Bonjour à tous,

Après tout ce temps sans rien publier, voici enfin le dernier chapitre de Lebed Gwest. Sachez que je n'ai pas abandonné cette fiction et que je compte encore vous livrer de nombreux chapitres. Mon plan regorge d'ailleurs de péripéties à venir ! Les publications ne seront plus aussi fréquentes qu'avant, c'est une certitude, mais je compte bien mener cette histoire à sa fin.

Un grand merci à ceux qui me suivent encore aujourd'hui. Je sais que les fanfictions avec OC n'attirent pas grand monde mais cette histoire me tient vraiment à cœur, et je suis touché par chacun de vos retours en commentaires.

J'espère que vous apprécierez ce nouveau chapitre. Je vous souhaite une bonne lecture.

Loki (Sylversinking), anciennement Oxeneo.

PS: Seriez-vous, par hasard, intéressés par des AU en compagnie de nos deux camarades ci-dessous ? Si c'est le cas, j'en ai quelques-uns sous la main et je me ferais un plaisir de les partager. Je ne l'envisageais pas, mais si ça vous intéresse et que ça vous donne de la lecture supplémentaire, qui suis-je pour vous refuser cela ?


CHAPITRE 22

SINFUL CONFESSIONS

(Aveux, à vous)

Ses doigts s'éternisaient dans mes cheveux, s'autorisant de temps à autres une caresse à fleur de peau. Il me gardait éveillé d'un tracé tendre au creux de ma nuque.

Cela faisait bien quelques heures déjà que nous n'étions plus que tous les deux, en tête à tête, reclus dans sa chambre. Pourtant, un sourire doux continuait de brûler sur ses lèvres sans jamais s'éteindre. Ce détail m'étreignait le cœur. Je ne l'avais jamais vu arborer une telle émotion sans qu'il n'essaye de la réprimer ou de l'altérer. Son bonheur paraissait incandescent, et je le savais véritable. C'était grisant autant que réconfortant. Néanmoins, je ne pouvais nier que c'était également intriguant. De son masque de souverain à sa nudité d'amant, il y avait un gouffre et je ne savais comment il parvenait à le traverser. A une extrémité, je n'étais qu'un simple sujet parmi la foule, m'inclinant sur son passage. A l'autre, j'étais celui qu'il embrassait quand les regards se tournaient.

Sur cette pensée, le bout de ses doigts à la racine de mes cheveux reprit mon attention. Je le surpris à m'observer mais je n'eus pas à l'interroger pour qu'il me livre le fond de ses pensées.

- Je ne veux pas que cette nuit se termine.

Sa spontanéité revint me mordre les poumons de chaleur. Il poursuivit sur le même ton de confession.

- Tu as manqué à mes draps trop longtemps et je redoute à chaque fois que le matin ne t'arrache à moi.

J'étais désarmé au point de ne pas trouver quoi lui répondre. Il n'y eut que ma main au creux de ses épaules, glissant sur ses vertèbres les plus hautes, pour ne pas le laisser face au silence. Dans la chaleur de notre semi étreinte, les mots finirent par me venir. Le courage suivit.

- Je serai toujours là demain.

- Oui, avoua-t-il dans un ton à moitié convaincu. Mais le sommeil n'accorde jamais à mes rêves l'honneur de ta présence. Et j'ai pour mauvaise habitude de gâcher les précieux instants que tu m'accordes.

Je dus me retenir de lever les yeux au ciel à ses grands mots. Refuser de reconnaître que j'étais touché aurait été puéril. Mes doigts remontèrent sur sa nuque et je cédai à l'envie d'embrasser le coin de ses lèvres.

- Ne dis pas ça.

- Je n'arrive pas à être rassasié de toi, souffla-t-il comme s'il m'ignorait.

- Tu m'as pour toi tout seul. Je ne vais nulle part.

Il ne répondit pas et se mit à sonder mon regard. Je me retins de l'interroger même si je me demandais quels pouvaient être tous ces spectres de pensées qui passaient devant ses yeux. L'instant d'après, il revint m'embrasser comme nous n'avions cessé de le faire depuis que l'intimité de sa chambre nous avait dérobé aux yeux du monde.

Je n'arrivais pas à rester loin de ses lèvres, et il semblait en être tout autant incapable. Nous ne cessions de nous éloigner puis de nous rapprocher comme si nous cherchions à réduire encore et encore la distance qui s'obstinait à nous séparer. Je voulais échapper à ma peau et vivre sous la sienne. Je voulais fuir mon esprit et parcourir le sien. Je voulais abandonner mon cœur et apprendre les secrets du sien. Si j'avais pu, pour quelques précieux instants, je l'aurais fait.

Pourtant, l'embrasser me paraissait déjà infiniment dangereux. Aller au-delà des limites du réalisable aurait sûrement eu raison de moi. Mon cœur s'emballait au moindre souffle et mon corps brûlait au moindre contact avec sa peau. Qu'aurait-il fallu de plus pour que je ne sois plus réduit qu'au feu qui s'emballait en moi ?

Sa cheville glissa sur la mienne et il me poussa avec douceur contre le lit sans que je ne m'en rende compte. J'en frissonnai, puis je laissai échapper un rire léger. Son rire suivit faiblement. Il m'embrassa encore, et encore, avant d'abandonner mes lèvres pour ma joue, ma pommette, ma mâchoire, et le rire nous prit avec plus de franchise. Au bout d'un moment, il me sembla qu'il pleurait, mais je n'osai pas l'interroger. Avant que je ne puisse faire autre chose, il revint m'embrasser avec une once d'ardeur déchirante – une poignée de secondes – puis son sourire glissa sur ma tempe. Je perçus sa malice avant même de l'entendre dans le fond de sa voix.

- Je ne consens à chercher le sommeil que si tu me fais l'amour une dernière fois.

Je m'interdis de me mordre la lèvre pour ne pas paraître trop affecté.

- Est-ce un caprice ?

Il laissa passer un instant de silence comblé par ses lèvres appuyées sur ma peau.

