Bonjour à tous

Et nous voilà enfin arrivés à la fin de cette fic, même si ce n'est pas encore la fin de l'histoire.

Malgré mes difficultés, j'ai beaucoup aimé écrire ce PoV et j'espère que vous avez apprécié d'en savoir un peu plus sur ce qu'il se passe dans la tête de notre Bucky chéri. Encore une fois, ce chapitre est une monstruosité à lire, mais j'ai encore butté sur les mêmes problèmes.

Encore des centaines de milliers de millions de milliards de mercis pour vos lectures, vos favs et vos reviews. On se revoit bientôt pour la suite !

Et un grand merci à Lou pour avoir bêta ce monstre.

Bonne lecture.


Le trajet entre la pièce dans laquelle ils avaient passé les dernières vingt-quatre heures et leur nouveau logement fut difficile.

Tout d'abord il dut lutter, avec l'aide de Steve, contre une crise de panique. Il n'avait pas vu l'ascenseur, mais la simple idée d'être enfermé dans une pièce de moins d'un mètre carré avait été trop difficile à supporter. Ça ressemblait beaucoup trop au caisson cryogénique.

Puis la longue marche, avec deux hommes armés dans son dos, avait fini de saper ses réserves. Il s'était mis en auto-pilote, accroché au poignet de Steve, confiant que ce dernier l'emmènerai à bon port.

Ce ne fut qu'une fois enfermé dans leur nouvel appartement qu'il le lâcha.

Pendant que Blair expliquait à Steve les raisons derrière ce type de logement, il commença à contrôler les lieux.

Il fut soulagé de voir qu'il n'y avait aucune fenêtre dans la pièce principale. Il se dirigea vers les trois portes au fond.

La première donnait sur une chambre, sans ouverture vers l'extérieur elle aussi. Il ouvrit tous les placards et tiroirs. Il regarda sous le lit et cogna sur les murs à la recherche d'une cavité cachée. Quand il ne trouva rien, il sortit de la pièce et ouvrit la seconde porte.

C'était une salle de bain, avec une baignoire et une cabine de douche. Toujours pas de fenêtre, même s'il y avait une bouche d'aération visible au plafond. Il s'en approcha afin de l'étudier plus en détail. Elle était bien trop petite pour que quiconque puisse y passer, mais il ignorait la taille des conduits à l'intérieur du plafond. Si quelqu'un arrivait jusqu'ici, il pourrait facilement envoyer un gaz et les asphyxier. Il nota dans un coin de son esprit de poser la question à Blair.

La troisième porte menait sur une autre chambre, identique à la première. Il la contrôla de la même manière, puis retourna dans la pièce principale. Il mènerait une fouille plus approfondie plus tard, quand ils seraient à nouveau seuls.

Steve et Blair étaient toujours en train de discuter et il se dirigea vers la cuisine. Il attrapa une des pommes sur le comptoir et l'essuya consciencieusement. Il l'approcha de son visage - pas empoisonnée - et croqua dedans. Il vérifia les placards, le frigo, le four, les murs puis le coin salon avant de se planter devant Blair.

Il avait besoin de réponses et il les voulait maintenant. Ça ne servait à rien de tergiverser. S'il ne jugeait pas cet endroit assez sécurisé, ils n'y resteraient pas.

"Moi, j'ai des questions."

"Allez-y."

"Où sont les micros et les caméras ?"

"Il n'y en a pas. Nous n'avons pas pour habitude d'espionner nos hôtes."

Il plissa les yeux. Mais bien sûr. Un endroit comme ça, dirigé par une organisation gouvernementale secrète. Il le prenait pour un idiot ? Enfin, il pouvait lui mentir autant qu'il voulait, il trouverait les équipements de surveillance bien assez facilement tout seul.

Il changea de sujet. Il devait savoir qui pouvait entrer ici. Et comment en sortir rapidement, en cas d'urgence. Ou s'ils avaient besoin de disparaître sans laisser de trace. Mais il devait parler à Steve avant.

Blair ne lui fournit aucune réponse satisfaisante mais lui promit de lui apporter les plans de cette partie du complexe. Il pouvait attendre quelques temps.

Il retourna dans la cuisine. On lui avait enlevé toutes ses armes quand on l'avait enfermé et il espérait trouver de quoi se défendre - et plus important, défendre Steve - dans les tiroirs.

Il avait déjà récupéré un peu de fil, du genre dont on se sert pour fermer des paquets, dans la chambre. Il n'était pas aussi solide que le garrot qui faisait partie de son équipement de base, mais ça suffirait pour étrangler quelqu'un.

Il fut surpris de voir que la cuisine était équipée d'une multitude de couteaux. Soit les gens qui dirigeaient cet endroit avaient dit vrai, ils le protégeraient, soit ils étaient des idiots. C'était peut-être un peu des deux. Ils lui avaient laissé de quoi perpétrer un véritable massacre avec le contenu de ces tiroirs.

Il était en train de vérifier chaque lame, leur tranchant, leur poids, leur balance lorsque Steve revint, enfin seul.

Ce dernier l'observa quelques instants avant de parler.

"Je me suis demandé plusieurs fois d'où venait ta nouvelle passion pour les couteaux."

Il n'avait pas de passion pour les couteaux, c'était le soldat qui les appréciait. Mais il en connaissait tous les avantages. Il les déclama, comme ses leçons lorsqu'il était écolier :

"Silencieux. Efficace. Jamais à court de munition. Plus facile à cacher qu'une arme à feu. Disponible dans n'importe quelle cuisine. Permet aussi bien de tuer qu'affaiblir. Bon moyen de torture."

Il leva les yeux vers son interlocuteur quand celui-ci prit une brusque inspiration. Faisait-il une crise d'asthme ? Et pourquoi est-ce que c'était la première idée qui lui était venue à l'esprit ?

Mais Steve avait l'air d'aller bien, juste surpris. Bucky fouilla à travers leur lien et découvrit ce qui l'avait fait réagir. Il déposa précipitamment le couteau qu'il était en train d'étudier sur le comptoir et partit s'enfermer dans la chambre de gauche.

Il claqua la porte derrière lui espérant que le message serait assez clair. Il voulait être seul. Il refusait de voir cette étincelle de dégoût qu'il était certain de trouver dans les yeux de Steve.

Il ne se faisait pas d'illusion, ce dernier avait lu une partie du dossier du soldat de l'hiver, il savait les atrocités qu'il avait commises. Pire. Il avait vu ce dont il était capable dans le parc.

Mais en quelque sorte, tous ces événements avaient eu lieu avant. Avant qu'ils ne se retrouvent, avant qu'il ne récupère un peu plus de lui. Avant. Comme si cette journée et cette nuit passées ensemble dans cette cellule formaient une frontière étanche entre deux parties de sa vie.

Et maintenant, il avait tout gâché en rappelant à Steve qu'il était un assassin. Un criminel. Un tortionnaire. Un monstre.

Il tournait comme un lion en cage lorsque la porte se rouvrit. Le message n'était donc pas passé. Ou il avait été ignoré. Tout compte fait, sachant ce qu'il savait désormais, cette raison était plus probable.

Steve ne semblait pas dégoûté ou en colère, mais il était anormalement sérieux quand il parla. Il ne chercha pas à l'absoudre, c'était impossible, pas avec tous les ordres qu'il avait exécutés sans sourciller. Il lui rappela juste un fait que Bucky avait oublié tant il avait placé l'autre homme sur un piédestal : Steve était lui aussi un soldat, il s'était sali les mains - continuait à se salir les mains - lorsque c'était nécessaire.

Il se rendit compte qu'il avait certainement surréagi. Mais pour sa défense, il était toujours persuadé que Steve allait se rendre compte d'une minute à l'autre qu'il était un monstre. Qu'il verrait qu'il n'y avait rien à tirer de lui, que c'était trop tard, bien trop tard. Et qu'à ce moment là, il partirait.

Jusqu'à ce que ce jour arrive, tout ce que Bucky pouvait faire, c'était profiter au maximum. Il suivit Steve dans la cuisine où ils commencèrent à préparer leur repas. Il n'avait rien mangé depuis l'avant-veille et il finit la moitié de son assiette avant que son estomac ne proteste.

Il n'arrivait toujours pas à manger en grandes quantités, pas assez pour faire disparaître cette sensation qui ne le quittait jamais. Cette sensation qu'il avait mis plusieurs semaines à reconnaître comme étant de la faim. Comment avait-il pu oublier ça ? Que lui avait-on fait pour qu'il en arrive à complètement ignorer les signaux de son propre corps ?

Il repoussa son assiette. Il n'avait plus faim. Ça ne servirait à rien de forcer. Il savait ce qu'il arrivait quand il forçait. Il reconnaissait déjà les signes avant coureur, les sueurs froides, la nausée.

Il ne voulait pas gâcher ce moment en vomissant ce qu'il venait de manger. Steve lui avait proposé une soirée télé et l'idée de passer un temps au calme, sans rien d'autre à faire que de regarder l'écran, lui faisait envie.

Steve commença à somnoler à la fin du second film. Ils étaient assis tout deux l'un à côté de l'autre et sa tête roula jusqu'à se poser à moitié sur le dossier, à moitié sur l'épaule de Bucky. Ce dernier profita du contact pendant les dix minutes où son ami resta assoupi.

Le troisième film, une histoire à propos d'une adorable bestiole qu'il ne fallait ni mouiller, ni nourrir après minuit, était à peine commencé quand le Steve se rendormit une seconde fois.

Il se réveilla en sursaut lorsque la peluche à la télévision se mit à crier. La voix encore emplie de sommeil, il croassa :

"Qu'est-ce…"

Avant de se rendre compte d'où il était et de s'avachir à nouveau sur les coussins. Bucky le poussa gentiment :

"Va donc te coucher."

"Mmh mmh. Non. Je reste avec toi."

Il se réinstallèrent et moins de cinq minutes plus tard, Steve dormait, la tête complètement en arrière. Ce ne fut que lorsqu'il se mit à ronfler que Bucky le réveilla d'un coup de coude dans les côtes.

Il refusa pourtant d'aller se coucher. La fois suivante également. Et la fois d'après.

Bucky hésita sur la suite à donner. Il savait que leur lien fonctionnait dans les deux sens, qu'ils avaient autant besoin l'un que l'autre de rester physiquement proche. Mais ce n'était pas parce qu'il était incapable d'aller dormir qu'il devait garder Steve éveillé toute la nuit. Ce dernier était épuisé, il avait besoin de se reposer au calme dans un lit et pas installé n'importe comment sur un canapé.

Quand pour la cinquième fois des ronflements se mirent à couvrir le son de la télévision, Bucky en eut assez. Il se leva, réveillant l'homme endormi à ses côtés par la même occasion.

"Maintenant, tu vas te coucher."

La voix de Steve était pâteuse et ses yeux étaient déjà à moitié refermés quand il répondit :

"Ça va, c'était juste une petite sieste. Je reste avec toi."

"Non, tu vas te coucher. J'entends pas le film avec toi qui ronfles et je sais à quel point tu es désagréable quand tu n'as pas dormi un minimum. Je ne veux pas avoir à supporter ta mauvaise humeur demain."

Le sourire de Steve était lumineux. il n'y avait pas d'autre mot pour décrire la manière dont tout son visage s'éclaira.

"Tu te souviens de ça ?"

"Malheureusement oui. Va. Au. Lit. Maintenant."

Steve fit la moue mais se leva. Il se tourna vers lui, la télécommande à la main.

"Tu vas te coucher aussi ?"

Il savait que jamais il ne parviendrait à s'endormir. Jamais son esprit ne lui permettrait d'atteindre le calme nécessaire. Mais il savait également que Steve traînerait avec lui jusqu'au petit matin s'il restait dans le salon. Il se dirigea vers la porte de gauche.

