Hi,

Nouvelle histoire. Et elle me tient encore plus à cœur que ce que je croyais, parce qu'on va parler d'un sujet qui me touche énormément. Subtilement, parce que je trouve que Dean est un personnage très complexe, et c'est ce que j'ai imaginé (je commence déjà à me perdre en commentaires)

Je ne vais pas dire tout de suite de quoi il s'agit, vous allez comprendre rapidement. Je sais que ce premier chapitre pose beaucoup de questions, mais les réponses vont arriver au fur et à mesure, et, en revanche, je ne peux pas vous donner un nombre approximatif de chapitres, parce que je ne sais pas, et je ne sais pas non plus comment ça va se terminer. J'ai pas mal de chapitres d'avance, mais je n'ai pas encore la fin en tête. Juste les grandes lignes. On verra bien

Petit point : les passages en gras font partie du passé, et le passé est très important, surtout dans les chapitres suivants

Voilà, je vais m'arrêter là pour le moment, je parle déjà trop

Merci beaucoup d'avance

Bisous

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Lawrence Police Department. Et comme tous les matins, Dean traverse le grand hall d'entrée. Il attrape l'ascenseur au dernier moment, se glisse entre les portes juste avant qu'elles ne se referment, et elles se rouvrent pour lui. Ça fait râler, mais Dean, lui, ça le fait sourire. Parce qu'on est pas à une minute près. Il sourit jusqu'au cinquième étage, descend, ses pas plumes sur la moquette bleue.

Et comme un matin sur trois…

"WINCHESTER," hurle Charlie.

Elle ne sort pas de son bureau. Pas besoin. Dean pousse un soupir, prend tout son temps pour retirer sa veste et la poser sur le dossier de son fauteuil puis remonte les manches de sa chemise, seulement jusqu'au milieu des poignets.

"Dean putain de Winchester, viens ici."

"Pas la peine de s'énerver," les yeux au ciel. "J'arrive."

Il fait quelques pas, plus assuré qu'il le devrait, et s'arrête dans l'encadrement de la porte.

Les bras croisés sur sa poitrine, Charlie le foudroie du regard. "Tu te fous vraiment de moi," siffle-t-elle.

"Bonjour, Charlie," plein d'ironie. "Moi aussi, je suis ravi de travailler avec toi, vraiment, c'est un plaisir de passer tant de temps entre les quatre murs de ce commissariat en ta compagnie. Un plaisir."

"La ferme," en secouant la tête. "Travailler avec toi, ce n'est un plaisir pour personne."

"Alors pourquoi tu t'obstines à essayer de me trouver un équipier?"

"Parce que tu travailles dans la police, sombre crétin," réplique Charlie. "Tu es censé savoir travailler en équipe, pas la jouer solo. Ton propre frère ne veut pas travailler avec toi, parce que tu es insupportable, irrespectueux, borné, insultant, et-" en se coupant toute seule, les sourcils froncés. "Tu m'écoutes, au moins?"

Plutôt violemment, Dean se mord la lèvre. "Je crois que tu ne veux pas que je réponde à cette question."

"Oh… espèce de sale connard prétentieux," un ton plus haut.

"Et c'est moi qui suis insultant?" en faisant la moue. "Ah, tu vois? J'ai écouté."

"Ton dernier équipier vient de démissionner," reprend Charlie, plus doucement, même si le calme n'est qu'apparence. "Trois jours passés avec toi, et il a démissionné."

"Celui d'avant n'a tenu qu'une journée," haussant nonchalamment les épaules.

"Dean-"

"Trois jours, c'est pas mal," imperturbable. "Loin du record imbattu d'une semaine, mais vraiment, c'est pas mal."

Un petit, vraiment tout petit, un rire lui échappe. Charlie l'ignore tant bien que mal. "Je vais t'en trouver un autre, et-"

"Tu n'abandonnes jamais?" coupe Dean, une main derrière la nuque. "Un équipier, un équipier… qui a besoin d'un équipier? je travaille très bien tout seul. Et crois-moi, si Sammy préfère travailler avec Ruby plutôt qu'avec moi, personne ne voudra."

"Sam n'est pas chiant, lui. Et il a l'esprit d'équipe."

"Je suis chiant?" son sourire plus provocateur que réellement moqueur. "Mais on est amis, Charlie, et j-"

"On est amis en dehors du commissariat," pour le corriger. "Ici, je suis ta supérieure, et j'en ai plus que ma claque de toi et de ton refus systématique d'obéir. C'est quoi, ton foutu problème avec l'autorité? Tu ne peux pas respecter la hiérarchie, et suivre les ordres qu'on te donne?"

"Je n'ai aucun problème avec l'autorité," moins amusé. "Je ne veux juste pas d'équipier, Charlie. C'est trop difficile à comprendre?"