- Peut-être. Mais est-ce bien un caprice si tu le désires autant que moi ?

Je grognai vaguement dans une esquisse de rire, ou plutôt de rictus, puis fermai les yeux. Il poursuivit avec une perspicacité qui sonnait presque innocente.

- J'ai ton corps à nu contre le mien. Tu ne peux rien me cacher.

- Je n'essaye pas de le cacher.

Je le sentis sourire sans avoir besoin de le regarder et ce diable d'elfe referma ses dents sur ma peau, juste sous l'oreille. Sa fourberie me fit grogner de nouveau. Il n'eut pas besoin de jouer le caprice davantage pour me voir céder à la moindre courbe de chair qu'il m'offrait dans une splendide douceur.

Je ne pouvais plus me défaire de lui. Du bout des doigts, il parvenait à m'avoir. Appuyant, une corde après l'autre, sur la plus infime des notes pour me faire frémir d'une émotion dépassant de loin les limites du charnel, nous nous laissions sombrer sous notre peau jusqu'à ne plus être capable de nous définir l'un sans l'autre. Sa voix semblait la mienne et ma voix semblait la sienne, au point que j'avais l'impression de l'appeler par mon nom autant qu'il m'appelait par le sien.

J'avais beau prétendre le contraire, ou tout du moins jouer l'insensible, je ne voulais pas non plus que cette nuit se termine. Je ne voulais pas penser à la lune et au soleil qui se fuyaient pendant que nous nous pourchassions en essayant d'échapper au monde. Je ne voulais que lui. Je ne voulais que cet instant hors du monde. Alors, autant que lui, je m'y accrochais de tout mon corps, et les murs de sa chambre ainsi que ses draps taisaient le secret de notre impudence.

Plus tard, son front contre le mien, nous nous entêtions à ne pas basculer dans le sommeil, murmurant des mots qui n'avaient plus grand sens, jusqu'à ce que les murmures se transforment en soupirs et que nos souffles se dérobent à nos yeux clos.

Sa chaleur me berça pendant une mince poignée d'heures. Cela n'avait rien de raisonnable, et notre éveil le fut encore moins. Dès lors que j'échappais au sommeil, je m'interdis d'y succomber à nouveau. J'ouvris les yeux et le surpris à m'observer d'un regard endormi. Il m'avoua qu'il venait tout juste de se réveiller. Alors que l'aube menaçait, nous resserrions notre étreinte.

Empourpré dans la chaleur de sa peau et dans son odeur, je devinai ses doigts sur mes côtes. Ils y laissaient de légères caresses. A chaque toucher, je me sentais lui appartenir un peu plus, comme s'il appuyait le fait de sa seule présence. Peut-être sans le savoir, il traçait les endroits marqués que ses lèvres avaient embrassés à maintes reprises.

Rompant le silence, il laissa échapper mon nom d'une voix endormie. Pendant quelques instants, je crus qu'il l'avait fait consciemment mais le mince sourire confus qu'il arborait suffit à me prouver le contraire. Je prononçai son nom d'un ton égal, pour l'interroger, et cela parut l'amuser.

- Si cela ne tenait qu'à moi, je te ferais appeler dans ma chambre toutes les nuits.

Un rictus tenta de s'insinuer sur mes lèvres mais je le brimai et me parai d'un sourire en coin. Une once d'amertume avait tenté de s'immiscer dans ma sérénité. A cet instant, je ne voulais pas laisser une simple hypothèse me rendre âpre, pas après ce que nous avions affronté ces derniers jours. Je savais que nous ne pouvions pas nous permettre d'en faire une réalité, mais je n'avais pas besoin de le lui balancer au visage. Malheureusement, le mensonge s'avère parfois plus doux que la vérité.

J'embrassai une marque que j'avais laissé sur son torse et appuyai une caresse au creux de sa taille, tentant vainement de le taquiner.

- Serait-ce pour chasser tes cauchemars ?

- Non, souffla-t-il. Pour ta seule présence.

Il ne manqua pas de me surprendre à lever les yeux au ciel, bien sûr. Le temps de se redresser sur ses coudes et il ne tarda pas à reprendre la parole avec une candeur désobligeante.

- Tu sais, Êldaw, je ne crois pas que quiconque ici te soupçonne d'avoir une âme de romantique.

- Pardon ?

Il esquissa un adorable sourire.

- Je ne m'en serais jamais douté non plus, avoua-t-il. Pourtant, à chaque fois que nous nous retrouvons seul et que tu finis par mettre de côté ton entêtement et ta répartie…

Il me scruta et soupira sans finir sa phrase.

- Ton regard et tes gestes ne mentent pas. Tu as une façon si intense d'exprimer tes émotions, si libre… Ça me surprend et me déroute à chaque fois.

C'était la première fois qu'on me qualifiait ainsi, et comme ses mots allaient à l'encontre de tous ceux qu'on m'avait attribués auparavant, j'avais du mal à me retrouver en eux. Je les entendais, bien sûr – je n'aurais pas rejeté son sentiment bêtement – mais c'était comme s'il décrivait quelqu'un qui m'était inconnu. En plus de cela, je ne pouvais m'empêcher de distinguer un détail singulier. Je n'avais toujours pas l'habitude de le voir aussi sincère, et cela me rappelait ô combien il avait tenté d'être honnête avec moi quand je n'avais même pas le courage de l'être envers moi-même – si on omettait le malentendu qui avait mené à notre dispute.

Il n'eut pas l'air peiné par mon silence mais il finit tout de même par baisser les yeux, comme si une pensée venait d'obscurcir son esprit. Je ne pus empêcher son air préoccuper de m'atteindre. Il se risqua à me jeter un regard et dût me surprendre à l'attendre mais il ne dit rien. Ses doigts traînèrent sur ma peau le temps qu'il parvienne à prononcer les mots.

- Concernant Tauriel… J'espère que tu me pardonneras.

Avant que je ne puisse m'inquiéter davantage, il précisa, toujours sans oser me regarder plus que quelques instants.