Il lança un "bonne nuit, Steve." qui lui valut un nouveau sourire avant de refermer sa chambre. Il entendit Steve se déshabiller et se coucher. Il sentit à travers leur lien quand ce dernier s'endormit, à peine une minute après s'être recouché.

Il aurait voulu faire de même, mais c'était une cause perdue. Il sentait la fatigue s'accumuler, l'écraser, pourtant il était incapable de laisser le sommeil l'emporter. Malgré toute la logique employée – il y avait une seule entrée, de l'autre côté de l'appartement, il aurait le temps de réagir si quelqu'un entrait – son cerveau refusait de se laisser convaincre. Cet endroit lui était inconnu et il n'était pas sécurisé, point barre.

Il ne pouvait pas risquer Steve.

Et le soldat profita de son épuisement pour lui énumérer toutes les façons dont lui serait rentré, toutes les failles, toutes les manières plus horribles les unes que les autres dont il les aurait attaqué, enlevé, séquestré, torturé, tué.

Après deux heures de scénarios catastrophes, le besoin d'être avec Steve, de le toucher était tout ce à quoi Bucky arrivait à penser.

Il se releva et se glissa sans bruit dans l'autre chambre. Son occupant se réveilla brièvement quand il posa un genoux sur le matelas. Une interrogation traversa leur lien 'Tout va bien, Buck ?' et il se tourna sur le flanc, lui présentant son dos. Bucky s'installa contre lui et passa son bras autour de sa taille.

Moins de trente secondes plus tard, Steve dormait à nouveau.

Bucky posa son front contre sa nuque. La chaleur que Steve dégageait finit de détendre ses muscles et l'odeur de sa peau le ramena des décennies en arrière, avant le soldat et les meurtres et la torture et la peur. À une époque où il pensait que le pire qui pouvait lui arriver était de mourir au front.

Il s'endormit contre son ami pour la première fois en soixante-dix ans.

ooOoo

Avec les semaines qui passaient, Bucky se rendit compte qu'il n'arrivait à dormir que comme ça. Ce qu'il avait pensé être un passage, un moyen de calmer ses nerfs après un moment éprouvant, était en fait beaucoup plus profond que ça.

Il voulait - non, il devait - être en contact avec Steve pour s'endormir, sinon il tournait et tournait et tournait jusqu'à ce que le manque de sommeil lui fasse perdre pied avec la réalité.

Mais il aurait pu vivre ainsi, s'il n'y avait eu que ça. Le problème était qu'il en avait besoin pour tout. Pour manger. Pour regarder la télé. Pour supporter la présence d'autres personnes, même Blair et Jim, surtout Jim d'ailleurs.

Il en avait besoin pour se souvenir. Pour ne plus se souvenir. Pour s'apaiser, mais une fois qu'il était certain qu'il ne ferait pas de mal à personne.

Il en avait eu besoin quand Steve lui avait proposé qu'ils s'entraînent l'un contre l'autre.

Il en avait eu besoin quand Steve avait ouvert une orange devant lui et que l'odeur l'avait ramené dans sa première cellule. Avec ce garde chargé de le gaver, à ces doigts qui ne perdaient jamais le goût des agrumes, enfoncés dans sa bouche, à y plonger un tuyau.

Il en avait eu besoin quand il entendit Hotel California la première fois et se rappela de cette jeune femme avec les cheveux constellés de fleurs, un enfant de moins de deux ans dans les bras et un second déjà en route, en train de danser et chanter, heureuse. Ses yeux sans vie une minute plus tard. Les hurlements de l'enfant. Le soldat qui avait voulu le faire taire. Ce qu'il restait de la conscience de Bucky qui l'avait combattu. Leur départ, laissant l'enfant sauf.

Les suivants n'avaient pas eu cette chance.

Il en avait eu besoin quand cet homme en blouse blanche était entré dans leur appartement. Et que la terreur qui le submergea fut telle qu'il ne put qu'aller se réfugier dans sa chambre, dans le noir. Il ne pouvait pas. C'était trop. Trop de souvenirs, de douleurs, de peur, d'horreur, trop de tout.

Il en avait eu besoin pour tellement de choses qu'il en avait perdu le compte et qu'il se demandait si tout ça en valait la peine. S'il ne serait pas plus simple d'abandonner.

Il n'en pouvait plus. Mais au milieu de tout ça, il y avait une chose qui lui permettait de tenir. Steve avait le même besoin. Moins envahissant, moins exigeant, mois dévorant, mais tout aussi essentiel.

Il percevait son inquiétude constante, sa frustration de ne pas pouvoir mieux l'aider, sa honte quand il déclenchait une crise. Comme si c'était sa faute si l'esprit de Bucky était un véritable champ de mines.

Alors il tenait bon. Il arrivait même parfois à se comporter comme un être humain normal. Regarder la télé, il adorait regarder la télé, surtout des films. Discuter avec Steve. Jouer aux cartes. Lire.

Il donnait parfois tellement bien le change qu'ils avaient décidé qu'il rencontrerait Jim. Seul. Qu'il se séparerait de de Steve.

Il connaissait Jim. Il le voyait souvent, en compagnie de Blair. Dans un environnement qu'il maîtrisait. Et personne ne lui disait jamais rien quand il avait besoin de s'isoler, d'aller dans sa chambre. Ils étaient même allé chez eux à deux reprises et tout s'était bien passé.

Ça ne voulait pourtant pas dire qu'il était prêt. Ni même qu'il le souhaitait. Vivre en autarcie avec Steve lui suffisait.

Malheureusement ce n'était pas le cas de ce dernier. Il avait besoin de voir d'autres personnes que Bucky, mais il avait refusé jusqu'à maintenant de le laisser seul. Ils avaient donc trouvé un équilibre, comme toujours, entre leurs envies respectives.

Blair et Jim leur venaient manger régulièrement chez eux et ils passaient la soirée à discuter. Ces moments leur permirent d'apprendre plein de choses, sur leur lien, sur les guides, les sentinelles. Si Bucky ne l'avait pas vécu lui-même, il n'aurait jamais cru la moitié de ce qu'ils racontaient.

Mais il devait bien se rendre à l'évidence, ce que vivaient Jim et Blair était identique à ce qu'il partageait avec Steve. Enfin presque. Lui n'embrassait pas son guide quand il le retrouvait après une séparation. D'un autre côté, ils ne se séparaient jamais. Mais il était certain qu'il ne l'avait jamais fait. Alors qu'il savait que le Bucky d'avant en avait eu envie. Souvent.

Et pourtant malgré tout ça, Bucky refusait de voir Jim seul.

Il refusait d'être séparé de Steve et ça avait provoqué leur première dispute. Enfin, presque dispute. Parce qu'il savait qu'il ne devait jamais se mettre en colère. Surtout pas contre Steve. La colère amenait le soldat et le soldat voulait tuer et blesser. Il s'était donc réfugié dans sa chambre en claquant la porte derrière lui plutôt que de laisser leur conversation s'envenimer.

Il comprenait. Vraiment. La partie de son cerveau qui faisait autre chose que surréagir savait que Steve ne risquait rien, qu'il serait à quelques centaines de mètres seulement, en sécurité. Et Jim voulait lui parler, seul à seul. Et puis il était évident que Blair avait des choses importantes à dire lui aussi. Des choses privées.

Mais la majorité de son esprit, celle où avait habité la lumière - Steve - toutes ces décennies, refusait d'être loin de lui. Mais il avait fini par maîtriser cette part de lui, lui faire entendre raison. Pas pour lui, jamais pour lui, mais pour Steve. Parce qu'il lui avait demandé, parce qu'il en avait besoin.

Et c'était la raison pour laquelle Jim était actuellement assis dans leur salon. Il lui servit une bière et se fit couler un café. Il ignorait s'il le boirait, mais son odeur calmait ses nerfs.

Il n'attendit même pas d'être installé à son tour avant de lancer :

"Je ne vois pas pourquoi vous avez insisté pour nous voir séparément. Nous ne nous cachons rien, Steve et moi."

Jim s'installa avec sa bière et le regarda droit dans les yeux. Il n'avait pas peur de lui, il avait été très clair sur le sujet dès leur première rencontre. Et pourtant il le devrait. Le soldat n'avait aucune doute qu'ils pourraient le tuer s'ils le décidaient, sentinelle ou pas, mais comme l'avait dit Blair quand Bucky en avait fait la remarque : encore faudrait-il qu'il le veuille.

La confiance que tous lui portaient l'inquiétait autant qu'elle le réjouissait. Il s'était promis de faire de son mieux pour ne pas la briser.

Mais la manière dont Jim l'observait sans un mot mettait sa décision à lourde épreuve. Il détestait lorsqu'il faisait ça, quand il le regardait comme s'il savait quelque chose que Bucky ignorait. Il brisa le silence avec une autre question :

"Qu'est-ce que vous vouliez me dire ?"

Son interlocuteur prit son temps avant de répondre :

"Êtes-vous certain de ne rien cacher à Steve ?"

Cette question le mit encore plus sur la défensive. Il croisa les bras sur sa poitrine et fixa Jim. Ce dernier reprit, le plus calmement du monde.

"Blair est un des guides les plus puissants que je connaisse. Et j'en ai croisé un grand nombre. Il n'est pas le directeur de ce centre pour rien."

"Et ?"

Jim continua à le regarder de cette façon qu'il détestait. Le calme que l'autre homme semblait porter comme une seconde peau lui tapait sur le système.

"Et donc il est capable, sans le vouloir, de détecter les sentiments des gens qu'il côtoie."

Bucky n'aimait pas du tout la direction dans laquelle cette discussion se dirigeait.

"J'ai déjà demandé plusieurs fois à Blair de ne pas jouer avec mes émotions. Tout comme je lui ai dis que je n'appréciais pas qu'il entre dans mon crâne."

"Il n'en a pas besoin. Pas avec la manière dont vous projetez vos sentiments."

Bucky serra les dents et grinça :

"C'est de ça qu'il voulait parler à Steve ?"

"Absolument pas. Ce n'est pas à nous de dévoiler ce genre de chose. Et puis Blair avait d'autres sujets à aborder avec lui. La raison pour laquelle nous avons insisté afin de vous voir séparément est que je voulais vous parler. À vous seul. Il y a des choses que vous avez besoin de savoir au sujet des sentinelles. Des choses sur lesquelles nous pensons que vous devriez réfléchir sans que votre guide ne soit au courant."

"Je ne cache rien à Steve."

"Nous savons tous les deux que ce n'est pas vrai. Je pensais que nous étions d'accord sur ce point et que nous n'aurions pas besoin de revenir dessus."

Bucky releva le menton. Il insista :

"Je ne lui cache pas. C'est juste que Steve est un idiot."

La remarque arracha un sourire à l'homme habituellement si stoïque.

"Je dois avouer que vous marquez un point. Mais pour en revenir à notre sujet, vous savez ce que Blair et moi pensons de la manière dont vous gérez votre connexion. Je vais encore le répéter, mais ce n'est pas sain, vous devez parfois l'interrompre."

Jim leva la main quand Bucky ouvrit la bouche pour protester.

« Non, laissez moi finir. Vous devez rester deux personnes distinctes. Je sais que ce n'est pas évident. Ça ne l'est jamais, pour aucun sentinelle. Je pense qu'avec votre histoire et votre situation, ce doit être encore pire. Mais il faut combattre ce besoin d'être constamment près de votre guide, de toujours vouloir savoir où il est, ce qu'il fait, ce qu'il ressent. Les guides sont protégés par leur empathie, mais il est parfois très difficile pour les sentinelles de faire la différence entre le lien et ce qu'ils ressentent vraiment."

