Note de l'autrice : Je choisis de me baser sur l'Histoire Naturelle de Diodore de Sicile pour l'apport mythologique grec, et bien évidemment d'en faire un peu n'importe quoi. En ce qui concerne les mythologies nordiques, j'ai parcouru quelques passages de l'Edda Poétique, mais globalement je suis les propositions du MCU et je rajoute ma sauce par dessus. L'action se situe juste à la fin de Thor : Ragnarök, et avant le début d'Infinity War. → PRENEZ GARDE AUX SPOILERS. Je poste aussi cette fanfiction sur un blog : PARENTHESE-XII(POINT)skyrock(POINT)com
Je vais essayer de poster graduellement, à hauteur d'un chapitre par semaine, pour essayer de terminer Parenthèse avant la sortie en salle d'Infinity War !
Surtout n'hésitez pas à me communiquer vos remarques, critiques, impressions ... C'est ainsi qu'on progresse !
Belle lecture, et prenez soin de vous

Prologue

ENTRE CROCHETS


Au loin, quelque part dans un autre monde, une étoile explosa. Sa poussière vogua jusqu'à la planète la plus proche et projeta des milliers de petits débris à sa surface. Le choc brisa la roche, traversa les gaz et creusa un cratère impressionnant dans un astéroïde voisin. Toute la galaxie en fut ébranlée. Une civilisation entière fut décimée, deux lunes se percutèrent et disparurent dans les robes sombres du trou noir le plus proche. Un soleil s'éteignit à son tour. Heimdall tourna son regard vers une autre branche de l'univers. Instinctivement, ses yeux cherchèrent l'empreinte familière de son propre royaume, mais ne rencontrèrent que le vide. Il ne restait d'Asgard que quelques débris éparpillés. Là où se tenait auparavant la grande cité n'était plus que l'éternel recommencement. Il n'y avait plus que la silhouette fantomatique des flammes qui avaient ravagé la ville et aspiré leur histoire. Plus que le silence et les étoiles incandescentes. Le gardien retint un soupir. Ils n'étaient qu'un petit nombre à avoir pu grimper à bord du vaisseau et sauver leur peau. Une grande partie du peuple d'Asgard avait péri dans le bûcher de Ragnarök, et leur mort avait laissé dans la fabrique du monde une série de trous béants. L'univers s'était percé de centaines de petites failles ce jour-là, et son cœur avait suivi le mouvement.

Heimdall délaissa l'emplacement vide laissé par Asgard et se tourna vers les huit autres mondes. Il y avait quelque chose de brisé, quelque chose de fendu dans le bois d'Yggdrasil. L'arbre cosmique semblait perdre ses feuilles et partager son deuil. Peut-être pleurait-il aussi la mort d'un roi, le départ du Père de Toutes Choses pour un royaume lointain, où Heimdall ne pouvait plus le voir. Peut-être le frêne aussi sentait-il le changement qui planait entre les étoiles et vrombissait sur ses branches avec la force et la puissance d'un éclair céleste. Le gardien sourit. Ragnarök n'avait pas fait que détruire leur cité et leur donner des amis à pleurer. Le cataclysme leur avait aussi apporté, pour la première fois depuis des centaines d'années, l'espoir d'une renaissance. Il n'aurait jamais pensé vivre une convergence, survivre à la fin d'Asgard et voir naître le règne du nouveau roi en à peine trois ans d'intervalle. Jamais Odin n'aurait pris aussi vite la décision de sacrifier des millénaires d'histoire et d'architecture, de renoncer à leurs terres pour sauver les vies de ses pairs. Son fils n'avait même pas hésité.

Heimdall chercha Midgard – cette Terre si riche dont leur prince était tombé amoureux – du bout des yeux. Elle était encore si loin, perdue à des années-lumière de leur vaisseau volé. Sans la magie du Bifröst et le pouvoir de son épée qui traçait des ponts entre leurs neuf royaumes, ils étaient loin de tout, égarés dans un coin de l'univers, à la merci du silence et du néant. Il leur faudrait encore de longues semaines de voyage avant d'atteindre cette terre promise. Pour la première fois de son existence, Heimdall ignorait tout de ce que leur réserverait l'avenir. Seraient-ils bienvenus sur Terre, ou bien repoussés ? Le peuple pourrait-il y trouver un havre de paix, un endroit où guérir et reconstruire un empire ? Ou bien allaient-ils rencontrer une autre planète dans leur périple, que Thor décrèterait plus apte à les accueillir ?

