Notes d'auteur :
Comme promis, le second et dernier chapitre ! Merci pour les reviews EmilieKalin et Kittendealer :3
Une très bonne lecture !
Conseil musique : Matt Maeson – Grave Digger (Stripped)
ET SI…
La chute est interminable. Aveuglante également.
Elle est telle qu'il ne sent plus rien, pas même le vent qui est supposé cisailler ses côtes avec une force redoublée. Il ne sent rien le long de ses membres, sur son visage, le long de ses lèvres entrouvertes, mais-…
Il sent malgré tout.
La douleur le dévore de l'intérieur.
Il ne sait pas d'où elle peut venir, il ne peut pas la voir. Impossible, il ne voit rien non plus. Il est aveugle, muet… dépouillé de ses cinq sens pour une raison qu'il ignore. Est-ce une punition ? Chuter n'est-il pas suffisamment atroce pour son Père ? Faut-il en plus le dépouiller du reste ?
Il sent, pourtant.
Il ressent cette pression rythmée sur sa poitrine ; ce feu qui ravage ses poumons dépouillés du moindre souffle. Il sent ce souffle qui lui manque, qui lui échappe et lutte de concert avec la douleur qui le paralyse. Tout cet air qui l'entoure… Tout cet air qui se refuse à lui.
C'est stupide.
Il sent tout cela et rien à la fois.
Il voit cette luminosité éclatante tout autour de lui, mais reste néanmoins aveugle pour les plus petits détails.
Il entend ce violent bourdonnement, mais demeure sourd à tout ce qui l'entoure.
Il goûte la texture ferreuse de son propre sang, mais ne goûte rien de plus que cela.
Une chute autant unique que foncièrement étrange.
Combien de temps cela va-t-il durer ?
Il y a bien une fin, non ?
« -llez. »
Qu'est-ce ?
Ce son nouveau l'effleure et s'éclipse tout aussi rapidement, à tel point qu'il doute l'avoir réellement entendu. Il ne serait guère étonnant que son esprit commence à lui jouer quelques tours, après tout. Mais cela recommence. Plus fort, plus long et tout autour de lui.
« -fer. »
Cela ressemble à une sorte d'écho ; tantôt diffus, tantôt tonitruant.
Un son invraisemblable qu'il aurait volontiers ignoré si la douleur ne semblait pas répondre avec ardeur à cet appel incohérent. Il ne sent plus ; il subit, se laisse malmener par cette souffrance répétée contre son torse, autour de ses poumons, impuissant. Il ne peut rien faire.
« -espirez ! »
Quoi ?
Il souffre, la douleur est omniprésente ; dans cette pression et dans ce son qui s'épaissit dans l'air, qui hurle et murmure à la fois à son oreille.
« Respirez ! Allez ! »
Respirer ?
Il n'est pas contre, franchement.
Comment faire ?
« Revenez, je vous en prie »
Il connait cette voix, il en est quasiment certain.
Il doit revenir, mais par aller où ? Comment y aller ?
La douleur est tout bonnement insoutenable ; elle incendie ses poumons, son cœur… La sensation d'une explosion imminente à laquelle il ne peut pas être insensible. Il lui faut l'expulser, s'en débarrasser.
Respirer.
Respirer.
Vient l'explosion prédite. Partout. Son corps, ses sens jusqu'à présent bâillonnés… Il quitte le néant et se retrouve assailli avec une férocité accrue.
Pas sûr que « respirer » était la meilleure solution à son problème.
Il entend ; cette voix, une autre également. Une respiration qui peine, qui lutte pour se maintenir. Une cacophonie rythmée derrière lui.
Il sent ; l'embrasement dans sa poitrine, les palpitations douloureuses de son cœur. Ces vibrations le long de ses membres gourds ; c'est désagréable. Qu'il ne soit qu'une âme errante sans réelle enveloppe et cela ne l'aurait guère étonné.
Il sent et il entend, mais il ne peut toujours pas bouger.
—…-us m'entendez ?
La question lui est-elle destinée ?