Bucky fronça des sourcils. Il n'aimait pas la direction dans laquelle cette discussion allait. Il avait tout construit sur cette connexion. Tout ce qu'il était maintenant reposait sur ces fondations. Qu'est-ce qu'il lui resterait si on lui enlevait ? Est-ce qu'il redeviendrait cette personne à la merci du soldat, incapable de côtoyer qui que ce soit ?

C'est la gorge nouée qu'il demanda :

"Vous voulez dire que ce je ressens n'est pas réel ?"

Il fit de son mieux pour ne pas paniquer. Steve le sentirait et arriverait en courant s'il percevait sa détresse. Et Bucky avait besoin de la réponse à sa question. C'était trop important. Jim, même s'il n'était pas un guide, remarqua immédiatement son angoisse et s'empressa de le rassurer :

"Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai juste dit qu'il y avait une possibilité que vous confondiez ce qui forme vos véritables sentiments avec ceux nés de votre lien. Ce dernier a une volonté propre. Il fera tout ce qu'il peut pour s'assurer que vous resterez près de votre guide. Même jouer sur vos pensées, vos émotions."

Il ne voulait pas que l'on altère son esprit, ce qu'il ressentait. Trop de personnes l'avaient déjà fait. S'imaginer que sa connexion avec Steve, ce point central dans sa vie puisse le tromper, comme tous ceux qu'il avait croisé ces dernières décennies, le fit perdre le peu de calme qui lui restait.

Il sentait la panique monter. La colère aussi. Ce n'était pas possible. Jim devait se tromper. Il devait y avoir une autre raison. Un moyen d'être sûr que toute sa vie ne reposait pas sur un mensonge.

"Comment je sais ? Comment je fais la différence ?"

"Il vous suffit de localiser l'endroit d'où provient chacun de vos sentiments. Vos vraies émotions naissent dans votre poitrine alors que le lien sentinelle-guide se trouve dans le thalamus. C'est grâce à ça que c'est si simple pour lui de commander vos pensées et réactions. Il est au centre de votre cerveau."

Après une pause et une gorgée de bière, Jim reprit ses explications.

"Mais ça reste des pensées, que vous pouvez contrôler, au contraire de ce que vous ressentez. La véritable difficulté ici découle de votre propre histoire, de ce que ces gens ont fait à votre esprit, à vos souvenirs, mais je suis certain que vous parviendrez à faire la différence. Ce serait plus simple si vous coupiez votre connexion de temps en temps. Que vous puissiez vous concentrer uniquement sur vos propres pensées, vos propres émotions. Vous n'avez aucune chance de les détecter, si vous êtes constamment submergés par le lien et les sentiments de Steve. "

Il poussa un soupir légèrement frustré :

"Blair vous expliquerait tout ça beaucoup mieux que moi. Il serait également plus convainquant. Je me bats à chaque instant contre l'envie de vivre comme vous deux. "

Savoir qu'il avait un moyen de faire la différence, de contrôler si ce qu'il ressentait était réel ou pas permit à Bucky de se calmer. Un peu.

Jim lui laissa tout le temps nécessaire afin de digérer ce long discours. Il sirota la fin de sa bière. Il devait avoir soif, Bucky ne l'avait jamais entendu parler autant.

"Vous devez avoir la gorge sèche après ce petit discours."

Le rire de Jim les surprit tous les deux.

"Steve nous avait dit que tu avais le sens de l'humour, content de voir que tu te sens assez à l'aise pour nous le montrer."

Bucky baissa la tête.

"Je sais tout ce que je vous dois. Je suis désolé de ne pas vous prouver ma reconnaissance comme je le devrais."

Le ton de Jim était redevenu sérieux :

"Vous n'avez pas à le faire. Je ne peux qu'imaginer ce que vous avez traversé. Blair refuse de me dire ce qu'il reçoit de votre part, mais je le connais, mieux que moi-même. Rien que l'écho de vos sentiments arrive à le secouer parfois. Et il a travaillé avec de nombreux vétérans. Il a vu et ressenti son lot de traumatismes. Je n'ose imaginer ce que ça doit être pour vous qui n'avez pas de filtre pour adoucir leur violence. Alors ne vous excusez pas. C'est déjà un miracle en soi que vous parveniez à fonctionner comme vous le faites. Aucun de nous n'aurait misé dessus lorsque vous êtes arrivés."

Bucky ne savait pas quoi répondre. Il avait besoin de temps pour digérer toutes ces nouvelles informations. Ils restèrent donc silencieux jusqu'à ce que l'heure prévue soit passée. Il prit congé de son hôte et le raccompagna à la porte.

Steve arriva une minute plus tard. Il bouillait d'envie de lui poser des questions, de connaître le contenu de leurs discussions, mais il resta silencieux. Bucky n'avait pas encore décidé s'il voulait lui parler de la conversation qu'il avait eu avec Jim.

Il passa le reste de l'après-midi, ainsi que le repas, à ressasser toujours les mêmes pensées : quelle part de sa relation avec Steve était authentique ? Étaient-ils devenus amis à cause de leur lien ou tout simplement parce qu'ils s'appréciaient ? Et puis, il y avait ce sentiment, celui qu'il refusait de nommer, celui que l'ancien Bucky avait toujours ressenti mais avait gardé secret.

Ce que Jim lui avait appris le faisait douter de tout ce qu'il était. Il se rendit compte à ce moment d'à quel point il était dépendant de Steve. Et pour la première fois depuis qu'il avait récupéré une volonté propre, ça le dérangeait. Il avait, avant la guerre, avant Hydra, assez de lui, assez de souvenirs, assez d'envies, assez d'opinions pour exister en tant qu'individu, mais ce n'était plus le cas.

L'inquiétude et la curiosité de Steve augmentaient au fur et à mesure que la soirée avançait. Mais il ne disait rien. Il ne fouillait pas leur connexion. Il ne cherchait pas à savoir. Il attendait juste que Bucky soit prêt à lui en parler. S'il était prêt un jour. Parce qu'il ferait toujours passer les besoins de son sentinelle avant les siens.

Steve ne lui mentirait pas. Il ne l'avait jamais fait. Il lui dirait la vérité, quelle qu'elle soit. Même si elle faisait mal. Et lui n'avait pas perdu la mémoire. Il parlait peu de leurs souvenirs communs, un conseil que leur avait donné le psychiatre qui suivait Bucky. Il les avait prévenu, qu'avec l'état actuel de son cerveau, il pourrait se créer de faux souvenirs afin d'en combler les vides.

Mais à cet instant, il avait besoin de quelque chose à se raccrocher.

"Tu crois que c'est notre lien qui nous a rendu ami ?"

Seuls les réflexes améliorés de Steve lui permirent de rattraper l'assiette qu'il lavait avant qu'elle ne s'écrase par terre. Il se tourna vivement vers lui. Il était surpris et un peu effrayé :

"Quoi ? Non ! Bien sûr que non Buck ! Tu étais mon ami bien avant que notre lien ne se forme."

Il le savait. Il l'avait lu au Smithsonian. Et Steve lui avait déjà dit. Mais l'entendre lui répéter le soulagea. Un peu. Ce n'était pas suffisant. Les trous dans sa mémoire, dans ses souvenirs lui pesaient de plus en plus. Il murmura :

"Je ne m'en souviens pas. J'ai ces bribes dans le cerveau, comme des impressions ou des photos à moitié effacées. Mais les choses les plus claires sont identiques à que je ressens actuellement : le besoin de te protéger, la confiance… Je n'ai pas d'histoire à laquelle les raccrocher."

Maintenant Steve était inquiet. Et triste. Et un peu en colère.

Il s'essuya les mains et Bucky se laissa entraîner sur leur canapé. Il s'installa sur les coussins, le dos contre l'accoudoir. Il écarta les jambes afin que Steve ai la place de s'y asseoir.

Cette position lui était doublement familière. Elle faisait partie de ses souvenirs d'avant et de ses souvenirs de maintenant. Elle les calmait tous les deux et ils avaient pris l'habitude d'avoir toutes leurs discussions potentiellement difficiles installés ainsi.

Steve était toujours un peu contrarié et ça se ressentait dans sa première question :

"C'est ce que Jim t'a dit qui t'a fait croire que sans notre connexion nous ne serions pas ami ?"

Bucky aurait préféré garder secrète leur discussion mais il devait expliquer certaines choses s'il voulait rassurer son guide. Il se limita à lui répéter ce que Jim lui avait appris sur les effets du lien sur certains sentinelles. Il tut tout le reste.

L'homme entre ses jambes bougea légèrement. Il posa l'arrière de son crâne dans le creux de l'épaule de Bucky. Ce dernier garda ses deux mains sur ses genoux. Il les serra fermement lorsque l'envie de les placer sur l'abdomen de Steve se fit plus forte. Il devait résister. Il ne devait pas encore plus compliquer la situation.

Il se concentra à nouveau sur leur conversation.

"Je ne sais pas quoi te dire à ce sujet. Mais je peux te promettre que nous étions ami avant notre lien. J'ai des tonnes d'histoires et d'anecdotes pour le prouver. Tu veux que je te les raconte ?"

C'était la première fois qu'il lui proposait si ouvertement et Bucky fut incapable de refuser.

Steve se laissa glisser un peu sur les coussins. Il s'installa confortablement et commença à parler.

Il lui raconta leur première rencontre, dans un parc. Comment Steve était tombé et que Bucky était venu l'aider.

Il lui raconta leurs goûters, assis l'un contre l'autre, pratiquement sur la même chaise. Le goût des cakes de Sara et des tartes de Winnifred.

Il lui raconta leurs forts de coussins dans le salon. Les cris de Bucky quand sa petite sœur arrivait et détruisait l'équilibre précaire qu'ils avaient réussi à obtenir.

Il lui raconta des dizaines d'histoires de cours de récréation, comment Bucky s'était battu à plusieurs reprises contre le grand Willis parce que Steve était incapable de fermer sa grande bouche.

Il lui raconta comment Bucky volait des crayons pour lui.

Il lui raconta comment ils entraient en douce dans le stade pour voir des matchs de base-ball.

Il lui raconta quand ses sens s'étaient éveillés. La peur, l'incompréhension.

Il lui raconta comment il avait failli mourir. Comment à son réveil, ils arrivaient à ressentir les sentiments de l'autre.

Il lui raconta les courses dans les rues de Brooklyn, les moments sur les toits, les discussions sur l'escalier de secours, la brise provenant de l'océan apportant avec elle la puanteur des docks.

Et pendant que Steve parlait, Bucky essayait de se rappeler. Certaines anecdotes le firent rire, d'autre le mirent en colère. Et quelques-unes, trois ou quatre seulement, se transformèrent en vrais souvenirs.

La voix de Steve devenait de plus en plus rauque. Les mots sortaient de plus en plus lentement. Et le rythme de sa voix calma Bucky au point qu'il s'endormit.

ooOoo

Les jours suivant se passèrent sans problème, mais plus son rendez-vous avec le psy envoyé par le SHIELD approchait, plus Bucky était tendu.

Sa discussion avec Steve, ainsi que les quelques souvenirs qu'il avait récupérés depuis, l'aidaient à trouver un équilibre, mais il savait qu'il était encore instable. Il le serait probablement toute sa vie. Et les résultats de ce bilan étaient importants. Sans l'accord du SHIELD, il ne pourrait pas quitter le complexe où ils logeaient actuellement.

S'il n'y avait eu que lui, ça ne lui aurait posé aucun problème. Ils étaient en sécurité ici. Et il avait planifié et préparé plusieurs scénarios de fuite si ça n'était plus le cas dans le futur.