"Tu ne fais pas ce que tu veux," insiste Charlie. "C'est trop difficile à comprendre?"

"Tu n'as qu'à faire ce que tu veux," en agitant la main. "Fais ce que tu veux, trouve un autre équipier. Et puis comme ça, tu pourras agrandir ta collection de lettres de démission. Si j'étais toi, je voudrais même les encadrer."

Et comme à chaque fois, Dean fait volte-face sans lui laisser le temps de répondre. Il balance son badge sur son bureau, se laisse tomber dans le fauteuil, puis remue rageusement la souris de l'ordinateur pour réveiller l'écran. Il pose un coude devant lui, le poing sous la mâchoire.

"Tu grinces des dents," en s'asseyant en face de lui.

Dean ne relève pas les yeux, mais il sait que Sam lui sourit. Il sourit sans attendre un retour. "Tu grinces vraiment des dents," répète-t-il.

"Je ne grince pas des dents," répond finalement Dean. "Je réfléchis."

"A un moyen de faire fuir le futur équipier que tu ne connais pas encore?"

"Je n'ai pas besoin de faire quoique ce soit," en lui adressant enfin un petit regard. "Ils partent d'eux-mêmes sans que j'aie besoin de remuer le petit doigt, et je crois que c'est vraiment le signe que je dois travailler tout seul. Si Charlie arrêtait de me casser les-"

"C'est le signe que tu ne fais aucun effort, tu veux dire," coupe Sam. "Tu pourrais… je ne sais pas, moi. Te montrer agréable, coopérer, faire un petit effort pour travailler avec quelqu'un."

"Et si… bordel, et si j'ai pas envie?"

"T'as vingt-sept ou douze ans et demi?"

"Ta gueule," marmonne Dean. "Charlie va finir par se lasser, et renoncer."

"Ça m'étonnerait beaucoup."

"Mmh," distraitement. "On peut sortir, ce soir?"

"Tu changes de sujet."

"Évidemment."

Du pouce, il triture pensivement l'alliance à son doigt. "On peut juste faire la tournée des bars entre frères," ajoute-t-il.

"Et Amélia?"

"Amy passe la soirée avec ses copines dans je ne sais plus quel bar," avec un haussement d'épaules. "Mariés, ça veut pas dire menottés, tu sais? On a besoin de soirées l'un sans l'autre, sinon ça n'ira plus entre nous, et je n'ai pas envie qu'elle passe ses nerfs sur moi. Vraiment pas."

"Fallait choisir un tempérament moins-"

"Eh!" en se penchant pour lui donner une petite tape sur le bras. "Ne critique pas le tempérament de ma femme. Je l'aime comme ça."

"J'allais dire… un tempérament moins comme le tien," soupire Sam. "Même si, j'avoue, j'adore la voir te remettre à ta place."

"Mais moi aussi, Sammy," en souriant de toutes ses dents. "Tu n'as pas idée à quel point j'adore quand Amy me remet à ma place, mais je crois aussi que tu n'as pas très envie de savoir comment elle s'y prend, parce qu-"

"Dans le mille," en le coupant. "Je ne veux pas savoir."

Dean rit, puis pose sur son frère un regard plus que bienveillant. "Allez, Sammy," reprend-il. "Une soirée entre frères, ça va te faire du bien. Je sais que ça ne va pas trop, entre Jess et toi, et tu as besoin de te changer les idées."

"Comment tu sais qu-"

"Je te connais vraiment par cœur," comme l'évidence.

"Mmh," en se renfrognant. "Va pour la soirée entre frères."

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Le reste de la matinée, Dean rédige des rapports d'enquêtes, tout en ignorant soigneusement les regards presque assassins que Charlie lui lance en déambulant d'un bureau à un autre. Il soupire mais ne réagit pas, parce que Charlie est vraiment son amie, depuis presque quatre ans, depuis qu'il a terminé l'école de police, sa meilleure amie et Dean déteste les conflits de ce genre.

Vers le milieu de l'après-midi, il se lève pour prendre la direction du couloir, puis bataille de longues minutes avec la machine à café. Il grogne en donnant un coup sur le côté, et Benny, derrière lui, éclate de rire. "Tu n'y arriveras jamais, hein?" en s'approchant. "Pousse-toi."

"On avait une vraie cafetière, avant," en se décalant d'un pas pour le laisser faire. "Tu as voté pour qu'on achète ce truc. Je te déteste. Je déteste cette machine à café."

"Apprends à t'en servir, et tu ne la détesteras plus," en appuyant sur un bouton.

Un simple bouton. Dean marmonne :

"Rappelle-moi pourquoi je t'adresse encore la parole?"

"C'est ce qu'on fait, entre amis," avec un petit rire. "On se parle. D'ailleurs… tu peux me dire ce que tu as encore fait?"