Au loin, quelque part dans un autre monde, une nouvelle étoile naquit.

« Heimdall, mon ami, le salua une voix derrière-lui. »

Il se détourna de la vitre et abandonna les astres. Il était tard, et les couloirs du vaisseau étaient déserts. Thor avait le teint cireux et l'air de ne pas avoir dormi depuis des lunes. Ses cheveux courts pointaient dans toutes les directions et son œil valide semblait porter le poids de toutes les âmes qu'ils avaient perdu dans la bataille. Il avait jeté sur ses épaules une grande couverture qui lui servait depuis quelques jours de pardessus et qu'il avait dérobée à un marchand ambulant de Sakaar. Le tissu ne tenait qu'à la seule force des muscles imposants sur lesquels il reposait et semblait prêt à se décomposer à tout instant. Thor n'avait pas l'air en meilleur état, mais souriait malgré-tout. Heimdall lui rendit son salut et retourna ses yeux vers les étoiles. Le prince le rejoignit. Il sourit à son tour et se corrigea mentalement. Thor n'était plus un prince, il était roi. Sacré par la mort de son père, couronné d'urgence par la bataille et leur fuite ... Il était leur souverain, à présent.

« Peux-tu la voir ? demanda-t-il en scrutant les constellations. Midgard, précisa-t-il soudain.

— Oui, je la vois. Je vois vos amis, aussi. »

Thor garda le silence. Quelques années plus tôt, il aurait partagé avec Heimdall les doutes et les peurs qui fusaient dans son esprit. Puis il aurait ri de ses propres faiblesses et les aurait balayées d'un revers de marteau ou au fond d'une pinte d'hydromel. Mais l'homme qui se tenait à ses côtés à cet instant n'avait plus grand-chose du guerrier présomptueux et imprudent qu'il était autrefois, bien avant son exil et sa rencontre avec le peuple de Midgard. Thor semblait accueillir le silence comme un vieil ami perdu, heureux de pouvoir écouter le temps sans devoir le combler de stratèges et de planifications en tout genre. Il semblait avoir besoin de calme, d'un sanctuaire au milieu du tumulte de l'après-guerre, et était venu trouver le gardien non comme un sujet mais comme un égal.

Ils profitèrent tous deux de la tranquillité des étoiles de longs instants, chacun perdu dans la nébuleuse de ses propres pensées. Après de longues minutes, Thor finit par soupirer et se tourna vers Heimdall, l'air résigné à enfiler de nouveau ses habits de roi et entamer son compte-rendu. Le gardien tourna ses yeux d'ambre vers lui, et l'écouta. Les derniers blessés avaient été guéris, l'informa-t-il. L'équipe qu'il avait chargée de la maintenance du vaisseau avait découvert une nouvelle cargaison de vivres et de carburant qui leur permettrait très certainement de tenir encore quelques semaines sans se ravitailler. Mais il songeait toutefois à faire une escale sur la prochaine planète qu'ils croiseraient, au moins par assurance. Banner, sorti de sa peau verte, s'était assuré de former quelques asgardiens aux rudiments de la physique terrestre et passait le plus clair de son temps à parler au peuple de sa terre natale, de la technologie midgardienne, leur contant leurs aventures et la bienveillance des terriens. A la surprise de tous, un petit groupe d'enfants l'avait pris d'affection, loin d'être effrayé par sa capacité à se transformer en un énorme monstre vert, et passait ses journées à lui réclamer toujours plus d'histoires et d'informations sur ce royaume qui deviendrait le leur. Korg et les autres rebelles de Sakaar aidaient sans se plaindre à la gestion mécanique du vaisseau, aux réparations des dégâts causés par la bataille, sous les ordres de Brunehilde qui disparaissait toujours avec quelques bouteilles de liqueur dans l'après-midi. Thor cherchait encore un moyen de freiner sa consommation ; elle allait finir par mettre en danger leurs propres réserves. Il tenait des conseils pratiquement tous les soirs dans la grande salle, écoutait chaque homme, chaque femme et chaque enfant qui venait lui soumettre une requête, puis rejoignait ses quartiers et s'écroulait de fatigue.

« Et Loki ? s'enquit Heimdall, étonné de voir que le dieu était absent du discours de Thor.

