Ce n'est pas sans émotion que je vous offre ici le premier chapitre de mon dernier bébé en date, en ce jour de sortie du nouvel Avengers, que je vais aller voir dès cet après-midi, impatiente que je suis. ;) J'ai commencé à écrire cette fic voilà plus de trois ans, y revenant régulièrement sans jamais être capable de la mener à son terme, mais la perspective de cette sortie ciné m'a offert une motivation inattendue. Alors ces dernières semaines j'y ai consacré tout mon temps pour être prête le jour dit :) Pas d'inquiétude donc, la publication sera régulière.
Il s'agit d'un UA, donc ici aucun super pouvoir et les caractères seront parfois différents de ceux qu'on connaît à ces personnages qu'on aime tant. Egalement, j'ai déjà pu lire à certaines occasions que des lecteurs se plaignaient que tous les personnages du fandom soient subitement tous homo dans une fic alors qu'au contraire ils sont tous hétéro dans le fandom. Pour info si jamais ça devait effectivement déranger quelqu'un, à de très rares exceptions dans cette fic tous les personnages seront effectivement homo, mais vu que ça se passe dans ce milieu je pense que ça reste crédible, et encore une fois c'est un UA donc je ne trahis pas le fandom . J'espère de fait que vous apprécierez ce que j'en ai fait.
Un petit mot sur les warning ! De par le thème de cette fic, je me devais d'aborder quelques sujets sensibles, même s'ils restent globalement en arrière-plan, parce que c'est principalement un texte léger qui raconte simplement l'histoire de garçons qui se font des bisous XD Mais je préfère prévenir, par moment on y parlera homophobie, suicide, sida... Rien de réjouissant, mais après tout ça aussi c'est la vie, malheureusement...
Au fil des années, j'ai adoré retrouver cette fic, tout comme je me suis régalée à m'y consacrer totalement ces dernières semaines, j'espère donc très sincèrement que vous aimerez également :) Et bien sûr, partagez votre avis. Je sais que c'est l'éternel sujet qui fâche, mais les reviews c'est important. Quand je vois les heures que j'ai pris de mon temps pour cette fic, même si je l'ai fait volontairement et avec plaisir, ça me décevrait beaucoup de n'avoir que peu de retours. Ces derniers temps c'est pourtant une tendance qui se généralise malheureusement et je parle en connaissance de cause quand je dis que la motivation s'en ressent. Récemment j'ai été à deux doigts de supprimer toutes mes fics publiées et m'éloigner définitivement d'ici tant j'avais le cœur gros. Je suis quelqu'un qui doute en permanence de son travail, plus je relis une fic avant publication et moins j'ai envie de la poster tant je la trouve minable, je peux vous assurer que le silence des lecteurs me conforte en général dans cette idée et je perds très vite le peu de confiance que je pouvais avoir. Je parle de moi, mais je sais pour en avoir parlé avec d'autres auteurs que je ne suis pas la seule à penser ainsi. Je comprends qu'on ne puisse pas commenter tout ce qu'on lit, mais laisser un avis est souvent salvateur pour des auteurs qui passent des heures de leur temps libre à travailler à vous offrir des fics un minimum fouillées, corrigées... Je ne vais pas faire de chantage à la publication, du genre "si je n'ai pas tant de reviews je ne poste pas le chapitre suivant", je ne vais forcer personne, ce n'est pas mon genre, je rappelle juste cet état de fait parce que je pense que si ce site vous plait, si vous aimez à trouver régulièrement de nouvelles fics, c'est aussi à vous de faire en sorte que ça continue. Les lecteurs ont un rôle aussi important ici que les auteurs.
Après cette petite minute polémique, je reviens à plus joyeux. N'hésitez pas également dans vos commentaires à me dire ce que vous aurez pensé du film quand vous l'aurez vu, c'est sympa je trouve de pouvoir échanger sur ce genre de sujets qui nous réunissent ici. Entre fans, on se comprend tellement.
Merci de me lire, car même si il y a des hauts et des bas, être ici c'est ma bouffée d'oxygène, sans ce site, sans ces fics et sans vous, la vie serait quand même sacrément moins belle...
Chapitre 1.
Les premières lueurs du jour commençaient tout juste à poindre lorsque Steve Rogers gara sa moto devant le petit immeuble dans lequel il vivait, depuis ce qui lui semblait être une éternité. Les voisins étaient parfois bruyants, son propriétaire pas toujours compréhensif quand le loyer tardait, pourtant il ne serait parti pour rien au monde. C'était son quartier ici, il était chez lui et il avait conscience qu'avec ce qu'il gagnait il pouvait s'estimer heureux d'avoir un deux-pièces, aussi minuscule soit-il, dans cette ville qu'il aimait tant. Après quelques années d'exil sur la côte Ouest entre Los Angeles et San Francisco, pour voir si l'herbe était plus verte ailleurs, son retour à New York avait été comme un retour aux sources et il ne se voyait plus vivre ailleurs.
Retirant son casque, il passa la main dans ses cheveux ébouriffés. Il appréciait la couleur de blé de ceux-ci, qui semblaient avoir pas mal de succès, même s'il n'était pas toujours très regardant concernant son apparence, ce qui n'avait jamais été un frein pour séduire les hommes qu'il voulait, bien au contraire. Ce matin, il portait un simple tee-shirt blanc, un jean qui avait été moins usé à l'origine et ses éternelles boots noires. C'était ce qu'il avait enfilé la veille afin de passer la soirée dans un bar et il n'avait eu aucun mal à se faire inviter à passer la nuit chez le canon qu'il avait remarqué dès son arrivée. Beau gosse, dont il avait oublié le prénom, pour ce que cela avait comme importance, qui s'était également avéré être un bon coup. Les quelques heures passées à ses côtés avaient été géniales, pourtant Steve savait que le numéro de téléphone glissé dans sa poche au moment de son départ filerait directement à la poubelle sans escale.
Il ne revoyait jamais ses coups d'un soir, pas volontairement en tout cas. C'était une règle de conduite à laquelle il n'avait jamais eu le moindre désir de déroger. S'il assumait pleinement autant son homosexualité qu'une vie sexuelle totalement dissolue, il était peu porté sur les sentiments. Il voyait bien souvent autour de lui combien l'amour pouvait faire mal, alors il était plus que satisfait à se contenter à cultiver quelques amitiés solides et se noyer dans le travail. Bucky, son meilleur ami, lui disait souvent qu'il reverrait sa façon de voir la vie lorsqu'il tomberait sur le bon, mais Steve se demandait bien comment ceci pourrait arriver vu sa façon d'agir. Effectivement, hors Bucky lui-même, il ne fréquentait personne assez longtemps pour seulement avoir l'opportunité de se laisser aller à éprouver quelques sentiments. Ayant grandis et découvert leur homosexualité ensemble à l'adolescence, les deux hommes avaient essayé de se fréquenter, jusqu'à comprendre après quelques jours à ne pas quitter le lit que c'était définitivement l'amitié qui primait entre eux. C'était aussi bien ainsi, cette relation-ci au moins n'était pas vouée à l'échec.