"Comment ça, qu'est-ce que j'ai fait?" les sourcils froncés.

"Ne fais pas l'innocent," rétorque Benny. "Charlie est d'une humeur massacrante depuis ce matin. Et c'est toujours à cause de toi, même indirectement. Il n'y a personne d'autre que toi capable de lui faire perdre son calme. Alors…? Qu'est-ce que tu as fait?"

"J'ai rien fait," en récupérant le gobelet de café, sans mettre de sucre. "Si elle arrêtait de vouloir à tout prix me trouver un équipier, on s'en sortirait mieux."

"Mon bureau est juste à côté du sien, et je l'ai entendue passer des coups de fils," en s'appuyant contre le mur. "Je crois qu'elle parlait avec un gars de New-York."

"New-York?" en tiquant.

"Mmh. Tu connais quelqu'un?"

Dean a un sourire. "Non, c'est… pas vraiment," cherchant ses mots. "Tu te souviens… je t'ai déjà dit, pour les deux ans que j'ai passés à l'université?" et Benny se contente d'acquiescer. "C'était là-bas. J'ai connu des tas de gens, et c'est juste… ça me rappelle des trucs."

"T'es allé à la fac de New-York?" surpris. "Tu es allé jusqu'à New-York faire une fac de droit qui ne t'intéressait même pas? Pourquoi si loin? Lawrence ne te plaît pas?"

"Longue histoire, Benny. Longue histoire," haussant les épaules. "Mais pour répondre à ta question, si, j'aime bien cette ville. J'ai grandi ici. C'est juste que c'est une-"

"Une longue histoire," complète Benny. "J'ai compris."

"Exactement," avec une gorgée de café. "Charlie peut embaucher qui elle veut, New-York ou peu importe, ça ne change rien."

"Je peux… te poser une question?"

"Essaie," malgré quelques réticences.

"On est amis simplement parce que je n'ai jamais essayé de faire équipe avec toi, et… qu'est-ce qui te déplaît tant chez les autres?"

Dean sourit encore, son sourire plus grand et moins sincère. "Je n'ai juste pas l'esprit d'équipe," finit-il par répondre. "Je ne suis pas Sam. Il a hérité des bons gênes, ceux de notre mère, et… moi pas. Ce n'est pas censé être un problème, mais Charlie n'est visiblement pas de cette avis."

"Mmh," en penchant légèrement la tête.

"Tu sais ce que j'aime chez toi, Benny?" après un court instant. "C'est que tu ne cherches pas à toujours tout savoir."

Benny ouvre la bouche pour répondre, mais Dean lui fait signe de patienter une seconde. Il plonge la main dans la poche de sa veste pour en sortir son téléphone, et un vrai sourire passe sur ses lèvres. "C'est Amy. On peut se parler plus tard?"

"Sûr," en se décollant du mur pour s'éloigner.

"Merci pour le café," ajoute Dean, avant de décrocher. "Eh… bébé."

"Salut," enjouée. "Tu as prévu de sortir avec Sam, ce soir?"

"Mmh," pour confirmer.

"Alors… essaie de rentrer sur tes deux pieds, en un seul morceau, et fais en sorte de m'épargner toute la nuit à te caresser le dos pendant que tu vomis tes organes vitaux."

"Mais pour qui est-ce que tu me prends?"

"Mieux vaut prévenir que guérir," affirme Amélia. "Je ne veux pas une autre nuit comme la dernière fois. Je t'aime, mais toi… un whisky et tu te crois marié avec la bouteille, et tu as l'alcool… vraiment téméraire. Fais juste attention à toi. Pas de beuverie. On est d'accord?"

Dean soupire et sourit en même temps. "Promis," dit-il. "Et je n'ai pas l'alcool téméraire, Amy. J'ai l'alcool joyeux."

"C'est ça," en ricanant.

"J'entends très bien l'ironie dans ta voix."

"J'entends très bien le sourire dans ta voix," sur le même ton.

"Mmh," fait Dean. "Est-ce que je dois donc partir du principe que tu n'as pas prévu de passer à l'appartement pour manger un truc?"

"Non," simplement. "Je vais rester tard au cabinet, et je rejoins directement les filles au bar. Est-ce que… ça te dérange? Tu voulais peut-être qu'on-"

"Ne t'inquiète pas," en la coupant. "On ira au restaurant demain soir."

"Italien?"

"Italien."

Amélia rit doucement, et Dean se mord l'intérieur de la joue. "Je t'aime," en traversant le couloir pour retourner dans son bureau. "Essaie de ne pas trop boire, toi non plus. Il faut qu'on soit conscients tous les deux."

"Tu as prévu quelque chose?"

"Peut-être," évasif.