Les sensations, les bruits, ces voix… C'est déroutant, d'une puissance écœurante qu'il contient à peine du bord des lèvres. Il ne se souvient pas avoir jamais eu aussi mal en respirant.
Bizarre.
Cet engourdissement, cette douleur… Peut-être est-il enfin arrivé ?
Peut-être.
Il ne s'est jamais aventuré en Enfer ; il ne l'a que très occasionnellement observé de loin ; à une distance bien plus sécurisante que cette intense proximité.
Il s'étonne de n'avoir rien senti ; une chute pareille… On en sent forcément quelque chose. Mais l'étrangeté de la situation est telle que ne rien sentir - pas même cette supposée collision contre la lande infernale - ne lui semble plus si extraordinaire.
— ...-fer ? Écoutez-moi-…
Facile à dire.
Tout est si fort. Trop fort. Trop. C'est trop ; il ne peut pas-…Ce n'est pas-…
— Bon sang ! grommèle cette autre voix, masculine et tout autant familière.
Cette voix exprime une lutte dont il peine à identifier la cause, aveuglé et tourmenté comme il l'est en ce moment. Il lutte lui aussi, contre quoi… Il ne saurait le dire. Son propre corps ? Cet incendie qui ravage sa gorge au même titre que ses poumons ? Cette luminosité qui pèse sur son regard ?
Il n'est même pas certain d'avoir les yeux ouverts.
— J'essaie de vous aider, nom de-… !
L'aider ? Vraiment ? En le torturant ainsi ? Il a vu mieux question « aide ».
— Lucifer.
L'autre voix.
Il essaie de se concentrer sur elle, par-delà cette lutte constante et cette souffrance inflexible. La tâche n'est pas aisée.
— Lucifer, c'est moi ; Chloé. Essayez de prendre une longue et profonde inspiration, d'accord ?
Mais-…
— Ça vous aidera, je vous le promets, ajoute cette voix. Respirez lentement.
Ah oui ?
Il doute d'y parvenir, la douleur ne lui laisse aucun répit et s'immisce sous ses côtes à chacune de ses tentatives désespérées pour capturer une mince portion d'air. Le faire plus lentement ne peut être la solution.
Ça ne peut pas être aussi simple, si ?
Il fait une timide tentative, la pression autour de sa poitrine essayant elle aussi de saborder ses efforts avant de s'y soumettre de mauvaise grâce. C'est ardu, douloureux ; mais déjà plus supportable.
— C'est ça, l'encourage la voix. Continuez.
— Allez, mon pote...Allez.
Un râle, une autre inspiration plus profonde que la précédente et l'incendie est progressivement circonscrit. Il peut enfin sentir l'air chatouiller l'intérieur de sa gorge, emplir pleinement ses poumons sans autre douleur qu'une gêne passagère et ridicule de par sa faible intensité.
Le monde s'assombrit, devient plus clair, moins insensé.
Il cligne des yeux, ses yeux qui brûlent intensément ; mais il peut enfin voir. Il fixe le plafond d'un blanc immaculé, les formes imprécises penchées sur lui, parfois avalées par la clarté située plus haut pour réapparaître quelques instants après.
— Doucement, Lucifer ! Respirez lentement, tout va bien.
Il n'écoute pas vraiment ces masses informes et regarde ailleurs ; il regarde son corps. Ses mains, paumes tournées vers le haut, sur ce sol froid martelé par d'autres formes.
Des pieds ? Comme c'est curieux.
Il regarde sa poitrine se soulever, sa chemise grande ouverte, un souffle glacial lui mordre la peau. Il frissonne violemment et laisse sa tête retomber sur le sol ; cette tête qui déborde de questions. C'est si confus dans son esprit, ses sensations ne sont pas plus à envier. Il déglutit difficilement ; le souffle lui manque encore et sa poitrine lutte continuellement pour se maintenir dans ce rythme imposé.