Celui qu'il considérait comme son frère était la meilleure preuve que chercher l'amour à tout prix n'assurait aucune stabilité. Bucky effectivement croyait en l'âme-sœur et avait entretenu bien des relations suivies, avait aimé très souvent, pour systématiquement finir le cœur en miettes, épaulé par un Steve parfaitement dubitatif quant à cette façon de se faire souffrir quasiment volontairement. Lui ne voulait pas de ça et se satisfaisait largement de ce qu'il avait. D'ailleurs, pourquoi se contenter d'un seul homme de toute façon destiné à devenir décevant, quand les bars et autres clubs regorgeaient de beaux spécimens qui ne demandaient qu'à lui ouvrir les bras ?
Gravissant d'une démarche souple les trois étages pour atteindre son appartement, il alluma son portable qu'il avait éteint en arrivant chez son amant la veille. S'il y avait une chose qu'il avait en horreur, c'était d'être dérangé en pleine action, aussi se coupait-il totalement du monde extérieur dans ces moments-là. Chacun ses priorités et le sexe était justement l'une des siennes, ce dont il n'avait aucune raison de rougir.
Il eut un grognement en découvrant le sms envoyé par Bruce tard dans la nuit. Bon, ce n'était pas vraiment comme si sa demande l'étonnait, mais ça n'arrangeait pas vraiment ses affaires. Bruce Banner, le responsable de l'association au sein de laquelle Steve officiait depuis bien des années déjà, le suppliait de le remplacer en fin d'après-midi pour une brève interview qui avait été organisée dans le but de promouvoir leur travail. Bruce s'engageait énormément dans la cause qu'ils défendaient et était doué pour tout organiser d'une main de maître et gérer sa petite équipe, mais il était un homme de l'ombre. Chaque fois qu'il fallait se mettre en avant auprès des journalistes ou lors de manifestations, il trouvait toujours une bonne excuse pour passer la main à Steve, autant parce que celui-ci était son bras droit que parce qu'il passait très bien à la télé et était parfaitement à l'aise en défendant en public cette cause qui lui tenait tant à cœur. Cet entretien serait du gâteau. L'association après tout tournait bien et débordait de projets concrets, voilà ce qu'il allait falloir rappeler, une façon efficace généralement de provoquer quelques dons, parce que les finances restaient toujours limites, c'était là leur gros point noir, ce dont il était bon de parler. L'actualité bien souvent douloureuse offrait également un sujet de bon ton, l'occasion de redire encore et toujours que leur combat était plus que jamais utile et malheureusement certainement pas près de s'arrêter.
Steve n'avait préparé aucun discours et ne le ferait pas d'ici là, parce que c'était bien inutile. Dans le feu de l'action il savait toujours exactement quoi dire et n'était jamais aussi bon que lorsqu'il s'emportait. Définitivement, c'était normal que Bruce fasse appel à lui. Il répondit donc qu'il n'y avait aucun problème et qu'il serait là à l'heure. Ne restait plus qu'à trouver le moyen de ne pas s'attirer les foudres de son patron.
Le propriétaire de la petite librairie dans laquelle il travaillait depuis quelque temps était plus que conciliant, mais à trop tirer sur la corde en s'absentant régulièrement, tôt ou tard il perdrait ce boulot comme il avait perdu tous les autres. Ce n'était pas comme si cela le traumatisait réellement, ce n'était après tout qu'un job et ce n'était pas certainement pas là-dedans qu'il s'épanouissait, mais il fallait bien payer les factures. Or l'association et tous ces à-côtés ne nourrissaient pas son homme. Il n'aurait pourtant changé ce mode de vie pour rien au monde, s'épanouissant bien trop dans cette activité qui lui tenait tant à cœur.
Tout jeune, alors même qu'il comprenait peu à peu ce qu'il était, à savoir un garçon qui aimait les autres garçons, il avait su qu'il ne serait pas traité tout à fait comme les autres et aurait à accepter bien des difficultés. Pas un instant pourtant il n'avait songé à se cacher, aider en cela par des parents tolérants et n'ayant jamais hésité à l'accepter comme il l'était, malgré certaines réticences compréhensibles. Son père était mal à l'aise avec lui, mais il le comprenait et ne lui reprochait certainement rien, et si leurs relations avait été parfois tendues, Steve avait eu bien plus de chance que nombre de jeunes dans sa situation. Depuis lors, il affrontait le regard d'autrui la tête haute et chaque injustice à laquelle il était confronté le rendait un peu plus fort. Il avait la chance d'être bien dans ses baskets, et parfaitement en phase avec ce qu'il était, mais il savait que bien d'autres n'avaient pas cette facilité. Parce qu'ils n'avaient pas sa force de caractère, parce que les épreuves étaient trop nombreuses, parce que le soutient ne venait jamais… Les raisons étaient diverses et pas bien importantes au fond.
Il y avait bien des années, Steve était devenu un activiste farouche, autant pour faire entendre la voix des gens comme lui que pour aider ceux qui en avaient besoin. De cette façon, il avait l'impression d'être vraiment utile et parvenait du même coup à supporter les injustices qui étaient quotidiennes dans le pays, sans parler du monde entier. Peu à peu, défendre ses convictions et taper du poing quand il le fallait, était devenu toute sa vie.
Refermant la porte de son appartement derrière lui, Steve eut un bref sourire. Il ne se sentait jamais mieux que chez lui, dans cet endroit où rien jamais ne semblait pouvoir l'atteindre. Ces quelques dizaines de mètres carrés ne payaient pas de mine, mais c'était sa forteresse. Quelques affiches de ses films favoris accrochés aux murs, au milieu de ses plus belles peintures, des photos de ses proches, sa collection de dvd, voilà qui faisait oublier la vaisselle mal assortie, le canapé usé et les murs défraîchis. A son retour dans la ville, il s'était installé chez Bucky provisoirement et quand ils avaient recommencé à coucher ensemble, Steve avait compris l'importance de trouver vite un chez lui décent, parce que ce genre d'activité avec son meilleur ami, aussi agréable soit-elle, risquait bien de tout foutre en l'air entre eux. Il avait visité pas mal d'endroits tous plus décevants les uns que les autres, mais son budget serré ne lui permettait guère de folies, jusqu'à trouver cette perle rare. Son dossier était loin d'être parfait, mais sucer le gamin envoyé par l'agence de location avait fait des miracles. Quitte à être à l'aise avec sa vie sexuelle, autant que cela lui rapporte parfois. Il ne l'avait pas regretté, le type en question était plutôt pas mal et l'appartement surtout un vrai coup de cœur, qu'il ne quitterait plus pour rien au monde.