Il s'assoit, une jambe repliée sous sa cuisse et le téléphone calé entre l'oreille et l'épaule. "Je t'aime," encore une fois. "A ce soir?"

"Je t'aime aussi, Dean."

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Sam hausse un sourcil, arrachant à Dean un grognement exaspéré. "Oh, Sammy," fait-il. "Épargne-moi cette tête-là, tu veux?"

"Quelle tête?"

"La tête que tu fais quand tu comprends que tu vas devoir me porter pour rentrer," en avalant une autre gorgée de whisky.

"Je vais devoir le faire?" demande Sam.

"Mmh," l'air faussement songeur. "Peut-être seulement m'aider à marcher."

"Dean," en levant les yeux au ciel.

"Ça va, ça va," en gardant un sourire pour lui. "J'ai promis d'être sur pieds, mais dans un sens, peut-être… peut-être que plus vite je bois, plus vite je rentre à la maison."

"Plus vite tu bois, moins bien tu vas marcher."

"Mmh… j'admets," réplique Dean. "Ta logique est meilleure. Bon. Et toi?"

Sam hausse les épaules, et Dean lui donne une tape sur le bras. "Tu ne veux pas m'en parler?"

"C'est pas ça," en secouant la tête. "Jess est juste… elle est encore à la fac, et moi, je suis flic. Depuis peu de temps. Je travaille beaucoup, on ne se voit vraiment plus aussi souvent qu'avant, et… j'ai l'impression qu'on s'éloigne. Elle me reproche de ne pas être suffisamment là pour elle, et si j'avais su qu'elle ne supporterait pas de me voir travailler avec une autre femme, je n'aurais pas accepté de faire équipe avec Ruby, même si elle est géniale et même si on s'entend super bien."

"Les femmes sont-"

"Je te jure," coupe sévèrement Sam. "Je te jure que si tu me sers je ne sais quelle généralité sexiste, je te plante là, tout seul avec ton whisky. T'as compris?"

"Tout doux," avant de terminer son verre. "J'adore les femmes. J'adore tout le monde, Sam. Et j'aime ma femme."

Il y a un court silence, Sam l'observe attentivement, puis acquiesce. "J'ai juste l'impression qu'on est plus sur la même longueur d'ondes, Jess et moi," finit-il par reprendre. "Elle est à la fac. Et j'ai… ok, j'ai… elle est jalouse de Ruby, mais moi, j'ai peur qu'elle rencontre quelqu'un d'autre."

"La fac, c'est vraiment un autre monde," en faisant signe au barman. "Des tas de gens… regarde, moi, j'ai rencontré des tas de gens, et-"

"Tu as couché avec des tas de gens, quand tu étais à la fac," rectifie Sam. "Tu n'es pas du tout un bon exemple."

"J'ai pris du bon temps, tu veux dire," en riant doucement. "Je n'ai jamais voulu faire des études, et tu vois, les arrêter, c'est ce qui m'a réussi. L'école de police, c'était bien. C'était mieux que la fac, et ça me plaît d'être flic."

"C'était ce que papa voulait pour toi," avec une légère grimace. "C'était ce qu'il voulait pour nous deux."

Dean vide la moitié de son verre fraîchement rempli, et les trop longues gorgées brûlent en descendant. "Eh bien peut-être qu'il avait raison," dit-il. "Je suis allé à la fac pour faire le contraire de ce qu'il voulait. Et parce qu'avec maman… ce n'était plus vraiment vivable."

"Je sais," acquiesçant. "Je sais que c'est pour ça que tu es parti à l'autre bout du pays."

Plus amer, Dean ne répond pas vraiment. Il avait quitté la maison à ses dix-huit ans, simplement dans l'espoir un peu idéaliste de ne plus faire que ce qu'il voulait. D'échapper à l'influence de son père, à la pression constante, les fausses obligations et les prétendues responsabilités. Il s'était inscrit dans l'université la plus grande et la plus éloignée de chez lui, comme si ça pouvait l'aider à se fondre dans la masse, pour ne plus être le fils de John Winchester. Pour n'être plus que Dean. Et deux ans, deux années de droit sans vraiment suivre les cours, il avait fini par revenir sur ses pas pour suivre le chemin déjà tout tracé. Et maintenant, à vingt-sept ans et même si Dean aime ce qu'il fait, il ne peut s'empêcher de se dire qu'il est exactement là où son père voulait qu'il soit.

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"Dean? Tu m'écoutes?"

Dean relève les yeux vers l'expression incrédule sur le visage de son père.

"Dean?"

"J'ai dit que j'allais partir, papa," répond Dean, le ton neutre. "Je vais à New-York."

"J'ai entendu ce que tu as dit," en secouant la tête. "Et j'ai dit non."

"Et moi, je dis que j'ai dix-huit ans."