Mais Steve voulait partir. Il était évident qu'il en avait assez de rester enfermé. Tout comme il était clair qu'il ne partirait qu'avec son guide.

Et ce que voulait Steve était plus important que tout.

Tant pis si ça signifiait que Bucky soit obligé de doive parler avec un médecin.

Soit obligé de répondre à ses questions alors qu'il ne le voulait pas.

Soit obligé de laisser un inconnu entrer dans le seul endroit où il se sentait en sécurité depuis qu'il était tombé de ce train.

Soit obligé de le laisser juger de sa santé mentale.

Il ne devait pas échouer. Il devait convaincre ce type qu'il était capable de vivre sans être un danger pour les autres. Lui cacher qu'il avait un monstre en lui, qu'il était un monstre. Parce que, s'il s'en rendait compte, il l'enfermerait pour toujours, loin de Steve. Et ce n'était pas envisageable.

Toutes ces pensées tournaient en boucle dans son cerveau lorsque l'homme passa la porte de leur appartement.

Steve l'accompagna jusqu'au fauteuil qui faisait face à leur canapé. Bucky les y rejoignit quelques secondes plus tard. Dieu merci, l'homme était en costume et rien dans son accoutrement ne le différenciait d'un comptable ou d'un professeur.

Pas de blouse blanche.

Pas de crise de panique.

C'était toujours ça.

Steve quitta assez rapidement leur appartement à la demande du psychiatre et Bucky resta seul avec lui. Ses questions devinrent encore plus personnelles et finirent par saper le peu de contrôle qu'il avait sur lui-même.

Il n'accompagna pas l'homme lorsqu'il le quitta. Il attendit juste que Steve revienne, assis sur le canapé, les bras autour de ses jambes repliées. Il avait pensé qu'il rentrerait immédiatement, mais il dut attendre cinq minutes avant qu'il ne revienne, un immense sourire aux lèvres.

"Sam va venir nous voir vendredi soir."

Ils avaient déjà parlé de Sam. Bucky et le soldat l'avaient presque tué en le jetant du haut d'un héliporteur. Sans compter qu'il était présent dans le parc, quand le soldat avait massacré tous ces mercenaires.

Et maintenant, il allait leur rendre visite. Bucky ne voulait pas le voir. Que disait-on à quelqu'un qu'on avait essayé de tuer deux fois ? Que disait-on quand en plus cette personne était l'ami de l'être le plus important de son univers ?

"Je n'ai pas envie."

Steve ne parut pas du tout surpris par son refus, mais il insista :

"Tu n'as pas à t'inquiéter, Sam est mon ami, il ne te fera jamais de mal. Il pourrait même t'aider. Il travaille au centre des vétérans de Washington, tu sais. Je l'ai déjà vu à l'œuvre là-bas, il est très bon."

Bucky n'avait aucunement envie de parler à nouveau de ses problèmes avec quelqu'un. Encore moins avec un ami de Steve.

Un ami qui était sain d'esprit et pas constamment à deux doigts de craquer et tuer les gens qui l'entouraient.

Un ami avec qui il pouvait sortir, rire, plaisanter.

Un ami qui ne réagissait pas violemment aux plus petites choses. Un ami bien meilleur que lui.

Il s'empressa de cacher la jalousie qui montait en lui.

Son guide le regarda avec une lueur d'inquiétude dans les yeux. Il était toujours un peu blessé lorsque Bucky refermait une partie de leur lien. Ça ne lui plaisait pas plus qu'à lui, mais c'était souvent le seul moyen pour que Steve laisse tomber un sujet.

Encore une fois, ce stratagème fonctionna. Pour cette discussion. Et uniquement celle là.

Durant les quelques jours qui les séparaient de vendredi, il n'y eut pas une seule demie-journée où Steve ne tenta pas de le convaincre qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Qu'il allait l'adorer Sam. Que Sam était formidable. A l'écoute. Courageux. Toujours prêt à faire ce qu'il fallait.

Et à chaque tentative, chaque mot, Bucky le détestait un peu plus.

Il savait pertinemment ce que Steve pensait. Ce qu'il essayait de faire. Il s'imaginait que c'était sa réserve naturelle, sa crainte de rencontrer des gens inconnus, qui était à l'œuvre. Mais le problème était tout autre cette fois.

Il ne voulait pas rencontrer Sam. Spécifiquement.

Parce qu'il avait pris la place de l'ancien Bucky et que la nouvelle version n'avait aucune chance de la récupérer. Il était trop différent, trop cassé. Il avait beau faire tous les efforts du monde, il ne suffirait jamais.

Il aurait dû se réjouir pour Steve. Ce dernier avait besoin d'un ami. Il le méritait plus que n'importe qui d'autre. Mais Bucky n'arrivait pas à calmer la jalousie qui le rongeait à chaque fois que son guide mentionnait Sam.

Il réussit, il ignorait par quel miracle, à cacher tout ça durant toute la semaine mais, quand Steve revint à la charge vendredi après-midi, il craqua au milieu de leur conversation :

"Je ne veux pas que tu me le présentes."

Steve paraissait surpris, autant par le contenu de ses paroles que par le ton qu'il avait employé.

Bucky sentait la colère monter. Il ne voulait pas rencontrer Sam. Il ne voulait pas en parler. Il voulait juste oublier que ce type existait.

Il voulait que tout redevienne comme avant, quand Steve était à lui et rien qu'à lui. Quand les seules choses que son guide ressentait lorsqu'ils discutaient étaient du contentement, un peu d'inquiétude et beaucoup beaucoup d'affection. Il ne voulait plus discerner cette pointe d'exaspération au milieu de l'incompréhension.

"Je ne comprend pas. Qu'est-ce qui se passe Bucky ?"

Et plus que tout, il ne voulait pas avoir à s'expliquer.

Il se comportait comme un idiot et le pire des amis. Comme s'il avait besoin de ça en plus de toute le reste.

Il se leva et se dirigea vers sa chambre. Sa maîtrise sur ses sentiments était plus que partielle à cet instant, il était hors de question de prendre le moindre risque. Il ne se le pardonnerait jamais s'il attaquait Steve.

Mais cet idiot le rattrapa et l'obligea à lui faire face.

"Si vraiment cela te dérange, j'annulerai. Tu sais que je ne ferais rien contre ta volonté. Mais pas sans que tu me dises quel est le problème."

Il savait très exactement quels propos tenir. Sur quelles cordes jouer afin d'obtenir l'effet souhaité. 'La fin justifie les moyens' était un dogme que Hydra lui avait inculqué très tôt. Il n'était pas fier de s'en servir à cet instant, contre Steve, mais c'était le seul moyen qu'il lui restait.

Il baissa volontairement la voix :

"J'ai essayé de le tuer. A plusieurs reprises. Et la dernière fois qu'il m'a vu, je venais de… enfin tu étais là, tu vois ce que je veux dire. Je n'ai pas du faire une bonne impression."

Il s'attendait à ce que Steve le contredise, lui dise que ce n'était pas grave, que les gens ne lui en voulaient pas, que ce n'était pas lui qui avait fait toutes ces choses.

Et il ne s'était pas trompé.

Ce qu'il n'avait pas vu venir par contre, c'est la nouvelle salve de louanges au sujet de Sam et l'effet qu'elle eut sur lui. Sa jalousie et sa colère enflèrent et il se dégagea brusquement. Il entra dans sa chambre et claqua la porte derrière lui.

Il se mit à faire les cent pas dans la pièce et quand il sentit Steve effleurer son esprit à travers leur lien, il lui cria :

"Blair et Jim ont insisté sur le fait que tu ne devais pas utiliser notre connexion pour savoir ce que je refuse de te dire ! Si tu ne veux pas que je te bloque, arrête tout de suite !"

La présence de son guide s'éloigna. Bucky sentit son hésitation. Puis deux secondes plus tard, sa résolution. Sa décision était prise. Ça tombait bien, la sienne aussi.

Il resta tout l'après-midi dans sa chambre. Seul. Sans une seule visite. Sans une seule tentative de réconciliation. Ce n'était pas la première fois qu'ils se disputaient, mais il fallait rarement plus de cinq minutes avant que l'un d'entre eux - très souvent Steve - ne fasse un pas vers l'autre.

Bucky ignorait s'ils s'étaient déjà imposés ce genre de séparation avant la chute, mais elle lui laissait un arrière-goût amer dans sa bouche.

Il savait qu'il était en tort. Qu'il devrait s'excuser, s'expliquer. Mais c'était se rapprocher un peu trop de certaines choses qu'il avait choisi de taire. Il ne parviendrait pas à cacher à Steve la nature de ses sentiments s'il commençait à lui parler de sa jalousie.

Alors il resta enfermé dans sa chambre, plongé dans le noir le plus complet. Il y était toujours, à ressasser les mêmes pensées, lorsqu'il entendit la sonnette de leur appartement.

Steve s'approcha de la porte d'entrée et l'ouvrit. Bucky se concentra sur son ouïe.

Il entendit le bruit de leurs vêtements quand ils se donnèrent une accolade.

"Hey Sam. Je suis content de te voir."

"Pareil. Ça fait bien trop longtemps."

La porte se referma. Les pas se rapprochèrent et sa poitrine se serra quand la joie et le satisfaction s'épanouirent chez Steve.

"Beaucoup trop. Tu as raison. Installe-toi sur le canapé. Tu veux une bière ?"

"Avec plaisir."

Le bruit de pas qui s'éloignent. Le grincement du ressort cassé du sofa. L'ouverture de la porte du frigo. Le choc des bouteilles de bière entre elles. Le décapsuleur. À nouveau des pas, vers l'intérieur de l'appartement cette fois.

Est-ce que Steve s'était assis sur le canapé lui aussi ? Ou bien s'était-il installé sur le fauteuil qui lui fait face ? Malgré toutes ses capacités, Bucky était toujours incapable de voir à travers les murs. C'était extrêmement frustrant.

Ce fut Sam qui reprit la parole.

"Cet endroit est plutôt sympa. Vous êtes bien installés. Mais la sécurité pour vous rejoindre est démente."

Encore heureux. Il était hors de question que n'importe qui puisse se présenter sur le pas de leur porte sans autorisation, double vérification et fouille complète.

"C'est plutôt pas mal en effet. Mais la lumière du jour me manque."

Ces mots lui provoquèrent un pincement au cœur. C'était la première fois que Steve le disait à haute voix, même si Bucky n'avait pas besoin de ça pour le savoir.

"Rien ne t'oblige à rester enfermé."

"Je sais."

Un silence, seulement interrompu par les deux hommes buvant leurs bières et le bruit des bouteilles que l'on repose sur la table. Steve ajouta :

"Je ne peux pas le laisser seul."

"Ne peux pas ? Ou ne veux pas ?"

"Il y a une différence ?"

Steve devait savoir que Bucky les écoutait. Il ne parlait pas spécialement bas mais même si ça avait été le cas, les sens sur-développés du sentinelle lui auraient permis de suivre la conversation. Pourquoi disait-il ces choses à Sam ? Pourquoi passer par un intermédiaire ? Pourquoi ne pas lui dire directement ?

Il ne savait plus quoi penser et ressentir.

Il s'était toujours imaginé que Steve restait parce qu'il le voulait. Que comme lui, il ne supportait pas l'idée de le laisser, ne serait-ce que quelques heures. Mais il s'était peut-être trompé. Peut-être que Steve ne pouvait pas partir. Qu'il se sentait obligé de croupir dans cet appartement à moitié cellule. Que si Bucky allait bien, il ferait des choses de son côté.

Des choses avec Sam.

"Bien entendu qu'il y a une différence. Tu ne dois pas oublier de penser à toi, Steve. Ta vie ne peut pas se résumer à ce que tu crois être ton devoir et responsabilité."