A tout prendre, il aimait plutôt bien sa vie. Même enchaîner les boulots merdiques et n'avoir guère d'attache ne le dérangeait pas. Pas tant qu'il y avait ces gamins reconnaissants qui parfois le prenaient pour le messie quand il leur apportait un peu de ce soutient qu'on n'aurait pas dû leur voler. Son engagement pourtant n'était pas toujours facile, ça prenait bien souvent tout son temps et en dehors de quelques heures de sport grattées ici et là ainsi que ses soirées drague, il n'avait pas le temps de faire grand-chose pour lui. L'argent était également un problème. Bien que tous bénévoles dans l'association, il fallait des fonds et en recevoir était de plus en plus difficile, la raison pour laquelle Steve n'hésitait jamais à plaider leur cause dans les médias, ça avait parfois des retombées positives. Mais le pire était probablement les horreurs qu'il était obligé de côtoyer bien souvent.
Quand il devait faire face à quelqu'un passé à tabac pour sa sexualité ou aider un adolescent fichu à la porte de chez lui pour avoir annoncé son homosexualité à ses proches… Et le pire restait les suicides. Que des jeunes gens, qui peinaient à s'assumer dans un monde fait de normes, en viennent à prendre la pire et surtout la plus radicale des décisions à cause de la pression sociale… Steve était ravagé à chaque fois, à plus forte raison quand il avait pu rencontrer avant la personne alors en détresse sans parvenir à l'aider. C'était un fléau contre lequel il fallait à tout prix lutter, même si les pouvoirs publics semblaient parfois bien peu concernés.
Ce genre de situations n'était jamais facile à gérer pour les personnes qui luttaient au quotidien contre ces inégalités, mais Steve se sentait plus touché qu'il avait justement embrassé la cause suite à un suicide. Alors tout jeune étudiant en économie, il n'avait pas l'âme d'un militant. Il se rêvait dans une grande carrière pour gagner un maximum d'argent et se fichait bien de ce qui n'était pas sa petite personne. Déjà à l'aise avec sa sexualité, il enchaînait les amants entre deux cours et s'assumait totalement sans songer que tous les gays qu'il côtoyait n'était pas comme lui.
Il avait rencontré Peter Parker à une fête, un mignon aux allures d'enfant qui aurait grandi trop vite. Le courant était immédiatement passé entre eux et ils avaient fini la nuit dans la chambre de Steve. Le sexe avait été génial et pour la toute première fois, Steve avait vraiment pensé être tombé sur un homme qui ne se prenait pas plus la tête que lui. Il avait eu quelques réguliers de la sorte par le passé, ce qui s'avérait pratique quand il voulait juste la baise sans le jeu de séduction qui précédait, alors il n'avait qu'à décrocher son téléphone et filer un rendez-vous. Il avait imaginé une telle relation avec Peter, avant de pourtant déchanter le lendemain en se réveillant, quand il avait surpris son amant en train de pleurer dans la salle de bain, avant de lui tenir quelques propos sombres sur leur condition. Steve n'avait jamais envisagé son homosexualité ou celle d'autrui comme un problème et fut déconcerté par de telles réflexions, mais au lieu d'y réfléchir davantage, il préféra mettre de la distance avec celui qui aurait pu devenir un plan cul régulier. Ils se revirent une ou deux fois dans les mois qui suivirent, couchant ensemble à chaque fois et Steve ne l'encourageant jamais à revenir sur ce sujet qui l'avait tant refroidi la première fois.
A la rentrée suivante, il avait appris que Peter avait mis fin à ses jours durant l'été. Les rumeurs sur le campus parlait d'une lettre où Peter disait se détester, haïr ce côté anormal de sa personne. Choqué, Steve s'était un peu renseigné, avait appris que cet amant avait des parents ouverts, qui l'avaient accepté sans problème, l'encourageant à rencontrer des hommes comme ils l'auraient fait avec un fils hétéro, une sœur ravie d'avoir un jour un beau-frère, une famille et des amis tolérants. Et malgré cette absence de jugement, il n'avait pu apprendre à aimer lui-même ce qu'il était, se considérant comme une erreur… Comme si qui que ce soit pouvait se prétendre normal. La normalité était une notion totalement floue pour Steve, mais cet acte le fit cruellement réfléchi.
C'en était fini de Peter Parker, étudiant rêveur au tempérament tellement doux, qui n'avait jamais su s'accepter lui-même dans une société tellement normée. Mais était-il seulement le seul ? Voilà la question qui Steve occupa bien des nuits. Moins d'un mois plus tard, il abandonnait ses études et ses rêves de réussites qui n'en étaient plus, s'installa à San Francisco avec le premier job qu'il trouva et s'engagea dans une association qui avait pour but de soutenir les gens comme Peter, et quelque part un peu comme lui après réflexion.
Longtemps, il avait culpabilisé pour ce drame. S'il s'était montré plus compréhensif, un peu plus à l'écoute avec Peter, peut-être que les choses auraient pu être différentes. S'il s'était sentit aimé, entouré, peut-être ne serait-il finalement pas passé à l'acte… Alors Steve s'était fait un devoir d'aider tous ces autres Peter qui étaient au bord du gouffre. Revenir sur le passé était impossible, autant donc rester positif et se concentrer sur le présent. C'était une révélation pour lui et il s'y jeta corps et âme.
Avec un coup d'œil à sa montre, il constata qu'il n'aurait pas le temps d'aller courir. S'il devait quitter le travail en avance en fin de journée, mieux valait éviter d'arriver en retard. Il pouvait estimer s'être suffisamment dépensé pensant la nuit, mais la frustration demeurait. Il dessinait et peignait, encore que bien moins que par le passé par faute de temps, adorait le cinéma, mais vouait une véritable passion au sport. Course à pied, natation, soulever de la fonte et taper dans un sac de sable dans une salle… Voilà ce dont il avait besoin quasi quotidiennement. Et cela avait ses avantages. A s'astreindre à ces habitudes depuis l'adolescence, il avait acquis un corps dont il était tout particulièrement fier. Il était musclé, certains trouvaient même trop parfois, endurant et capable de se défendre en cas de besoin. C'était venu justement quand il en avait eu besoin à l'adolescence, quand il était devenu nécessaire qu'on réfléchisse à deux fois avant de se frotter à lui. Parce qu'il avait bien compris dès le début qu'il était hors norme malgré ses convictions personnelles et qu'y faire face nécessitait un petit truc en plus.
