Bonjour à tous, et bienvenue sur cette nouvelle publication ! 18 chapitres hebdomadaires, du 05/09/2018 au 02/01/2019 !
C'est assez différent, tant dans la longueur et la forme, de ce que je peux produire habituellement. J'espère que cela vous plaira !
Je profite de ce petit entête que personne ne lit, vils mangoustes à poils courts que vous êtes, pour vous remercier encore une fois de vos reviews et votre amour sur Imperial. Et aussi toutes le reste de mes fics, parce qu'il y a quelque chose de magique que de recevoir des reviews sur des "vieux" textes !
Bonne lecture !
L'AINE
Janvier 1980 – Mycroft, six ans et des poussières
Mycroft, jusqu'alors, avait toujours cru que le jour le plus important de l'année, c'était son anniversaire. Ce n'était pas juste de l'orgueil. Ni même de l'égocentrisme de la part d'un petit garçon dont le monde se limitait à ce qu'il connaissait, et qui se plaçait au centre de tout. C'était simplement de la pure logique. L'anniversaire de Mycroft signifiait une année de plus, se rapprocher du monde des adultes, être pris au sérieux.
Et rien n'intéressait plus Mycroft qu'être pris au sérieux. Le monde de l'enfance l'ennuyait déjà. Ses parents le traitaient en personne responsable, la plupart du temps, mais ils lui avaient expliqué posément la nécessité d'aller au jardin d'enfants. Puis, plus tard, l'école primaire, qu'il venait de commencer. Et l'un comme l'autre avaient achevé de convaincre Mycroft que le monde dans lequel ils vivaient était peuplé d'idiots.
Heureusement, il avait son royaume. Musgrave était assurément le plus bel endroit sur Terre. L'immense maison familiale, héritage de son père, et son grand-père avant lui, et son arrière-grand-père encore avant, et pour Mycroft dans le futur, était pour le petit garçon le plus merveilleux des châteaux. La vénérable demeure était immense. Il pouvait y jouer pendant des heures, ou bien s'enfermer dans la bibliothèque et lire, lire et lire encore. Maman venait lui apporter des gâteaux régulièrement. Elle sucrait son thé léger avec du miel, pour lui éviter le goût trop important de la théine qui n'était pas adapté à un enfant.
Leur domaine s'étendait de la forêt à la plage de galets, en passant par les drôles de tombes dans le jardin. Tante Amelia, quand elle venait, disait souvent que tout cela n'était pas raisonnable, mais Oncle Rudy riait. Mycroft aimait Oncle Rudy. Lui aussi, le traitait comme une personne sensée, et pas un enfant. Ce n'était pas le cas à l'école, et il aimait toutes les personnes qui le traitaient comme un grand.
C'était tout ce qu'il désirait.
Une fois seulement, dans sa vie, il avait été considéré comme un gamin par ses parents. À chaque anniversaire qui passait, en soufflant ses bougies, Mycroft formulait ce même vœu : que plus jamais Papa et Maman ne le fassent sortir d'une pièce en lui disant d'aller jouer dehors, sans même le regarder dans les yeux, sans rien lui expliquer.
Ce n'était arrivé qu'une fois. Ce n'était pas à la maison, mais à l'hôpital. Maman avait rendez-vous, mais elle n'était plus malade. Mycroft avait quatre ans, et il savait ce que c'était d'être malade. Maman avait été très malade durant de longs mois, tous les matins. Mais Papa et les médecins avaient dit que ce n'était rien, et puis Maman avait arrêté d'être malade. Mycroft ne savait, alors, pas très bien compter, surtout quand les chiffres étaient grands, et il ne savait pas depuis combien de temps Maman était guérie et ne vomissait plus.
Mais ils étaient là, à l'hôpital, pour faire examiner Maman. Et Papa avait mis Mycroft à la porte, en lui disant d'aller jouer dans la salle réservée aux enfants. Quand il avait fermé la porte, Mycroft l'avait retenue avec le pied, et avait fait semblant de partir pour revenir et jeter un œil dans l'interstice. Maman pleurait, à chaudes larmes. Papa la tenait par les épaules, et il avait l'air bouleversé. Le médecin, qui leur parlait, tournait le dos à Mycroft, et prononçait lentement les mots, comme s'ils étaient stupides, alors que Mycroft savait bien que Papa et Maman étaient tout sauf stupides. La preuve, Mycroft était leur fils.