- Je ne pense pas avoir été trop dur avec elle, mais je n'aurais pas dû l'interroger ainsi. Ce qui s'est passé hier m'a fait réaliser à quel point j'ai mal agi. Avec le recul, je sais que j'aurais dû venir te parler en premier. Je crois que… j'avais peur de la confrontation, avoua-t-il d'une voix incertaine.

Je ne pouvais pas rester insensible aux efforts qu'il faisait pour s'ouvrir, ne serait-ce qu'un peu, mais je dus ignorer mon cœur qui s'empourprait pour pouvoir m'exprimer sans que mes émotions ne s'en mêlent. Il ne s'était toujours pas expliqué sur le sujet.

- Que s'est-il passé exactement ?

Il soupira, l'air honteux au souvenir de son propre comportement.

- Aussi ironique que cela puisse être, je lui ai reproché son manque d'honnêteté. Je lui ai donné un avertissement pour m'avoir caché ton existence, alors que je ne comptais pas la blâmer pour ça, crois-moi. Elle est toujours capitaine de la garde, je ne l'ai pas incriminé davantage, précisa-t-il, mais j'ai… J'ai utilisé ça comme prétexte pour essayer de la pousser à parler.

- A parler ?

- J'avais besoin de savoir de quoi vous avez discuté, l'autre fois, quand j'ai surpris votre conversation.

Je soupirai. Je me rappelai pourtant lui avoir dit de ne pas s'inquiéter. Au moins, depuis notre dispute, il savait désormais à quoi s'en tenir.

- D'après ce que tu m'as dit hier, j'imagine qu'elle ne l'a rien dit.

- Non. Elle a d'ailleurs eu raison de me tenir tête, admit-il.

- Si elle a toujours son poste et que tu ne prévois pas de la tenir responsable pour quoi que ce soit d'autre me concernant, je devrais pouvoir faire avec. Par contre…

Cette fois, il parvint à relever les yeux sur les miens.

- Je crois que c'est fichu pour continuer de le lui cacher…

- Pour nous ?

L'expression me serra les poumons de chaleur, alors je me contentai d'acquiescer. Il ne répondit pas, m'observant en silence. En repensant à la persévérance et à l'acharnement de ma meilleure amie, je soupirai de nouveau.

- Je ne sais pas par quel miracle j'ai réussi à l'éviter jusqu'ici, mais je ne vais plus pouvoir me défiler.

- C'est ma faute, laissa-t-il échapper.

Je secouai la tête. Il avait décidément un don pour ce qui était de se rendre coupable de tout et de rien. Pourtant, il n'avait pas totalement tort.

- J'aurais peut-être dû le lui dire dès le début. Pour tout avouer, j'ai failli. Par erreur, précisai-je avant qu'il ne puisse s'imaginer autre chose. Mais elle ne m'aurait jamais cru.

Il eut un léger rictus, comme amusé par l'idée. Il semblait vouloir dire « Je ne la blâme pas pour ça. », ce qui eut le don de me faire sourire un peu en retour.

- Elle essaye de savoir qui je rejoins le soir, en douce.

Je lui avais confié la raison surtout par envie de le provoquer, alors je fus satisfait de parvenir à lui arracher un sourire plus franc. Je repris plus sérieusement.

- Depuis qu'elle sait qu'un garçon m'a embrassé, elle s'acharne sur moi pour que je lui livre un nom.

- Comment sait-elle cela ?

Il paraissait un peu surpris. Je pouvais comprendre.

- Un jeu ridicule auquel on joue de temps en temps, elle et moi.

- Quel genre de jeu peut te faire avouer une telle chose ?

- Le genre de jeu où tu dois délier la vérité du mensonge.

Il n'avait pas l'air de voir où je voulais en venir, et je réalisai qu'il ne devait pas avoir eu beaucoup l'occasion d'expérimenter ce genre de distractions. Par curiosité, je tentai d'imaginer la scène. A cause de son statut, je dus réduire ses fréquentations aux gardes, aux conseillers et aux rares délégations et ambassadeurs étrangers. Aucun n'oserait exposer de tels aveux au roi durant un jeu, surtout si celui-ci impliquait de mentir. Je me résolus à lui donner une brève explication.

- Je fais trois affirmations, commençai-je. Parmi ces trois affirmations, deux sont des mensonges, la troisième est une vérité. Si tu parvins à trouver la vérité du premier coup, tu marques un point. Ensuite, c'est ton tour et le jeu continue comme ça jusqu'à ce que quelqu'un atteigne un certain nombre de points.

Il paraissait un peu perplexe mais le principe du jeu sembla l'intriguer.

- Tu peux deviner comment elle l'a appris, maugréai-je.

- Ce n'était pas très malin, commenta-t-il.

Je levai les yeux au ciel et le surprit à rire doucement tandis qu'il se rallongeait. Il entreprit de me de tirer à lui. Au lieu de protester, je le laissai me ramener contre son corps. Ses lèvres glissèrent au coin des miennes pendant un instant.

- Si c'est trop tard pour démentir, il faudra faire avec.

Il suffit qu'il prononce ces mots pour me faire réaliser quelque chose d'important. Jusqu'ici, je n'avais pensé qu'à moi. Depuis le début je n'avais cessé de parler de « lui » sans son approbation. Pourtant, à cet instant, je venais de prendre conscience qu'il m'accordait une faveur autant qu'il me faisait un aveu : je pouvais révéler à Tauriel que nous étions ensemble sans redouter les conséquences et, surtout, sans le faire à ses dépens.

Étions-nous « ensemble » ? J'étais tenté de lui demander mais je ne pus m'y résoudre. A ce jour, je ne savais toujours pas comment nous considérer. Qu'étions-nous, l'un pour l'autre ? Je n'avais aucune réponse précise. Mais peut-être n'était-ce pas un mal ? Je me sentais bien tel que nous étions, lui dans mes bras et moi dans les siens. Pourquoi aurais-je eu besoin de plus ? Cela me suffisait amplement, comme cela m'avait suffi jusqu'alors.

