« Lewd »

chapitre 3 : « Question de vie ou de mort. »

Salut,

Dernier chapitre de cette histoire.

Bonne lecture


« Baker Street.

Maintenant.

Question de vie ou de mort.

SH »

Je mentirais si je disais que j'ai hésité une seule seconde avant de bondir hors du lit et dans mes vêtements pour accourir au 221b. La réalité est que dès que l'information a atteint mon cerveau j'ai couru, payer un taxi hors de prix, sans oublier de prendre mon arme. Je crois bien avoir épuisé mon stock d'incivilités pour forcer le chauffeur à foncer sur Baker Street. A quoi je m'attendais ? La question a tourné dans ma tête durant tout le trajet. Mon appréhension s'est accentuée en passant la porte du 221b, laissée entrouverte. J'ai grimpé les marches quatre à quatre pour débouler dans le salon. J'avais eu raison de ne pas traîner.

Une femme, à l'allure peu engageante sous toute cette crasse, est allongée sur le sol. Sherlock à genoux à côté d'elle, penché sur le haut de sa cuisse, dos à moi. Du sang sur le parquet, en grande quantité. Il me jette à peine un regard.

« - Oh mon Di... »

« - Blessure à l'arme blanche » me coupe-t-il aussitôt.« 6 centimètres, l'artère fémorale est touchée. »

Je m'agenouille immédiatement près de la jeune femme, inconsciente. Sa cuisse droite est profondément entaillée. Elle est livide et des gouttes de sueur parsèment son visage, aucun doute elle a collapsé à cause de l'hémorragie. Sherlock appuie fermement sur l'aine de la femme, poing serré, pour freiner l'écoulement de sang. Ses boucles brunes lui tombent sur le visage, ses avants-bras sont maculés de sang.

« - Elle a besoin d'une assistance médicale Sherlock, maintenant ! »

« - Impossible ».

« - Sherlock ! » Je suis parfaitement calme, mais le temps est compté.

Il plante son regard dans le mien et articule malgré son débit de parole :

« - Impossible. Danger plus grand si hôpital. Sauve-la. » Je ne relève pas le tutoiement. Pas le temps.

A côté de lui est ouverte une trousse de premiers soins, admirablement fournie mais bien insuffisante. Je me saisis d'une paire de gants en latex, de compresses stériles et de sérum physiologique. En un éclair je suis à ses côtés et examine après un bref nettoyage la plaie de la femme. Pas de corps étranger dans la plaie. L'artère n'est pas sectionnée, bonne nouvelle. La plaie est franche, meilleure nouvelle encore. J'ignore en revanche si des os sont touchés.

« - Je ne suis pas chirurgien Sherlock. »

« - Moi non plus. » Merde, il est sérieux, il veut que j'opère cette femme.

Je fouille dans la trousse, elle n'a bien entendu pas ce qu'il faut pour procéder à une suture artérielle correcte. Je le regarde, il fixe avec obstination la plaie comme si la force de son esprit pouvait arrêter l'hémorragie. C'est surréaliste : je dois prendre des mesures d'urgence, comme sur le front, mais en plein milieu d'un cossu appartement londonien.

« - Je peux faire une suture directe » grogne-je. « Mais c'est pour gagner du temps, il lui faudra une prise en charge en bloc. »

« - Formidable. » Un sourire éclaire son visage. Il hurle ensuite à plein poumons : « MADAME HUDSON ! ».

Je mets quelques instants à comprendre qu'il vient de me trouver un apprenti médecin supplémentaire. Après une minute qui me semble des heures, Madame Hudson apparaît, tout en peignoir.

« - Juste ciel les garçons ! »

« - Prenez ma place » lui ordonne Sherlock en passant de l'autre côté du corps de la femme, sans lâcher le point de compression. « Et plus tard les questions, si vous voulez bien. »

La logeuse s'exécute. Elle n'est ni blême et ne panique absolument pas. Cette femme est incroyable. Pas le temps d'admirer le sang-froid de Madame Hudson, j'ordonne :

« - Gants. »

C'est Madame Hudson, à peine agenouillée, qui m'en tend une paire, l'agrémentant d'un marmonnement toutefois intelligible :

« - Pas votre gouvernante. » Elle prend le relais de Sherlock, mains libres désormais, qui soulève jusqu'à lui la trousse. Ses yeux électriques se plantent dans les miens.