Il profita de son passage dans la salle de bain pour faire quelques exercices d'assouplissement puis il fila sous la douche, où il se débarrassa bien volontiers de l'odeur de son amant qui l'imprégnait encore. S'il aimait plus que tout l'acte sexuel, il avait toujours hâte ensuite de passer à autre chose, d'oublier l'intimité inévitable entre deux corps nus. Parce qu'il avait horreur de l'intimité, qui finissait par induire des sentiments, ce qui n'était définitivement pas sa tasse de thé.
Bucky semblait convaincu qu'il se voilait la face, frustré de n'avoir jamais trouvé l'homme fait pour lui. Steve doutait sérieusement que ce type en question existe réellement et préférait ne pas se pencher sur les raisons de son comportement. C'était comme avec l'intimité, l'introspection provoquait trop de mauvais côtés.
ooOoo
La journée ne fut pas des plus passionnantes. Il avait beau avoir le contact facile avec autrui en dehors d'un lit, certains clients avaient le don de lui taper sur le système. Entre ceux qui voulaient faire comme tout le monde en réclamant le dernier livre à la mode tout en étant incapables de se rappeler du titre, ceux qui vous traitaient comme des moins que rien parce qu'ils étaient diplômés et pas vous, comme si ça faisait d'eux de meilleures personnes, et ceux enfin qui faisaient vider les rayonnages pour feuilleter des dizaines d'ouvrages avant finalement de n'en acheter aucun… C'était la routine, aussi désagréable soit-elle, alors Steve l'abordait bravement en gardant presque toujours le sourire. Mais il n'était jamais aussi heureux qu'en repartant en fin de journée.
Comme il aurait voulu que l'association marche suffisamment, ait des aides de l'état et ainsi qu'elle puisse employer et payer à plein temps quelques personnes. Aussi difficiles que soient certains cas traités, il n'aurait pas été plus comblé à pouvoir se concentrer tout entier à cette activité qui avait réellement un sens. Mais après tout, c'était aussi son travail que de trouver des donateurs, à lui donc d'assurer pour que son rêve se concrétise un jour, même s'il n'y croyait guère.
- Je lis au moins deux livres par semaines. Et de véritables livres, pas les cochonneries qu'on publie aujourd'hui dans le but de faire toujours plus d'argent.
Pendant que la vieille dame continuait à papoter, Steve lança un regard désespéré vers la porte du bureau où Odin s'était réfugié dès l'arrivée de la cliente en question, en marmonnant un "J'ai de la compta à faire !" empressé, qui ressemblait tout à fait à une excuse, mais c'était le patron alors pourquoi pas ? A Steve donc de gérer cette excentrique. Elle n'était pas méchante, elle avait même un côté attachant. Elle venait ici plusieurs fois par mois en leur achetant à chaque fois pour plusieurs centaines de dollars de livres, Odin tenait donc à ce qu'elle soit traitée avec tous les égards, même s'il ne s'acquittait jamais de la tâche. Steve s'y prêtait en revanche de bon cœur, même si parfois c'était pesant. Madame Carter – "Peggy s'il vous plaît" – restait chaque fois un bon moment, parlant de tout, s'accrochant à lui comme si ça vie en dépendait. Pour ce que Steve en avait compris, elle était la veuve d'un riche homme d'affaires et vivait depuis lors dans la solitude, ne voyant que sa nièce quelques fois par mois. Si elle ne se refusait rien, elle avait clairement besoin de compagnie et n'hésitait pas, entre deux commentaires détaillés sur ses dernières lectures, autant à interroger Steve sur sa vie que raconter la sienne. Steve avait un peu pitié d'elle et se faisait un point d'honneur de lui répondre et de l'écouter patiemment. Mais ce soir, alors que l'heure tournait et qu'il devait partir au plus vite sous peine de se faire étriper par Bruce, il se demandait comment lui fausser gentiment compagnie.
- J'ai une véritable passion pour les auteurs russes, continuait-elle, alors même que le mois précédent elle ne tarissait pas d'éloge sur la littérature britannique. Je relis régulièrement Guerre et Paix, Anna Karénine. Qui de nos jours les lis encore ? Tout le monde croit connaître les classiques, mais survoler quelques extraits et apprendre par cœur un résumé succinct ne remplacera jamais le fait de lire vraiment. Ces auteurs tellement plus doués que ceux publiés aujourd'hui doivent se retourner dans leurs tombes.
Avec un sourire, Steve hocha la tête, comme s'il ignorait encore ce qu'elle pensait effectivement de ceci. C'était là des propos qu'elle tenait bien souvent, mais qu'elle défendait chaque fois avec une passion égale. Quelque part, elle avait probablement raison, ce qui ne la rendait que plus touchante. Elle ne semblait décidément pas à sa place, ni à cette époque où les considérations artistiques n'avaient plus guère cours face à la technologie galopante, ni dans cette ville où tout allait trop vite et ne laissait que peu de place à l'humain. Elle semblait hors du temps, comme en témoignait sa robe veillotte quoi qu'élégante et ses gants en dentelle. Le jeune homme l'appréciait pour cela notamment, elle était vraiment elle-même, se fichant bien d'un quelconque qu'en dira-t-on.
- Vous vous êtes essayé aux classiques français ? s'enquit-il en espérant pouvoir lui faire choisir un ou deux ouvrages rapidement et la voir ensuite partir.
- J'en ai lu quelques-uns il y a des années. Je devrais peut-être m'y remettre.
- Nous avons justement reçu récemment une réédition des Misérables tout à fait valable, sans compter Notre-Dame de Paris, qui fait partie de nos incontournables.
C'était des livres qu'il n'avait en fait jamais lu, autant par manque de temps que d'intérêt – il se contentait généralement de quelques polard à l'occasion, qui lui convenaient très bien – mais il savait exactement à qui les proposer. Odin ne s'y était pas trompé en l'embauchant, s'il n'était pas un érudit, Steve était néanmoins un bon vendeur, qui savait traiter chaque client en s'adaptant à lui comme il le fallait. Sans l'intervention de Thor, qu'il connaissait pour l'aide qu'il leur apportait régulièrement pour diverses manifestations, et qui était accessoirement le fils d'Odin, il n'aurait probablement même pas pu postuler pour cette place, mais il estimait être un employé aussi valable qu'un autre.