Il se lève brusquement, renversant presque la chaise sur laquelle il était assis, puis quitte la cuisine sans un regard pour John, qui pourtant le suit jusque dans sa chambre. "Dean, s'il te plaît," reprend-il, sans entrer. "Tu pourrais prendre une minute pour y réfléchir? Je ne veux pas que tu partes."

"C'est déjà tout réfléchi," en attrapant la valise sur le haut de son armoire. "Je veux partir, et je vais partir."

"Et ta mère?"

"Arrête," siffle Dean. "N'utilise pas maman pour me forcer à faire ce que tu veux que je fasse, et… tu sais quoi? Tu veux entendre la vérité? Maman se fout de savoir si je suis là ou non. Puisqu'elle ne me reconnaît même plus."

"C'est faux," plus fermement. "Tu es le seul qu'elle reconnaît encore parfois, et-"

"Parfois," en le coupant. "Qu'est-ce que ça veut dire? Tu pourrais essayer de te mettre dans la tête que maman est malade, et qu'elle va-"

John fait claquer sa langue contre son palais, et ça suffit. Dean se tait, sans pour autant cesser de fourrer tous ses vêtements dans sa valise.

"Et Sammy?" changeant son angle d'attaque. "Tu veux abandonner ton frère ici?"

"Qui parle d'abandonner?" avec un rire trop amer. "Je vais à la fac, pas en prison. Sammy peut venir les week-end, et moi… je rentrerai. Parfois. Ça te va, comme ça?"

"Non," un ton plus haut. "Non, ça ne me va pas du tout, Dean."

"C'est ton problème," réplique Dean. "Tu n'as plus rien à m'interdire, et je vais-"

"Et qui va payer tes études?"

"Mon compte épargne," sèchement. "Je ne te demande rien, tu devrais être content."

"Content de perdre mon fils?"

"Oh, mais arrête un peu," en poussant un soupir agacé. "Je ne suis pas mort. Et puis, tu sais, c'est plutôt normal… de partir faire des études."

Il y a un silence, qui ne semble pas perturber Dean le moins du monde.

"Qu'est-ce que tu fuis, Dean?" laisse tomber John. "Qui est-ce que tu fuis?"

"Qu'est-ce qui te fait dire que je fuis?"

"Je suis ton père, alors je sais," sans le lâcher des yeux, même si Dean ne le regarde pas. "On est proches, toi et moi, et tu as toujours été un-"

"Si tu me sors que j'ai toujours été un bon fils, je te jure que-"

"Mais c'est la vérité," exaspéré. "Partir faire des études, c'est la lubie de ton frère, et il n'a que quatorze ans! Toi, tu étais censé être flic, Dean. Comme moi. Tu étais censé-"

"Mais bordel, tu ne comprends vraiment rien," en se retournant vers lui. "Je ne veux pas être un bon fils, je ne veux pas être flic, et putain de merde… tu veux savoir qui je fuis? Toi. C'est toi que je fuis."

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Il vide son verre . "Je suis revenu, finalement," en forçant le ton plus enthousiaste. "L'air est vraiment plus doux, ici."

"Je sais pourquoi tu es revenu, mais je ne sais pas pourquoi tu es resté."

"C'est la soirée des confidences?" en tendant le bras pour attraper la bouteille de whisky, posée sur le comptoir, remplissant son verre et celui de Sam au passage. "Je suis resté parce que… ma vie est ici. J'ai rencontré Amy, je suis marié, j'aime mon travail, et je t'ai, toi. Ma vie est ici."

Dean baisse les yeux sur son alliance, bientôt attiré par les minuscules cicatrices rondes, brûlures de cigarette, dans le creux de son poignet gauche. Il respire. "Ça fait presque sept ans, Sam," reprend-il. "Tu ne crois pas que je serais retourné à New-York si je ne me plaisais pas ici?"

"Mmh," en faisant distraitement tourner le whisky dans le fond de son verre.

"Pour en revenir à Jess," après une seconde. "Laisse venir. Peut-être que ça va s'arranger entre vous, ou peut-être pas. Tu n'as rien à te reprocher avec Ruby, vous ne faites que travailler ensemble. Vous êtes amis. Tu veux que je te dise? C'est peut-être une généralité sexiste, mais les hommes sont moins compliqués, et parfois… ah, je te jure que parfois, je regrette d'être marié."

"Dean…" en roulant des yeux.

"Tu sais ce que ça veut dire, être bisexuel?"

"Je suis sûr que ça ne veut pas dire penser à baiser tout ce qui bouge."

"Mais je ne fais que regarder!" proteste Dean. "J'ai quand même le droit de regarder, non?"

"Ça dépend de ce que tu regardes, et jusqu'où vont tes pensées," avec un petit rire.