Malheureusement, l'heure tournait et le soleil commençait à projeter sa lumière pâle sur la forêt. Je ne pouvais pas rester éternellement auprès de lui, enfermé dans ces quelques heures loin du reste. Dans une entente silencieuse, nous finîmes par nous lever. Il enfila tout juste un peignoir et alla se servir un verre d'eau pendant que je m'habillai. Je l'observai sans trop savoir quoi dire. Je n'avais pas envie de le quitter maintenant. Au moins, me dis-je, je savais désormais que le retrouver me serait beaucoup plus aisé. J'allais devoir continuer à faire preuve de prudence, veiller à être discret, mais je n'avais plus à redouter nos entrevues. Sa porte m'était ouverte, c'était là une certitude.

Son verre toujours en main, il revint vers moi. Il lui suffit de quelques pas pour me rejoindre, ses pieds nus ne faisant pas le moindre son en foulant le sol de pierre, alors que je finissais d'enfiler ma chemise. Il la rajusta sur mes épaules d'un geste mal assuré avant de me tirer à lui avec plus de conviction. Il ferma les yeux un instant et souffla contre mes lèvres.

- Reviens-moi quand tu le pourras.

Je me surpris à sourire, puis l'embrassai doucement.

- Ne t'en fais pas.

- Je ne peux pas ne pas m'en faire, protesta-t-il tout en sachant que ce serait en vain.

- Ne t'en fais pas, répétai-je.

Sur ses mots, il m'embrassa à son tour et se résigna finalement à me laisser partir. Lorsque je refermai la porte derrière moi, je ne pus le faire qu'à contre-cœur. Cependant, je m'éloignai cette fois de sa chambre le cœur léger.


Deux jours plus tard, alors que ma tante et moi étions en train de débarrasser la table, on frappa à la porte d'entrée. Faelygriel reposa les assiettes qu'elle avait en main et me tapota distraitement l'épaule en me gratifiant d'un sourire.

- Laisse, je vais répondre.

J'eus un rictus en ramassant les couverts de notre dîner terminé. Ç'aurait plutôt été à moi d'aller ouvrir. Je pouvais deviner sans mal de qui il s'agissait, ce n'était pas bien difficile étant donné les événements récents. Le seul détail que je trouvais étrange dans cette histoire était qu'elle ait mis tout ce temps à venir me trouver alors que c'était précisément pour qu'on puisse enfin avoir cette fameuse conversation qu'elle attendait depuis des lustres. Je supposai, à juste titre, qu'elle avait dû être encore très occupée ces derniers jours. J'avais moi aussi eu beaucoup de travail avec Sarnas et Ûlsarn. Même avec l'aide ce dernier, nous enchaînions les commandes sans faiblir.

Alors que je ramenais la vaisselle dans la cuisine, je pouvais entendre leur brève conversation sans même devoir tendre l'oreille. Ma tante était quelqu'un de très sociable, ce n'était un mystère pour personne. Ainsi, entre sa philanthropie et sa bienveillance naturelle, elle sembla ravie de revoir la capitaine de la garde. Malheureusement, elle n'allait pas pouvoir profiter longtemps de sa compagnie.

- Oh, Tauriel ! s'exclama Faelygriel. Cela fait un moment que je ne t'avais pas vu. Comment vas-tu ?

- Bien, merci, expédia mon amie. Et vous ?

- On ne peut mieux.

Ma tante dut percevoir son impatience car elle ne perdit pas de temps en fioritures ni en banalités.

- Tu veux que j'aille te chercher Êldaw ?

- S'il vous plait. Il faut que je lui parle.

La formulation m'amusa en me faisant réaliser tout à la fois le poids de ce que je m'apprêtais à lui avouer de vive voix et, surtout, de mon plein gré. Ma tante venait d'apparaître dans la cuisine. J'avais déjà abandonné les couverts sur le bord de l'évier.

- Je ferai la vaisselle demain, annonçai-je en guise d'excuse, me sentant un peu coupable d'esquiver encore une fois les corvées.

- Ça me va.

Elle n'eut pas l'air embêtée et me gratifia même d'un sourire.

- Amusez-vous bien.

Il aurait été plus juste qu'elle me souhaite bon courage mais je m'en contentai. En revenant dans le salon, je croisai brièvement le regard de Tauriel. Attendant sur le seuil, son visage dans l'ombre de la porte, elle me sembla étrangement pâle. Je ne sus si je me faisais des idées ou non mais, pour l'instant, je choisis de faire abstraction. Nous pourrions redouter la conversation une fois seuls.

En sortant, j'attrapai une cape sur le porte-manteaux et la jetai sur mes épaules. Je m'adressai à ma tante avant de refermer la porte derrière moi.

- A plus tard, Fae !

- A plus tard !

Tauriel répondit à peine. Maintenant que nous n'étions plus que tous les deux, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Avant que je ne puisse réfléchir d'avantage, elle me fit signe de la suivre.

Son silence commençait à me rendre nerveux. J'avais essayé de me préparer mentalement à nos retrouvailles et à la discussion qu'elles présageaient mais cela n'avait visiblement servi à rien. Le poids de la vérité n'aurait pas changé, quoi que je fasse pour tenter de l'alléger. Nier aurait été plus simple, me disais-je, mais avais-je réellement envie de continuer à le faire ? Thranduil avait pris beaucoup trop d'importance dans ma vie pour que je veuille encore fermer les yeux et me défiler. Égoïstement, j'avais un peu envie de le garder pour moi. Le cachet du secret me permettait au moins de le faire. Pourtant, une part de moi avait envie de partager avec ma meilleure amie le nom de celui qui me faisait perdre la tête autant qu'il me rendait heureux.

Comme je l'avais soupçonné, elle nous guida jusqu'au passage secret. Personne ne se promenait dans les environs alors nous en profitâmes pour nous glisser derrière l'écorce sans attendre. Sur le chemin, je jetai un coup d'œil distrait aux deux arcs suspendus à la paroi. Je me fis la réflexion que je n'avais pas eu beaucoup d'occasions de m'exercer avec celui qu'il m'avait offert. Il allait falloir que j'y remédie si je voulais me familiariser avec l'objet. J'hésitai à le prendre en passant mais en sachant que Tauriel n'avait pas pris le sien, je me ravisai. Elle voulait certainement que vous ayons une conversation sérieuse, ce qui signifiait : aucun prétexte pour échapper aux questions d'une façon ou d'une autre. Bah, je lui devais bien ça.