— Lucifer ? Hey…
Il ferme les yeux et sent pour la première fois cette trace humide sur ses joues, qui perdure, qui ne se tarit pas. Quelque chose de plus doux encore couvre cette trace ; couvre ses joues. La tête lui tourne, il a le cœur au bord des lèvres, mais il rouvre les yeux malgré tout ; deux fentes étriquées qui laissent filtrer une seule image.
La clarté qui perce le brouillard.
Il se concentre sur ce visage, ces mains fines, ces lèvres qui l'exhortent à écouter ; juste un peu.
Juste ce qu'il faut.
Et il comprend enfin.
— Hey… Tout va bien. On l'a eu, le rassure Chloé en chassant ses larmes. Vous ne risquez plus rien, tout va bien.
Tout va bien.
Il comprend ; il comprend que la chute a pris fin depuis longtemps. Il se rend compte qu'il n'est jamais tombé, pas récemment du moins, si ce n'est cette chute légère qui tourmente encore l'arrière de son crâne. Il dévisage l'inspectrice, calant son souffle sur le sien.
Il n'est jamais tombé.
Il ne tombe pas.
— Tout va bien, répète Chloé tandis que les renforts prennent possession des lieux.
Tout va bien.
Tout va bien.
-xXx-
Il va bien.
Cela peut sembler invraisemblable, mais c'est pourtant le cas. Il a beau le répéter, tous ceux qu'il a pu croiser depuis la dernière heure ne cessent de mettre en doute cette vérité tellement simple. C'est un fait ; Lucifer va bien. Il veut bien admettre qu'avoir été empoisonné plus tôt par un gaz toxique aux effets assez inédits peut être un facteur de questionnement ; autant que l'arrêt cardiaque qui a suivi, mais-…
Il va bien.
Le gaz n'a plus le moindre effet sur lui et son cœur bat vigoureusement dans sa poitrine comme il l'a toujours fait depuis des temps immémoriaux. Il ne se cache pas que l'expérience reste assez éprouvante en soi, physiquement parlant, mais ce n'est qu'une affaire de circonstances. Une circonstance dénommée « Inspectrice », ou « Chloé » pour les intimes. Quelques mètres raisonnables de distance, un verre bien fourni en main et toutes traces de douleur, de fatigue ou d'autres altérations physiques auront totalement disparu. Ce n'est pas à force d'auscultation, de questions plus stupides les unes que les autres ou de sérieuses sommations concernant une hospitalisation qu'ils y changeront quelque chose. Pourquoi vouloir à tout prix lui trouver un problème ? C'est une perte de temps, pour lui comme pour eux.
— Je vais bien, répète-t-il pour la vingtième fois avec un sourire aimable. Je vous remercie.
Le vingt est un nombre significatif, il faut croire. L'ambulancier admet enfin que son patient ne requiert pas de réelle assistance médicale dans l'immédiat ; le pire est passé, donc son utilité également. Il hoche la tête et se retourne pour voir ses collègues conduire une civière occupée vers la seconde ambulance située plus loin sur le parking, ses gyrophares perçant la nuit noire à intervalles réguliers.
Lucifer regarde lui aussi.
Il regarde cet homme sans connaissance balancer entre la vie et la mort comme le reste de ses victimes, comme lui-même un peu plus tôt. Tout cela juste pour ne pas être pris vivant. Ou pour ne pas subir le courroux du diable. L'un comme l'autre, c'était foncièrement idiot. S'il vit, il finira le reste de ses jours derrière les barreaux, ruminant ses propres peurs pour avoir usé de celles des autres à des fins indubitablement meurtrières. S'il meurt, il n'évitera pas pour autant l'emprisonnement. Une prison quoiqu'assez différente, il faut l'admettre – une atmosphère suffocante, répétitive et bien plus cauchemardesque que ses pathétiques petits tours de passe-passe gazeux. D'autres géôliers, une peine plus longue – éternelle, en fait – qui l'aurait fait regretter le monde des humains.
La justice humaine – assurément imparfaite – contre la justice divine…
Le choix est vite fait, non ?
