verre. Il resta ainsi de très longues minutes et elle ne put s'empêcher d'en profiter pour le détailler. Il avait définitivement perdu ses rondeurs enfantines mais l'âge lui donnait en plus, une maturité que son corps dégingandé d'adulescent ne lui avait pas permis du temps de Poudlard. Il devait encore pratiquer le Quidditch, car sa cape serrait ses épaules un peu trop larges et ses bras aussi avaient pris en muscle. Une barbe de quelques jours, faussement négligée, mais sûrement minutieusement entretenue, arrondissait son visage naturellement trop pointu et lui donnait plus de caractère. Ses yeux gris avaient toujours cette même teinte changeante au gré du temps et de ses humeurs. Mais ce soir, ils avaient une expression qu'elle n'arrivait pas à déchiffrer et ça la rendait plus mal à l'aise encore que tout le reste. Elle le voyait seulement plongé profondément dans ses pensées, incapable de savoir dans quel état d'esprit il était, ce qui lui aurait peut-être donné une piste sur la raison de sa présence ici. A vrai dire, elle se fichait de savoir ce qui avait pu le pousser à avoir le même réflexe qu'elle. Elle se fichait de savoir ce qui n'allait pas dans sa vie pour le pousser à venir enquiller verre sur verre dans ce pub un peu glauque, un jeudi soir à vingt et une heure trente. Tout ce qu'elle aurait aimé découvrir, c'était la raison de sa présence à sa propre table. Ne pouvait-il pas ressasser ses problèmes dans son coin, comme tout le monde ?
Il soupira soudain profondément et sembla sortir de sa léthargie. Il cligna plusieurs fois des paupières, s'agita sur sa banquette pour se repositionner correctement, et ses yeux revinrent vers elle. Elle détourna précipitamment la tête.
- Alors Granger, qu'est-ce qui ne va pas ?
Son premier réflexe aurait pu être de le renvoyer bouler une fois de plus, et cette option avait sérieusement effleuré son esprit, mais après le coup du mouchoir, ce n'était plus possible. Elle pouvait qualifier son geste de gentil, même si, franchement, coller les mots « gentil » et « Malefoy » dans la même phrase lui donnait l'impression d'être passée dans une autre dimension. Quoi qu'il en soit, sa foutue fierté Gryffondor l'empêchait de le renvoyer chier après qu'il se soit montré si complaisant avec elle. Mais ça ne voulait pas dire pour autant qu'elle allait lui déballer toute sa vie, ses problèmes et ses questions existentielles, ni même qu'elle en avait seulement envie. Effectivement, parler de ça avec quelqu'un lui ferait du bien, mais aucun de ses amis n'étaient assez impartial pour comprendre et elle ne se voyait pas payer un psychomage ou un psychologue moldu pour quelque chose de pas si important et qui passerait sûrement tout seul. En définitive, elle tenta de mettre le plus de politesse possible dans sa réponse et d'adoucir un peu son ton, certainement un poil trop sec.
- Ça ne te regarde pas.
Il pencha une nouvelle fois la tête sur le côté, comme pour tenter d'apercevoir un peu mieux son visage. Cela faisait deux fois qu'il faisait ça, et c'était déjà deux fois de trop. Ça commençait sérieusement à l'énerver, et elle hésita à revenir à son idée première de l'éjecter de sa table à coup de pied dans le derrière.
Il se redressa et but une petite gorgée de bourbon. Cette fois-ci, il ne grimaça pas. Il appréciait son verre différemment, en prenant le temps de laisser le liquide recouvrir les papilles gustatives de sa langue avant d'avaler lentement, et de savourer la sensation de l'alcool, glissant le long de sa gorge, réchauffant tout sur son passage. Puis, il expira doucement par le nez.
Quelques secondes plus tard, trop tard, elle se rendit compte qu'elle le fixait et s'empressa d'avaler une gorgée de bière pour se donner une contenance. Dans sa précipitation, ses dents heurtèrent le verre du goulot et elle ignora la douleur vive mais fugace. S'il s'en rendit compte, il ne releva pas.
- Effectivement, ça ne me regarde pas, reprit-il posément. Indubitablement. On est loin d'être des amis, même pas des connaissances selon moi, alors ne parlons pas de confidents. Mais vois-tu, lorsqu'on vient boire, seul, dans ce genre d'endroit, un soir en pleine semaine, c'est qu'on ne va clairement pas bien. Et l'usage veut que dans ces cas-là, on raconte sa vie au barman. Or, tu t'es volontairement isolée des…
- Je ne veux pas de bébé, le coupa-t-elle rudement.