Cet idiot avait raison. Sam était un homme bien. Et Bucky le haïssait encore un peu plus rien que pour ça.

Steve choisit ce moment pour entrer dans sa chambre. La discussion qui suivit fut tendue et il repartit moins de deux minutes plus tard, encore plus en colère que lorsqu'il était entré.

Bucky écouta de sa chambre toute la discussion des deux hommes, même ce film stupide que Sam avait choisi de regarder. La tension qui habitait toujours les pensées de Steve diminua jusqu'à pratiquement disparaître. Il passait un bon moment. Sans lui.

Il ne devait pas penser ainsi. Ni ressentir cette vague de jalousie et de colère.

Ce n'était pas la faute de Steve - ni de Sam - si Bucky était cassé.

S'il n'était pas foutu de passer une journée sans paniquer, sans avoir besoin de s'isoler dans la pénombre de sa chambre, sans avoir besoin que l'on fasse attention à ne pas le surprendre.

Ils pensaient tous deux qu'il avait fait des progrès, même Blair et Jim s'étaient entendus sur ce point. Ils étaient soulagés de réussir à éviter ce qui déclenchait la plupart de ses crises et ils savaient maintenant comment amoindrir les conséquences de leurs ratés.

Mais il avait suffit d'une seule visite de quelqu'un de normal pour qu'ils se rendent compte l'un comme l'autre de toute la distance qu'il restait à parcourir. Et que Bucky ne serait sans l'ombre d'un doute jamais capable d'approcher ce résultat, encore moins de l'atteindre.

Il était certain que Steve lui parlerait demain. Il l'assiérait sur leur canapé et lui expliquerait, gentiment, parce que c'était le genre de personne qu'il était, qu'il allait partir. Qu'il ne pouvait pas rester enfermé jusqu'à la fin de sa vie, juste parce que Bucky était incapable de redevenir assez normal pour vivre ailleurs.

Il empêcha ses idées noires de traverser le lien. Il ne voulait pas gâcher la soirée de Steve. Les deux hommes avaient commencé un second film et ils parlaient moins, juste quelques questions et réponses échangées à intervalles irréguliers.

Plus la soirée avançait et plus il devenait difficile pour Bucky de ne pas avoir de contact visuel avec son guide. Il ne passait jamais autant de temps sans aller vérifier qu'il aille bien, même si actuellement leur lien ne transmettait que du contentement.

Il se leva lentement et s'approcha du salon sans bruit. Steve n'était pas un sentinelle mais le sérum lui avait octroyé une ouïe bien au dessus de la normale. Lorsqu'il entrouvrit la porte, Steve était déjà en train de se retourner.

A la seconde où Bucky aperçut Sam, avachi sur son guide, la tête posée sur son épaule, il perdit le contrôle. Ce n'était pas le soldat qui prit les rênes, mais quelque chose d'autre, quelque chose qui était en lui depuis qu'il était enfant.

"Éloigne-toi de lui."

Il vit avec satisfaction Sam obéir. Il se leva lentement et recula. Son regard se posait régulièrement sur la main gauche de Bucky et ce dernier fut surpris d'y découvrir le couteau qu'il gardait toujours sur lui. Comment était-il arrivé là ?

Steve s'était levé lui aussi et il parlait mais Bucky n'y prêta pas attention. Il restait les yeux fixés sur son ennemi. Qui, il devait bien se l'avouer, avait des couilles. Il ne paraissait pas effrayé, juste prudent. Ou alors c'était un crétin fini. A moins qu'il n'ait la même habitude qu'un autre idiot de sa connaissance, du genre à croire que rien ne puisse l'atteindre.

Bucky s'installa sur le canapé. A l'endroit même que Sam occupait quelques secondes auparavant. Il déposa le couteau qu'il tenait toujours sur sa cuisse. Il sentit le regard des deux hommes sur lui. Il refusa de se concentrer sur les sentiments qui traversait le lien. Il ne voulait pas savoir ce que Steve pensait. Il ne voulait pas ressentir sa colère ou sa honte ou sa déception.

Il avait bien assez des siennes.

Maintenant que Sam s'était éloigné, il regagnait peu à peu le contrôle de ses actes. Quand Steve se rassit à côté de lui et qu'il put presser son épaule contre la sienne, il était à nouveau maître de lui. Ça ne l'empêcha pas de fixer Sam qui l'observait depuis le fauteuil de l'autre côté de la table basse. ÀmoiÀmoiÀmoiÀmoiÀmoi tambourinait dans son crâne.

Il saisit le poignet de son guide.

Ce dernier relança le film et les trois hommes restèrent complètement silencieux. Bucky demeura immobile, ses yeux se fixant sur l'écran sans vraiment le voir. Parfois son attention glissait vers leur invité et à chaque fois qu'il surprenait Sam à regarder dans leur direction, il avait le besoin irrépressible de se rapprocher de Steve, de se serrer un peu plus contre lui, de faire tout ce qui était nécessaire pour annoncer haut et fort qu'il lui appartenait.

Il fouilla sa mémoire défaillante et retrouva quelques moments où le Bucky d'avant avait ressenti la même chose. C'était surtout des souvenirs avec Peggy Carter. Il avait été persuadé que ce serait elle qui lui enlèverait Steve, que c'était la bonne. Il avait passé des nuits entières à se rabrouer pour son comportement. Il devrait être heureux pour son ami, au lieu de permettre à cette jalousie de l'envahir et de laisser un goût amer dans sa bouche à chaque fois que la jeune femme était présente.

Peut-être qu'il n'y avait plus tant de différences entre lui et le Bucky d'avant en fait. Cette découverte aurait dû le réjouir. En vérité, elle le faisait douter encore plus. La seule chose qu'il avait vraiment réussi à ramener du passé était une jalousie qui frôlait le maladif.

Finalement le film se termina et Sam eut la bonne idée de ne pas traîner. Steve le raccompagna à la porte et reçut une accolade qui provoqua un nouveau grognement.

Bucky entendit parfaitement l'allusion que Sam glissa lorsqu'il parla à voix basse.

"Ne sois pas trop dur avec lui. Je le comprend, je crois que j'aurai fait la même chose."

Tout comme il entendit parfaitement la sincérité dans sa voix quand il s'adressa à lui :

"C'était un plaisir de te rencontrer Barnes. On remet ça quand vous voulez, il reste l'épisode trois à regarder."

Il n'attendit pas que Steve ait verrouillé la porte avant de s'enfermer dans sa propre chambre.

Il avait sentit la curiosité de son guide augmenter tout au long de la soirée et il ne voulait pas avoir à s'expliquer. Pas ce soir, pas alors que ses sentiments étaient encore exacerbés. C'était même un miracle que Steve ne se soit pas rendu compte de ce qu'il se passait.

Bucky avait eu raison quand il avait parlé à Jim toutes ces semaines auparavant, son guide était vraiment un idiot.

Mais Steve était aussi en colère. Triste et frustré. Inquiet. Fatigué. Pas physiquement, parce qu'il fallait beaucoup plus que quelques nuits difficiles et une soirée pour arriver au bout de l'endurance du sérum, mais il était moralement épuisé. Bucky l'entendit se traîner jusqu'à sa chambre, se déshabiller et se coucher. La dernière chose qui lui parvint avant que Steve ne s'endorme était de la résignation.

Bucky resta longtemps dans sa chambre, les yeux grands ouverts.

Il devait partir.

Ce serait difficile au début, mais il y arriverait. C'était ce qu'il y avait de mieux pour Steve.

Son ami ferait - il faisait déjà - absolument tout pour lui.

Il restait enfermé dans ce sous-sol, sans jamais en sortir. Il n'acceptait aucune mission et Bucky l'entendait assez souvent dire non à Fury pour savoir que ça lui pesait de plus en plus. Il ne pouvait même pas inviter des amis afin qu'ils lui rendent visite parce que son colocataire était un lunatique à la jalousie complètement hors de contrôle.

Une fois libéré de lui, Steve pourrait reprendre sa vie.

Ils avaient vécu l'un sans l'autre durant des années, il leur suffirait de recommencer. Comme avant. Bucky pourrait le suivre de loin, le protéger à distance. Mais lui rendre sa liberté.

Il se leva lentement. Sa décision était prise. S'il partait maintenant, il serait déjà loin et en sécurité avant que quiconque ne se rende compte qu'il était parti.

Mais avant tout ça, il devait voir Steve. Une dernière fois.

Il se dirigea lentement vers sa chambre et entrouvrit la porte. Le bruit, aussi léger fût-il, réveilla son guide. Pendant quelques secondes, ce dernier hésita.

Bucky attendit qu'il lui ordonne de partir.

Il fallait qu'il lui ordonne de partir.

Parce qu'il avait beau savoir ce qu'il devait faire, il était cloué sur place.

Si Steve ne lui donnait pas cet ordre, il ne pourrait pas bouger. Il ne pourrait pas sortir. Il ne pourrait pas refermer la porte de sa chambre. Il ne pourrait pas attendre qu'il se rendorme. Il ne pourrait pas ensuite quitter l'appartement, quitter sa vie.

Mais Steve ne prononça pas un mot. Il ne le renvoya pas dans sa chambre. Il se contenta de se tourner sur le côté et de soulever le drap qui le recouvrait.

Moins de dix secondes plus tard, Bucky était collé à son dos. Le bras autour de sa taille et le front contre sa nuque. Il se serra plus fort contre lui et se promit de tout faire pour aller mieux. S'il était incapable de partir, il devait faire le nécessaire afin de mériter Steve.

ooOoo

Il fit de son mieux les semaines qui suivirent. Heureusement, Steve ne lui parla pas du fiasco avec Sam et il n'invita personne d'autre à venir passer la soirée dans leur appartement. Leurs interactions avec le monde extérieur se limitaient à Jim et Blair et au livreur qui venait remplir leurs placards et frigo une fois par semaine.

Le temps passait lentement, alors qu'ils vivaient en parfaite autarcie. Et c'était exactement ce dont Bucky avait besoin. Avoir son guide près de lui, dans un environnement familier et sécurisé faisait des miracles pour sa mémoire et contre ses crises de panique.

Jim et Blair avaient déménagé hors du complexe et leurs visites se faisaient plus rares, mais ils étaient à chaque fois étonnés de ses progrès. Seul Steve ne paraissait pas le moins du monde surpris.

"Bucky peut tout faire si il le décide. Dommage qu'il soit la pire tête de mule de l'univers."

Cette marque de confiance faisait naître des sentiments contradictoires en lui.

D'un côté, il était un peu honteux parce qu'il ne les méritait pas, il ne faisait rien d'extraordinaire, c'était même le contraire. Mais de l'autre, son ami était fier de lui. Le lui de maintenant, pas celui d'avant.

C'était ces petites choses qui lui faisaient croire que, peut-être, il avait une chance, minuscule, que Steve finisse par l'accepter. Non pas pour ce qu'il était autrefois, mais pour ce qu'il était aujourd'hui, ce qu'il serait demain.

C'était ces petites choses qui l'aidaient à tenir. À travers les cauchemars et les souvenirs. À travers les interrogations et les doutes. À travers ses propres sentiments qui se renforçaient et s'étendaient maintenant beaucoup plus loin que leur simple lien.

C'était ces petites choses qui le poussaient à toujours rechercher plus de contact. Non pas pour se rassurer et se calmer comme au début, mais tout simplement parce qu'il aimait ça. Parce que ça lui donnait l'impression que ses sentiments étaient retournés, même s'il savait que ce n'était pas vraiment le cas.

L'annonce de la décision de Fury lui fit l'effet d'une douche froide.