« - De quoi as-tu besoin, docteur ? » Sa voix ne tremble pas.

Après une heure de bataille, on a failli la perdre. Les ressources insoupçonnées de l'appartement nous ont cependant permis de lui administrer un soluté pour éviter un collapsus cardiaque. Je suis épuisé, et franchement inquiété par l'état de la femme. Madame Hudson lui a rehaussé les jambes par une chaise de la cuisine, et virevolte dans la cuisine si j'en crois le bruit qui en provient. Tous deux adossés au pied du canapé nous contemplons le corps de la jeune femme étendue devant nous.

« - Sherlock » arrive-je à croasser « C'est du bricolage, il faut réellement qu'elle reçoive des soins. » Devant son regard j'ajoute « Des soins hospitaliers. Avec de vrais chirurgiens. ».

Il reste cloîtré dans son silence.

« - Et nous ce qu'il nous faut c'est une tasse de thé. » claironne Madame Hudson. L'ineptie de la remarque ne me saute même pas aux oreilles. Je vérifie, une fois de plus, les constantes de la victime, puis demande :

« - Qui est-ce ? »

Il sort enfin de son mutisme.

« - Une SDF. »

« - J'avais deviné. » Difficile de ne pas le remarquer, au vu des marques sur son corps et de son hygiène elle vit dans la rue.

« - Ida. Ina. Un truc en « a ». Une de mes contacts. Très utile. »

Je me frotte le visage. Bordel, il ne connaît même pas son nom. Qu'est-ce qui m'a pris. Sherlock vient d'attraper quelque chose dans les cheveux de Ida-Ina, qu'il approche de ses yeux, puis renifle.

« - Je ne sais même pas si j'ai vraiment envie de savoir. » Je l'ai tutoyé naturellement, le contact de nos deux épaules et l'opération en urgence rendent la distance que je souhaitais conserver caduque. « Je peux pas la laisser comme ça, elle va y passer. Je suis complètement con d'entrer dans tes délires, j'appelle les secours. » Je me lève difficilement et dégaine mon téléphone portable. Sa main me saisit fortement le poignet. Il s'est levé en un éclair, et me dit très bas :

« - Tu la condamnes. »

« - Sur ton plancher aussi elle est condamnée crétin. » crache-je.

« - Une heure. » siffle-t-il.

Nos corps tendus l'un vers l'autre s'affrontent. Je ne céderai pas, et il le sait. Alors il poursuit :

« - Une heure. Garde-la en vie une heure, et je te jure qu'elle ira à l'hôpital. » Il a l'air tellement sûr de lui. Ma déontologie de médecin est mise à rude épreuve, mais quelque chose me pousse à opiner de la tête. Il est doué pour résoudre les problèmes.

Et pour en créer, ajoute-je en le voyant enfiler son manteau en sautant littéralement les marches. Sa voix se répercute dans le couloir :

« - Je ne prendrai pas de thé Madame Hudson ! »


6h55. Sherlock n'est toujours pas rentré. Ina-Ida, toujours en vie, mais à peine. Je surveille sa blessure avec attention, son rythme cardiaque, sa pression artérielle, et je recommence, encore et encore. Madame Hudson n'a plus rien trouvé pour s'occuper les mains, elle somnole sur le fauteuil près de la cuisine.

« - Ce n'est pas un mauvais homme. » Ne somnole pas tant que ça finalement.

Je la regarde. Je me rends compte que je ne l'avais jamais vraiment regardé, à ma grande honte. Petite, blonde, fripée, un maintien qui traduit une grande force de caractère. Elle a de plus fait preuve tout à l'heure d'un calme remarquable, et n'a pas l'air d'être sur le point d'appeler la police, ce qui ne peut que me la rendre sympathique.

« - Je vous demande pardon ? »

« - Sherlock. » poursuit-elle. « C'est quelqu'un de bien, au fond. Oh bien sûr il a ses petites manies et il peut être difficile parfois. »

Je ne peux pas m'empêcher de glousser sardoniquement. Difficile ce n'est vraiment pas le mot que j'emploierai. Imbuvable connard lui va mieux. Elle me lance un regard qui me fait passer l'envie de rire. Je toussote.

