Pairing principal : Stiles Stilinski et Derek Hale
Disclaimer : Aucun des personnages mentionnés ici ne m'appartient, tout revient à Jeff Davis et à Robert Redford.
Crédit image : Tsumi Noaru
Résumé :
Après la chute de cheval qui a causé la mort de Scott et la perte de sa jambe, Stiles voit ses perspectives d'avenir s'effondrer alors qu'il lutte contre la dépression. Les jours défilent et se ressemblent pour le jeune homme qui ne parvient pas véritablement à guérir, traumatisé par l'événement dont il a été victime.
Mais un changement s'opère à l'horizon, l'arrivée de nouveaux venus dans le ranch familial et avec eux, l'espoir d'un nouveau départ.
Notes de l'auteur :
Bonjour, bonjour :)
Me revoilà pour une nouvelle histoire que je suis très heureuse de vous présenter. Il s'agira d'un récit à chapitres, dont je ne suis pas encore sûre du nombre. Certains l'auront peut-être deviné en lisant le résumé mais cette fanfiction s'inspire d'un film, The Horse Whisperer, que je conseille vivement à celles et ceux qui ne l'auraient pas vu, la réalisation étant vraiment chouette.
Je ne suis cependant pas le scénario du film mais simplement son synopsis original que j'ai choisi de réinterpréter à ma sauce, dans l'univers de Teen Wolf. Bon, je ne vous le cache pas, Stiles n'est pas au mieux de sa forme et une importante partie de la narration se concentrera sur son deuil et sa reconstruction physique. A croire que j'aime maltraiter ce pauvre garçon... :p
J'espère que cette histoire vous plaira et, en attendant, vous souhaite une bonne lecture !
In the Cold, I'm Standing
« Pour être hanté, nul besoin de chambre, nul besoin de maison, le cerveau regorge de corridors, plus tortueux les uns que les autres »
Une âme en incandescence, Emily Elizabeth Dickinson, 1861-1863
Chapitre 1
Les couloirs de la maison étaient silencieux. Les chambres vides, le salon dénué d'invités alors que les seuls sons perceptibles provenaient de la cuisine. Claudia Stilinski, agenouillée devant la porte de son four, le napperon qu'elle avait savamment attaché autour de sa taille, glissant sur le sol alors que ses yeux étaient fixés sur le plat qui rôtissait au four. Elle l'avait préparé cent fois, récoltant à chaque essai plusieurs compliments mais aujourd'hui était différent, aujourd'hui, tout devait être parfait. Un petit rire lui fit faire volte-face et elle trouva son mari en uniforme, celui-ci lui offrant ses mains pour la remettre sur pieds.
« Qu'est-ce que tu fabriques ?
- Je vérifies que je ne suis pas en train de brûler la maison avec la viande.
- Ça n'arrivera pas. D'abord, parce que tu ne rates pas ta cuisine. Ensuite, parce-que cette maison est dotée de plus d'extincteurs que je ne pourrais en compter, juste au cas où », ajouta-t-il avec une pointe de malice et elle lui pinça le bras, faussement outragée.
Bientôt, ses bras vinrent l'entourer plus fortement alors qu'elle sentit ses yeux pâles tenter de rencontrer ses propres pupilles.
« Tu es nerveuse ?
- Je sais que c'est grotesque. Nous avons mis en ordre cette histoire depuis des mois. Nous avons attendu qu'il aille mieux. Mais... oui, je le suis.
- Écoute, il plaça comme réconfort une main sur son épaule, c'est un immense changement qui s'opère et il va nous falloir du temps pour réussir à évoluer dans cette nouvelle routine.
- Tu as raison. »
Ils n'avaient pas eu d'autres choix. Claudia qui, à la mort de ses parents, avaient hérité des terres de ces derniers, sa sœur Lilian ayant décliné l'offre de partager le domaine en deux parts égales, arguant qu'elle préférait le voir continuer à prospérer en leur mémoire alors qu'elle-même ne pouvait s'en occuper, avait lutté des années durant pour maintenir le ranch familial à flot. Il s'agissait d'une propriété immense, des hectares de terres arables, cultures céréalières pour la plupart ainsi que les prairies environnantes. Or, si elle avait défendu son bien avec acharnement, il lui était de plus en plus difficile de fermer les yeux sur un constat qui ne faisait que prendre de l'ampleur : elle avait désespérément besoin d'aide.
