Cela faisait maintenant trois jours que Severus avait temporairement emménagé chez Hermione, et si au début, Pattenrond se faisait une joie de le faire trébucher çà et là, il semblait désormais s'habituer peu à peu à la présence de son nouveau colocataire. La veille du quatrième jour, Hermione, qui rentrait de Ste Mangouste après une journée de travail fastidieuse, eut la surprise de retrouver l'animal confortablement installé sur les genoux de son invité, en train de ronronner de plaisir. Severus, lui, était allongé sur le canapé du salon, mais sa posture indiquait qu'il devait s'être assoupi inopinément. Avec un léger pincement au cœur, la jeune femme songea que son ancien rôle d'espion devait l'avoir habitué à des nuits courtes ou parfois sans sommeil. Le soir de son arrivée, elle lui avait gentiment proposé de lui laisser son propre lit, mais Severus, en bon gentleman qu'il était, avait refusé catégoriquement. Il avait donc préféré le canapé à ce dernier, qu'il avait ensuite agrandi d'un mouvement de baguette après avoir pris soin de fermer les rideaux ornant la fenêtre du salon. Hermione l'avait observé faire et n'avait pas pu s'empêcher de remarquer la prudence dont il avait fait preuve. Quand les Weasley venaient lui rendre visite, ils ne faisaient jamais attention au voisinage tant ils avaient eu l'habitude de vivre chez les sorciers. D'ailleurs, cela avait un jour valu à George d'aller oublietter un moldu qui l'avait vu transformer sa tasse de thé en cochon d'inde. Hermione esquissa un sourire en se remémorant cet incident. C'était exactement le genre de chose qui devenait risible avec le temps.

D'un pas léger, la brune s'approcha du canapé et s'y agenouilla afin de caresser rapidement Pattenrond. Dehors, on pouvait entendre quelques hiboux hululer, tandis que l'atmosphère se rafraîchissait en cette nuit d'été. Au bout d'un certain temps, Hermione se tourna naturellement vers Severus et se mit à l'observer dans son sommeil. À bien y regarder, son ancien professeur, devenu récemment colocataire, n'était pas aussi vilain que cela. Certes, il avait un nez assez imposant et légèrement crochu.. Et son visage semblait constamment figé en une expression agacée.. Mais celui-ci possédait également de longs cils, ainsi que des lèvres fines. Décidément, ses camarades de Poudlard, telles que Lavande et Parvati par exemple, l'avaient souvent jugé trop sévèrement. Severus Rogue avait beau ne pas partager le physique avantageux de Gilderoy Lockhart, il le surpassait dans de nombreux domaines. Soudain, l'horloge de la salle à manger se mit à retentir doucement, mettant fin à ce moment d'admiration silencieuse. Hermione se leva alors, les joues légèrement rosies, puis recouvrit délicatement le concerné d'un plaid léger avant de rejoindre la cuisine. Là-bas, la jeune femme constata que son invité lui avait laissé de quoi dîner, et qu'il avait également joint un petit mot à son repas. Cette petite attention lui fit ressentir un élan d'affection à son égard, et elle se surprit à désirer sa compagnie plus que jamais.