Steve était extatique, ils allaient pouvoir quitter cet endroit. Mais tout ce que Bucky arrivait à penser était qu'une fois dehors, il pourrait sortir, travailler, vivre normalement. Il rencontrerait plus de monde, des amis.

Et il se rendrait compte que Bucky était cassé, complètement irréparable et qu'il serait mieux sans lui.

Il y avait aussi les questions de la sécurité. Ce n'était pas parce qu'il ne s'était rien passé jusque là qu'il avait oublié que ses anciens maîtres le cherchaient. Et qu'ils cherchaient probablement Steve aussi.

Il avait des solutions pour sortir d'ici et se cacher en cas d'incendie, d'inondation, d'explosion, d'attaque... Il avait imaginé n'importe quel scénario, qu'il soit probable ou pas. Il avait d'autres plans pour seconder les premiers. Il avait même toujours un couteau caché sur lui, en dernier recours. Une lame assez grande et aiguisée, capable de lui trancher la gorge - et celle de Steve - en moins de deux secondes, si cela se montrait nécessaire.

Quitter le complexe signifiait qu'il devrait tout recommencer. Et ça lui donnait l'excuse parfaite pour se montrer hésitant et refuser chaque proposition de logement.

Ses premiers vétos avaient été accueillis avec patience et bienveillance, mais après plusieurs semaines de recherches infructueuses, l'agacement de Steve devenait de plus en plus évident. Bucky devait maintenant justifier et argumenter chacun de ses refus et, il devait bien être honnête, ça devenait difficile. Certains des logements proposés étaient aussi parfait que celui qu'ils occupaient actuellement.

Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il ne soit forcé de céder. Leurs discussions à ce sujet devenaient de plus en plus houleuses et même si Steve répétait à longueur de temps que l'important était que Bucky aille mieux et se sente en sécurité, il perdait patience.

Et ce n'était même pas ses refus qui le frustraient le plus, c'était le fait qu'il savait que Bucky lui cachait quelque chose.

Mais il ne pouvait pas lui dire la vérité.

Pas quand l'idée de perdre Steve provoquait une déferlante d'émotions qu'il n'arrivait pas à contrôler. Il ne pourrait jamais expliquer ses raisons sans avouer par la même occasion ce qu'il ressentait.

Et c'était inenvisageable. Steve ne devait jamais savoir.

Tant pis si Bucky devait couper leur lien. Cacher ses sentiments quand ils devenaient trop forts et trop évidents.

Tant pis si Steve le regardait à chaque fois avec un mélange complexe de peine, d'inquiétude, de résignation et de trahison.

Bucky s'était tu jusque là par déférence pour l'ancien lui, mais il le faisait maintenant par peur. Peur que les choses changent, peur que Steve le voit différemment.

Ce n'était pas un secret qu'il n'était pas quelqu'un de bien. Il avait laissé HYDRA le briser et il avait créé le soldat parce qu'il n'était pas capable de supporter ce qu'ils exigeaient de lui. Mais son comportement actuel était en quelque sorte pire.

Parce qu'il savait, au fond de lui, que jamais Steve ne l'abandonnerait. Qu'il resterait. Mais s'il apprenait la véritable nature des sentiments de son sentinelle, tous les petits moments, les contacts, que ce dernier lui volait seraient terminés. Et Bucky ne supportait pas l'idée de les perdre.

Steve le laissait faire uniquement parce qu'il ignorait ce qu'ils signifiaient. Et c'était ça qui empêchait Bucky, à sa grande honte, d'être honnête.

Mais il ne pouvait pas continuer ainsi. Il allait devoir donner à son ami ce qu'il voulait. Ils déménageraient et quelques temps après, Bucky le perdrait.

C'est pourquoi il profita le plus possible durant les semaines qui suivirent. Ils cuisinaient, lisaient, regardaient la télé, se chamaillaient, dormaient ensemble. Il mettait tous ces moments en réserves dans l'optique de les ressortir quand il n'y aurait plus accès quotidiennement.

Il ne se passait jamais plus de quelques minutes sans qu'ils ne soient en contact, d'une manière ou d'une autre.

Blair le remarqua très vite et il chercha à plusieurs reprises à lui parler en privé. Il finit par coincer Bucky dans leur appartement. Il trouva ensuite un prétexte pour envoyer Steve et Jim chercher quelque chose à un des étages supérieurs du complexe.

"Je n'apprécie pas que l'on me tende un piège, Blair."

"Je n'en aurais pas eu besoin si tu avais accepté de me rejoindre dans mon bureau."

"Je n'en vois pas l'utilité."

"Steve a raison, tu es plus têtu qu'une mule."

Ça faisait déjà quelques temps que ni Blair, ni Jim ne mâchaient leurs mots autour de lui. Ils étaient respectueux de ses limites et ne le poussaient pas sur les sujets qui étaient véritablement difficiles, mais ils ne se gênaient pas pour lui dire ce qu'ils pensaient.

"Je ne suis pas têtu, je refuse juste de t'entendre répéter encore et encore les mêmes choses."

"Parle-lui."

"Non."

Il croisa les bras sur sa poitrine et Blair l'observa avec un mélange d'inquiétude et d'exaspération.

"Tu dois lui dire. Vous êtes en train de vous engager dans une voie qui va vous détruire."

Bucky souffla en levant les yeux au ciel.

"Je ne plaisante pas, Barnes. Tu es en train de vous enfermer dans votre lien. Parle-lui ou alors ferme votre connexion plus souvent."

"Je la ferme régulièrement."

Blair était exaspéré.

"Pour les mauvaises raisons."

"Tu as fini ?"

Bucky en avait plus qu'assez de cette conversation. Son interlocuteur ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Puis il reprit, plus calmement.

"Écoute-moi. Je ne t'en parlerai plus mais je veux que tu m'écoutes jusqu'au bout. Peut-être que tu penses vivre ainsi jusqu'à la fin. Rester dans un endroit où tu te sens en sécurité et avec Steve à tes côtés, mais il y a un moment où ça ne suffira plus."

Bucky allait protester mais Blair le coupa d'un geste de la main.

"Ne m'interromps pas, ce que j'essaie de te dire est important. Ton propre comportement va te détruire. Pas aujourd'hui. Pas demain. Pas l'année prochaine et probablement pas dans la décennie à venir. Mais ce que tu ressens ne va pas partir, ça ne va que se renforcer jusqu'à ce que ça te rende dingue. Crois-moi, je l'ai déjà vu chez certains sentinelles. La jalousie et la possessivité ne vont qu'empirer et un jour, tu attaqueras. Ce sera peut-être un proche de Steve. Ou une simple vendeuse dans un magasin qui lui aura sourit. Ce sera peut-être lui. Alors parle-lui avant d'en arriver là."

"Jamais je n'attaquerais Steve, j'ai le contrôle maintenant. Je peux me maîtriser, maîtriser mes sentiments. Ce n'est pas comme s'ils étaient importants."

"Ils le sont Bucky." C'était la première fois que Blair utilisait son prénom et c'était certainement la raison pour laquelle ce qu'il dit ensuite le marqua : "Ce que tu ressens est important et Steve a le droit de savoir, parce que tu es la personne qui compte le plus pour lui et qu'il souffre de ne pas comprendre."

"Il ne voudra pas savoir ça."

"Ce n'est pas vrai et tu le sais."

Mis au pied du mur, il murmura finalement sa confession, sa honte :

"Je ne veux pas qu'il sache. Je suis pitoyable, malade, instable, j'ai fait des choses horribles. Il n'a pas besoin que je lui impose mes sentiments. Il mérite tellement mieux."

"Je ne crois pas qu'il voit les choses ainsi, mais c'est ton droit le plus strict de garder ce que tu ressens pour toi. Tu n'es pas obligé de tout lui dire, mais explique-lui ce que tu traverses. Tu peux taire les raisons derrière ta jalousie, il n'en a pas besoin pour comprendre."

Blair se tut quelques secondes. Puis il ajouta :

"Je n'arrive toujours pas à concevoir pourquoi il ne se rend compte de rien."

"C'est un idiot. Il était pareil avec l'agent Carter. Il n'a jamais vu qu'elle serait rentrée avec lui au pays s'il lui avait demandé, jamais vu qu'elle serait restée à la maison à s'occuper de leurs enfants. Et toutes les personnes qui la connaissaient auraient pu vous dire que ce n'était pas ce genre de femme."

Blair le fixa assez longtemps pour le mettre mal à l'aise. Ce ne fut que lorsque la porte de l'appartement s'ouvrit qu'il détourna le regard et s'éloigna. Il se tourna une dernière fois vers Bucky avant de rejoindre les deux hommes qui venaient d'entrer :

"Il n'est pas le seul à être aveugle."

Il réfléchit à cette conversation de nombreuses fois dans les semaines qui suivirent. Il était hors de question de tout raconter à Steve mais il pouvait au moins lui en expliquer une partie.

Ils trouveraient peut-être un moyen de contrôler sa possessivité sans blesser personne. Ils avaient réussi à éviter et contourner tellement de ses problèmes, il ne doutait pas qu'ils arriveraient à faire de même avec celui-là.

Il avait juste besoin d'un peu plus de temps. Toutes les versions de lui avaient caché cette jalousie. Ils avaient toujours refusé d'aborder le sujet, de près ou de loin. Il devait attendre le bon moment. Ils ne vivaient encore que tous les deux et Steve semblait avoir abandonné l'idée de les faire déménager dans un futur proche. Bucky lui parlerait. Bientôt. Le jour où ils auraient trouvé un nouvel appartement.

Ce jour arriva à peine une semaine plus tard.

Le passage de Tony Stark chez eux lui fit l'effet d'une tornade. Déjà parce que l'homme lui-même avait le don de vous laisser complètement déboussolé, d'autant plus quand son arrivée et son nom déverrouilla des souvenirs de son père, mais aussi parce que sa proposition mit la vie de Bucky sans dessus-dessous.

Ils ne trouveraient certainement jamais d'endroit plus sécurisé pour vivre. Le fils d'Howard avait fait du très bon travail.

Alors quand il leur demanda leur avis, Bucky prit une profonde inspiration et accepta sa proposition.

ooOoo

Ils décidèrent d'inviter Jim et Blair une dernière fois à dîner avant de quitter le complexe. Bucky supposait qu'ils pourraient continuer à les voir une fois dans la tour Stark mais il leur semblait important de les remercier officiellement pour toute l'aide qu'ils leur avaient apportée.

Bucky n'avait pas oublié la discussion qu'il avait eu avec le guide, même s'il n'avait toujours pas abordé le sujet avec Steve. Il attendait le bon moment et la proposition de Stark l'avait pris de court.

Malheureusement, Blair non plus n'avait pas oublié cette conversation et il prit un malin plaisir à mettre Bucky au pied du mur. Peut-être était-ce parce qu'il n'allait plus pouvoir les voir aussi facilement ou qu'ils allaient bientôt quitter sa responsabilité, mais il poussa les choses jusqu'à proposer à Steve de tester ses capacité sur lui.

Bucky savait ce qu'essayait de faire l'autre homme. Il ne cherchait qu'à les aider mais sa réaction resta épidermique. Steve était à lui. Et à lui seul. Il n'avait pas besoin d'employer son empathie ou ses capacités de guide sur quelqu'un d'autre que lui.

Il se comportait comme un idiot.

Il le savait.

Blair et Jim le savait.

Seul Steve était prêt à passer l'éponge. Mais Steve était prêt à tout lui pardonner, quoi qu'il fasse.

Même lorsque son pied tapait sous la table à chaque fois que son guide discutait des sentiments qu'il avait capté.

Même lorsqu'un couteau apparaissait dans la main de Bucky, comme par magie.

Il fut soulagé quand la soirée toucha à sa fin et que Blair et Jim se levèrent pour partir. Il avait réussi, difficilement, très difficilement, à se contenir.