« - Il est très seul vous savez. Et la solitude peut vous rendre amer, et... » Elle hésite sur le dernier mot « et destructeur. »

Je ne le sais que trop bien. Il y a une pierre dans mon estomac, qui se fait plus légère lorsque je suis en mouvement, sous l'effet de l'adrénaline.

« - Se sentir seul ne justifie pas de traiter les autres comme des chiens. » réplique-je.

Elle se tourne plus franchement vers moi.

« - De vous à moi, il a beau être très intelligent, il ne sait pas comment faire. » Elle s'arrête quelques instants. « Avec les humains, je veux dire. »

Je me tais, les yeux fixés sur le visage livide de la jeune femme.

« - Il voit toujours plein de choses, sur les gens, mais il est incapable de comprendre ce qu'ils ressentent. Si vous voulez mon avis, c'est un sort terrible. De vivre dans un monde qu'on ne comprend qu'en surface. »

7h. Il n'est toujours pas là, je dois appeler. J'ai le cœur encore plus lourd en composant le numéro des secours. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter ? A l'instant où mon doigt va presser la touche d'appel, mon téléphone vibre. Un sms :

« C'est réglé.

SH »

Le poids s'envole. Elle va s'en tirer. J'espère, complète-je en contemplant son visage aussi blanc qu'un drap mortuaire. Au bout du téléphone, une voix que j'ai envie d'embrasser :

« - 999, quelle est votre urgence ? »


Les ambulanciers ont emmené Ida-Ina. J'ai eu toutes les peines du monde à leur expliquer ce que j'ai été contraint de faire, et vu la tronche qu'ils tiraient je pense que je suis bon pour quelques années à l'ombre. Je les mérite, ce que j'ai fait était parfaitement irresponsable. Je risque d'être radié de l'Ordre des Médecins. Quitte à aller en taule, autant attendre les explications de l'autre allumé. Et c'est ce que je fais, sur le fauteuil que j'occupais lors de ma première visite. La tête posée sur les coudes, je rumine. Il est pratiquement 8h, Madame Hudson après avoir nettoyé le parquet malgré mes suppliques pour m'en occuper à sa place, a renoncé à me préparer la chambre du haut, de toute façon je suis dans un tel état de nerfs que je ne trouverai pas le repos. Tout est de la faute de Sherlock Holmes. J'ai été abusé par son génie, complètement aveuglé par son charisme et sa vivacité, et je n'ai pas vu qu'il était dangereux. Qui est-ce que je crois tromper ? Bien sûr que j'ai vu qu'il était dangereux, je ne pensais toutefois pas que nos aventures tourneraient si vite court, pour moi en tout cas. Réveille-toi Watson, t'es pas le Robin d'un Batman en manteau ridiculement long, c'est la vraie vie.

J'ai l'impression d'avoir vécu en 36h plusieurs mois. Est-ce que ça en valait la peine ? Compte tenu de la tournure des événements clairement pas. J'essaye de remettre un peu d'ordre dans mes pensées, peine perdue, ce qui revient en boucle c'est Sherlock, Sherlock, et encore Sherlock. Et le merdier dans lequel il me laisse, la dose de culpabilité qu'il m'a collée sur les bras. Non, je suis injuste, la culpabilité est entièrement de mon fait : personne ne m'a mis un flingue sur la tempe pour que je me touche sur sa photo. Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'il espérait tirer en me la remettant ?

Et puis merde, pourquoi est-ce qu'il me fait de l'effet ? Je n'ai jamais ressenti d'attirance sexuelle pour les hommes, qu'est-ce qu'il a de plus ? Des milliers de réponses fusent dans ma tête, déjà bien trop en ébullition. Certes, oui, il ne ressemble à aucun homme, ou femme, que j'ai pu côtoyer. Son odeur, celle que j'ai sentie quand il a rangé la photo – ou plutôt quand j'ai cru qu'il rangeait la photo – Oh mon Dieu cette odeur... Un mélange de musc, de savon, et de laurier. Et de fumées toxiques aussi, probablement. Il n'empêche, attirance ou non, son comportement est inadmissible. Sitôt qu'il franchit le seuil de cet appartement je lui règle son compte, à moins qu'il ait une sacrée bonne excuse. Et encore. Et est-ce que je n'ai pas de plus graves problèmes là en ce moment que me demander pourquoi il m'excite ? Je ricane intérieurement, en prison j'aurais probablement tout le temps, et les occasions, de découvrir mes penchants cachés. Je crois que j'ai sommeillé plus que je ne le pensais car sa voix me fait sursauter.