Mycroft n'avait pas entendu ce que le docteur en blouse blanche avait dit, ou s'il l'avait fait, son esprit n'avait pas jugé bon de le retenir parce qu'il n'avait pas compris. Il n'en avait conservé qu'une seule phrase : « Le plus tôt sera le mieux. Pour tout le monde. »
Mycroft était parti après ça. Papa et Maman étaient venus le chercher dans la salle d'attente pour les enfants. Maman avait les yeux rouges, mais c'était à peine si Mycroft put déceler qu'elle avait pleuré. Papa ne disait rien.
Mycroft était en colère contre eux. Ils l'avaient traité comme un bébé, fait sortir, l'avait empêché d'écouter la conversation alors qu'en temps normal, il pouvait écouter toutes les discussions d'adultes. Il voulait bouder, s'énerver, râler.
Mais Maman se pencha, le prit dans ses bras, et le serra contre elle à l'étouffer. Elle le serrait fort, si fort, trop fort. Et Papa, loin de venir le sauver, s'agenouilla lui aussi et serra Mycroft et Maman contre lui.
– On t'aime, Caneton, tu le sais, hein ? murmura Maman. Nous t'aimons très, très fort. Le plus fort du monde. On ne peut pas aimer quelqu'un plus fort qu'on t'aime.
C'était un mensonge. Mycroft ne le savait pas encore, mais c'était un mensonge.
Mais ce n'était pas grave. Subitement, il n'était plus fâché. Papa et Maman l'avaient tenu à l'écart, c'était vrai, mais ils avaient besoin de lui. Alors Mycroft était content.
Ils étaient revenus à l'hôpital, une semaine ou un peu plus après. Le médecin avait expliqué très sérieusement à Mycroft que sa Maman avait un petit problème, et devait subir une petite intervention. Qu'elle rentrerait à la maison juste après. Personne n'avait expliqué à Mycroft de quoi il s'agissait précisément, et il s'en moquait. On lui parlait comme à un grand, c'était tout ce qui comptait.
Comme promis, Maman rentra à la maison juste après. Elle allait bien. Elle souriait beaucoup. Elle faisait des tas de câlins à Mycroft. Elle disait qu'il était devenu grand, qu'il n'était plus son caneton chéri, mais son Canard adoré. Elle faisait des bisous. Lisait avec lui les livres trop compliqués. Passa une semaine complète sans aller travailler, à s'occuper de Mycroft.
Mycroft était heureux.
Mycroft eut cinq ans. En soufflant ses bougies, il fit son vœu habituel.
Mycroft eut six ans. En soufflant ses bougies, il fit son vœu habituel. Et rajouta que Maman soit moins malade. Elle avait de nouveau vomi régulièrement, et cela l'inquiétait. Il se souvenait de la période où elle avait été très malade, et il n'aimait pas cela. Il était inquiet, mais Papa et Maman avaient pour lui un cadeau très spécial, pour son anniversaire. La maladie de Maman n'était pas grave, lui apprirent-ils. Elle allait bientôt passer. Et avoir un nom. Un nom très spécial.
Mycroft ne serait plus seul pour lire dans la bibliothèque. Il aurait bientôt un petit frère.
Il fallut encore six mois supplémentaires pour qu'il arrive. Durant cette période, Mycroft apprit absolument tout ce qu'il y avait à savoir sur le sujet d'une grossesse et d'un bébé. À l'école, on trouvait cela touchant, ce tout petit bout de garçon qui voulait jouer au papa avec son frère ! Mycroft trouvait cela horripilant. Le père de son petit frère, ce n'était pas lui. C'était Papa. Lui, il était le grand frère. Le Grand Frère de cet inconnu pour l'heure sans nom et sans visage, juste une déformation des robes de Maman.
Mycroft avait fait plein de recherches sur ce rôle, du haut de ses six ans et demi. Il était prêt. Il savait ce que grand frère voulait dire. Il serait l'aîné, personne ne pourrait lui enlever ça. Il serait là, à chaque instant, pour veiller sur son cadet.
Alors quand Maman, peu après Noël et le nouvel an, réveilla tout le monde dans la maison, de Mycroft à Papa en passant par Antigone, leur vieux chat roux, Mycroft était prêt.
Il lui fallut encore patienter des heures. Il était préparé, comme Papa et Maman, et il avait bondi dans ses vêtements, prêt à partir à l'hôpital avec eux. Quand Papa s'était tourné vers lui, sur le point de lui dire que la voisine allait venir le chercher pour s'occuper de lui, le temps de l'accouchement, il avait découvert le regard déterminé de son aîné et n'avait pas cherché à discuter. Mycroft avait sauté dans la voiture avec eux, direction la clinique.