Bon sang ! Elle regrettait déjà d'avoir prononcé ces mots, mais l'entendre monologuer de sa voix traînante et exaspérante était une torture. Les quelques minutes, à peu près silencieuses, du début de leur rencontre fortuite, lui avait fait croire qu'il avait peut-être changé un peu depuis Poudlard. Mais visiblement, elle s'était trompée : il adorait toujours autant le son de sa propre voix. Elle regrettait cet aveu, personnel et intime, mais le bon côté, c'était qu'il était à présent aussi muet qu'une carpe. Elle rebaissa la tête sur sa bouteille et pria pour qu'il se lève sans un mot et quitte le pub. Malheureusement, Merlin devait trouver qu'il s'était déjà montré assez généreux avec elle en lui clouant le bec, et Malefoy ne bougea pas d'un cil. Puis, sereinement, il monta le verre à sa bouche et bût une autre gorgée.
- Je vois, fit-il ensuite d'un air entendu.
Elle redressa un peu la tête et le fusilla du regard. Il voyait ? Ah oui ? Et il voyait quoi au juste ? Qu'est-ce qui pouvait bien lui faire croire qu'il pouvait comprendre ce qu'elle vivait, ce qu'elle ressentait au quotidien. Dans quel enfer, elle était tombée, progressivement, et comment ce simple choix la tuait, petit à petit.
- Ah oui ? Cracha-t-elle, sans plus retenir son agressivité.
Mouchoir ou pas, elle ne le laisserait pas la juger sans rien dire. Elle ne se laisserait pas faire comme du temps de Poudlard, où ne sachant pratiquement jamais comment répliquer intelligemment à ses insultes, elle faisait croire à tout le monde que l'ignorance était tout ce qu'il méritait. Aujourd'hui, elle se fichait d'être ridicule ou puérile dans ses reparties, mais elle ne se tairait pas.
- Oui, fit-il calmement, comme s'il n'avait pas remarqué son changement de ton. Je suppose que tu es toujours une petite miss-je-sais-tout ambitieuse ? Et je suppose aussi que le problème, c'est que la belette veut perpétrer la tradition familiale en te faisant pondre une quinzaine de mioches.
- Quoi ? Non. Enfin si, Ron veut des enfants mais…
Elle se coupa elle-même. Qu'est-ce qui lui prenait de tout lui déballer comme ça ? La surprise de voir qu'il était complètement à côté de la plaque avait aussitôt évaporé sa colère. Non, le problème n'était pas sa carrière. Car c'est bien de cela dont il parlait en l'appelant « miss je-sais-tout ambitieuse ». Il pensait qu'elle voulait se concentrer sur sa carrière professionnelle avant de faire des enfants. Mais ça n'était pas du tout ça le problème.
- Mais… ? L'encouragea-t-il d'une voix étonnement douce.
- Je ne veux pas de bébé, répéta-t-elle d'un ton renfrogné après un silence.
Il l'étudia minutieusement, faisant toujours tourner son verre d'un mouvement souple du poignet. Il sentait bien qu'il y avait beaucoup de choses qui se cachaient derrière cette simple phrase, plus que ce qu'il avait imaginé de prime abord. Il avait pensé qu'il était toujours aussi facile de deviner ce que cachait cette grosse tête d'intello. Comme lorsqu'il était élève. Il avait toujours su lire en elle comme dans un livre, il lui suffisait de croiser son regard énervé sous son immense tignasse pour savoir ce qu'elle pensait. Cette fois-ci cependant, il semblait bien qu'il l'ait sous-estimé, ou qu'il se soit lui-même surestimé. La raison de ce non-désir d'enfant avait l'air d'être plus profond que la simple envie de réussir dans son métier, de grimper les échelons et gagner en pouvoir. Mais s'il y avait donc forcément une autre raison, elle lui échappait complètement. Aussi, finit-il par lui demander simplement :
- Pourquoi ?