Rire, parce que Sam a su avant son frère. Il a toujours su, en réalité, même quand Dean refusait encore de l'admettre.

"Crois-moi, Sammy," plus sérieux. "Aucun mec, peu importe à quel point il est sexy, ne pourrait me faire tromper Amy. Premièrement parce qu'elle me suffit largement, parce que je l'aime, et en plus… non mais tu l'as vue quand elle s'énerve? Elle est-"

Dean s'interrompt, le regard brusquement aimanté par un autre. Debout près de la porte. Le cœur de Dean rate un battement, il cligne des yeux, et croit à un mirage. Il sursaute quand Sam pose une main sur son avant-bras, puis cligne encore une fois et tourne la tête vers son frère. Celui-ci le dévisage, incrédule.

"Quoi?" demande Dean.

"Toi, quoi?" fronçant les sourcils. "Qui tu as vu?"

"Je-" et il regarde de nouveau la porte, pense sincèrement avoir rêvé. "Non… non, rien. Personne. C'est impossible."

Son malaise est presque palpable, et Sam serre légèrement son avant-bras. "Tu te sens bien?" demande-t-il.

"Oui," en rajoutant trop de whisky dans son verre. "J'ai cru voir quelqu'un. Ça va, Sammy."

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Les pas de Dean ne laissent deviner que l'ivresse, alors qu'il referme la porte d'entrée de l'appartement derrière lui. "Amy?" un ton trop haut.

Amélia sort de la salle de bains, les deux mains dans ses cheveux blonds pour les nouer en chignon. "Mmh," fait-elle. "Heureusement que tu avais promis."

"Je suis sur pieds, je suis en un seul morceau, et je ne… non, je ne crois pas avoir envie de vomir mes organes vitaux."

Sa voix est légèrement traînante, et Amélia s'approche doucement pour le prendre par la main. "T'es complètement ivre," en l'entraînant doucement dans la salle de bains.

"Mais je-" sans trouver ses mots.

Elle le fait asseoir sur le rebord de la baignoire, et Dean ne proteste pas. Il se laisse faire, plus que docile, quand elle retire sa veste et la chemise qu'il porte en dessous. Amélia se retourne pour attraper une serviette propre, tourne le robinet et humidifie légèrement le tissu avec de l'eau froide.

Silencieux, Dean lève un bras, paume d'abord vers le haut. La lumière tape, éclaire les très fines estafilades roses qui creusent sa peau, le verre cassé d'une bouteille et les blessures qui semblent accidentelles. Il baisse les yeux, tout de suite vers le bas de son ventre, là où d'autres commencent et disparaissent sous la ceinture. Et puis partout, partout sur tout son corps les cicatrices éparpillées, accidents ou bien celles qui hurlent la douleur trop intense.

Amélia se retourne, et Dean relève vers elle des yeux qui brillent trop de larmes contenues. De l'ivresse aussi. Il les laisse couler sur ses joues.

"Tu vois… l'alcool et toi, vous n'allez pas ensemble," en s'asseyant à côté de lui.

Elle passe délicatement la serviette sur le haut de son torse. "Tu as envie d'en parler?" demande-t-elle.

"Je suis ivre, Amy, ce que je pourrais dire… aucun sens."

"Au contraire," en descendant le long de son bras. "Ça a du sens. Tu ne l'es pas autant, d'habitude, et tu bois plus quand tu es triste. Tu essaies de te détruire quand tu es triste."

"J'ai… aucune raison d'être triste," en secouant la tête.

"On sait tous les deux que c'est faux," calmement. "Tu peux être triste. Tu n'aurais juste pas dû boire autant. Ça fait remonter des souvenirs."

Dean a un sourire, un sourire vraiment ivre. "J'ai vu un souvenir, ce soir," murmure-t-il. "J'ai vu un beau souvenir, et je crois… il a les yeux bleus, tu sais. Les yeux vraiment bleus. Je crois que j'étais déjà un peu ivre, parce que… je n'aurais pas pu le voir, sinon. Tu comprends?"

"Et toi?" en reposant la serviette près du lavabo. "Tu comprends ce que tu ressens?"

"On avait pas dit… que tu ne pouvais pas être ma psy et ma femme en même temps?" en balbutiant plus qu'il ne parle. "Tu dois choisir, Amy. Tu peux redevenir seulement ma psy, si tu veux, mais… ça ne me plaît pas. Tu sais que je t'aime, hein? Je n'ai pas souvent aimé… je ne suis pas doué. Seulement deux fois. Une fois toi, une fois… une autre fois. Une seule autre fois."

Amélia caresse doucement son visage. Le bout de ses doigts râpe contre la légère barbe, et elle inspire. "Je sais," répond-elle. "Tu ne voudrais pas t'allonger?"