Gérer un tel capital ne lui était tout simplement plus faisable et le choix de trouver quelqu'un pour l'accompagner quotidiennement dans cette démarche était la seule solution envisageable. Et cette solution, elle l'avait rencontré, à plusieurs reprises, mais ne pouvait cependant s'empêcher d'éprouver une certaine inquiétude. Les Hale étaient littéralement tout ce qu'il y avait de plus typique, formant un noyau soudé qui inspirait précocement confiance, leur gentillesse et leur respect des traditions faisant le reste.
Lorsqu'elle avait rendu publique son annonce et que ceux-ci s'étaient montrés plus qu'intéressés par son offre, il avait été normal pour eux de ressentir, si ce n'était de la méfiance, une vigilance prononcée avant de se rendre compte à quel point il s'agissait là d'une occasion fabuleuse.
« Je serai toujours là », intervint l'homme, la coupant de ses pensées. « Je donnerai un coup de main.
- N'y pense pas, tu as un travail Noah, un travail qui ne concerne pas ce ranch mais la protection de la ville et de ses occupants qui comptent sur toi. » Elle continua quand elle le vit tenter de protester. « J'ai des employés pour ça. Ainsi qu'un futur gérant, tu te souviens ? Là où j'ai besoin de toi, c'est auprès de cette famille. »
Il souffla, vaincu avant de laisser un sourire tendre venir joindre ses lèvres et de lui embrasser gentiment la joue. Parce qu'elle était belle. Parce qu'il le pouvait. Parce qu'il avait le droit de la garder près de lui sans jamais la lâcher.
« Bien, madame. »
Elle resta un moment sans rien dire, confortée par sa chaleur avant qu'une pensée plus sombre vienne de nouveau provoquer une ride sur son front. Noah n'eut pas besoin d'être capable d'entrer dans sa tête pour comprendre exactement ce qu'elle s'apprêtait à lui dire, pour la simple et bonne raison que la même pensée le travaillait, tournoyant dans son esprit, sans répit.
« Est-ce que tu sais où est Stiles ? Sa voiture n'est pas dans l'allée et je ne l'ai pas entendu s'en aller, ce matin.
- J'ai fait le tour de la propriété. Deux fois. Et son téléphone ne répond pas. Notre fils est très doué pour jouer au disparu quand il le veut.
- Il faut qu'on ait une discussion avec lui, Noah.
- Je sais. » Il leva les yeux vers une photo d'un Stiles de onze ans, un sourire immense alors que sa lèvre inférieure saignait encore après un coup reçu alors qu'il s'amusait au baseball. « Je sais. »
La sonnette d'entrée les fit tous les deux se détacher l'un de l'autre avant que Noah n'ouvre la porte sur un jeune Jordan Parrish, déjà habillé, un sourire timide sur les lèvres alors qu'une aura si familière d'optimisme et d'excitation juvénile émanait de lui. Le jeune homme n'avait jamais manqué d'enthousiasme quant à l'exercice de sa profession et le plus âgé ne pouvait qu'éprouver une certaine fierté face à l'exaltation provoquée par ce commencement de carrière particulièrement prometteur. Parrish était l'un de ses meilleurs éléments, ne cherchant pas à se lancer dans l'univers de compétition que certains avaient sciemment engagé, préférant se faire sa place de manière progressive.
Il y eut un temps où son propre fils ne jurait que par eux, ressentant l'exacte même admiration pour le monde de la police, passant une partie non négligeable de son temps libre au poste, s'amusant à dessiner sur les feuilles de réclamation trouvées dans son bureau, jouant avec l'agrafeuse de Tchao Linn, installée à l'accueil et qui trouvait toujours un moyen de lui refiler des sucreries en douce, y compris lorsque Noah avait le dos tourné. Dire que les choses avaient changé ne serait pas vraiment une vérité tant cela lui semblait faire partie d'une autre époque, joyeuse et innocente. Lointaine.