Il y avait une brise dans notre refuge naturel, une brise que la fin de journée rendait fraîche et agréable. L'air me fit un bien fou après une journée passée la tête au-dessus de la forge. Et puis je savais que cela m'aiderait à garder la tête froide si jamais je venais à parler de lui. Enfin… je l'espérais.

Elle ralentit le pas en foulant l'herbe et se dirigea vers l'arbre où l'on aimait s'asseoir de temps en temps, lorsqu'il nous arrivait de profiter d'un moment de répit durant le tir à l'arc ou nos jeux ridicules. Je la scrutai, soucieux, tandis que je la rejoignais. Quand nos regards se croisèrent, je me décidai à m'assoir à mon tour. Si je restais debout, je me savais trop nerveux pour entamer la conversation sans me mettre à faire les cent pas.

Le silence demeura un moment, ne laissant entendre que le bruissement des feuilles sous le vent et le pas de quelques rares animaux qui osaient s'aventurer non loin de nous. Peut-être s'attendait-elle à ce que je parle le premier, mais je n'avais absolument aucune idée de quoi lui dire en premier. M'excuser aurait sûrement été une bonne idée. Après tout, je lui avais caché la vérité tout ce temps. Cela ne me ressemblait pas. Alors que je me prenais la tête pour trouver les bons mots, elle finit par prendre la parole à ma place.

- Tu sais, Eldy…

Elle avait à peine commencé qu'elle s'arrêta en court de route et laissa échapper un soupir.

- Je ne t'aurais pas cru si tu me l'avais dit.

J'eus un rictus amusé.

- Pas étonnant.

- J'ai toujours du mal à y croire, reprit-elle, mais ce n'est pas comme si je pouvais y faire quoi que ce soit.

Je ne répondis pas, ne sachant pas où elle voulait en venir.

- Je veux dire… C'est quand même…

Encore une fois, elle ne termina pas sa phrase. Elle resta plongée dans ses pensées pendant quelques instants, puis elle releva la tête pour me regarder en face.

- C'est vraiment lui ?

Je savais qu'elle cherchait dans mes yeux un dernier espoir que je puisse nier. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il s'agisse d'une mauvaise blague, mais je n'avais plus envie que ce soit le cas. Plus maintenant. Je soutins son regard un moment, puis ce fut à mon tour de soupirer. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un mince sourire, un peu ironique, un peu contrit.

- Oui, c'est vraiment lui.

- Même en l'ayant détesté toutes ces années ?

- Même en l'ayant détesté toutes ces années.

Je relevai les yeux sur les siens pour lui prouver que je ne me jouais pas d'elle.

- On parle quand même de… Je veux dire. C'est le roi.

Elle l'avait annoncé d'une telle manière que je ne pus que m'esclaffer.

- Merci, je sais.

Je retrouvai mon calme et regardai distraitement la forêt qui frissonnait sous la brise. La tranquillité des lieux me donna le courage dont j'avais besoin pour parler de lui.

- Thranduil m'a embrassé le premier, crus-je bon de lui rappeler. J'étais au moins aussi surpris que toi, si ce n'est plus.

Il suffit que je lui jette un coup d'œil pour me rendre compte que prononcer son nom avait eu le don de la faire pâlir. Quelle ironie, avais-je envie de lui dire. C'était elle qui avait chercher à m'arracher un nom depuis le départ, et voilà que ce nom n'avait pas l'air de lui plaire.

- Je sais que c'est le roi, lui fis-je remarquer. Je sais aussi qu'il est plus âgé, et plus mature, et qu'il a un fils, que tu dois te coltiner, d'ailleurs. Je sais que tu pourras me donner toutes les raisons pour lesquelles c'est incompréhensible, et inacceptable, et… mal, ou tout ce que tu voudras. Mais je ne peux pas t'expliquer comment c'est arrivé, ni pourquoi c'est arrivé. C'est juste… arrivé. Crois-moi, dis-je sur ton à moitié ironique, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour nier et pour l'éviter, mais quoi que je fasse… Je ne sais pas. J'imagine que je finis toujours par revenir à lui d'une façon ou d'une autre. Ça va te paraître étrange, surtout venant de moi, mais je crois que je suis incapable d'y faire quoi que ce soit. C'est plus fort que moi.

Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne ressentis aucune honte, aucune gêne, vis-à-vis de tout ce que je venais de lui avouer. Après tout, c'était la vérité. C'était ce que je ressentais, purement et simplement. Pour une fois, j'avais réussi à être honnête envers elle, et dans un même temps, envers moi-même. J'avais fait le premier pas en me montrant sincère envers lui, et j'avais fait le dernier en m'exprimant sans essayer de dissimuler ou de déformer la réalité.

Tauriel ne s'était certainement pas attendu à un tel monologue de ma part. Son silence était inhabituel, mais je lui laissai digérer tout ça. Après tout, j'avais pris mon temps moi aussi, bien plus qu'il ne l'aurait fallu. En fin de compte, elle se résolu à briser le silence.

- C'est difficile d'imaginer que tu puisses parler de la même personne.

- Il faut croire que je me méprenais sur lui.

Je soupirai sous l'ironie de la situation.

- C'est toi qui avais raison au final, à m'assurer qu'il n'était pas aussi mauvais que je le pensais.

Elle eut un rictus qui transpirait le sarcasme.

- Oui mais de là à aller d'un extrême à un autre…

- Tu n'as pas tort.

En posant les yeux sur l'entrée du passage secret, je me perdis dans mes pensées. J'essayai de me remémorer ce que j'avais pu ressentir, et comment il avait lentement fait virer mon cœur de bord, sans que je ne sois capable de me l'expliquer. La voix de ma meilleure amie me ramena à la réalité.