"Juste s'allonger?"

"Mmh," acquiesçant. "Tu n'es pas en état pour quoique ce soit d'autre."

"Tu m'en veux?" un peu plus vivement. "Je n'aurais pas dû boire, je n'aurais pas… je suis désolé. Je suis vraiment désolé, Amy. Je devrais pouvoir être plus-"

"Dean," coupe Amélia, en attrapant sa main pour attirer son attention. "Ça va."

"Mais je suis désolé, je-"

"Je ne t'en veux pas du moment que tu ne te mets pas volontairement en danger."

"Je ne… je ne suis plus comme ça," en secouant maladroitement la tête.

Amélia se penche pour l'embrasser sur la joue, sans vraiment lui dire que ce qui est en lui l'est pour toujours et que le verre brisé marque l'âme plus profondément que sa peau.

"Je ne suis plus comme ça," répète Dean.

"D'accord," pour le rassurer. "On va s'allonger. Tu es vraiment… vraiment très ivre. Ça ira mieux, demain."

Toujours aussi docile, Dean se lève, sa main étroitement glissée dans la sienne.

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Lawrence Police Department. "Respire."

Respire, c'est ce que Castiel se répète sans arrêt, depuis qu'il est tout petit. Une inspiration, une expiration. Pour garder son calme, ne pas s'énerver. Rester parfaitement impassible et ne rien montrer. Exactement comme son père le lui a si souvent répété.

"Respire," c'est ce qu'il se dit en passant les portes du grand hall.

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Dean balance son bras, grogne en heurtant le bord de la table de nuit, puis parvient finalement à attraper son téléphone. "Putain," en tournant difficilement la tête, la joue enfoncée dans l'oreiller. "Putain de merde," en se redressant, trop vivement pour la migraine qui lui vrille tout l'intérieur du crâne.

"Tu es sûr de vouloir aller travailler, aujourd'hui?" demande Amélia, adossée à la tête de lit.

"Je suis déjà en retard," en repoussant les couvertures. "C'est juste une gueule de bois, Amy. Je pense pouvoir m'en sortir."

"Tu avais prévu de boire autant, hier soir?"

Coupé dans son élan, Dean s'arrête à deux pas de la salle de bain. Il se retourne doucement pour lui faire face. "Non," répond-il. "Non, je te promets que non."

"Ça faisait longtemps," en fronçant légèrement les sourcils. "Et tu avais l'air… tu te souviens de ce que tu as dit? Tu as vu quelqu'un, au bar? C'est pour ça que tu as bu comme ça?"

"J'ai cru voir quelqu'un," corrige Dean. "Ce n'est pas… important."

Amélia penche la tête, l'air peu convaincue, mais n'insiste pas. Dean force un petit sourire. "Je vais prendre une douche," en se retournant. "Ne t'inquiète pas. Ça va."

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Moins d'une heure plus tard, Dean sort de l'ascenseur au cinquième étage, en marmonnant, le pas traînant et l'humeur plus qu'exécrable. Il n'a pas encore atteint son bureau que Sam se plante devant lui. "Tiens," en lui tendant un double-triple espresso. "Tu as besoin de ça."

"Merci," en prenant le gobelet.

"T'as vraiment… une sale gueule," avec un petit geste vers son visage.

Son teint presque cireux, et les cernes trop bleues sous ses yeux. Dean avale une grande gorgée de café. "Ouais," grommelle-t-il. "Merci de m'avoir raccompagné, d'ailleurs. Pas sûr que j'aurais retrouvé le chemin de la maison tout seul."

"Mmh," en faisant la moue. "C'est normal."

"DEAN."

La voix de Charlie résonne trop fort, et Dean, sans bouger, pousse un soupir de frustration et d'agacement mêlés. "Je veux mourir, Sam. Je veux mourir tout de suite."

"Courage," en lui donnant une petite tape sur l'épaule. "C'est juste un mauvais moment à passer."

Dean roule des yeux, puis contourne son frère pour prendre la direction du bureau de Charlie, commençant déjà à plaider sa cause avant même l'encadrement de la porte :

"Tu ne pourrais pas me passer un savon plus tard? Sérieusement, Charlie, j'ai une gueule de bois à me taper la tête contre le mur," en s'arrêtant sur le seuil, soupir aux lèvres. "Et je sais déjà ce que tu vas me dire, je-" la main serrée autour de son gobelet à l'en faire exploser, de peur de le lâcher. "Putain de-"

Quand il croise le regard de Castiel, appuyé contre le mur de droite, tout l'air contenu dans ses poumons se retire d'un seul coup. Et c'est douloureux, et Dean fronce les sourcils, les yeux ouverts, plongés dans le bleu dont il se souvient trop bien, comme un souvenir trop vif et trop passé en même temps. Il inspire une grande goulée d'air pour reprendre contenance. "Putain," encore une fois.