Personne n'aurait osé l'imaginer, et pourtant, Severus Rogue représentait le colocataire idéal à bien des égards. Tout d'abord, l'ancien directeur de Serpentard avait l'habitude de se lever tôt le matin, et ce, même lorsqu'il veillait jusque tard dans la nuit. Certes, il n'allait pas jusqu'à apporter à son hôte le petit-déjeuner au lit, mais il passait une grande partie de son temps à s'occuper des tâches ménagères, en particulier lorsque celle-ci n'était pas là. D'ailleurs, il s'était rapidement révélé être un excellent cuisinier, et Hermione se régalait toujours lorsqu'elle goûtait aux plats qu'il avait préparés. Tout comme à Poudlard, Severus demeurait quelqu'un d'assez discret. En effet, la plupart du temps, seul le froissement de sa cape de sorcier, qui virevoltait derrière lui lorsqu'il traversait une pièce, trahissait sa présence ici. De plus, ce dernier utilisait peu la magie (ce qui réduisait le risque d'accident avec les voisins), et lorsqu'il se servait de la cuisine pour concocter une ou deux potions, il nettoyait toujours après lui. Hermione devait bien avouer qu'elle se sentait nettement moins seule depuis qu'il s'était installé ici. Ses sarcasmes l'amusaient malgré elle, et leurs échanges étaient toujours variés et intéressants. Par ailleurs, Severus était cultivé sur ce qui semblait être des centaines de sujets, et quelque part, il avait plus de conversation que Viktor, Ron et Cormac réunis.

- Oh, s'étonna Hermione en milieu de semaine, tandis qu'elle resserrait inconsciemment son étreinte sur les pages du dernier exemplaire de la Gazette du Sorcier. Severus et elle étaient confortablement installés sur le canapé du salon, à une place d'intervalle. Leurs verres, qui contenaient chacun un reste de jus d'oeillet rafraîchissant, étaient posés l'un à côté de l'autre sur la table qui s'étendait devant eux.

- Qu'y a-t-il ? lui demanda Severus en quittant momentanément des yeux le livre qu'il tenait entre ses mains.

- Eh bien, j'étais en train de lire un article sur les Harpies de Holyhead quand..

- Vous vous intéressez au Quidditch ? l'interrompit-il dans un haussement de sourcil.

- De temps en temps, répondit vaguement Hermione en émergeant de derrière son journal. En fait, Ginny joue dans cette équipe. Mais ce n'est pas ça qui m'a surpris..

- Je vous écoute, déclara Severus en posant « Le guide vénéneux de la nécromancie » à côté de son verre. Hermione lui adressa un léger sourire avant de s'expliquer.

- Je pensais que la Gazette ne publiait plus aucune rumeur.. Mais j'avais tort.

- Il faut bien divertir le peuple, ironisa-t-il en s'autorisant un rictus.

- Regardez ici, lui dit-elle en se rapprochant de lui pour lui montrer une photo placée en bas à droite, à la page huit. Vous voyez ? Il y a un article sur Neville et Luna.

- Ah, répondit simplement Severus, soudain moins intéressé par le contenu de l'article.

- Eux aussi nous ont aidé à remporter la guerre, lui rappela Hermione en fronçant légèrement les sourcils. Visiblement, elle se sentait davantage concernée par son manque d'enthousiasme que par le peu de distance qui les séparait désormais.

- Et qu'est-ce qu'ils deviennent ?

- Il me semble que Neville suit une formation d'Auror.. Et en ce qui concerne Luna, je crois qu'elle se spécialise en Magizoologie.

- Et que font-ils dans la Gazette du Sorcier ?

Severus avait jugé plus respectueux de poser la question, même si au fond, il se fichait éperdument d'en connaître la réponse. En vérité, le sorcier semblait davantage intéressé par la façon dont son interlocutrice s'était rapprochée de lui. Elle l'avait fait naturellement, sans le moindre mouvement de recul, comme s'ils avaient était amis et non de simples colocataires. À cette distance, il pouvait même sentir le parfum de sa chevelure lui caresser les narines. Était-ce de la vanille ou de la noix de coco ? Il était tellement absorbé par cette énigme qu'il ne l'écouta qu'à moitié lorsqu'elle lui répondit.

- Eh bien, c'est idiot.. Mais il y a un article sur eux qui affirme qu'ils sortiraient ensemble, lui dit alors la brune en posant son index sous l'en-tête (celle-ci était composée de lettres majuscules qui s'agitaient entre elles tout en formant la phrase « Londubat et Lovegood n'ont pas besoin d'un Billywig pour flotter sur un nuage ! »). Je ne sais pas si l'on peut faire confiance à la Gazette pour ce genre de chose, reprit-elle d'un air dubitatif, mais si jamais c'est la vérité, alors je suis heureuse pour eux.