Lucifer ne peut qu'espérer qu'il succombe, bien qu'il sache parfaitement que de telles envies ne plairait pas à sa partenaire, si droite, si morale et si naïve. Lui sait. Il sait ce qui l'attend en bas. Oh oui, il espère entendre sa fin, la voir et sentir son âme traverser le Voile vers une destination sombre et délicieusement cauchemardesque. Il veut voir la peur s'inscrire sur son visage pour un temps indéfini ; et qui ne le sera jamais.
La peur ; pure, bestiale.
Dommage qu'il ait juré de ne plus mettre les pieds dans son Royaume de Feu et de Sang.
Lucifer laisse échapper une exclamation dédaigneuse en suivant des yeux le cortège bruyant des secouristes. L'ambulancier ne relève pas, absorbé par ce spectacle lui aussi et par son professionnalisme. Il s'éloigne promptement de son patient diabolique pour trouver une façon de se rendre utile. Lucifer ne le retient pas, il continue à dévisager avec un dédain prononcé cet homme chétif entre la vie et la mort.
Cet homme…
Que sait-il donc de la peur, la vraie ?
Comment a-t-il pu penser la lui infliger un seul instant ; à lui, le diable ?
Ridicule.
« Jette-le dans le Flammes ! »
Un frisson le gagne.
Ce n'est que le vent.
Il n'est pas étonnant d'avoir froid ainsi débarrassé de sa veste Armani et avec sa chemise grande ouverte sur le souffle nocturne de Los Angeles. Il ramène ses mains vers son torse, bien décidé à remettre un semblant d'ordre dans sa tenue. Ses mains tremblent légèrement, pas assez pour signifier vraiment quelque chose, mais suffisamment pour le déconcerter.
Ce n'est que le vent.
Juste le vent.
Lucifer déglutit et frotte sa main de l'autre, le regard dans le vide.
« Jette-le ! »
Il prend une profonde inspiration, tiquant en sentant à nouveau cette tension là où Daniel a tenté assez grossièrement de faire repartir son cœur. Un éléphant aurait été plus délicat. Il masse ses côtes endolories et ferme les yeux, écoutant distraitement les bribes de conversation quelques mètres plus loin, les pas précipités ou plus lents des personnes présentes sur la scène de crime.
— Mettre systématiquement votre vie en danger… C'est un hobby ou juste une coïncidence ?
Il rouvre les yeux et regarde l'inspectrice qui s'est approchée sans un bruit. Son ton laisse transparaître un profond agacement, mais Lucifer entend plus loin. Il sait qu'elle demeure inquiète à son sujet. Il sait qu'elle s'en veut.
C'est dans ses habitudes - La culpabilité est une habitude humaine, paraît-il.
Tout comme le réprimander pour avoir fait la seule chose à faire.
— Tout dépend de mon sauveur, réplique-t-il en abaissant sa main encore apposée contre son flanc.
— Je vous pensais invulnérable.
— Tout dépend, répète Lucifer sans développer davantage.
Chloé secoue doucement la tête ; elle est énervée.
Évidemment.
— Vous ne pouvez pas jouer comme ça avec votre vie, Lucifer, essaie-t-elle encore.
— Je suis invulnérable, vous l'avez dit vous-même, Inspectrice, l'interrompit-il poliment avec un sourire en entreprenant de reboutonner sa chemise.
Quel est l'imbécile qui en a arraché la moitié ?!
— Vous ne pouvez pas jouer avec votre vie, insiste-t-elle, butée. Ni avec celles de vos coéquipiers !
Il la dévisage, perplexe.
— Je n'ai pas-…
— Bien sûr que si ! Vous avez foncé tête baissée pour confronter notre suspect sans penser à me prévenir, moi ou Dan. Vous n'aviez aucune idée de ce qui vous attendait à l'intérieur ! Vous êtes tombé dans le piège et cela aurait pu tout aussi bien nous arriver en accourant à votre secours – Nous aurions pu mourir tous les trois ! Une chance que le gaz se soit suffisamment dissipé à notre arrivée…
Elle se tait et le dévisage. Sa façon de le regarder lui déplaît et il regarde ailleurs, mal à l'aise. Il pourrait trouver à redire à ses arguments, mais l'envie n'y est pas. Il veut juste rentrer et prendre un verre avant d'aller se coucher. Avant de passer à autre chose. Ses mains triturent ses boutons partiellement arrachés et il hoche légèrement la tête sans un mot.