— Il aide majoritairement à l'entretien du vaisseau et au bien-être du peuple, mais il disparait souvent et je ne sais pas où il va ni ce qu'il fait, mais quand il revient il a toujours ce petit sourire satisfait qui ne me rassure pas vraiment. »

Heimdall ne put le blâmer. Après tout, avec un dieu de la discorde et de la tromperie qui avait prouvé mille fois par le passé qu'il méritait ses titres, ils ne pouvaient qu'être suspicieux. Pour ne rien arranger, Loki utilisait sa magie pour se cacher de son regard lorsqu'il s'éclipsait, et Heimdall était lui aussi plongé dans l'ignorance. Thor avait bel et bien des raisons de le soupçonner d'une nouvelle trahison. Mais le prince des escrocs en question était aussi son frère, et le rôle qu'il avait joué dans la destruction d'Asgard et le sauvetage de leur peuple méritait toutefois de ne pas être oublié. Le gardien le rappela à l'autre homme qui soupira.

« Je sais, Heimdall ... Et une part de moi voudrait croire qu'il est en train de changer, de retrouver une place parmi-nous ... Mais une autre ne peut que se méfier. »

Les souvenirs des trahisons de Loki, de son pacte avec les Géants de Glace, de la colère d'Odin et de sa chute étaient encore trop frais dans sa mémoire. Il l'avait pensé mort de nombreux mois, pleuré de toutes ses larmes avant de le retrouver, vivant mais transformé, sur cette Terre qu'il chérissait, empli d'une rage et d'une violence qu'il ne lui avait jamais connu. Il avait cru l'avoir perdu une seconde fois sur la terre des elfes noirs, mais cet arnaqueur avait mis en scène sa propre mort pour pouvoir voler le trône de son père. Même sur Sakaar, quelques semaines plus tôt, il avait encore tenté de le prendre de court et de trahir sa confiance. C'était un cercle sans fin, et Thor était fatigué. Il attendait de son frère une maturité que l'autre semblait déterminé à ne pas acquérir, et la situation ne leur laissait pas le loisir de régler leurs petits différends calmement, si une quelconque quiétude était seulement possible avec le dieu du chaos. Il lui fallait dédier toute son attention à son peuple et à leur arrivée prochaine sur Terre. Il n'avait ni le temps, ni la force de repenser à tout le sang qu'avait versé son frère. Loki attendrait.

« Peux-tu garder un œil sur lui ? demanda-t-il à Heimdall qui hocha la tête. »

Le silence tomba de nouveau mais cette fois-ci, Thor ne le laissa pas s'installer. Il remercia Heimdall, lui souhaita bonne nuit, et disparut dans le couloir. Le gardien retourna aux étoiles, et s'immobilisa. Il y avait des vibrations étranges dans les astres face à lui, bien plus préoccupantes que les frasques de Loki. Il se pencha plus près de la vitre, et les frémissements s'évanouirent. Il fronça les sourcils. Il avait senti avec certitude la vague de magie qui avait irradié des étoiles puis s'était volatilisée aussi vite qu'elle était apparue. Il se détourna de la vitre et partit chercher son épée. La lumière jaillit derrière-lui.

-.-.-.-.-.-

Thor accéléra le pas une fois seul dans le couloir. Il n'avait qu'une hâte : rejoindre son lit, s'écrouler dessus, et dormir le plus possible jusqu'au lendemain. Cela n'était l'affaire que d'une poignée d'heures, mais cela suffirait pour le moment. Avec un peu de chance, une fois sur Terre, il pourrait trouver un endroit où faire de longues grasses matinées et se dorer au soleil. Peut-être Tony accepterait-il de le laisser revenir se prélasser sur sa terrasse. L'idée lui plaisait énormément. Il bifurqua avec hâte à l'angle du mur, et se prit de plein fouet un panneau de métal qui n'avait rien à faire là.

« Tu rêves, mon frère ! rit une voix à sa droite.