À cet instant, Luna posa la plante que Neville lui avait offerte et se mit à saluer Hermione comme si elle s'était trouvée dans la même pièce qu'eux. Neville, de son côté, lui adressa un sourire sincère, bien qu'il semblait un peu à l'étroit dans son cadre.

- Dites-moi, Hermione..

- Oui, Severus ?

- Comment se fait-il que vous ne sortiez pas avec Potter ou Weasley ?

La concernée manqua de s'étouffer avec son reste de jus d'oeillet, si bien que Severus dû lui administrer plusieurs tapes dans le dos afin de l'aider à reprendre sa respiration. Une fois cela fait, cette dernière se mit à rire nerveusement sous le regard soucieux de Severus qui attrapa sa baguette pour rafraîchir la température fièvreuse du salon.

- Harry.. Harry est mon meilleur ami, mais ça s'arrête là, déclara Hermione d'une voix un peu trop aigüe pour être honnête. L'ancien maître des potions de Poudlard haussa les sourcils d'un air peu convaincu. Son regard était tellement intense qu'il lui aurait presque donné envie de disparaître derrière les épaisses pages de son journal. Bon, très bien ! Je suppose que l'on aurait pu sortir ensemble autrefois.. Mais plus maintenant. Il est très heureux avec Ginny désormais. Et en ce qui concerne Ron..

- Qu'a donc fait cet idiot ? s'enquit aussitôt Severus tout en se penchant pour attraper son verre. Hermione lui lança un regard faussement outré avant de se mettre à rire.

- Il n'a rien fait du tout, lui assura-t-elle alors en refermant délicatement les pages de son journal. Enfin.. Peut-être que si.. Mais j'ai également ma part de responsabilité dans ce qui s'est passé. Cette fois-ci, Severus ne répondit pas immédiatement, lui laissant ainsi l'opportunité d'entrer dans les détails si jamais elle le désirait. Ron et moi, nous nous sommes mis en couple après la fin de la guerre.. Je l'avais embrassé dans le feu de l'action, vous voyez ? Mais la réalité nous a ensuite rattrapé..

- Ce genre de comportement apparaît fréquemment en temps de guerre.. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on y pense. Durant ces périodes, certains sorciers se rapprochent et la différence entre l'amitié et l'amour se fait plus difficilement.. De ce fait, les gens se déclarent plus souvent leur flamme de peur de mourir au combat..

- Exactement, répondit Hermione qui paraissait agréablement surprise par la sensibilité dont faisait preuve son interlocuteur. Après mes études, j'ai voulu m'installer à Londres pour être plus proche de mes parents et également de mon lieu de travail. Mais Ron, de son côté, n'était pas prêt à quitter sa famille. Quelque part, c'était compréhensible avec la mort de Fred.. Mais..

- Mais il vous a fait souffrir, c'est ça ?

À cet instant, la jeune femme releva les yeux de son journal, s'accrochant malgré elle au regard de Severus comme à une bouée de sauvetage. Ce dernier n'avait instauré aucun contact physique avec elle, mais son visage faisait désormais face au sien, révélant une expression qu'elle ne lui avait jamais connue auparavant.. Et qu'il n'avait sans doute jamais osé montrer à personne. On aurait dit que la compassion avait pris possession de son visage et en avait temporairement façonné les traits. Après un moment de silence passé à contempler le paysage qui s'offrait à elle, Hermione hôcha timidement la tête en guise d'approbation, et le duo échangea un sourire significatif. Elle n'en avait jamais parlé à personne, pas même à Harry, son meilleur ami de toujours, ou à Ginny, son habituelle confidente. Et pour cause, elle avait eu peur de les ennuyer, ou pire, de causer des soucis à Ron.. Et voilà qu'elle en discutait tranquillement avec Severus Rogue dans son salon, par une belle après-midi d'été, et qu'il l'écoutait attentivement et la comprenait comme personne d'autre ne l'avait fait.