- Je suppose que tu sais ce que tu fais.

J'esquissai un mince sourire triste.

- Si seulement.

Elle leva les yeux au ciel puis secoua la tête en signe de désapprobation.

- Ça n'a vraiment rien de raisonnable.

- Raisonnable ? Est-ce que je l'ai déjà été ? plaisantai-je à moitié.

- Avec moi, en général, oui. Mais depuis que tu le côtoies, c'est une autre histoire j'ai bien l'impression.

Encore une fois, elle n'avait pas tort. Et il fallait avouer que l'autre parti concerné n'aidait pas beaucoup. Aucun de nous n'était véritablement raisonnable en présence de l'autre.

- En même temps c'est un grand dramatique. J'aurais du mal à y échapper.

- Parce que tu ne l'es pas toi peut-être ? rétorqua-t-elle.

Je ne pus qu'en rire. Il était évident qu'elle avait raison. Si j'étais honnête avec moi-même, nous étions au moins aussi dramatique l'un que l'autre. Malheureusement, il était bien connu que l'honnêteté n'était pas mon fort quand il s'agissait de reconnaître ses défauts. Car cela ne pouvait être qu'un défaut vu comment nous parvenions à nous prendre la tête pour des broutilles. Elle leva les yeux au ciel.

- Entre toi et « l'autre », je ne vais pas m'en sortir. Je te rappelle qu'en plus d'être notre souverain, c'est mon supérieur hiérarchique direct. C'est à lui que je dois faire mes rapports. C'est à lui que je dois m'adresser dans le cadre professionnel, au quotidien. Je ne vais plus arriver à le regarder en face… Sans parler de Legolas.

Son monologue désespéré me fit sourire bien que ce ne soit pas le but. Au lieu de me traiter d'idiot et de me reprocher mes épanchements amoureux, elle s'exprimait comme si elle avait déjà abandonné l'espoir de me détourner de lui. Ainsi, je n'osai pas la couper dans son élan. C'est alors qu'elle prit un ton sarcastique.

- Oh, au fait Legolas. Ton père se tape mon meilleur ami. Ou l'inverse, je ne sais pas trop et je ne veux pas savoir. J'imagine qu'on se verra aux dîners de famille. Allez, à plus.

Je m'esclaffai, mais elle ne semblait pas partager mon hilarité.

- Imagine un peu !

Je ne pouvais que ricaner en essayant de dépeindre la scène dans mon esprit. Elle secoua la tête en soupirant, apparemment dépitée.

- Et si jamais il te brise le cœur, je vais devoir lui demander l'autorisation avant de lui mettre mon poing dans la figure ? C'est ridicule…

Ce n'était certainement pas son intention, mais sa remarque me touchait. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela me faisait plaisir mais, quelque part, on ne devait pas en être loin. Elle avait beau se plaindre, elle ne m'avait pas exhorter à mettre un terme à cette relation. Elle n'avait peut-être pas donné son assentiment, mais elle ne m'avait pas non plus objecté. Derrière ses apparentes protestations, je devinai qu'elle avait mon bien être à cœur avant tout. Elle ne fit d'ailleurs que confirmer mes soupçons.

- Il a intérêt à te rendre heureux.

Je devais sourire comme un idiot parce qu'en relevant les yeux, elle me donna un léger coup de coude en réprimant à peine un rictus. Je ne pus m'empêcher de rire. Quand je retrouvai enfin mon calme, je surpris sur ses lèvres un mince sourire en coin. Cela eut le don de me détendre. Ce n'est qu'à cet instant que je réalisai à quel point j'avais redouter cette discussion. J'étais toujours un peu nerveux mais je me sentais déjà délesté d'un poids énorme. Cela me faisait un bien fou. Tout d'abord, j'avais clarifié la situation avec lui, et maintenant, je me libérai du silence.

- Quelqu'un d'autre est au courant ? demanda-t-elle plus sérieusement.

- Pour lui et moi ?

- De quoi veux-tu que je parle ?

J'esquissai un sourire amusé puis répondis en toute sincérité.

- Non, personne.

- Pas même Fae ?

Je secouai la tête.

- Tu comptes lui en parler ?

- Non. Je ne sais pas. Peut-être. Pas tout de suite en tout cas.

Tauriel resta pensive un moment, mais le fait qu'elle soit la seule personne au courant de notre relation sembla me faire pardonner mes tentatives incessantes pour éviter de répondre à ses questions jusqu'à ce jour. Si ça pouvait jouer en ma faveur, je me félicitai de l'avoir faite ma confidente.

- Legolas va finir par se douter de quelque chose si ce n'est pas déjà le cas.

Rien que son nom me fit grincer des dents.

- Ne m'en parle pas.

- Thranduil ne lui a certainement rien dit pour l'instant, mais ce n'est pas la première fois qu'il crache sur toi dans ton dos. Ce n'est un secret pour personne qu'il ne t'apprécie pas beaucoup. Il évite de se montrer trop venimeux en ma présence parce qu'il sait que je suis proche de toi et que je te défendrai quoi qu'il arrive. Ça ne change rien au fait qu'il ne va probablement pas être tendre avec toi s'il l'apprend.

C'était bien la dernière chose à laquelle je voulais penser. Je me contentai de hocher les épaules. Ce n'était pas comme si je ne m'y attendais pas. Au contraire c'était à prévoir, même si j'aurais voulu en faire le cadet de mes soucis. S'il fallait que je m'en préoccupe, j'avais décidé de le faire le moment venu, surtout que je n'allais pas être la seule cible de son animosité. J'imaginais mal Legolas essayer de tenir tête à son père à ce sujet mais il n'allait certainement pas feindre d'accepter de bon cœur si jamais il apprenait ce qui se tramait. Pour l'instant, je n'avais pas la moindre envie d'aborder le sujet avec Tauriel alors je l'expédiai en quelques mots.

- On verra bien.

Perdu dans mes ruminations, je ne perçus pas l'hésitation de Tauriel avant qu'elle ne se prononce à nouveau. Je la sentis cependant prudente en reprenant la parole mais la réalité n'en demeura pas moins désagréable à entendre.