Elle roula des yeux, comme si c'était exactement la réaction qu'elle attendait de lui. Et dans un sens, c'était le cas, car tous les gens à qui elle parlait de ce choix de vie, posaient aussitôt cette question sans se rendre compte une seule seconde de leur impolitesse. Elle rêvait, à chaque fois qu'on lui posait cette question, de raconter un bon gros mensonge ou de lancer une réplique cinglante comme elle s'apprêtait à le faire. Combien de fois avait-elle rêvé de répondre : « J'aimerais bien mais Ron déteste les enfants », « J'en avais un, mais il est décédé à l'âge de six mois », « J'ai fait cinq fausses couches en deux ans ». Comme elle aurait pris un plaisir coupable mais délectable à voir la mine déconfite de son interlocuteur. Mais, habituellement, elle s'abstenait parce qu'aussi libérateur que cela aurait pu être, elle ne souhaitait ni blesser les personnes en face d'elle, ni s'embourber dans un mensonge qui pouvait très bien faire les gros titres le lendemain. En plus, la plupart du temps, la question était posée sans méchanceté ou curiosité malsaine, les gens ignoraient seulement à quel point leur question était cruelle et invasive. Personne ne demande « pourquoi ? » à une femme annonçant qu'elle veut avoir des enfants.
Mais aujourd'hui, c'était Malefoy en face d'elle, qui lui posait cette fameuse question, avec la même incivilité, et elle ne se priva pas de le lui faire aussitôt remarquer avec un plaisir visible.
- C'est très indiscret comme question Malefoy, qu'est-ce que tu répondrais si je te disais que je suis malade et que je ne peux pas en avoir ?
- Je répondrais que tu m'as dit ne pas vouloir d'enfant.
Bon, elle devait bien lui accorder ce point-là. Il n'avait pas tort. Avec n'importe qui d'autre, elle évitait à présent le sujet. Elle éludait fréquemment la question à l'aide d'excuses toutes faites. Elles étaient faciles à trouver. Il lui suffisait de dire qu'ils attendaient d'avoir un bon travail pour subvenir aux besoins du bébé, ou qu'ils voulaient acheter une maison pour qu'il ait sa propre chambre et un jardin. Elle en avait marre de voir les visages s'arrondirent d'une surprise incrédule et irrespectueuse, qui la mettait mal à l'aise et lui donnait l'impression de venir d'une autre planète.
- Alors ? Insista Malefoy.
- Je n'ai pas envie d'en parler, éluda-t-elle une fois de plus en voulant prendre une nouvelle gorgée de bière.
Mais elle découvrit avec mauvaise humeur que sa bouteille était vide. Elle la foudroya du regard comme si le pauvre objet était la cause de tous ses problèmes. En face d'elle, Draco soupira une énième fois.
- Tu es sûre que tu ne veux pas de bourbon ?
Le regard écœuré qu'elle lui jeta fut plus parlant que des mots et il leva les yeux au ciel avant de se tourner vers le bar pour attirer l'attention du serveur. Celui-ci vint débarrasser les deux verres et la bouteille vide, et Draco commanda une tournée supplémentaire. Alors que le jeune homme entamait sans sourciller son quatrième verre et la jeune femme, sa deuxième bière, un orage éclata au dehors. La nuit étant déjà tombée depuis longtemps, ils n'avaient pas vu le ciel s'obscurcir de gros nuages. Hermione sursauta violemment lorsqu'un furieux coup de tonnerre fit trembler les murs. Quelques secondes plus tard, une averse torrentielle s'abattit dans la rue et sur les fenêtres du pub.
Tous deux se tournèrent dans cette direction, et passèrent de longues minutes à regarder silencieusement la pluie marteler les carreaux. Draco dévia son attention du spectacle pour le diriger lentement vers sa voisine de table. Contrairement à ce que son sursaut, au premier coup de tonnerre, lui avait laissé supposer, contempler l'orage semblait l'apaiser.
Elle avait changé. Bien sûr physiquement d'abord, elle avait grandi et muri. Comme lui, elle avait laissé derrière elle, les formes de l'enfance pour acquérir celle d'une femme, même si les siennes n'avaient rien d'extraordinaire. Elle ne s'était pas soudain transformée en canon par l'intervention de Merlin, mais elle n'était plus une adolescente. Elle n'était ni grosse ni maigre, ni belle ni moche. Simplement elle, plus âgée.
Cependant, le changement le plus manifeste qu'il constatait chez elle, était dans son attitude et c'était plus flagrant encore dans son regard. Il était éteint. Draco n'avait pas d'autre mot pour décrire ce qu'il ressentait en observant l'ancienne Gryffondor. Il avait l'impression de regarder une bougie. Les épreuves qu'elle avait traversées, avait fait fondre la cire lui donnant plus de relief, plus de personnalité. Elle n'était pas détruite jusqu'à la mèche mais sa flamme s'était éteinte. Elle continuait d'être, elle continuait de vivre mais sans chaleur, sans envie.