« - Toujours là ? »

Depuis la chambranle de la porte contre lequel il s'appuie d'un bras tendu il me sourit ; c'est un vrai sourire, qui ne traduit aucune lassitude. Il est chancelant, mais son regard est brûlant. Sa pommette est ouverte, on dirait qu'il a essuyé le sang grossièrement d'un revers de main, rien d'alarmant. Il avance difficilement jusqu'au canapé et s'y laisse tomber.

« - Je crois que j'ai droit à quelques explications. » La colère que j'avais ressentie à son encontre tout au long de la journée est retombée, trop fatigué pour ça, trop curieux également.

Il se penche en silence et tire à lui la trousse de premiers secours restée à proximité. Il a l'air tout aussi épuisé que moi. Il grimace en se redressant, et déboutonne son manteau, puis le laisse glisser derrière lui. D'un geste habile il fait de même avec sa veste de costume, pour découvrir plusieurs zébrures rouges qui déchirent sa chemise blanche sur le haut du torse. Il est blessé, j'aurais du m'en apercevoir avant. Spontanément je me lève, de nouveau en pleine possession de mes moyens. Il me lance un regard franc et dit :

« - Je vais enlever ma chemise, ne hurlez pas au scandale. » Ce vouvoiement sonne comme une raillerie de plus. Malgré moi je souris.

Il s'exécute sans attendre ma réaction, et ôte un à un les boutons de sa chemise. En quelques pas je suis penché sur lui et examine ses plaies. Trois. Transversales. Une pectoral droit, deux plexus. Pas très profondes. Points de suture. Il s'est déjà saisi d'une compresse imbibée de désinfectant et l'approche de son torse. D'autorité je la lui prends des mains.

« - C'est moi le médecin ici. » Une pause. « Ah, et ça va piquer. »

Je lui applique non sans un certain plaisir la compresse sur les blessures. Il tressaille sans bruit. Pendant que je prépare le nécessaire pour le recoudre je le mets en garde :

« - J'ai une aiguille en main, il vaut mieux que tu sois coopératif. »

Il pousse un soupire, comme s'il devait m'expliquer l'évidence même, et commence de sa voix si grave :

« - J'étais sur une affaire, 11 sans-abris assassinés en deux semaines, processus operandi identique : les victimes étaient vidées de leur sang, puis lacérées post-mortem. A part leur misérable statut rien ne les rassemblait, homme, femme, jeune, vieux, localisation différente. Tous les éléments désignaient un homme travaillant dans le médical. A part son poids, sa démarche, et quelques broutilles concernant son caractère je n'avais rien. Jusqu'à cette nuit, où Anna a été attaquée. Elle est parvenue à lui échapper, et est venue au seul endroit qu'elle pensait être sûr : ici... »

« - Anna ? »

Il chasse ma question d'un geste de main, comme on chasse une mouche.

« - Ou Olga, peu importe. Elle s'est évanouie avant de pouvoir répondre à toutes mes questions, j'ai tout de même pu réduire ma liste de suspects. J'ai fini par trouver l'individu, grâce à Anna, ou plutôt grâce à l'odeur de ses cheveux » Je ne peux m'empêcher de grimacer « Elle m'avait dit avant de tomber inconsciente l'idiote, qu'elle cherchait à se réchauffer devant les grilles d'aération de la blanchisserie, sans préciser de laquelle elle parlait, et compte tenu de son état elle n'avait pas du avoir trop à marcher pour arriver jusqu'ici. A l'odeur qu'exhalait ses cheveux je suis parvenu à identifier le détergent utilisé pour laver le linge, ça ne pouvait qu'être celui de la blanchisserie de l'hôpital St Mary. Un jeu d'enfant ensuite pour mettre la main sur l'assassin. »

J'ai terminé mes préparatifs, j'attends, pendu à ses lèvres, le dénouement. Cependant ses yeux fixent un point invisible, bien au-delà du monde physique, une attitude que je commence à lui connaître. Je le relance :

« - Alors ? Le tueur ? Qui était-ce ? »

Il sort de ses pensées, et daigne me répondre. Je dis daigne, car c'est vraiment l'impression qu'il me donne, de m'accorder une immense faveur en me révélant quelque chose de franchement évident.