"Tu l'as déjà dit," fait remarquer Castiel, le ton si calme.

"C'était toi, hier soir?" cloué sur place. "Je n'ai pas rêvé."

"Tu rêves de moi?"

Il ne sourit pas. Son expression totalement figée, Castiel se contente de rester immobile, les bras croisés sur son torse, les omoplates collées au mur derrière lui. Dean sent son cœur faire une embardée. Il secoue la tête. "Plus depuis longtemps," finit-il par lâcher.

Charlie, jusque-là témoin silencieux, se racle la gorge. "Visiblement, je n'ai pas à faire les présentations," dit-elle. "Très bien, alors… Dean, tu-"

"Non," en la coupant.

"Quoi, non?"

"Castiel et moi, on ne… peut pas travailler ensemble," avec l'impression de reprendre brusquement conscience. "Je refuse."

"Tu refuses?" répète Charlie. "Tu ne refuses rien du tout. Je décide, et il va falloir que ça rentre dans ta petite tête. Tu commences sérieusement à m'emmerder."

"Rien à foutre," en appuyant sur chaque mot. "J'ai dit non, Charlie."

"Tu vas faire ce que je-"

"Non," plus fermement. "C'est… absolument hors de question. Hors de question."

Il commence à se retourner, mais Charlie siffle :

"Reste ici, et je ne plaisante pas," un ton plus haut. "Si tu sors de ce bureau, tu peux dire adieu à ton badge, à ton arme de service et tout ce qui s'en suit."

"Tu me menaces?" figé sur le seuil. "Comme si t'allais me virer. Je suis super bon dans ce que je fais, et tu ne peux pas me-"

"Tu es prêt à parier ton travail là-dessus?" l'interrompt Charlie. "Tu es peut-être doué, ça ne fait pas le poids par rapport à tout ce que j'ai à te reprocher. La liste est vraiment très longue, beaucoup trop, et je te conseille de calmer tes ardeurs si tu ne veux pas prendre la porte."

Dean jette un bref coup d'œil à Castiel, toujours dans la même position, toujours impassible. Il lui rend son regard mais ne dit rien, et Dean soupire. "Je ne veux pas d'équipier, Charlie."

"Dis plutôt que ce sont les équipiers qui ne veulent pas de toi, espèce d'abruti," en secouant la tête. "Tu fais tout pour les faire fuir."

"Je n'ai rien besoin de faire," réplique Dean. "Ils partent tout seuls. Je n'inspire pas la sympathie… qu'est-ce que tu veux que je te dise?"

"Je veux que tu fasses un effort," plus doucement. "S'il te plaît, Dean. Je n'aime pas être obligée de te menacer, et je voudrais que ça vienne de toi. Fais juste un effort. On dirait que je te demande la lune, mais c'est normal de savoir travailler en équipe."

"Ça ne marchera jamais," en agitant la main. "Mais je vais faire ce que tu veux, et on en reparle dans une semaine. Pense à ce que je t'ai dit. Je t'achèterai même un cadre pour la lettre de démission de Castiel, si tu veux."

Sans un regard à ce dernier, Dean fait volte-face. Il se dirige rageusement vers son propre bureau, mais pivote quand il entend les pas derrière lui. Presque instinctivement, il sait que c'est Castiel. A sa façon de marcher. Ils se retrouvent nez-à-nez. Castiel ne dit rien, et Dean serre les dents. "Je ne sais pas ce que tu fais là," sèchement. "Je ne sais pas et je m'en fous. Je veux juste que tu t'en ailles."

"Peu de chance," répond Castiel.

"Tu ne… mais pourquoi maintenant? Qu'est-ce que tu-"

"Je croyais que tu t'en foutais."

De colère, la mâchoire de Dean tressaute. "Arrête ça," crache-t-il. "Tu n'as pas le droit… je ne veux pas que tu sois là. Tu n'as rien à faire ici."

"C'est une coïncidence," avec un léger haussement d'épaules. "Je n'ai rien choisi, et je n'ai vraiment… je n'ai pas le choix."

"C'est ça," en ricanant. "Tu vas me faire croire que le hasard fait si mal les choses?"

"Peut-être."

Dean prend une inspiration pour contrôler la colère qui l'envahit. Il secoue la tête. "Je ne veux pas de toi ici," dit-il. "Je ne veux pas de toi ici, et je ne vais pas te laisser revenir dans ma vie."

L'expression de Castiel change, presque imperceptiblement mais Dean s'en rend compte. D'impassible, il passe à glacial. "Tu sais quoi, Dean?" cette fois beaucoup trop calme. "On va voir si je peux revenir dans ta vie aussi vite que toi, tu t'es enfui de la mienne."