« Shérif. » Jordan lui accorda un signe de tête avant de lancer un sourire à Claudia, qui s'enquit de le questionner sur la manière dont il s'accommodait après sa récente nomination en tant que député.
« J'ai entendu la bonne nouvelle. » Il enchaîna, visiblement satisfait que le ranch continuerait vraisemblablement de tourner. « J'imagine que vous devez être soulagés, c'est un grand pas.
- Ça l'est, véritablement. Nous ne voulions pas trop espérer au début, par peur de la déception mais tout semble pour l'instant aller dans notre sens, lui accorda-t-elle avec une œillade amusée.
- Quand sont-ils censés arriver ?
- En début de soirée. J'espère d'ailleurs que tu sais que je serais terriblement déçue si tu déclinais mon invitation à dîner parce que, soyons clairs, je n'accepterai aucune excuse.
- Et je ne pourrais absolument rien pour toi, ajouta Noah, visiblement diverti par leur discussion. Cette femme est invincible. »
Parrish prit soin de faire un pas en arrière avant de courber légèrement l'échine dans une vague forme de révérence et répondit :
« Alors, j'accepte votre invitation avec plaisir. Pour ma propre sécurité et non car l'idée d'un repas en votre compagnie me plairait fortement.
- Très intelligent. »
Alors que le plus jeune se dirigea vers sa voiture, après un dernier signe, le Shérif se tourna vers Claudia, l'enlaça rapidement avant de lui promettre d'être de retour pour l'arrivée des Hale. Elle les observa partir sur le pas de la porte, attendant que le pare-choc disparaisse de sa vue avant de s'enfermer de nouveau à l'intérieur. Il n'était cependant pas question qu'elle reste à se tourner les pouces pendant des heures et elle reprit l'assaisonnement de ses plats, espérant placer le début officiel de leur collaboration sous de bons hospices. Sa grand-mère n'avait cessé de lui répéter qu'il était possible de faire passer n'importe quelle émotion à travers une bonne assiette. Tout ce qu'elle souhaitait à présent, c'était pouvoir se dire qu'elle avait tout essayé.
Après avoir sorti son rôti du four, elle le laissa reposer sur une grille, posa un torchon propre, attrapa son sac à main et s'enfuit en direction du supermarché. Conduisant son caddie dans les allées, elle suivit les informations sur la liste de course du bout du doigt, ne se rendant pas compte qu'elle la lisait à haute voix, se grattant la joue lorsqu'une mèche de cheveux s'échappa de sa queue de cheval. L'appréhension des débuts avait laissé place à une certaine fébrilité, une envie de passer à autre chose, d'oublier les menaces des différents promoteurs, de ne plus penser à la possibilité de perdre la seule chose que ses parents lui avaient légué.
Voir tout ce qu'elle avait investi partir en fumée aurait été source d'une telle souffrance que la seule perspective de ne pas pouvoir y arriver lui avait été inimaginable. Aujourd'hui encore, elle ne pouvait totalement occulter la peur de l'échec et de la perte de ses terres mais l'espoir avait pris une plus grande place encore, ayant forgé sa détermination, s'enracinant au plus profond de son esprit.
Virant sur sa droite à la recherche d'un nouveau moule à manqué, elle faillit assommer la pauvre Mme Hotson, dont la petite taille ne lui avait permis que trop tard d'apercevoir que quelqu'un se tenait sur son chemin. Avec un léger cri d'excuse et après s'être assurée qu'aucun mal n'avait été causé, Claudia s'enquit de continuer sa mission lorsque la voix fluette de la sexagénaire l'arrêta, l'obligeant à se lancer dans ce qui ressemblait parfaitement à ce qu'on appellerait une discussion printanière. Elle n'objecta pas, répondit poliment, trouvant quelque chose d'attendrissant chez cette grand-mère joueuse, lui racontant les derniers exploits de ses huit petits-enfants. Et la conversation resta légère et bénigne. Du moins, jusqu'à ce qu'un nouveau sujet ne traverse les pensées de la plus âgée, qui lui envoya alors un regard peiné.