La vieille dame repartit peu après avec une bonne partie de l'œuvre de Zola, promettant de revenir donner son avis rapidement et Steve constata qu'en se pressant un peu, il serait à peine en retard. Avec un peu de chance le journaliste ne serait même pas encore là à son arrivée. Il signala donc à son patron qu'il partait et fila sans demander son reste dans les rues bondées.
Si La main tendue portait bien son nom, ses locaux minables ne reflétaient en rien en revanche les grandes choses qui y étaient accomplies. Peinture défraîchie, moquette usée, meubles d'occasion qui avaient fait leur temps… Tout cela aurait pu être mortellement déprimant pour ceux qui y passaient des heures chaque jours et pourtant l'ambiance entre les bénévoles était chaleureuse, la décoration – entre posters aux couleurs criardes ventant l'utilisation des préservatifs et le dépistage des MST entre autres, photos des quelques célébrités qui avaient donné de leur temps et/ou leur argent pour quelques manifestations et affiches enjouées pour des endroits à la mode où homos et trans étaient les bienvenus – faisait qu'on s'y sentait bien. C'était en tout cas ce que ressentait Steve. Il avait vécu le pire ici et pourtant chaque fois qu'il arrivait, il s'y sentait aussi bien que chez lui. Il avait besoin de cet endroit comme il avait besoin de respirer.
Il passa la porte vitrée avec une sensation d'apaisement, d'être enfin à sa place après des heures d'ennui, et s'arrêta pour lire l'affiche annonçant le concert prochain d'un nouveau groupe à la mode résolument gay-friendly. Vérifiant la date, il caressa l'idée de s'y rendre, ce genre d'endroits était toujours parfait pour draguer en général. Passant devant l'accueil, il adressa un grand sourire et un signe de la main à Darcy, actuellement au téléphone. Continuant à s'adresser à son interlocuteur, la jeune femme répondit d'un signe de tête mais son sourire n'eut rien de particulièrement chaleureux. Steve n'ignorait pas que sa dernière petite amie en date l'avait quittée quelques semaines plus tôt et elle s'en remettait plutôt difficilement. Il lui faudrait l'inviter à boire un verre un de ces soirs et tenter encore une fois de lui changer les idées. Généralement, il était plutôt bon à jeu-là.
Quand il entra enfin dans la petite pièce – placard à balai aurait été un terme plus approprié – qui tenait lieu de bureau à Bruce, celui-ci quitta sa chaise d'un bond, apparemment en proie à une grande agitation.
- Te voilà enfin ! Coulson arrive dans quelques minutes. Si tu n'avais pas été là… Tu me connais, je gère pas ce genre de stress. Un journaliste, et de cette trempe en plus…
Phil Coulson était une pointure du New York Times. Peu adepte du politiquement correct, il abordait sans concession les sujets qui lui tenaient à cœur, n'hésitant ni à défendre son opinion, ni à donner la parole aux petites gens qu'on avait facilement tendance à oublier. Autant dire que sa venue dans leurs locaux était l'évènement du moment. Et une grande source d'angoisse tant son futur papier sur eux aurait un impact non négligeable. Un article élogieux pouvait rapporter plus de dons que leurs campagnes hasardeuses et ils en avaient sacrément besoin, comme toujours. Bruce, entre ses mains moites et son bégaiement ingérable quand il était nerveux, n'était pas la vitrine idéale. Or affronter justement cette situation source de pression n'aurait pu le rendre plus nerveux. Pour tous ici, il était clair que Steve, entre son physique et son assurance à toute épreuve, était le meilleur porte-parole. A l'aise dans ce genre d'exercice, qui lui permettait de surcroît de défendre son avis, il s'y prêtait bien volontiers.
- Il vient avec un photographe, reprit Bruce. Il veut quelques clichés de nos locaux et de l'équipe. Darcy et Erik seront faciles à convaincre. Tu es prêt ?
- Toujours. Tu devrais quand même le rencontrer, tu sais. Ça fait toujours bien de leur présenter celui qui gère tout ça, celui sans qui rien de ce qu'on a ici n'existerait.
- Je préfère travailler dans l'ombre, sourit Bruce, flatté du compliment qui était au demeurant plus que mérité. Mais je viendrais le saluer à la fin de votre entretien.
- Ok. Avant qu'il arrive, c'est quoi le programme ce soir ? s'enquit Steve en se servant un café aussi infâme que la machine était vieille.
- Eh bien, je voudrais que tu ailles voir Hank. Il est dans son appartement depuis une semaine et je voudrais être sûr que le travail se passe bien, qu'il gère son budget… Inspection de routine avant de le relâcher dans la nature.
Hank McCoy, tout juste majeur, faisait ses premiers pas dans la vie active après avoir été fichue à la porte par ses parents pour avoir annoncé son homosexualité. C'était une grande partie de leur travail, accueillir les laissés pour compte et les lancer au plus vite dans une nouvelle vie. Se porter caution pour un logement, aider à la rédaction d'un bon CV… rien que de très terre à terre, mais c'était utile quand on devait repartir de zéro. Et même ensuite, ils n'étaient pas totalement abandonné, puisque les bénévoles s'assuraient régulièrement que tout se passait bien. Sur ce coup, Steve n'était pas inquiet. S'il avait souffert du rejet de ses proches, Hank était un malin qui débordait de projets. Il avait rapidement trouvé un travail dans un centre d'appel et s'était inscrit à des cours du soir pour étudier la biologie. Brillant comme il l'était, il décrocherait rapidement un diplôme et du même coup un boulot intéressant. Steve était content d'aller le voir, ils s'étaient très bien entendus, dès leur première rencontre. C'était d'ailleurs l'un des aspects les plus ingrats de l'association. Si on les aidait à s'en sortir, souvent ces gamins s'éloignaient ensuite et la plupart ne donnaient plus guère de nouvelle par la suite. Ce n'était pas plus mal, le signe que la mission visant à les aider avait été plus que réussie, mais les liens tissés finissaient toujours par devenir douloureux quand ils se rompaient.
Erik Lehnsherr, autre bénévole au moins aussi motivé qu'eux, passa la tête par l'entrebâillement de la porte.
- Coulson vient d'arriver. Je l'ai installé à côté.
Avant de repartir de là où il venait, il eut comme toujours un regard intense pour Steve, qui le lui rendit bien volontiers. Les deux hommes avaient flirté ensemble plus d'une fois par le passé et s'ils n'avaient jamais couché ensemble, ce n'était que par conscience professionnelle. Steve était convaincu cependant que tôt ou tard leur attraction mutuelle les contraindrait à passer à l'acte et il s'en réjouissait d'avance.