— Loki, râla Thor en se massant piteusement le nez. »

Le panneau en question disparut. Le choc n'avait pas été très violent mais il avait eu le mérite de le tirer de ses pensées. Loki souriait d'un air narquois, fier de son petit effet. Des centaines d'années à vivre les mêmes farces, et il se faisait encore avoir. Mais les plaisanteries ne faisaient plus rire Thor, plus à présent. Il aurait tant aimé que son frère comprenne qu'il avait besoin de lui, besoin de pouvoir compter sur ses conseils et ses stratèges. Au lieu de quoi, il continuait à se comporter comme un enfant et à fanfaronner bruyamment. Thor soupira et allongea le pas. Il n'avait pas l'énergie de se battre avec Loki. Ce dernier le suivit jusqu'à ses quartiers et Thor considéra l'idée de lui claquer la porte au nez. S'il était sûr que le geste ne déclenche pas une nouvelle guerre, il l'aurait fait avec plaisir.

« Qu'est-ce que tu veux ? grinça-t-il »

Ses yeux commençaient à le piquer tant le sommeil le réclamait, et sa patience allait vite finir par s'épuiser. Loki s'adossa à l'encadrement de la porte et bloqua l'entrée de son corps.

« Je pensais que tu étais devenu mon chaperon, alors je te suis partout, comme ça tu n'as pas besoin d'engager Heimdall pour vérifier si je suis un bon toutou, cracha-t-il en retour. »

Thor se massa les tempes. Il ne manquait vraiment plus que ça à sa journée.

« Pousse-toi.

— Non.

— Loki, laisse-moi passer.

— Pourquoi ? »

Par Odin, il allait vraiment finir par l'assommer. Il se força à inspirer calmement et réitéra sa demande. Ce n'était pas le moment de s'embrouiller avec son frère. L'épuisement le mettait sur les nerfs, et il ne voulait pas risquer de tourner le dieu contre eux. Pas alors qu'ils avaient réussi à s'entendre plus ou moins jusque-là. Thor avait même pensé qu'ils seraient capables de retrouver leur complicité d'antan. Apriori, il s'était trompé sur toute la ligne.

« Laisse-moi passer, et reste avec moi si ça te chante, mais laisse-moi m'allonger. »

Loki le dévisagea et sembla chercher sur ses traits une marque de douleur. Il ne dut y trouver que de la fatigue puisqu'il s'écarta avec une courbette ridicule et un « votre suite, majesté » qui donna à Thor envie de l'étrangler. Il ignora son frère et s'avança dans la pièce, déterminé à se préparer pour la nuit quoi que fasse l'autre dieu pour l'en empêcher. Loki le regarda faire quelques minutes, puis sembla ne plus pouvoir se retenir.

« Bon, tu comptes me parler ?

— Que veux-tu que je te dise ? »

L'espèce de poncho qui couvrait ses épaules fut expédié à terre sans ménagement. Thor se dirigea vers la salle adjacente qui comportait une arrivée d'eau et plongea ses mains dans le liquide froid, puis les porta à son visage. Il accueillit la sensation avec délice.

« Pourquoi ces entrevues secrètes avec Heimdall ? Tu penses que je vais me réveiller un matin et me mettre à planter des dagues dans nos gens ?

— Pour tout te dire, répliqua Thor en fermant l'eau, je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas encore filé avec le Commodore. »

Le petit vaisseau attaché sur le toit était après tout à sa portée. Il avait les codes, des armes et des vivres. Loki aurait pu s'enfuir à tout instant, mais il était resté. Et Thor ne voulait pas se laisser aller à espérer qu'il reste par choix et non par calcul.

Sa réplique arracha à son frère un énième rire sans joie. C'était ce rire, plein de douleur et de promesses de sang, que Thor avait emporté avec lui dans ses cauchemars. Ce rire qu'il détestait tant.

« Et où veux-tu que j'aille ? railla-t-il. »

Thor se tourna vers lui. Il y avait sur les traits de Loki un mélange de joie folle, de cynisme et de douleur qui n'annonçait rien de bon. Il se rapprocha de lui, déterminé à prendre le taureau par les cornes et faire comprendre à son frère qu'il ne pouvait pas continuer à balayer ses questions et espérer recevoir des réponses aux siennes. Le vaisseau trembla soudain sous leurs pieds. Tous deux s'immobilisèrent. Le premier réflexe de Thor fut de jeter un regard de reproche à Loki. Mais la surprise véritable qui apparut sur ses traits et le pli d'inquiétude qui barra son front ne semblaient pas feints, pas cette fois.

Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir. Les deux frères se jetèrent un regard, et se tournèrent d'un même mouvement vers les étoiles. Une grande lueur surgit de l'univers et les engloutit sans crier gare. Thor eut le temps de saisir le poignet de Loki, et tout disparut.


Publié le 21/03/2018