Plus que quelques minutes et il pourrait enfin se détendre. Il était épuisé. Cacher ce qu'il ressentait à Steve en même temps qu'éviter de réagir aux remarques pleines de sous-entendus de leurs deux invités l'avait vidé.

C'était la raison pour laquelle il relâcha son attention trop tôt. Et ce ne fut pas leur couple d'amis qui le mit dans l'embarras. Non, ce fut - comme presque toujours - son idiot de guide.

"Je connais celle-là. Je ne sais pas mettre de nom dessus, mais Bucky et moi avons la même."

Il suffit à Bucky de voir l'expression de Blair pour savoir qu'il était dans la mouise.

"Oui. Je l'ai ressenti plusieurs fois également chez vous. C'est un sentiment positif, tu ne sais pas ce que c'est ?"

Chez vous.

Comme si Bucky n'était pas le seul à dégager cette émotion. Comme si Blair l'avait captée également chez Steve.

Mais ce n'était pas possible. Ce devait être un écho. Avec leur connexion constamment ouverte, il était difficile de détecter avec certitude la source de leurs sentiments.

Il fixa Steve des yeux, s'attendant à y voir de la gêne, du dégoût, tout sauf l'étonnement qu'il y trouva :

"Non, je suppose que ça à voir avec notre lien."

Bucky retint son soupir de soulagement. Cet idiot n'avait toujours pas compris.

"En partie. Mais pas tout à fait. Si tu continues à t'entraîner tu devrais le rencontrer à de nombreuses reprises."

"Tu ne veux pas me dire ce que c'est ?"

Bucky tenta de fusiller Blair du regard. Mais ce dernier se contenta de se tourner vers Jim. Il ajouta quelques secondes plus tard :

"Je pense que ce serait mieux si vous le découvriez par vous-même. Tu devrais peut-être demander à ton sentinelle, il a l'air de savoir ce dont il s'agit. N'est-ce pas, Barnes ?"

Est-ce qu'il pourrait lui dire ? Ça changerait tout entre eux. Et il n'était pas prêt. Mais peut-être que Blair avait raison. Il était un bon guide, un des meilleurs. Peut-être que Steve ressentait la même chose.

Il hocha la tête lentement, les yeux fixés sur Steve.

Il perçut toute la chaleur des sentiments de ce dernier à travers leur lien. Son attachement, son affection, sa tendresse et puis sa fierté aussi, son besoin d'être là pour son sentinelle, de le protéger. Tout ce mélange complexe que Bucky n'avait jamais vraiment cherché à explorer, qui formait un ensemble homogène et qu'il n'avait jamais questionné.

Peut-être que tout ça masquait quelque chose de plus fort.

Peut-être qu'il était aussi un idiot.

Il n'était plus sûr de rien.

Il profita que son guide raccompagne Blair et Jim à la porte pour s'éclipser dans sa chambre. Il n'avait toujours pas rouvert sa moitié de leur connexion et il profita du calme et de l'obscurité afin de prendre une décision.

Que Blair ait raison ou pas au sujet de Steve, il y avait au moins un point sur lequel il pouvait le croire.

Bucky devait lui parler. Commencer à lui expliquer. Il n'était pas du tout certain que ce ne serait pas la goutte d'eau qui ferait déborder le vase, mais il devait lui dire. Surtout s'ils partaient d'ici. Il devait lui expliquer ce à quoi il fallait qu'il s'attende, le prévenir qu'il y avait un risque que son sentinelle pète un câble.

Sa décision était prise. Il n'avait plus qu'à attendre que Steve aille se coucher. Il était hors de question d'avoir cette discussion dans le salon, face à face.

A la seconde où il entendit son ami se mettre au lit, il l'y rejoignit. Il ne savait pas par où commencer et quoi lui dire très exactement, alors il resta silencieux de longues minutes.

Ce simple contact l'apaisait, comme toujours. Une part de cet effet provenait de leur lien, de ce qu'ils étaient l'un pour l'autre, un guide et son sentinelle. Mais une autre partie, de plus en plus importante, était simplement due à ses sentiments pour Steve. Il aimait l'avoir dans ses bras, sentir sa chaleur, sa respiration, son cœur.

Et leur proximité agissait de la même manière sur Steve. Il était déjà en train de somnoler quand Bucky trouva enfin le courage de parler. Il commença par le plus simple :

"Je n'aime pas que tu utilises tes capacités sur d'autres."

"J'ai vu cela oui."

Bucky ajouta une autre chose, un peu plus difficile, un peu plus proche du fond du problème :

"Je n'aime pas non plus lorsque tu touches d'autres personnes."

Steve resta silencieux quelques secondes, puis il demanda à voix basse :

"La soirée avec Sam ?"

Bucky hocha la tête. Il n'osait pas ouvrir la bouche de peur que sa voix le trahisse.

Il attendit, le cœur battant, que son ami réagisse ou dise quelque chose. Lui demande de s'expliquer ou lui annonce qu'il était déçu de son comportement. Mais Steve ne prononça pas un mot.

Pourquoi ?

L'attente était trop difficile et Bucky fouilla leur connexion. Il avait besoin de comprendre ce que ressentait Steve, ce qu'il pensait.

Il n'y trouva qu'une chose. Ce sentiment qu'il cherchait lui-même si souvent à cacher, celui dont il refusait de prononcer - ou même penser - le nom. Parce que ça le rendrait réel. Parce que ce mot n'était pas assez fort pour décrire ce qu'ils étaient l'un pour l'autre. Et parce que ce sentiment là au milieu de tous les autres n'était pas si important, même s'il changeait tout.

Et Steve était un idiot.

Encore plus que ce que Bucky pensait. Parce qu'il ignorait complètement ce qu'il ressentait lui-même.

En fin de compte, Blair avait raison. C'était à lui de lui expliquer, de lui montrer. Avec des petites choses.

La main de Steve était posée devant lui, sur son oreiller. Ses longs doigts qui faisaient des merveilles quand ils glissaient dans ses cheveux, étaient détendus. Bucky pouvait commencer par là.

Il attrapa la main et glissa ses doigts entre ceux de Steve. Ce dernier ne résista pas et ne chercha pas à se dégager lorsqu'il posa leurs mains jointes sur son torse. Il ne put s'empêcher de se serrer un peu plus contre son dos. Il avait envie de déposer un baiser sur sa nuque, mais ce serait probablement trop, trop vite.

"Buck ?"

Il avait tellement de choses à expliquer. Tellement de questions, certaines très simples et d'autres qu'il était incapable de poser pour le moment.

"Je pourrai encore dormir avec toi dans la tour ? Peut-être pas tous les soirs, mais quand j'en aurai vraiment besoin ?"

Steve le connaissait assez pour lire entre les lignes. Pour comprendre ce qu'il demandait, sans vraiment réussir à le prononcer.

"De quoi tu parles ? Bien entendu que tu pourras, toutes les nuits si c'est ce que tu veux."

"Tu ne m'en voudras pas si je me montre impoli ou rude envers tes amis ? Ou s'ils ne m'aiment pas ?"

Il empêcha Steve de se retourner. Il avait encore tellement de choses à lui demander.

"Ils vont t'aimer. Je ne me pose même pas la question. Ils seront tout à fait capable de comprendre les raisons derrière ton comportement. Et ceux qui en seront incapables ne méritent même pas que l'on s'y intéresse. Je ne sais pas comment te le dire pour que tu me crois : tu es ce qui est le plus important pour moi. Je serai ce dont tu as besoin, sans hésitation et sans question. Si tu hésites encore, on peut rester quelques jours ici. Tu en dis quoi ?"

Le cœur de Bucky accéléra. Steve avait l'air si sûr de lui. Dirait-il la même chose s'il connaissait les intentions de son sentinelle ? Et plus important encore, accepterait-il parce qu'il le voulait ou juste à cause de son sens du devoir ? Avec ce qu'il venait de dire, ce ne serait pas étonnant. Steve lui avait à nouveau proposé de rester dans le complexe, alors qu'il était évident qu'il avait envie de quitter cet endroit. Juste parce que c'était ce dont Bucky avait besoin.

Il pourrait saisir cette occasion.

Il pourrait lui demander d'attendre encore un peu.

Il pourrait lui demander d'attendre indéfiniment.

Le garder ici, rien que pour lui, où il ne risquerait pas de le perdre.

Mais ce serait injuste. Il s'était décidé. Ce n'était pas le moment de reculer. Il avait une dernière chose à dire, à avouer. Du moins pour ce soir.

"Non. J'en ai assez de toutes ces crises, et d'être constamment effrayé. Je veux vivre normalement autant que possible et je ne pourrai pas le faire ici. Mais je ne peux pas te perdre."

Les mots se bousculaient dans sa bouche. Maintenant qu'il était lancé, il voulait tout sortir, tout dire. Avant qu'il ne doute ou ne perde le courage.

"J'ai vu comment tu es avec les gens, tout le monde t'adore, ça a toujours été le cas. Un jour, tu vas te rendre compte que je suis trop abîmé et que c'est trop difficile de rester avec moi et tu vas partir et j'ai besoin de toi et je veux continuer indéfiniment comme en ce moment, juste toi et moi et que rien ne change."

Il entendait clairement l'anxiété, presque de la panique, monter dans sa voix. Il fallait que Steve comprenne. Il devait lui expliquer. Il allait ouvrir la bouche pour continuer lorsqu'il fut interrompu.

"Bucky. Calme-toi et écoute-moi bien. Je n'irai nulle part. Pas sans toi du moins. Je veux rester avec toi, non pas parce que j'y suis obligé mais parce que c'est quand nous sommes ensemble que je me sens chez moi. Rien ni personne, même pas toi, ton passé et ses conséquences, ne pourra changer cela."

Cet homme était un idiot. Bucky enfouit son visage dans sa nuque, incapable de parler.

Enfin, Steve était peut-être un idiot, mais il avait dit exactement ce qu'il avait besoin d'entendre. Il serra sa main un peu plus fort. Un remerciement silencieux.

Bucky hésitait à reprendre la parole. Il n'avait plus qu'une chose à dire, la plus dure. Il délibéra longtemps. Trop longtemps, car lorsqu'il embrassa Steve sur la nuque, ce dernier ne réagit pas. Il était endormi.

ooOoo

Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient retrouvés, Bucky se réveilla après Steve. Il ne savait pas depuis quand son guide était conscient mais il était resté dans ses bras et ne semblait pas prêt à en bouger.

Il allait pourtant falloir. Il voulait du café et des pancakes.

Il avait cru que leur conversation de la veille allait changer des choses mais le petit déjeuner se déroula comme d'habitude. Ils commencèrent ensuite à rassembler leurs affaires et à les mettre dans des cartons.

Enfin, Bucky commença.

Steve était constamment dérangé par son téléphone. C'était à croire que le monde entier attendait à l'extérieur qu'il se décide à sortir.

Chaque coup de téléphone l'agaçait un peu plus. Il savait que Steve était attendu, qu'il avait des amis et qu'ils devaient être pressés de le revoir, mais ils n'avaient pas encore quitté leur appartement qu'ils étaient déjà en train d'essayer de lui enlever.

Les promesses échangées la veille lui paraissaient bien loin et quand, pour la centième fois, le téléphone vibra, Bucky le saisit et décrocha.

Une voix d'homme qu'il ne connaissait pas s'exclama :

"Stevie chéri. J'ai appris que tu quittais ta grotte. Bienvenue chez les vivants. Tu as besoin d'aide pour porter tous ces cartons ?"

Stevie chéri.

Stevie.