Il aurait dû se ficher complètement de l'état de son ex-ennemie mais lorsqu'il l'avait reconnu, seule à cette table, les épaules voutées et le visage à demi dissimulé, il n'avait pu résister à l'attraction qu'elle avait, bien involontairement, exercé sur lui. Il n'arrivait pas à croire que la fière Gryffondor qu'il avait côtoyé à Poudlard, la lionne féroce qu'il avait vu combattre pendant la guerre, se trouvait à présent dans cet état face à lui. Puis il repensa à sa tante. Quiconque passant entre les mains de Bellatrix Lestrange n'en ressortait pas sans séquelles. Et il savait que la jeune femme avait particulièrement morflé ce soir-là. Incapable de regarder, il avait tenté de feindre l'indifférence afin de pouvoir justifier le fait de ne pas profiter du spectacle. Mais il ne savait pas si, en fin de compte, le son sans l'image n'était pas pire. Les hurlements d'Hermione résonnaient encore à ses oreilles parfois, lorsqu'un cauchemar le réveillait en sursaut au milieu de la nuit.
Peut-être qu'elle fuyait la même chose que lui finalement. Elle aussi devait avoir bon nombre de hurlements dans la tête. Et ce refus d'enfant venait peut-être de là ? Pourtant, les gens avaient généralement le réflexe inverse. Après une guerre, le nombre de naissance explosait. Même Astoria ne cessait de le tanner à ce sujet. Elle lui rabâchait sans cesse qu'ils ne devaient pas traîner, qu'il fallait perpétuer la lignée des Malefoy, que son horloge biologique tournait, et il ne savait quelles autres conneries encore. Elle ne comprenait pas que Draco n'était pas prêt, et surtout que la question de savoir si c'était vraiment une bonne idée de garder son nom de famille vivant, le taraudait toujours. Par Merlin, il avait à peine trente ans ! Ne pouvait-elle pas lui lâcher la grappe et simplement profiter de la vie ?
Bien souvent, à l'insu de sa femme, il se jetait un sortilège d'infertilité avant de la rejoindre dans le lit conjugal. Il ne la pensait pas vraiment capable de lui faire ce coup-là, mais après tout, pour avoir un enfant, certaines femmes étaient prêtes à tout. Il ne voulait pas douter de sa propre épouse, il aurait aimé lui faire confiance pour prendre sa potion contraceptive dans les temps, mais c'était plus fort que lui et parfois ça le tenait éveillé pendant des heures. Il imaginait sa réaction, si elle lui annonçait être enceinte. Il l'imaginait tout sourire et lui, prit à la gorge. Il savait qu'il n'abandonnerait jamais son enfant, qu'il serait un meilleur père que le sien, mais il préférerait vraiment être prêt et vivre ça comme un bonheur plutôt que comme une obligation. Il voulait être un bon père et éviter à tout prix les erreurs du sien. Entre ça et les souvenirs de guerre, autant dire qu'il avait rarement son quota de sommeil lorsque le réveil sonnait.
- Je n'arrive pas à dormir, lâcha-t-il soudain.
- Qu-quoi ? bégaya Hermione, tirée de ses pensées.
Le léger soulagement, qu'elle avait ressenti en regardant la pluie tomber et en écoutant le tonnerre, s'évapora aussitôt lorsqu'elle ramena son regard vers lui, constatant qu'il était toujours là.
- Je n'arrive pas à dormir, répéta-t-il.
Elle ne dit rien, l'observant un peu plus minutieusement à présent qu'elle ne fuyait plus son regard. Draco dévia son attention sur la salle presque vide et plongée dans la pénombre. Implicitement, il l'autorisait à le détailler à son tour, comme il l'avait fait pour elle.
- Souvent, ce sont les cris qui me réveillent, dit-il d'une voix absente.
- Les cris ?
Tournant à nouveau son visage vers elle, il leva son verre jusqu'à sa tête et tendit son index pour indiquer sa tempe. Puis il précisa.
- Les cris, là-dedans.
Elle acquiesça. Inutile d'être plus loquace, elle voyait parfaitement de quoi il parlait. Et à bien y réfléchir, même s'il avait été dans l'autre camp, ça avait dû être pire pour lui. Il avait à peine dix sept ans et vivait dans le QG de Voldemort, sa maison abritait les pires sadiques du pays et ses caves étaient remplies de malheureux qu'on torturait jour et nuit. Oui, elle comprenait parfaitement de quoi il parlait en disant « les cris » et pour la première fois de sa vie, elle plaignit sincèrement Draco Malefoy.
- C'est pour ça que tu es là ?