— Mes excuses, Inspectrice. Je pensais y arriver seul sans vous mettre en danger. Il semble que j'ai légèrement présumé de mes forces, conclut-il avec l'esquisse d'un sourire sur son visage tendu.
Elle le regarde toujours, tergiversant. Lucifer est sincère, elle le sait. Mentir n'est pas dans sa nature ; jamais. Elle inspire profondément, le regard au loin, et relâche la tension qui habitait son corps jusqu'alors. Elle laisse enfin retomber ses bras qui étaient croisés sur sa poitrine, abdiquant devant les excuses polies de son partenaire et vient s'asseoir à ses côtés à l'arrière de l'ambulance.
Ils restent ainsi, silencieux et apaisés. Lucifer lève les yeux et pousse un léger soupir. Un ciel sans nuages ; ce n'est pas courant en cette période de l'année. Il peut voir chacune des étoiles piquer l'encre intemporelle des cieux au-dessus d'eux.
—Je suis heureuse que vous alliez bien.
Lucifer baisse les yeux sur Chloé. Ses yeux ne quittent pas les siens, saisis par l'éclat enfoui en eux ; l'étincelle d'une émotion qu'il peine, qu'il redoute d'identifier.
— Ne refaites plus jamais ça. Jamais… Marché conclu ?
— Marché conclu.
Il peine à soutenir son regard, cette émotion qui menace de le submerger si facilement… Lucifer détourne les yeux bien plus rapidement qu'il ne le voudrait et se replonge dans le silence. Il ne sait pas quoi dire d'autre. Il ne veut rien dire d'autre.
Il n'y a rien d'autre à dire.
Mais il la connaît trop bien. Et elle le connaît trop bien.
Ils savent tous deux ce qui s'est passé. Ils sont partenaires ; une connaissance combinée et inévitable des détails de l'enquête, des causes de la mort, de l'arme du crime. Une connaissance dont il se serait bien passé. Il aurait préféré laisser planer le doute sur ce qui lui était arrivé ; pas de certitudes, pas de questions gênantes. C'est aussi simple que ça. Ça aurait pu être aussi simple.
Il ne pourra pas la dissuader ; elle est bien trop tenace pour cela. Et il ne pourra pas esquiver ; pas bien longtemps. Il ne ment pas, c'est tout le problème.
Il ne ment jamais.
— Lucifer-…
Il ferme les yeux, vaincu.
— … Qu'avez-vous vu ?
Ses yeux sont clos, son esprit l'est tout autant. Il ne veut pas y penser. Il ne veut penser à rien ; simplement sentir ce vent, cette nuit calme autour de lui, la présence de l'inspectrice auprès de lui.
Il ne veut rien de plus.
« Accomplis ma Volonté ! »
Rien de plus.
En parler n'apportera rien de bon, ni à lui ni à sa partenaire. Lucifer est le diable ; son coéquipier. Une légende terrifiante, une force inflexible…
À quoi bon démystifier cela ?
La peur tire sa puissance de la reconnaissance qu'on lui porte. L'ignorer est la seule chose à faire.
Elle s'en ira...Avec le temps.
Le temps efface tout. Il a bien effacé son nom, son ancienne vie ; pourquoi pas ça ?
Elle s'en ira, balayée d'un souffle de vent comme le gaz qui l'a porté en lui et en chacune des victimes. Lucifer en est convaincu ; il ne peut pas faire vaciller cette certitude pour une simple humaine. Ce serait stupide.
Chloé soupire à ses côtés ; elle croit avoir perdu – perdu quoi, il ne sait pas vraiment. Lucifer n'a toujours pas ouvert les yeux, et il ne désire pas le faire. Il la sent se redresser, le regarder un moment. Elle commence à s'éloigner, rendue clairement mal à l'aise par son refus silencieux.