« Et comment va ce cher Stiles ? Je ne l'ai pas vu depuis la dernière kermesse paroissiale et seulement car il était venu apporter quelques meules pour nourrir les animaux présents cette après-midi-là. »
Claudia dû avouer qu'elle prit, même avec la meilleure intention du monde, quelques secondes avant de lui apporter une réponse, sans que sa voix ne flanche.
« Il va... bien. Il travaille à la quincaillerie trois jours par semaine. Il aime beaucoup cet endroit.
- Ce gentil garçon, quelle tristesse qu'un tel incident se soit produit. Vous savez, j'ai toujours tendance à dire que ces bêtes ont un air malfaisant. Pas étonnant qu'il se soit rué de cette façon. »
Un nœud commença à se former au fond de sa gorge alors qu'elle tentait de trouver autre chose à dire, quelque chose qui les éloignerait de ça. Mais avant qu'elle n'ait pu essayer quoi que ce soit, Mme Hoston enchaîna, visiblement exaltée par ses propos.
« Lorsque mon fils m'a appris que l'une des petites avait pour souhait de s'inscrire à des cours d'équitation, je lui ai tout de suite fait part de mon opposition catégorique. Les jeunes devraient trouver des occupations moins dangereuses pour profiter de leur temps, peut-être que si cela avait été le cas pour le vôtre, rien de tout cela ne se serait produit. »
Le sang avait quitté les mains de Claudia, alors qu'elle s'apercevait à peine qu'elle tenait la poignée de son caddie au point de se faire mal, comprenant que son interlocutrice n'avait pas pour but premier de la vexer ou de porter une accusation sur la manière dont elle avait éduqué son fils mais n'éprouvant, à cet instant, pas la force d'être magnanime ou d'être en capacité de faire preuve de patience. Coupant la vieille femme qui persévérait dans son plaidoyer contre l'animal, elle s'excusa une nouvelle fois, l'informant qu'elle avait des courses à mettre au congélateur avant de se détourner.
Après avoir quitté les lieux, elle continua son trajet vers ladite quincaillerie, à la fois dans l'espoir de découvrir si son fils ne s'y dissimulait pas et parce qu'elle avait besoin d'un nouveau rail de porte. La boutique n'était pas remplie et elle ne fut pas surprise de découvrir un visage amical derrière la caisse. Boyd était un jeune homme particulièrement sympathique et serviable mais également l'une des raisons principales pour lesquelles Stiles avait envoyé sa demande d'emploi alors que d'autres lui étaient revenues positives. Sa plus grande sœur avait travaillé au bureau du Shérif pendant un temps avant que sa demande de transfert ne soit acceptée, elle qui avait toujours apprécié les grandes villes.
Elle les connaissait bien, avait tenté de leur apporter tout le soutien possible lorsque leur père avait été assassiné après ce qui s'avérait être un vol à mains armées, abandonnant derrière lui une veuve éplorée ainsi que trois enfants perdus et anéantis. Le jeune Boyd avait alors dû porter sur ses pauvres épaules un poids bien plus important, représentant du jour au lendemain la seule présence masculine dans leur famille frappée par le deuil. Il était aujourd'hui un homme bien bâti et protecteur envers ses sœurs, parvenant à coupler ses études ainsi qu'un job afin de venir en aide à sa mère. Les voir aussi épanouis dans leur vie ne pouvait que la réconforter et la fasciner devant cette force humaine.
Refusant de se laisser aller lorsque Boyd lui avoua ne pas savoir où se trouvait Stiles, elle le remercia, prit ses affaires et rentra. S'arrêtant dans la cuisine, elle prit le téléphone et s'efforça de le joindre à plusieurs reprises, sans succès. S'interdisant de paniquer et n'étant pas inconnue à ses absences de plus en plus fréquentes, elle ferma les yeux, une, deux, trois secondes avant de ranger ses courses. Puis, sans trop savoir pourquoi, ses pas la menèrent en direction de la chambre de l'adolescent et elle ne put s'empêcher de retenir un soupir étranglé. Parce que derrière cette pièce se cachait la preuve irréfutable que son enfant, celui qu'elle avait élevé, avait disparu.