- Pour ça et aussi pour éviter ma femme, dit-il avec un sourire.
Hermione fronça les sourcils mais ne pût s'empêcher de sourire à son tour. Non pas à cause du fait qu'il venait de dénigrer sa femme, mais parce que sa réflexion, pas vraiment sincère, avait pour seul but de détendre l'atmosphère. L'ambiance entre eux était tendue par les souvenirs moribonds qui flottaient dans l'air depuis qu'ils avaient évoqué la guerre. Mais ce simple trait d'humour avait fait s'envoler un poids des épaules de la jeune femme. Lorsqu'elle reprit la parole après un long moment de silence à siroter sa boisson, son ton était lointain, comme si elle ne se rendait pas compte qu'elle se confiait et à qui elle se confiait :
- Hier, j'ai été voir mes parents. Ils m'ont annoncé que la vieille dame qui vivait dans la maison d'à-côté s'était suicidée.
Draco resta muet à cet aveu. Il ne savait pas vraiment quoi répondre à ça, ou même s'il devait y répondre. Il n'en eut pas besoin puisqu'elle continua sur le même ton absent :
- Elle avait soixante-dix-neuf ans. Elle laisse un mari malade et deux vieux garçons. D'après mes parents, elle ne supportait plus de voir la maladie ronger son mari. Mon père m'a dit qu'il discutait régulièrement avec elle et qu'elle lui disait souvent qu'elle ne savait pas comment ils allaient pouvoir s'en sortir. Quand mon père tentait de la réconforter en lui parlant de ses fils, elle répondait que lui au moins avait une fille encore jeune et mariée, et qu'il aurait sûrement bientôt des petits-enfants pour animer ses journées.
- Je suis désolé, Granger. Toutes mes condoléances.
Elle cligna des yeux, comme si elle s'éveillait, lorsqu'elle entendit sa voix grave.
- Ce n'est rien. Je ne la connaissais pas très bien en fait. C'est surtout son geste qui me… dérange.
C'est le mot « perturbé » qui lui était venu naturellement à l'esprit mais elle l'avait remplacé au dernier moment par « dérangé », ne voulant pas lui montrer plus de faiblesse que ce qu'elle lui offrait déjà. Malgré les quelques confidences qu'ils venaient de se faire, elle n'avait toujours pas confiance en lui.
- Il n'y a pas que ça, n'est-ce pas ? demanda-t-il soudain.
- Pardon ?
- L'histoire de la vieille dame, il n'y a pas que ça qui te mine, n'est-ce pas ?
- Je crois que tu connais déjà la réponse à cette question.
Il laissa passer un silence et jeta un regard nerveux autour d'eux mais ils étaient seuls, le dernier client était parti sous la pluie pendant qu'ils discutaient et il ne restait plus que le serveur derrière son comptoir, qui attendait visiblement qu'ils partent pour fermer. Draco se leva souplement mais se ravisa au dernier moment et se pencha vers elle pour lui chuchoter.
- Attends-moi là.
Elle acquiesça sans réfléchir, et il se dirigea vers le jeune homme. Hermione n'entendit pas ce qu'ils se disaient mais elle vit passer une bourse de gallions entre eux et le blond revint vers elle tandis que le serveur s'éclipsait. Les mains dans les poches de sa robe de sorcier, il accompagna sa phrase d'un geste de la tête.
- Viens, c'est par là.
Comme un automate, Hermione récupéra sa bière, son sac à main et sa cape d'hiver et le suivit curieusement. Il se dirigea vers un escalier et gravit souplement les marches jusqu'au deuxième étage. Ouvrant une porte sur la droite, il l'enjoignit à le suivre d'un nouveau coup de tête, comme s'il n'était pas sûr qu'elle accepte.
Cependant, la jeune femme entra à son tour dans la pièce mais elle se figea lorsqu'il referma la porte derrière eux et qu'elle réalisa qu'elle venait de suivre Draco Malefoy dans une chambre d'hôtel.
Et voilà, j'espère que vous avez aimé ce premier chapitre. Avant de vous recommander de me laisser une petite review, j'ai deux autres choses à vous recommander.
Petit un : j'ai désormais un compte facebook, n'hésitez donc pas à me demander en ami (Noire de Jais) afin de suivre mes nouveautés et mes coups de cœur.
Petit deux : Toujours sur facebook, je suis membre fondatrice d'un groupe de fan de Dramione (Dramione fans "Draco & Hermione"). C'est un groupe fermé, encore petit, mais en passe de devenir super convivial donc n'hésitez pas à nous rejoindre.
A bientôt