— Dan doit avoir fini, je vais-…
— Je tombais.
— Quoi ?
Chloé se retourne vers Lucifer quand lui ouvre les yeux.
— Je me suis vu en train de tomber, répète-t-il dans un murmure.
— Oh.
C'est tout ce que l'inspectrice lui répond. Elle ne sait pas quoi dire et c'est normal ; comment pourrait-elle comprendre le sens caché de ses paroles ? Comment pourrait-elle comprendre cette peur qui le dévore de l'intérieur ? C'est impossible. Elle ne peut pas.
Mais cela lui importe peu.
Maintenant que le silence est brisé… Autant aller jusqu'au bout.
— Je tombais et-… Il n'y avait personne pour me retenir. Qui le voudrait, n'est-ce-pas ? ajoute-t-il avec une exclamation amère. C'était même le contraire. On m'entraînait vers le vide. Savez-vous ce qu'on ressent lorsqu'on est jeté dans le vide, Inspectrice – le vide à l'état pur ?
Elle ne dit rien et Lucifer n'attend aucune réponse. Il continue.
— Vous ne pouvez plus respirer. Vous ne vous souvenez même plus comment faire ; votre propre souffle vous est totalement étranger. Il est aspiré par ce vide, englouti par la peur. Cette peur qui vous agrippe et qui ne vous lâche plus, c'est la seule chose qui vous tient sans pour autant vous préserver de la chute en elle-même. Elle vous y pousse davantage avec une écœurante satisfaction ! Le vent vous comprime, il vous lacère les membres et vous étouffe… C'est ironique, non ? Vous redoutez la fin de cette chute, mais-… Vous la souhaitez aussi plus que jamais.
Lucifer maudit le tremblement indésirable qui fait flancher sa voix sur cette toute dernière syllabe.
Il maudit ce vent.
Il maudit cet homme sur cette civière.
Il les maudit tous.
Il ne souhaite pas voir l'effroi sur le visage de l'inspectrice, pas plus que cette expression bien particulière sur ses traits – l'expression du doute. Il ne veut pas la voir douter.
Pas maintenant. Pas tout de suite.
Il garde les yeux baissés, secouant doucement la tête ; stupéfait de sentir encore cette peur tout au fond de lui, de la sentir sur ses lèvres formuler d'autres paroles plus insensées encore.
— Et si je tombais une fois de plus ?
Il rit ; il essaie d'en rire. Mais sa gorge tremble, elle aussi ; il ne peut que laisser échapper cette exclamation chevrotante d'émotions contradictoires.
C'est idiot.
Il ne tombera pas. Plus jamais.
Tout cela est derrière lui.
— Ça n'arrivera pas.
Lucifer redresse la tête et scrute longuement l'expression sereine de la jeune femme à quelques pas de lui. Pas le moindre doute ; seulement la vérité. Une vérité qui n'ose pas l'approcher ; ce n'est pas sa vérité. Ça ne peut pas non plus être un mensonge.
Pas elle.
Il la regarde, essaie de déceler cette vérité au-delà de cette sérénité, au-delà du souffle du vent, de la peur. Il essaie de toutes ses forces de la trouver.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûre ?
Comment, quand lui ne pouvait que douter avec une effroyable intensité ?
Comment ?
La réponse – cette vérité – était simple ; elle était là, devant lui. Dans ce sourire, cette brise qui les effleurait, ce regard qu'ils partageaient, ce doute qu'elle taisait en lui. Sans le toucher, sans rien de plus que quelques mots.
Simples. Vrais. Irréfutables.
— Parce que je serai là pour vous rattraper.
FIN
Notes d'auteur :
Je me suis inspirée d'un épisode d'Esprit Criminels (saison 10) pour le soi-disant gaz hallucinogène qui joue sur les peurs.
J'ai beaucoup apprécié écrire cette petite fic en deux chapitres et j'espère qu'elle vous a tout autant plu. ^^
N'hésitez pas à laisser une review comme toujours ça fait toujours plaisir !
À la prochaine !