Cette jolie chambre de garçon un peu enjoué, ordinairement rempli de linges rapidement balancés sur le sol et abandonnés ensuite, de manettes de console dissimulées sous l'oreiller, de livres et de paperasses éparpillés sur un bureau déjà bien chargé. Il n'y avait désormais plus aucun signe d'activité extrascolaire, son uniforme de l'équipe de Lacrosse périssait à l'intérieur de son armoire, la batte de baseball que son père lui avait offert pour son douzième anniversaire était rangé dans une boîte, elle-même placé sous le lit.
Les posters accrochés sur les murs avaient été arrachés, ne restait qu'une seule photo et la seule idée de la regarder de plus près donnait à Claudia l'envie de s'arracher le cœur. Le reste de la pièce donnait l'impression de n'être qu'un exemple recopié d'un magazine de mobilier et de décoration. Un ensemble plein de retenu, d'insensibilité. Comme vidé de toute sa chaleur. Inhabité.
Elle se sentit alors intruse, beaucoup plus que s'il s'agissait d'une chambre d'adolescent banale, avec tout ce qui l'accompagnait. Ici, c'était prendre un seau d'eau glacée dans la figure, enclenchant par la suite un enchaînement larmoyant de « Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi mon fils ? Pourquoi toucher à ce qui m'appartenait ? ». Et le plus difficile dans tout ça, c'était que finalement, elle n'obtenait jamais aucune réponse à ses questions. Que l'attente ne suffisait plus, maintenant et que la culpabilité ne faisait que croître, inopinément, lui donnant la sensation d'avoir le cœur troué à de multiples endroits.
Lorsqu'elle toqua chez Dorothy, celle-ci ne prit que quelques secondes à comprendre que quelque chose n'allait pas et, sans perdre davantage de temps, s'écarta de la porte pour la laisser passer.
« Je t'aurais bien proposé une tasse de thé mais quelque chose me dit que ce ne serait pas assez fort. »
Elle rit mais ce dernier s'échappa davantage comme un reniflement.
« Du thé serait parfait, merci.
- Tu es sûre ? Ce n'est pas pour me vanter mais je peux avouer sans rougir que je possède une jolie collection qui ferait pâlir un habitué des pubs du coin.
- J'ai besoin de tous mes esprits aujourd'hui. Et ta collection serait capable de réveiller les morts, hors de question que tu ne l'approches de moi.
- Ça te requinquerais bien, tu es aussi pâle que ma porcelaine.
- Je ne suis pas Noah. Je ne me laisserai pas avoir par ton semblant d'innocence ainsi que tes paroles aguicheuses. »
Dorothy eut un sourire narquois au souvenir d'un Noah un peu plus désinhibé que d'habitude. Pourtant, Claudia ne saurait dire exactement ce qu'il s'était passé. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle avait laissé l'homme durant une vingtaine de minutes pour le retrouver goguenard, ses pattes d'oie qu'elle chérissait tant, entourant ses yeux clairs qui avaient un nouvel éclat de malice.
« Je n'y suis absolument pour rien si ton mari est facilement manipulable. Et je le dis sans arrières pensées, aucune. »
Ce fut finalement une théière que la plus âgée plaça sur le feu. Celle-ci faisait partie intégrante du ranch du plus loin que Claudia se souvenait, s'étant occupée d'elle lorsque sa mère était absente, et était la maraîchère attitrée du terrain mais son amour grandissant pour les chevaux l'avait poussé désormais à donner des cours d'équitation aux jeunes de la ville. Sa petite habitation, qui se trouvait entre la propriété des Stilinski et les écuries, était joliment aménagée, les rosiers dont elle passait tant de temps à s'occuper, fleurissaient enfin, laissant leurs divers bourgeons éclatés au grand jour.
Déposant deux tasses fumantes sur la table basse, Dorothy s'installa aux côtés d'une Claudia qui tentait de garder une figure de convenance.
« Qu'est-ce que c'est que cette grimace ? Tu n'espères quand même pas me leurrer, ma belle.
- Je... Non, pas du tout.
- Qu'est-ce qui t'inquiètes ? »
Elle baissa la tête, les yeux rivés vers la surface du liquide brûlant avant de coincer une mèche de cheveux derrière son oreille, pensive.