- Un peu, oui, avoua-t-elle finalement sans le quitter des yeux. C'est juste que.. Il ne pensait pas assez à moi. J'avais dû abandonner mes parents au début de la guerre et j'ai bien cru que je ne les reverrais plus jamais.. Alors j'avais besoin de les retrouver.

- C'est compréhensible, répondit-il avec sincérité, tandis que le pouce de sa main droite caressait lentement la surface de son verre.

- De toute façon, nous nous disputions sans cesse, poursuivit Hermione en soupirant. Je pense qu'il n'était pas encore prêt pour une relation sérieuse. Voilà pourquoi je l'ai quitté. Après cet incident, il ne m'a plus adressé la parole pendant des jours, mais je pense que c'était plus par gêne qu'autre chose. Tout va mieux entre nous maintenant.

- Voilà qui répond à ma question.

Là-dessus, ils échangèrent un dernier regard silencieux, suivi d'un sourire léger, mais complice. On aurait dit que ce petit moment de partage avait changé quelque chose entre les deux sorciers. En effet, l'atmosphère semblait différente, et si d'ordinaire, Severus aurait jugé préférable de se retrancher dans son propre monde, il se trouvait désormais incapable de suivre ses propres habitudes. L'ancien maître des potions n'arrivait tout simplement pas à se détourner du sourire qu'il avait devant lui, et il n'avait aucune envie de se distancer de cette présence réconfortante. Jamais il n'aurait pensé réagir ainsi devant quelqu'un.. Et encore moins devant Hermione Granger.

- Merci de m'avoir écoutée, Severus, lui dit-elle en se levant, tandis que Pattenrond traversait la pièce en mâchonnant ce qui semblait être un bouchon de bièraubeurre.

- Non, c'est plutôt moi qui devrais vous remercier.

- Pourquoi donc ?

- Pour m'avoir jugé digne de confiance, répondit-il en se levant à son tour.

Hermione le considéra longuement, l'esprit ailleurs. Severus Rogue la dépassait aisément d'une vingtaine de centimètres, mais il ne l'intimidait plus comme dans le temps. Au contraire, elle se sentait en sécurité avec lui, ce qui était assez étrange étant donné qu'elle était censée veiller sur lui, et non l'inverse. Avec un tel don en matière de légilimancie, il lui aurait suffi d'un seul regard pour tout connaître d'elle, mais ce dernier avait préféré échanger en sa compagnie. Il s'était intéressé à elle et lui avait apporté son soutien.. Tel l'ami qu'il avait fini par devenir en quelques semaines.

- Je ne vous savais pas aussi curieux, Severus, le taquina-t-elle alors.

- Curieux ? Non, c'est juste que..

- Oui ?

Un peu plus loin, Pattenrond semblait avoir délaissé son dernier jouet pour se consacrer à l'étude de leur conversation. Il ne comprenait pas pourquoi son nouveau colocataire avait l'air embarrassé, ni pourquoi sa propriétaire attendait sa réponse avec une certaine impatience. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il commençait à avoir faim.

- Vous méritez quelqu'un qui vous rendra heureuse, c'est tout.

La jeune femme se sentit rougir en entendant ces quelques mots, mais elle n'eut même pas le temps de formuler une réponse. En effet, quelqu'un venait de toquer à la porte.

- Hermione ! Tu es là ? s'exclama une voix masculine qu'elle connaissait très bien.

- On passait dans le coin et on s'est dit que nous allions te rendre une petite visite !

« Par le caleçon de Merlin » pensa aussitôt la propriétaire des lieux. « Harry et Ron n'auraient pas pu choisir un pire moment pour passer à l'improviste.. »