« - Oh, un interne au scalpel très affûté. Et qui n'a pas vraiment apprécié ma petite démonstration l'accablant pour ses crimes. » Il me désigne ses blessures.
J'attrape l'aiguille et le fil entre mes doigts gantés, et la met devant mes yeux. Il déglutit.

« - Laisse-moi deviner, ça va piquer ? »


J'attaque la troisième et dernière plaie de Sherlock, allongé sur le canapé. Il est plus résistant à la douleur que je ne m'y attendais. Tout à ma tâche je suis surpris quand il redresse la tête et qu'il me lance :

« - Je ne voulais te causer qu'un embarras modéré avec la photographie. »

« - Tais-toi. » Je suis en train de perdre ma concentration, mais il ne se tait pas du tout. On ne peut pas dire que je m'attendais à ce qu'il obtempère.

« - ça m'a semblé une excellente indication de ton degré d'acceptation. Et ton expression était tellement amusa… » Il s'interrompt pour crier. Oups, je n'ai absolument pas fait exprès de piquer plus brutalement qu'auparavant. Quel maladroit je fais.

Il respire un peu plus fort, mais poursuit tout de même. Est-ce que ce type la ferme des fois ?

« - Pour que tout soit clair je n'ai aucun problème avec le désir que tu nourris à mon égard, je provoque souvent ce genre de ... » Il crie. Oups encore.

« - J'ai terminé. »

Je relève la tête de mon ouvrage, que je contemple d'un œil critique : je n'ai pas trop perdu la main. Je laisse échapper un soupir et regarde mon patient bien en face. Il a les lèvres pincées et le visage blême, j'y suis peut-être allé un peu fort. Bon, il l'a cherché aussi. Ses boucles brunes cascadent sur son front, il ré-ouvre doucement les yeux, et je prends conscience de la proximité de nos corps, et de son torse dénudé. Sa peau est si douce, la chaleur traverse mes gants en latex et mes narines sont emplies de son odeur que teinte un léger fumer de transpiration mais pas âcre comme celle que j'ai souvent rencontrée. Même sa sueur est distinguée, c'est insensé. Je profite du fait de devoir jeter mes gants et mon matériel dans le sac derrière moi pour cacher la rougeur qui me monte aux joues. Il vaut mieux que je m'en aille maintenant. Je m'apprête à prendre appui sur ma jambe pour me lever quand sa main touche délicatement mon épaule. J'arrête mon mouvement. Il va dire quelque chose, puis se ravise, ferme la bouche qu'il avait entrouverte. Mes yeux parcourent son visage, une fois de plus. Le souvenir de son expression déçue de ce matin me revient comme un aiguillon en plein cœur. Sa pommette n'a pas spécialement besoin de soin, mais je ne peux m'empêcher d'un geste répété mille fois de saisir une compresse et du désinfectant. Je me déplace maladroitement pour m'approcher de son visage et nettoyer la plaie, seule marque de couleur dans ce paysage pâle.