« Tout à la fois. Ma famille, les Hale... et je sais déjà ce que tu vas me dire.
- C'est parfait, tu ne vois donc pas d'inconvénient à ce que l'on vérifie cette théorie ? Tu as passé beaucoup trop de temps à te faire du mauvais sang sur cette histoire, il faut lâcher prise.
- Alors », elle demanda en essayant de conserver une voix pleine mais ne put ignorer les tressaillements vers la fin de sa phrase, « je ne commets pas d'erreur en invitant des inconnus sur la seule chose qu'il me reste littéralement de mes parents ?
- Ce ne sont pas des inconnus, Claude. Tu les as rencontré un nombre incalculable de fois. Quant à savoir si tu fais le bon choix, je pense que seul le temps pourra t'apporter une réponse. Ce que je peux t'assurer, en revanche, c'est que j'ai toute confiance en toi et en ton jugement. Tu as toujours été une femme responsable et déterminée et je sais que peu importe ce qui arrivera, tu ne laisseras rien ni personne se placer sur ta route. »
Claudia lui agrippa alors la main avec un air si réjoui, transformant le visage de la jeune femme, qui fut la plus grande récompense que Dorothy pouvait espérer.
« Tu sembles sûre de toi, taquina-t-elle, peinant à cacher son sourire.
- Oh, tu devrais savoir qu'il est très difficile de faire changer d'avis une vielle femme de mon âge. A ce stade, ce n'est plus de l'obstination mais de l'opiniâtreté.
- Merci. Pour tout. Je ne sais pas ce que je ferai si tu n'étais plus là.
- Tu continuerais à vivre exactement comme aujourd'hui car à la fin, c'est tout ce qu'il nous reste, pas vrai. »
Ses yeux se voilèrent un moment, semblant se rappeler toutes les choses qu'elle avait vu, les gens qu'elle avait aimé puis perdu. Ses cheveux gris, coupés en carré long ne pouvaient que rappeler le poids et la force des années écoulées. Ses mains tremblaient parfois un peu, lorsque la journée avait été trop longue ou bien que son corps lui faisait sentir qu'il n'était plus tout à fait le même et pourtant, ces éléments n'empêchaient pas la femme d'être véritablement un pilier pour le fonctionnement du ranch, son caractère bien trempé et sa ténacité ayant fait bouger plus d'une montagne.
« Je dois aller terminer de préparer ce qu'il faut pour tout à l'heure. Tu nous rejoindras pour le dîner ?
- J'ai promis à Gale de l'aider avec les derniers comptes, livrés ce matin. Mais je suis certaine que tout se passera très bien. Auquel cas, je me ferai un plaisir de remettre les pendules à l'heure de tout le monde. »
Claudia hocha la tête, se levant du petit canapé fleuri dont elle se souvenait encore avoir tâché en renversant un verre de sirop à la menthe durant l'un de ses étés d'enfance, un été où il avait fait si chaud que les après-midis s'étaient généralement terminées en bataille grâce aux arroseurs automatiques. Refermant son gilet en laine autour d'elle, elle s'arrêta un moment à la porte, observant avec un œil neuf les environs, cet espace entier qui ne cessait de l'émerveiller. Sentant une chaleur sur son épaule, elle s'abandonna un instant à la caresse de sa vieille compagne avant de prendre une profonde inspiration et de s'échapper.
Non sans entendre une dernière parole de son amie, la voix narquoise et accusatrice.
« Et tu diras à ce bandit de Noah que je sais parfaitement qu'il a embauché ce gamin de la ville pour m'empêcher de travailler comme je le souhaite parce qu'il pense que c'est une charge trop lourde pour moi. » Puis marmonna. « Je suis vieille, pas impotente. »
Définitivement obstinée.
Elle se rendit près des écuries et retrouva le jeune Gale, occupé à ramasser des tas de foins qu'il rassemblait ensuite en paquets. Elle lui sourit avant de lui tendre un verre d'eau qu'elle était partie récupérer dans la cuisine avant de s'approcher. Il la remercia chaleureusement, avalant par rasade sa boisson et essuyant son front moite de sueur. Il portait une paire de gants et son t-shirt était taché de boue.