- Ce n'est pas comme si tu étais l'unique problème dans l'équation. Legolas peut ne pas t'apprécier, je ne pense pas que ce soit ce qui jouera le plus. Je ne pense pas non plus qu'il se préoccupera de ta différence de statut par rapport à celui de son père. Il ne comprendra sûrement pas comment son père peut s'enticher d'un autre homme, et encore…

- Je sais.

J'avais tenté de l'arrêter avant qu'elle n'enfonce le couteau à la surface de ma peau. Cependant, elle formula ses pensées sans prendre la peine de me ménager.

- Legolas va t'en vouloir d'essayer de prendre la place de sa mère.

J'eus un rictus mauvais.

- Comme si.

- Je sais que ce n'est pas le cas, riposta Tauriel. Mais dans son esprit…

J'essayai de ne pas écouter ce qu'elle put dire ensuite, histoire de m'épargner une énième source de tourment, mais je fus incapable de ne pas l'entendre.

- Legolas a vu son père porter le deuil pendant des années, et je ne suis même pas sûre que Thranduil soit jamais passé au-dessus. Il ne doit même pas envisager la possibilité que son père puisse éprouver des sentiments pour quelqu'un d'autre.

Peu importe ce que j'en pensais, je ne pouvais pas démentir et je me devais de le lui accorder. Cette fois-ci, j'aurais souhaité qu'elle se trompe. Malheureusement, je n'aurais rien pu y changer. Et quand bien même j'aurais pu, je doute que je l'aurais fait en connaissance de cause. Il me fallait écouter ce qu'elle avait à dire, j'en avais conscience. Elle avait le don de me ramener sur terre quand c'était nécessaire. Elle savait être la part de raison qui me manquait quand je ne parvenais pas à avoir les idées claires ou à être assez humble pour voir la réalité en face. Alors je me forçais à entendre ses mots et les laissai couler dans un coin de mon esprit à défaut d'être capable de les affronter.

Constatant que le silence s'était installé, la laissant sans réponse de ma part, elle se résolut à changer de sujet. Après tout, je venais quand même de lui avouer la vérité la plus choquante de toute ma vie. Elle en avait l'entière exclusivité. C'était impossible qu'elle n'en profite pas pour m'en arracher davantage et jaser jusqu'à ce qu'elle finisse par y croire. Je lui surpris un sourire narquois. Elle ne se livra que lorsque je l'interrogeai d'un froncement de sourcil.

- S'il s'avère vrai que Legolas en pince pour moi, et si tu es effectivement parvenu à séduire Thranduil, on va finir par avoir la royauté de la poche.

J'eus un rictus. C'était ridicule mais cela eut le don de m'amuser.

- Plus sérieusement, reprit-elle. Tu ne m'a jamais raconté toute l'histoire au final.

J'allais protester mais elle dut le sentir car elle rajouta presque aussitôt :

- Je sais que vous vous êtes embrassés. Enfin qu'il t'a embrassé. Je sais aussi des choses que je ne devrais pas savoir, et que j'aimerais oublier parce que les images que j'ai en tête…

- Tauriel ! m'exclamai-je, sidéré.

- C'est ta faute ! Tu n'avais qu'à pas revenir pleurer chez moi complètement débraillé avec des suçons dans le cou !

Je blêmis. Elle en profita pour continuer.

- Je sais que vous vous voyez assez souvent-

- Seulement de temps en temps, me lamentai-je, encore affecté par le coup bas.

- Assez souvent, reprit-elle en haussant un peu le ton, pour que je me retrouve privé de mon meilleur ami sans trop comprendre pourquoi.

- Maintenant tu sais, soupirai-je.

- Maintenant je sais, admit-elle en reprenant un ton plus posé. Mais il n'empêche qu'on se voit beaucoup moins qu'avant.

- Je sais, c'est ma faute, m'empressai-je de rajouter. Désolé pour ça. Je compte me rattraper.

Me voir culpabiliser un peu parut lui suffire puisqu'elle esquissa un sourire et ramena aussitôt la conversation au sujet qui l'intéressait.

- Tu vois, je ne sais pas grand-chose en fin de compte.

- Tu en sais plus que quiconque.

Je la taquinai un peu même si nous savions tous les deux que c'était vrai. Elle leva les yeux au ciel. Un silence passa entre nous, puis nous ne pûmes nous empêcher de rire doucement. Je ne sus si c'était à cause de la nervosité ou bien parce que tout ce que nous nous racontions était si irréaliste que ça en devenait ridicule. Jamais nous n'aurions pu imaginer tenir un jour un tel discours. Moi, en train de parler du roi autrement qu'en le raillant à tout bout de champ, c'était déjà inconcevable plusieurs mois auparavant. Voir où j'en étais arrivé, ça avait presque quelque chose de mystique.

Au bout d'un moment à observer les environs, ayant retrouvé la sérénité dans laquelle me plongeait le souvenir de mes moments partagés avec lui, je jugeai que cela ne ferait pas de mal de lui donner plus de détails. Ainsi, sans trop savoir comment, je me mis à parler de lui.

Je lui racontai d'abord ce qu'il s'était véritablement passé le soir où il m'avait embrassé. Je me souvenais du vin, d'Aelang et de son animosité inébranlable, puis de Thranduil qui était intervenu avec sur le visage un air furieux et glacial que je ne lui avais jamais vu auparavant et jamais revu depuis. Il m'avait défendu, empêchant un garde de haut rang de lever la main sur moi, avant de m'entraîner loin de la foule. Ensuite, une impulsion. Sous l'incompréhension et la panique, j'avais fui. Et c'était là qu'elle m'avait rattrapé, conclut Tauriel. J'acquiesçai. « Et dans quel état ! ». J'eus un rictus, puis je repris, remettant les événements dans l'ordre : sa tentative de m'éviter et la dispute qui avait éclaté entre nous, ce fameux jour où je lui avais balancé à la figure la vérité sur mon père. Après cela, le silence. Jusqu'à ce qu'il se présente à la forge de lui-même pour me demander de forger l'épée. Tauriel jeta un coup d'œil aux oreilles en pointe que j'arborais depuis. Oui, affirmai-je. C'était également ce jour-là.