D'origine allemande, Erik gardait une touche d'accent bien qu'installé ici depuis près de vingt ans, ce qui lui conférait une touche d'exotisme tout à fait excitante. Le teint pâle, les yeux d'un bleu profond et le sourire facile, il était aussi beau qu'il était gentil. Un comble qu'un type comme lui soit toujours célibataire, mais Steve ne pouvait que se réjouir de ce détail qui lui permettrait un jour d'ajouter Erik à son déjà bien impressionnant tableau de chasse. Car s'il était du genre à foncer dès qu'un homme lui plaisait, Steve ne touchait pas en revanche aux hommes déjà pris. Il avait suffisamment vu sa mère souffrir des infidélités répétées de son père pour ne pas vouloir infliger cela à qui que ce soit.
Reposant sa tasse de café, Steve remercia une nouvelle fois Bruce pour la confiance qu'il lui accordait, puis il quitta la pièce pour rejoindre le journaliste.
-Je ne suis aucunement pour la discrimination positive à l'égard des personnes LGBT.
Coulson sembla tout à fait étonné d'entendre de tels propos justement dans la bouche d'un militant et s'apprêtait à demander des éclaircissements, mais Steve n'avais justement aucun intention de l'en priver.
- Sous-entendre que les gays doivent bénéficier d'avantages signifie bien qu'ils sont traités différemment des autres. Je préfère qu'une promotion me passe sous le nez plutôt que l'obtenir parce que je suis gay. Dans le milieu du travail, je veux être reconnu comme un employé comme un autre, par comme l'homo de service dont il faut ménager la susceptibilité. Je comprends la manœuvre, ce genre de choses a été mis en place justement à cause de la discrimination, mais ça n'a créé qu'un problème différent au lieu de faire disparaître le problème. On sanctionne celui qui discrimine plutôt que lui apprendre à ne plus discriminer, pour moi ça aurait plus de sens. Nous méritons les mêmes droits que chacun, mais pas de cette façon…
La différence était floue et Steve n'était pas toujours compris quand il défendait cette idée. Beaucoup de ses proches voyaient en la discrimination positive le moyen de prendre leur revanche sur les hétéros en ayant enfin accès à ce qui leur avait trop longtemps été refusé. Son raisonnement était subtil et pas toujours bien reçu, mais l'homme en face de lui à cet instant était intelligent et ouvert, nul doute qu'il comprendrait son point de vue et saurait le rendre de façon claire. En témoigna son bref hochement de tête.
- J'entends bien, dit Coulson. Vous êtes surprenant. Sincèrement. J'ai vu du monde pour cet article, mais aucun aussi passionné que vous.
- C'est un compliment ?
- Clairement. J'aime être surpris et vous y parveniez totalement.
Le cadet reste un moment silencieux à dévisager son interlocuteur. Outre quelques compliments à son égard tout le long de leur conversation, Coulson lui souriait avec un peu plus que de la politesse, à plusieurs reprises il avait posé sa main sur sa cuisse, avant de la retirer rapidement comme s'il réalisait ce qu'il faisait. Son ton était enjôleur, son regard appuyé… Pour un peu, Steve aurait pensé qu'il cherchait quelque chose. Pourtant, il le pensait hétéro. Il devait cependant admettre que parfois son gaydar avait des ratés. Et c'était aussi bien, lui aussi aimait bien être surpris parfois.
- Comment personnellement gérez-vous votre homosexualité ? reprit le journaliste en se rapprochant légèrement de lui.
- En assumant totalement ce que je suis. C'est ma force et ma meilleure arme pour démontrer que les homos sont comme les autres. Vous m'auriez croisé dans la rue, vous n'auriez pas un instant deviner mes tendances j'imagine, c'est bien la preuve que je ne suis pas définies que par celles-ci, et pourtant je suis une vraie folle.
Bruce avait horreur qu'il utilise ce terme qu'il estimait péjoratif, mais utilisé à bon escient… Après tout, c'était un mot comme un autre, comme lui était un homme comme les autres.
- Nous assumer est notre force, surtout si l'autre alternative est de se cacher. Assumons-nous en démontrant que nous sommes comme chaque habitant de cette décidément bien drôle de planète.
Un bref instant, Coulson posa sa main sur son bras nu et il continua ses question tandis que Steve avait du mal à retenir un frisson.
Les deux hommes abordèrent ensuite les activités de l'association, Steve citant quelques exemples marquants parmi les cas traités, même s'il ne donna aucun nom. Que lui s'assume ne signifiait pas malheureusement que ce soit le cas de tout le monde.
Et quelques photos plus tard, Coulson et son photographe levèrent le camp, non sans que le journaliste n'ait glissé son numéro de téléphone à Steve.
ooOoo
Quelques jours plus tard, Steve profitait de son congé hebdomadaire à la librairie pour passer la journée en astreinte téléphonique à La main tendue. Il arriva sur place bon premier, après un long jogging dans son quartier et une non moins longue douche. Il ouvrit les locaux en songeant à Phil Coulson, qu'il avait appelé la veille, comme il s'en était douté dès le départ du journaliste. Rentré chez lui le soir de l'interview après sa visite au jeune Hank, il avait fait quelques recherches sur le journaliste, se voyant confirmer que son gaydar ne dysfonctionnait pas. Divorcé deux fois, quelques petites-amies dans le monde du spectacle, dont la dernière en date était une violoncelliste très réputée, Coulson soignait son image d'hétéro et pourtant ne semblait pas contre une aventure. Steve aimait ce genre d'hommes. Peu ou pas expérimentés, ils faisaient toujours preuve d'une motivation sans faille quand les lumières s'éteignaient.
Et puis après tout, cela faisait aussi partie de la cause qu'il défendait secrètement. Bien souvent, les gens qui les critiquaient, outre un manque de tolérance, agissaient par manque d'informations. Leur faire connaître le temps d'une nuit ce à côté de quoi ils passaient, pouvait dans certains cas leur faire revoir leur jugement. Et puis simplement par jeu et par fierté, Steve aimait que les hétéros passés dans ses bras remettent ensuite en question une part de leur identité. Une façon puérile, et naïve probablement, de venger tous ces homos qu'on avait mariés de force ou qu'on avait voulu changer à grand renfort de préceptes malsains, quand ce n'était pas pire. En prime, se mettre un journaliste dans la poche pouvait présenter quelques avantages.