« C'est le grand jour, hein. »
Il lui offrit une expression aimable et déposa son râteau contre le mur. Il était jeune, seize ans et Noah et elle avaient d'abord hésité à l'engager, ayant peur de le voir se défiler à la première difficulté mais lorsqu'il leur avait fait part de son enthousiasme à l'idée de rejoindre leur équipe, annonçant qu'il avait depuis son plus jeune âge rêvé de travailler dans le domaine de l'agriculture, ils avaient cédé. C'était un gentil rêveur qui, même après la promesse d'être recruté, déblatérait sur l'admiration qu'il avait pour le Cross Lane Ranch, que tout le monde en ville ne parlait que de la façon dont leur domaine s'épanouissait telle une véritable entreprise, fournissant en partie les stocks en céréales, embauchant un nombre non négligeable d'hommes, peinant à trouver du boulot, la chasse aux diplômes devenant de plus en plus impitoyable.
« Oui. Comment tu te sens, prêt à partager les tâches ?
- Pour sûr, oui. Ça ferait de la peine à plus d'un, si ce ranch venait à fermer un jour, Mme Stilinski.
- Nous ferons tout notre possible pour que ça n'arrive pas.
- Vous n'avez jamais été tenté, je veux dire, je sais que ce n'est pas simple, entretenir un endroit pareil, j'imagine que des tas de rapaces doivent vous tourner autour pour essayer de vous faire céder. » Il contempla ses pieds, donnant avec force un coup de pied dans un petit tas de cailloux. « Moi, j'aurais douté...
- Tu n'aurais pas été le seul, crois-moi. Et pour être honnête, j'y ai réfléchi et ce, des dizaines de fois. Même si c'était difficile de ne seulement qu'imaginer mettre un terme à tout ça, je le devais au moins pour ma famille. Savoir que je ne les plongeais pas dans les ennuis par simple égoïsme était nécessaire. Tout a changé quand j'ai su qu'il y avait plus de chances que ce que ces satanées promoteurs me répliquaient à chaque nouvelle rencontre.
- Mais vous y êtes arrivés au final, pas vrai. Ça a fonctionné comme vous l'espériez.
- Je suis déjà si fière de cet endroit, je veux simplement pouvoir continuer à le voir prospérer comme il le fait, sans regret.
- C'est tout le mal que je vous souhaite, en tout cas. Et à moi aussi, par la même occasion. »
Il rit et retourna à ses travaux et elle supposa que c'était la fin de la conversation quand il sembla se souvenir d'une chose, et demanda innocemment :
« Vous voulez que je sorte les chevaux ? »
A cet instant précis, son cœur commença à se lancer dans une sorte de cavalcade qui l'obligea à respirer plus profondément, une main posée sur son cou alors qu'elle sentait les pulsations sous sa paume. Il n'y avait plus aucune raison d'avoir peur. Tout le monde était en sécurité. Tout le monde allait parfaitement... Elle ne parvint pas à effacer son angoisse et Gale dû s'apercevoir que quelque chose n'allait pas car ses yeux s'embuèrent d'une lueur inquiète. Elle tenta de le rassurer en secouant la tête, se préparant à partir. Et si elle pensa distinguer le visage d'un jeune garçon avec un grain de beauté près de l'œil, une chevelure brune et bouclée, ce n'était que son imagination.
« Je m'en occuperai tout à l'heure, préviens quelqu'un si tu as un soucis, d'accord ? »
Durant un moment, elle crut presque entendre le bruit macabre d'un os craqué dans le souffle du vent.
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Sa sacoche sous le bras, le shérif envoya un dernier signe de la main à Parrish, qui promit une dernière fois d'être présent le soir même avant de disparaître après le coin de rue. Il remonta alors le sentier à pieds, prenant le soin de laisser le portail ouvert, qui grinça un peu et il se promit d'y mettre un coup d'huile.