« - Reste tranquille. » murmure-je. Je me rends compte que je tremble un peu, et qu'il retient sa respiration. Avec mille précaution je nettoie sa blessure. Nous sommes très près, j'évite à tout prix ses yeux que je sens brûler mes joues. Ou est-ce autre chose qui les rend incandescentes ? Ne pas regarder. Nettoyer. Geste assuré. Ne pas regarder. Ne pas… Ses yeux me transpercent. Tellement bleus sous cette lumière, ses cils légèrement humides, les petites ridules aux coins de ses paupières, aucun détail ne m'est épargné. Très doucement il approche son visage du mien, j'ai l'impression d'être un lapin pris dans les phares d'une voiture. Je sens son souffle sur ma bouche, nos bouches, à quelques centimètres à peine. Bouge Watson, bouge. Recule toi. Va-t-en. Magne. Avec une intolérable délicatesse il pose ses lèvres sur les miennes. Mon cœur vient de tomber dans mon estomac. Après un temps infiniment long, je sens ses lèvres s'ouvrir légèrement, mon corps réagit bien avant que mon cerveau n'ait assimilé l'information. J'ouvre les miennes et ma langue rencontre la sienne. Il est délicieux, je plaque davantage ma bouche, il répond en me saisissant d'une main l'arrière du crâne pour accentuer la pression. Malgré moi je pose la main sur son cou, je sens sa veine jugulaire qui palpite sous mes doigts. Un léger bruit s'échappe de sa gorge alors que je caresse sa langue de la mienne. Je suis effroyablement dur, tout est si fluide, si bon, j'en veux davantage.

Les pas dans l'escalier nous séparent brutalement. Mon rythme cardiaque est alarmant, tout comme la pression dans mon pantalon. Je me suis reculé, en repoussant Sherlock dans le canapé. Il m'envoie un regard éloquent, lèvres encore humides de notre étreinte. Affalé sur le canapé, bras ouverts, à demi-nu, je ne peux ignorer la bosse de son pantalon noir. Il est terriblement sexy. Il m'adresse un léger signe de tête. Il a le don de s'excuser sans s'excuser. Je ne sais pas si je dois être furieux ou saluer la performance. Madame Hudson, fraîche comme après une excellente nuit de sommeil s'adresse à Sherlock.

« - L'inspecteur Lestrade est ici. Concernant... » elle chuchote, conspiratrice : « notre petit incident de cette nuit. »

Ledit inspecteur fait irruption dans la pièce, et marque un temps d'arrêt face à la scène de Sherlock blessé et allongé sur le canapé. Je prie silencieusement qu'il ne remarque pas notre émoi. Il enchaîne rapidement :

« - Quand allez-vous enfin vous décidez à utiliser le service public hospitalier ? »

Sherlock grogne en se redressant :

« - Je ne suis pas suffisamment fou pour avoir confiance dans les hôpitaux londoniens Graham. »

« - Greg. » le corrige-t-il. « Peu importe, vous savez pourquoi je suis là ? »

Sherlock acquiesce. Mon estomac se serre. Ça y est, je vais aller en taule.

« - Je vais avoir besoin de vos dépositions. A tous les deux. »

Sur ces paroles il me lance un regard, tout en s'approchant. Je me suis relevé, raidi par l'angoisse et ce qui me reste de conscience professionnelle.

« - Je suis prêt à accepter les conséquences de mes actes. » Je lui tends les poignets, geste un peu grandiloquent, mais hé, je n'ai pas dormi correctement depuis plusieurs jours.

Lestrade me fixe, incertain sur la conduite à tenir. Il se racle la gorge.

« - Je suis seulement là pour prendre les informations nécessaires à votre convocation. » Il hésite quelques instants. « Mais à votre place je ne m'en ferai pas trop. Les amis de Sherlock sont les miens, et ceux du gouvernement britannique. » Il s'autorise un sourire entendu.

Je jette un coup d'œil à Sherlock, soudain renfrogné. Ça veut dire que je ne vais pas finir mes jours en prison ? L'espoir renaît, le soulagement m'étreint, je dois m'appuyer sur le bureau derrière moi pour rester debout.

Lestrade a sorti un carnet dans lequel il griffonne rapidement plusieurs mots. Je ne peux pas m'empêcher de regarder Sherlock, qui affiche l'air de celui qui aurait tellement mieux à faire actuellement. Notre baiser me revient en mémoire, et la même question, encore et encore la même, me tourne dans la tête : dans quoi me suis-je embarqué ?

Lestrade met fin à mes flagellations mentales :

« - A quelle adresse dois-je vous enregistrer Dr. Watson ? »

J'échange un regard avec Sherlock, et comme une évidence les mots s'échappent de mes lèvres :

« - 221b Baker Street. »


Fin

BHBW