Il fit quelques mises à jour sur leur site internet puis traita la paperasse. Pas ce qu'il préférait, mais c'était pourtant souvent nécessaire. Puis il passa plus d'une heure frustrante au téléphone à tenter de se rendre utile en vain. Son interlocuteur était en effet un homme qui venait d'être passé à tabac sur son lieu de travail par quelques collègues, qui se montraient haineux depuis son récent coming-out. Si Steve fut choqué par un tel acte, il devait admettre que c'était monnaie-courante, aussi désolant que cela apparaisse. Il passa un bon moment à réconforter le jeune homme puis à tenter de l'inciter à porter plainte et à se rendre à l'hôpital, deux choses que son interlocuteur refusa farouchement, autant par peur des représailles que honte. C'était malheureusement le plus souvent ainsi, la victime se sentait responsable, comme si elle avait pu mériter un tel déchaînement de violence et de fait ces actes restaient le plus souvent impunis. Steve proposa de l'accompagner aux urgences puis l'aider pendant le processus légal, attaquant même en justice les agresseurs par le biais de l'association. Mais c'était peine perdue, il l'avait compris d'avance. Le jeune homme, qui avait même refusé de donner son prénom, n'avait appelé que pour se confier, ce qu'il fit, avant d'en rester là. C'était ainsi que cela se passait souvent.
Steve se sentit passablement déprimé en raccrochant et se demanda une fois de plus comment il pouvait prendre tant de plaisir à travailler ici alors qu'une telle frustration était si courante. Pour quelques-uns qu'ils aidaient, combien leur échappaient-ils ? Mais c'était aussi là la preuve de leur utilité. Comme il aurait aimé un monde parfait où on n'aurait pas eu besoin de leur aide, leurs conseils, une société où les différences étaient si naturelles qu'eux n'auraient pas eu besoin d'essayer de faire évoluer les mentalités. En attendant, il continuerait chaque jour à venir là, aussi longtemps qu'il le faudrait, pour faire en sorte que certains au moins arrivent à se sentir aussi bien que lui avec leurs préférences. Mais il y avait encore tellement à accomplir. Sa soirée de la veille en témoignait dans une petite mesure, avec un homme qui se cachait depuis tellement de temps, y compris à lui-même, que c'était devenu une part de sa personnalité, devenue difficile à oublier désormais que le désir de s'assumer enfin, au moins dans l'ombre, le dévorait.
Phil Coulson n'avait effectivement eut comme seule expérience homosexuelle qu'une soirée alcoolisée à la fac, où il s'était contenté de tripoter son meilleur ami. Rien de réellement mémorable pour quelqu'un ayant le vécu de Steve, mais le journaliste au contraire avait été irrémédiablement marqué par cette unique fois. A présent qu'il avait vécu nombre de relations avec des femmes qui avaient systématiquement fini par le lasser, il voulait enfin se tourner vers autre chose, essayer de revenir vers ce vieux fantasme qu'il n'avait cessé de nourrir tout au fond de lui, sans oser jusque-là sortir de ce moule qu'il s'était fabriqué. C'était la raison qui l'avait poussé à donner son numéro personnel à Steve, comme il le lui avait avoué alors qu'ils partageaient une bouteille de vin sur le canapé de celui-ci.
Par principe, Steve n'était pas contre le fait d'aider un homme à se trouver, tant que l'homme en question avait conscience du fait que ce n'était pas avec lui qu'il pourrait construire quoi que ce soit. Il fut clair avec Coulson et celui-ci n'eut rien à redire tant il avait envie désormais d'aller de découvertes en découvertes. Cela établi, Steve s'était fait un plaisir de conduire l'aîné à sa chambre, l'initiant lentement aux charmes de l'amour au masculin. Ce fut particulièrement réussi et au matin Steve, lorsqu'il émergea, se surpris à contempler son amant plutôt que le réveiller pour le mettre dehors comme il le faisait habituellement.
Phil le touchait comme il ne l'avait pas été depuis bien longtemps. Il n'était pas plus séduisant que les autres hommes qu'il avait pu avoir et Steve n'envisageait certainement pas quelque avenir que ce soit avec lui, mais il éprouvait une telle peine pour lui qu'il s'en sentait proche. Qu'un homme de l'âge de Coulson n'ait jamais pu assumer concrètement ce qu'il était parce que ce n'était pas la norme établie, témoignait une nouvelle fois du problème de leur société toujours tellement portée sur les étiquettes. Bien des homos, qu'ils soient hommes ou femmes, passaient leur vie à s'ignorer, se nier, parce que c'était plus facile de cette façon, qu'importe si tout au fond d'eux ils n'étaient pas tout à fait heureux. C'était cela que Steve tentait de défendre au quotidien. Se nier ne pouvait être la solution, mais pour cela il fallait rendre tous les autres choix évidents. Un chemin bien long à parcourir, ou chaque victoire était marquée de plus d'échecs encore.
Steve admettait volontiers qu'il avait eu de la chance pour sa part, poussé par les bonnes personnes au bon moment, il n'avait jamais eu à se remettre en question. Mais il savait trop bien que c'était un luxe que bien peu pouvaient se permettre. La raison pour laquelle il aidait à son petit niveau à faire que les choses changent. Et s'il pouvait offrir une satisfaction en nature à certains, il n'allait certainement pas s'en priver.
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Si la réunion hebdomadaire avec tous les membres de l'association n'était jusque-là pas follement passionnante, Steve savait se satisfaire du sourire éclatant de Darcy, qui, assise près de lui, semblait resplendir. Bruce les informait sur le planning des permanences du mois pour chacun, ainsi que des visites à venir des quelques médecins qui intervenaient régulièrement pour de la prévention. La routine en somme pour Steve, qui avait aidé aussi bien pour l'organisation des horaires de l'équipe que la venue des professionnels.
Ce qui était en revanche plus inattendu et intéressant, c'était bien la conduite de Darcy. Elle avait eu le moral à zéro depuis des semaines, mais était arrivée aujourd'hui plus enjouée que jamais. Steve s'était évidemment empressé de l'interroger quant à ce revirement des plus imprévus. L'université où elle faisait ses recherches venait d'accueillir Jane Foster, jeune scientifique qui commençait à se faire un nom dans le milieu, et le coup de foudre avait été immédiat entre elles. Et même si cette relation n'en était qu'à ses balbutiements, Darcy était plus que comblée. De son propre aveu, elle n'était pas faite pour vivre seule et ne se sentait bien qu'une fois en couple, ce qui bien souvent lui jouait des tours. Pour l'avoir bien souvent ramassée à la petite cuillère, Steve espérait sincèrement que cette fois elle avait effectivement trouvé la bonne. Désireux de s'en assurer par lui-même, il avait accepté plus que volontiers l'invitation à dîner tous les trois qui fut lancée.
Sentant subitement Bruce devenir plus empressé, il se força à se concentrer sur lui. Steve en reconnaissait les signes, l'aîné avait une annonce à faire et lui comme tous les autres, vu les regards surpris qui furent échangés, ignoraient de quoi il s'agissait. Bruce s'éclaircit la gorge avant de reprendre quand il fut certain d'avoir l'attention de chacun.