Il était le seul à l'appeler ainsi. Même sa mère n'essayait plus depuis qu'il avait atteint l'âge de douze ans. Steve avait été très clair sur le sujet. Bucky se souvenait encore - et quel bonheur c'était - de la colère de son ami quand il avait exigé de Sarah qu'elle arrête avec les surnoms de bébé.

"Steve ? Tu es là ?"

"Ce n'est pas Steve. Non, nous n'avons pas besoin d'aide et je me ferai un malin plaisir à tuer dans son sommeil le prochain idiot qui osera nous déranger."

Un silence d'un quart de seconde, puis :

"Compris. Je fais passer le mot."

Son interlocuteur raccrocha. Il n'était peut-être pas aussi idiot qu'il en avait l'air.

Il retourna dans sa chambre sans regarder son colocataire. Il n'avait pas besoin de ça pour sentir sa désapprobation. Il essayait. Vraiment. Mais ils n'étaient même pas encore parti que toute une troupe d'inconnus faisaient la queue pour lui voler Steve.

Ils continuèrent à préparer leur déménagement. Ils ne furent plus dérangés mais Bucky n'arrivait pas à calmer son anxiété. Il observait Steve de loin. Il le regardait bouger dans cet espace qu'ils connaissaient par cœur. Dans cet espace qui n'appartenait qu'à eux.

Bientôt, ils seraient dans un endroit inconnu.

Bientôt son guide serait entouré d'amis, de collègues, de connaissances.

Bientôt il ne lui appartiendrait plus totalement.

Il savait que les semaines - voire les mois - à venir allaient être difficiles. Vivre dans un nouvel environnement, entouré de gens qu'il ne connaissait pas serait compliqué quoi qu'il fasse. Il avait encore quelque chose à régler avant de partir. Il ne pouvait pas emmener ce secret avec lui. Parce qu'ils auraient certainement plus important à gérer une fois là-bas, mais également parce qu'il risquait d'agir trop tard.

Et puis, il avait besoin de savoir, tout simplement.

Steve était en train de préparer leur déjeuner lorsque Bucky se décida enfin. Il posa le carton qu'il portait sur le comptoir de la cuisine et s'approcha de son guide. Comme toujours ce dernier ouvrit les bras. Il leva même le menton afin de libérer l'accès à son cou.

Sa surprise traversa leur lien en un éclair quand au lieu de s'installer comme il le faisait habituellement, Bucky releva la tête et déposa un baiser sur ses lèvres. Steve se figea contre lui, mais il ne le repoussa pas.

Bucky se recula après quelques secondes. Il avait passé son message. Et son ami ne semblait pas dégouté ou en colère, juste profondément déconcerté.

Il en profita pour l'embrasser à nouveau. Et cette fois, Steve lui rendit son baiser.

Son soulagement était tel que Bucky se laissa emporter. Il passa sa langue sur la lèvre inférieure de Steve, avant de profiter de sa brusque inspiration pour entrer dans sa bouche.

Le premier contact entre leurs langues fut parfait.

La manière dont les mains de son guide s'étaient placées sur ses hanches également. La chaleur de son corps, qu'il connaissait maintenant par cœur, avait pris une toute autre dimension.

Il ouvrit en grand son côté de leur connexion et laissa passer tout ce qu'il avait caché jusque là.

Pendant que leurs langues glissaient l'une contre l'autre, il essaya de faire comprendre à Steve ce qu'il n'osait pas lui dire, ce que l'ancien Bucky avait gardé secret. Il n'était pas lui - pas totalement, ne le serait plus jamais - et il ne méritait certainement pas d'être celui qui pouvait enfin l'embrasser. Mais Steve le tenait fermement contre lui. Il le laissait explorer chaque centimètre de sa bouche, de ses lèvres et il acceptait tout ce que Bucky lui transmettait, chaque sentiment, chaque pensée avant de lui renvoyer, nourri et décuplé par ses propres émotions.

Il suivit son ami lorsque ce dernier s'éloigna.

Heureusement, le comptoir de la cuisine coupa sa retraite et Bucky n'eut pas besoin de le chasser bien longtemps. Mais il ne le laissa pas l'embrasser à nouveau. Il dit quelque chose à laquelle Bucky répondit sans vraiment y prêter attention.

Il avait plus intéressant à faire. Comme déposer des baisers sur sa mâchoire, sur son cou. Comme se coller à lui. Pourquoi est-ce que Steve l'empêchait de se coller à lui ?

Il se concentra un peu. Ce qu'il trouva de l'autre côté du lien lui fit l'effet d'une douche froide.

Il recula, haletant, et s'arrêta juste hors de portée. Il le savait. Il n'aurait pas dû. Il était évident que Steve ne le voyait pas comme ça, qu'il ne voudrait pas. Il avait laissé Blair lui faire croire qu'il avait une chance. Il avait laissé l'écho de ses propres sentiments le bercer d'illusion, le convaincre qu'ils étaient réciproques. Il avait tout gâché.

Steve le regardait fixement. Lui aussi respirait rapidement et il n'arrêtait pas de lever les mains vers lui, avant de les laisser retomber, comme s'il voulait le toucher, l'attirer contre lui mais se retenait. Et il n'y avait ni dégoût, ni colère, ni gêne dans ses pensées. Alors pourquoi est-ce qu'il avait arrêté ?

"Tu ne veux pas ?"

Il ne voulait pas entendre la réponse à cette question. Quelque soit la manière dont Steve déciderait de le repousser, il savait qu'il ne le supporterait pas. Il était vraiment un crétin fini, de croire que quelqu'un d'aussi parfait que Steve puisse désirer un être aussi abîmé et malade que lui. Il aurait dû savoir qu'avec son passé et les horreurs qu'il avait commises, qu'il avait laissé le soldat perpétrer, il n'avait pas le droit d'aspirer à ce bonheur.

Il voulait s'enfuir. Aller se cacher dans sa chambre. Mais une part de lui avait besoin d'entendre la réponse de Steve. Ce dernier irait ensuite vivre dans la tour. Lui il resterait ici. C'était mieux pour tout le monde. Pas pour lui. Mais pour tous les autres.

Il resta sans bouger, planté au milieu de la cuisine et attendit que le couperet ne tombe.

"Quoi ? Si, bien sur que si, ce n'est pas la question. Mais j'ai besoin d'être certain que c'est ce que tu veux, toi."

La réponse de Steve fit disparaître toutes ces pensées négatives et les remplaça par de l'ahurissement. Quoi ? Cet homme était vraiment l'idiot le plus aveugle et obtus qu'il n'ai jamais rencontré.

"Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, c'est moi qui t'ai embrassé. Qu'est-ce qu'il te faut comme preuve supplémentaire ?"

Steve passa une main sur sa nuque et grimaça, gêné.

"Ce n'est pas ce que je veux dire. Jim t'a dit que notre lien pouvait te faire vouloir des choses, tu avais même peur que notre amitié ne provienne que de ça. Tu sais que le plus important pour moi est que tu ailles mieux. Je ne veux pas te laisser t'enfermer dans une relation que tu n'aurais pas vraiment voulu."

Oh.

Mais quel... Bucky n'avait pas de mot assez fort pour décrire la stupidité de son ami.

Encore une fois, Steve pensait à Bucky avant tout le reste.

Il s'approcha. Maintenant qu'il savait qu'il ne serait pas rejeté, il avait besoin de proximité physique, de toucher, d'expliquer.

"Je suis certain de peu de choses, mais cela en fait partie. J'ai envie de passer ce cap entre nous."

Malheureusement Steve ne se laissa pas convaincre aussi facilement. Il était têtu en plus d'être idiot.

"Comment ? Comment peux-tu être certain que ce n'est pas notre connexion qui te fait croire des choses ? J'ai déjà du mal à résister moi-même, à réfléchir, tellement il est écrasant et je suis protégé par mes capacités de guide…"

Pour ça aussi, il avait une réponse. Jim lui avait expliqué, lorsqu'ils s'étaient vus seul la première fois. Il avait toujours refusé de dire à son guide ce dont ils avaient parlé. C'était le moment ou jamais.

"Parce que je le sais. J'ai posé la question à Jim quand nous en avons discuté, j'avais besoin de savoir moi aussi, de comprendre pourquoi certains de mes sentiments envers toi avaient changés. Il m'a répondu qu'il suffisait que je me demande d'où venait cette émotion."

Il était maintenant assez proche de Steve pour le toucher. Il posa une main sur sa hanche, doucement. Il ressentait sa frustration et son inquiétude et toutes les questions qui tournaient dans sa tête. Il n'était pas encore convaincu, mais Bucky, lui, était certain.

"Notre lien se trouve ici."

Il utilisa sa main de métal et montra sa tempe, avant de la refermer et de la poser sur sa poitrine, juste au dessus de son cœur.

"Mais ce que je ressens en ce moment, ça vient de là. Il m'a dit que je le saurai grâce à ça."

Voilà, il l'avait dit.

Il n'avait pas vraiment prononcé le mot, mais Steve comprendrait. Il déposa un rapide baiser sur ses lèvres, peut-être le dernier, avant de s'éloigner. Il avait encore une chose à ajouter, juste histoire d'être certain qu'il ne reste aucune ambiguïté entre eux.

"Je sais que je t'en demande beaucoup. Je comprendrai si tu ne voulais pas, tu fais déjà tellement pour moi. Je ne veux pas que tu te sentes obligé, ou si jamais tu voulais voir quelqu'un…"

Steve l'embrassa. Vite. Sans finesse. Juste un moyen de le faire taire.

"Ne dis pas de bêtises Buck. Il n'y a personne d'autre et il n'y aura jamais personne d'autre."

Il l'embrassa à nouveau.

Et cette fois, il prit son temps.

Bucky laissa sa langue envahir sa bouche. Il laissa tout son poids s'appuyer sur le corps de Steve. Ce dernier était bien assez fort et pouvait les soutenir tous les deux et puis, il avait le comptoir pour l'aider.

De toute manière, Bucky était bien trop occupé à glisser sa main sous le T-shirt de Steve pour prêter attention à ce qui se passait autour de lui. Il se l'était interdit depuis tellement longtemps qu'il refusait que des choses aussi triviales que surveiller son environnement vienne polluer ce moment.

Il aurait peut-être dû faire attention cependant car, brusquement, une forte odeur de brûlé envahit ses narine. Il s'éloigna et laissa son guide attraper la poêle que ce dernier avait oublié sur le feu.

Steve versa de l'eau pour éteindre le début d'incendie et jura.

"Merde. J'ai complètement oublié le feu sous la poêle."

Sa réponse fusa.

"Ton langage Steve."

Steve leva la tête brusquement et le regarda avec intensité. Puis il l'attira à nouveau vers lui et scella leurs lèvres dans un baiser qui leur fit perdre la notion du temps.

Quand ils se séparèrent, Steve passa une main dans ses cheveux. Il regarda autour de lui :

"On devrait peut être se mettre en route. On achètera de quoi manger en chemin, comme j'ai laissé brûler notre repas."

Bucky était prêt. Ils pouvaient partir. Il acquiesça. Mais avant… il perdit encore une vingtaine de minute en l'embrassant.

Il sortit le premier, avec plusieurs cartons dans les bras. Son guide était derrière lui et il entendit le verrou électronique s'enclencher. Il fit quelques pas supplémentaires avant de s'arrêter dans le couloir.

Steve n'avait pas bougé de devant la porte. Il la fixait et Bucky sentit un peu de nostalgie traverser leur connexion. Il y avait de l'inquiétude aussi. Après tout, ils avançaient vers l'inconnu.

Mais il y avait surtout une certitude. Celle que, quoi qu'il se passe, ils resteraient ensemble.

Et c'est très exactement ce que Bucky lui dit quand enfin Steve se détourna de la porte :

"Prochaine étape Stevie. Till the end."