La maison était ouverte mais semblait vide. Il se dirigea alors vers son bureau et s'empêcha au dernier moment de lâcher un rire quand il s'aperçut de l'état de la pièce. La salle était littéralement remplie de lueurs joueuses et désordonnées, des feuilles dispersées sur la surface du bois, qu'il était pourtant certain d'avoir aperçu rutilant le matin même, se soulevaient légèrement au gré du souffle qui entrait par le carreau transparent à demi fermé de la fenêtre. Elles étaient pour la plupart chiffonnées, en partie déchirées, comme si la personne qui les avait tenus en main n'avait pu sevrer de manière complète ses tremblements.
Plus loin encore, il s'agissait du reflet de la personnalité de Claudia, comme s'il lui était impossible de ne pas laisser une trace derrière elle, trace qui abandonnait toujours un certain élan d'affection, Noah choisissant de penser qu'elle laissait partout où ses pas la guidait, une petite part d'elle-même.
Mais lorsqu'elle arriva finalement sur le seuil de la porte, ses jolis sourcils froncés lui prouvèrent qu'elle était préoccupée. Et quand elle énonça à voix haute son problème, il sut ce qu'elle s'apprêtait à lui demander, saisissant immédiatement ce qu'elle avait alors en tête alors qu'un sentiment amer s'installait au fond de sa poitrine qu'il sentit se compresser autour de son palpitant.
« Tu as reçu...
- Son message ? Oui. » Il souleva sa manche, laissant apercevoir l'écran de sa montre qu'il observa avec une mine soucieuse. « Je jure que ce garçon va causer ma perte. Quoiqu'il arrive, il sera puni cette fois. »
Stiles avait en effet jugé finalement bon de les prévenir de sa bonne santé en leur indiquant où il se trouvait, après plus d'une matinée entière à s'inquiéter pour lui. Il les priait de ne pas l'attendre pour la journée, qu'il comptait probablement revenir dans la soirée, tout en promettant de faire ses corvées pour le lendemain. Il ne savait pas ce qui était le plus triste : que Stiles ne compte pas rentrer pour une journée qu'il savait importante pour eux ou que celui-ci imagine que ses parents soient inquiets à propos de corvées.
Noah put contempler la manière dont les épaules de Claudia s'affaissèrent, bien qu'elle ne trouva pas à redire à ses propos précédents.
« Je sais, tu as raison. »
Elle se retira soudainement, une main couvrant sa bouche et Noah devina qu'elle chercha à s'échapper de la situation, comprenant que devoir sanctionner son fils dans un contexte pareil lui paraissait certainement injuste et cruel. Mais il était persuadé que quelque chose d'autre les attendait, mais que pour atteindre cet objectif, ils devraient se battre car étant seuls maîtres d'un destin qu'ils désiraient. Comment pourrait-il se regarder sans grimacer s'il ne faisait pas tout ce qu'il était nécessaire pour parvenir à sortir son foyer de cette atmosphère lugubre et désespérée ?
Il ne mentirait pas. Énormément de choses lui procuraient une peur indéniable : assister à son échec en tant que mari ou encore s'apercevoir lentement qu'il était en train de perdre son fils, ce dernier s'éloignant comme une onde s'évaporant à la surface de l'eau. Mais, il était aussi certain d'une chose : leur quotidien allait changer et il était décidé à ce qu'il le soit, en mieux. Parce qu'après tout ce qu'ils avaient traversé, ils le méritaient. Et peut-être qu'à la fin, il pourrait se lever, les regarder droit dans les yeux et les supplier de lui accorder leur pardon. Pardon de ne pas avoir été assez présent. Pardon de t'avoir laisser tomber. Pardon d'avoir laissé ça nous arriver.
Alors qu'il s'apprêtait à rejoindre son épouse, un bruissement particulier provenant du fond de l'allée le fit s'arrêter, se tournant aussitôt pour avoir confirmation de ce qu'il avait cru entendre. Sa poitrine se contracta alors, car, subrepticement, cette vision de paix retrouvée s'approchait à mesure qu'une voiture noire s'engageait dans la propriété.
Le véhicule s'avança encore dans des crissements de pneus, ceux-ci levant des nuages de poussières, alors que la grille se referma doucement derrière eux.
Comment avez-vous trouvé ce premier chapitre ? Pleins de bisous et à la semaine prochaine !