Retracer les souvenirs que j'avais avec lui avait quelque chose de nostalgique, mais en même temps, c'était étrange. Je ne me reconnaissais plus en eux. Je n'étais plus le même. Les décisions que j'avais prises dans le passé n'étaient plus celles que j'aurais voulu prendre avec le recul que j'avais désormais. Pourtant, si cela n'avait été le cas, rien de tout cela ne serait probablement arrivé.

Je lui racontai plus en détail la conversation que nous avions eu par la suite, lorsque je m'étais rendu dans ses appartements pour lui remettre sa lame. Je confiai à ma meilleure amie qu'il m'avait demandé pardon, avant de m'avouer qu'il s'était attaché à moi et souhaitait continuer à me voir. Quant à la suite, elle la devina elle-même. Elle se souvenait mieux que moi du matin qui avait succédé à notre nuit trop arrosée. Je ne m'étalai pas davantage, et je n'eus pas non plus à lui expliquer à quel point je m'étais enfoncé dans le déni tout en continuant à le fréquenter.

- Plus on se rapprochait, moins j'étais capable de fermer les yeux sur ce qu'il me faisait ressentir…

- En fait il a simplement su t'apprivoiser, conclut-elle.

Je levai les yeux au ciel et m'attendis à ce qu'elle rigole, mais en voyant qu'elle était sérieuse, je finis par hausser les épaules.

- Il a l'air de savoir s'y prendre pour te voler le cœur, même s'il parait beaucoup plus impulsif que je ne l'aurais cru. Ça me surprend un peu sachant comment il s'occupe des affaires du royaumes. Par contre, toi, tu es vraiment buté, et pour les mauvaises raison en plus de ça.

Je ne fis aucun commentaire sur le sujet. De toute manière, elle continua le récit elle-même.

- J'en déduis qu'à force, vous avez pris l'habitude de vous retrouver quand vous le pouvez. Ce qui nous amène à cette fameuse discussion qu'on a eu lui et moi.

Je soupirai.

- Tout ça à cause d'un malentendu.

- C'est bien ce qu'il me semblait. Il a cru que tu voyais quelqu'un d'autre, n'est-ce pas ?

Je n'eus pas besoin d'acquiescer. Il suffit qu'on échange un regard pour qu'elle comprenne.

- On s'est pris la tête pour rien à cause de ça… Enfin, « pour rien ». J'imagine que grâce à ça, d'une certaine façon, j'ai enfin pu être honnête avec lui.

Elle leva les yeux vers moi, s'attendant sans aucun doute à ce que je clarifie les choses. Je sentis ma poitrine et mes joues se réchauffer. Il n'était pas difficile de deviner ce que je lui avais enfin avouer. Je lui avais déjà dit, à Tauriel, lors d'une de nos discussions, un jour où elle était parvenue à me faire parler un peu de lui. « Je crois que je suis en train de tomber amoureux » n'était qu'une pâle expression à côté de ce que je ressentais en réalité. Heureusement, je ne m'étais pas contenté de lui dire cela.

Ma meilleure amie n'eut pas besoin de ma réponse pour comprendre comment notre dispute avait pu tourner si je paraissais désormais serein. Son regard tomba sur l'entrée du passage secret. Elle demeura silencieuse quelques instants, puis finit par esquisser un mince sourire.

- Maintenant que tu me le dis, ça parait évident.

Un peu pris de court, je l'interrogeai.

- Thranduil, répondit-elle.

Je me moquai gentiment.

- Tu ne faisais pas d'effort.

Elle fronça les sourcils mais ne répliqua pas. Au lieu de ça, elle commença à relier les indices à voix haute.

- Tu m'avais pourtant dit que tu n'avais pas quitté le palais en compagnie d'un garde, ou qui que ce soit d'autre. Et puis il y a l'arc. Peu de personnes auraient fait fabriquer un tel objet. A force, je sais faire la différence entre un arc de la garde et un arc personnel. J'ai appris du meilleur, déclara-t-elle en me gratifiant d'un sourire malicieux. En plus de ça, il y a évidement le fait que vous vouliez garder ça secret, ce que je comprends, admit-elle sans grande conviction.

Elle laissa échapper un soupir en semblant se souvenir de quelque chose.

- En pensant que je t'ai donné ma bénédiction… Si j'avais su.

Je fronçai les sourcils.

- Quand ça ?

- Tu ne te souviens pas ? Je t'ai dit que, tant que tu étais heureux, c'était tout ce qui importait. Ou quelque chose comme ça.

Maintenant qu'elle le disait, je m'en rappelai très bien.

- Tu regrettes ? me moquai-je à moitié.

Elle esquissa un sourire narquois, l'air de dire « Ça ne te plairait pas, n'est-ce pas ? », puis elle secoua la tête.

- Non. Même si j'avais su, j'aurais dit exactement la même chose. Parce que c'est tout ce qui compte pour moi.

Je ne pus m'empêcher de sourire, mais elle tenta vite de me rappeler à l'ordre.

- Ce qui ne veut pas dire que ça va être facile pour autant. Et je ne parle même pas pour moi.

- Je sais…

Je n'avais pas besoin qu'elle me redise ô combien la situation était délicate, même sans prendre en compte Legolas, Faelygriel, et toutes les autres variables imprévisibles. J'essayai vainement de les pousser hors de mon esprit, quand Tauriel reprit mon attention.

- Au fait. On n'a toujours pas aborder LE sujet qui importe.

Son expression me rendit suspicieux. Je ne voyais pas de quoi elle pouvait parler.

- Quel sujet ?

J'étais perdu, mais elle ne me laissa pas longtemps dans la confusion. Il y avait une lueur dans son regard et un étrange sourire sur ses lèvres. C'était mauvais signe.

- Comment ça se passe au lit ?

- Tauriel !