Ensuite était venue l'attente, et avec elle le mal-élevé ennui, qui ne faisait rien qu'embêter Mycroft. L'enfant détestait perdre son temps. Il détestait s'ennuyer. Il voulait apprendre des choses, rentabiliser le temps précieux qui était le sien, pas jouer dans une salle d'attente avec des illettrés de son âge !
Mais Papa aussi, à sa manière, patientait, tandis qu'on avait emmené Maman. Et Maman aussi, d'après ce qu'il avait compris, patientait. Alors lui aussi, il patientait. Sagement.
Et puis, Papa était venu le chercher, les yeux humides et les mains tremblantes. Il l'avait serré fort dans ses bras, et lui avait dit :
– Viens voir ton petit frère.
Mycroft s'était redressé, avait lissé son pantalon, essuyé ses mains moites de stress, prêt à tout pour faire bonne impression, et il avait suivi Papa jusqu'à une chambre.
Maman était là, dans le lit, en blouse d'hôpital. Elle avait l'air épuisée, mais ravie, comme Papa. Le même sourire extatique, rayonnant d'un bonheur que Mycroft ne leur avait jamais connu, tellement merveilleux qu'il en était troublant.
– Bonjour Canard, l'a gentiment appelé Maman. Viens rencontrer ton petit frère.
Et elle avait tendu ses bras vers Mycroft, qui s'était empressé de grimper sur le lit avec elle, observant les langes placés sous ses yeux.
– Voici Sherlock. C'est ton petit frère, répéta Maman.
Le monde s'était arrêté de tourner à ce moment-là pour Mycroft. Dans les couvertures blanches, dans un minuscule pyjama bleu layette, il y avait un minuscule bébé. Avec une drôle de touffe de cheveux noirs sur le crâne, et des yeux grands ouverts sur son grand frère, des yeux plus bleus que Mycroft n'en avait jamais vus. Les plus beaux yeux de la Terre.
Il regarda Mycroft, Mycroft le regarda, puis le bébé plissa les yeux et se mit à vagir, et Maman le reprit aussitôt contre elle, le positionnant contre son sein, l'enfant se mettant aussitôt à téter goulûment. L'échange entre les deux frères n'avait pas duré plus d'une seconde, mais c'était suffisant pour que toutes les grandes certitudes de Mycroft volent en éclats.
Il avait cru savoir ce que c'était, être un grand frère. Il avait cru être préparé. Il découvrait soudainement que ce n'était pas le cas. Au contraire. Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité. En même temps, comment aurait-il pu l'être ? Comment aurait-il pu être préparé à ça ?
Mycroft n'avait jamais vu d'enfants, du moins jamais si petits. Il fréquentait ses condisciples à l'école, était allé au jardin d'enfants, mais il n'y avait pas de nourrissons, là-bas. Certains de ses camarades de classe avaient des cadets, mais il n'était jamais invité chez les autres enfants (non pas qu'il le désirât, de toute manière), et n'avait donc aucune autre référence que celles de ses recherches pour savoir ce qu'était un bébé.
Et ses recherches ne l'avaient pas assez préparé.
Comment aurait-il pu prévoir un être si petit ? Si mou ? Si faible ? Capable uniquement de vagir, pleurer ? Un être si beau, si doux, demandant, implorant sa protection, son concours, son secours ?
Ce jour-là, Mycroft, en se blottissant contre sa mère dans le lit de l'hôpital, alors qu'elle finissait de nourrir Sherlock et que tous les trois, Papa, Maman et lui, regardaient s'endormir Sherlock, prit deux grandes décisions.
La première, c'était d'être préparé à l'imprévisible. Il avait bien retenu sa leçon : il avait cru être préparé, et son univers entier avait été chamboulé par deux orbes bleues cristal. On ne pouvait pas tout prévoir. Un impondérable pouvait surgir. Alors il fallait être préparé à l'imprévisible.
La deuxième, c'était que Sherlock ne devait jamais, ô grand jamais, souffrir. Mycroft le protégerait de tout, tout le temps, et y compris de lui-même. Sherlock était un cadeau précieux, un bien inestimable. C'était son petit frère, son joyau, son trésor de pirates enfoui. Il allait construire pour ce joyau le plus merveilleux des écrins, et Sherlock y vivrait heureux pour toujours. Il s'en faisait la promesse.
Sherlock était son petit frère, et pour Mycroft, c'était au-delà d'un lien de parenté. C'était un serment. Sherlock ou la mort. Aucune autre option.
Prochain chapitre : Me 12/09. Reviews, si le coeur vous en dit ? :)