- J'ai appris en début de semaine que le bâtiment voisin serait libéré et mis vente dès le mois prochain. Comme vous le savez tous, on manque de capacité d'accueil d'urgence, alors je pense que nous devrions acheter ces locaux et en faire un centre d'hébergement.
Immédiatement, Steve se sentit obligé de l'interrompre. Dans les faits, c'était une idée excellente. Nombre de jeunes gens, bien souvent pas majeurs, se retrouvaient du jour au lendemain sans ressource. En attendant qu'ils puissent s'assumer de façon décente, il fallait les aider. Ici, il n'y avait que quelques lits de camp dans une pièce minuscule et pas plus accueillante qu'elle ne permettait l'intimité. De l'avis de chacun, c'était toujours mieux que rien, même si c'était loin d'être une situation idéale. Bruce pour sa part nourrissait depuis longtemps le désir d'avoir des petits studios individuels à mettre à disposition, en nombre suffisant de surcroît pour ne pas brusquer ensuite ces pensionnaires qui avaient tant besoin de se reconstruire. C'était un rêve compréhensible, mais Steve, qui pour sa part avait les pieds sur terre, savait qu'il y avait peu de chance que cela se concrétise un jour. Ce qu'il s'efforça de rappeler à cet instant, quoi que faisant preuve d'un tact qu'il estimait important.
- Et avec quel argent ? demanda-t-il donc, s'en voulant du même coup d'être toujours la voix de la sagesse et par la même occasion celui qui rappelait douloureusement les limites de leur entreprise parfois bien injuste. On a déjà du mal à boucler les fins de mois et on doit deux loyers pour ces locaux-ci, comme nous le rappelle assez souvent notre proprio – un indécrottable hétéro, au grand dam de Steve, qui avait tenté en vain plus d'une fois un paiement en nature. J'aimerais qu'on en soit capable moi aussi, mais il faut se rendre à l'évidence, c'est au-dessus de nos moyens.
- J'y ai beaucoup pensé ces derniers jours, admit Bruce d'un ton calme que tous ici lui enviaient bien souvent. J'en ai également discuté à l'un de mes amis, qui travaille à Los Angeles. Là-bas, il organisant parfois des galas avec quelques personnalités. Avec la garantie d'avoir leurs photos dans la presse, celles-ci sont souvent prêtes à ouvrir leur porte-monnaie.
Steve pâlit en entendant cela. Il lisait la presse et connaissait ce genre de soirées, mais était heureux d'avoir pu y échapper jusque-là. Il n'avait aucune envie de s'accoquiner avec quelques vedettes dans le vent pour leur soutirer de l'argent, tandis qu'ils soutenaient hypocritement le temps d'une soirée une cause qu'elles auraient oublié dès le lendemain. C'était ni plus ni moins comme vendre son âme au diable et ce n'était certainement pas le genre de la maison. Quand des acteurs, des chanteurs, ou même simplement des hommes d'affaire, auraient la possibilité de faire leur coming-out sans craindre pour leur carrière, alors seulement leur argent, leur pub seraient sincères. Certains le faisaient pourtant, choisissant d'ailleurs le moment de se dévoiler pour alerter l'opinion publique sur certains évènements qui ne devaient rester dans l'ombre. Steve avait ainsi en tête Zachary Quinto ou Wentworth Miller sortant du placard à la suite d'évènements qu'ils voulaient dénoncer, mais leur carrière n'avait jamais autant décollée, que ce soit avant ou après, qu'elles l'auraient mérité. Et à côté de ces rares exemples, combien de Luke Evans, qui se voyaient contraint de faire marche arrière quand Hollywood leur faisait les yeux doux ? Steve attendait la personnalité de premier ordre qui s'assumerait enfin, faisant ainsi faire un grand pas en avant pour leur cause.
En attendant, tous n'épousaient leurs convictions que lorsque cela pouvait servir leurs intérêts. Steve ne voulait pas être représenté publiquement par des gens comme cela. Mais Bruce semblait bien loin de ce genre de considérations actuellement. Pour lui, seul comptait l'aide qu'il pouvait apporter à ceux qui en avaient besoin, or pour cela il n'y avait pas de secret, il fallait de l'argent. Tout moyen pour en récolter était bon à prendre. C'était louable quelque part, même Steve en convenait la plus souvent.
- J'ai déjà quelques pistes grâce à des contacts, continuait Bruce, mais il reste beaucoup à organiser. Pour ça je prendrais en compte toutes vos idées. Et on va commencer par mettre la presse dans le coup, il faut qu'on se fasse entendre. Steve, si l'article de Coulson, qui devrait paraître demain, est aussi élogieux que nous l'espérons tous, et surtout qu'on en a besoin, il faudrait que tu reprennes contact avec lui pour l'informer de ce projet.
L'interpellé se contenta de hocher la tête. Après la nuit qu'ils venaient de passer, il ne doutait pas pouvoir se mettre le journaliste dans la poche pour de futures collaborations. Il remarqua alors Erik qui le fixait en souriant. Décidément, cet Allemand de malheur savait toujours ce qu'il avait en tête, ce qui n'avait pas que des avantages. Il décida donc de l'ignorer au mieux tout en cherchant des arguments pour contrer le projet de Bruce. Clairement, la vie ici n'était pas toujours la plus simple.
- On peut toujours tenter de relancer nos donateurs habituels, proposa-t-il. Ça serait plus facile. Tu envisages quoi, un gala pompeux, une vente aux enchères ? C'est tellement pas nous…
- On doit s'adapter. La plupart de nos donateurs sont si sollicités qu'on ne pas compter que sur eux. C'est important !
- Je le sais, bien sûr. C'est juste ce moyen de parvenir à nos fins… S'adresser à des hypocrites qu'on ne reverra jamais, je me fais l'impression d'être une pute.
- Alors fais comme moi, pense uniquement aux résultats. Et tous ne sont pas hypocrites.
- Bruce a raison, intervint Darcy. J'en ai assez de garder ces gamins seulement quelques nuits parce qu'on manque de moyens. Ces gosses méritent qu'on tente tout pour eux, et ne me dis pas que tu n'es pas d'accord avec ça.
Steve baissa la tête, un peu honteux. C'était la vérité. Aider ces gens était ce qui comptait le plus, c'était la seule chose à ne pas perdre de vue. Il hocha donc la tête en se forçant à sourire.
- C'est d'accord Bruce, dit-il, je te suis.
Après tout, ce n'était rien d'autre qu'une nouvelle chose à tenter, or personne n'était plus adepte que lui de nouvelles expériences, quel que soit le domaine.
A suivre…