Note de l'auteur : Pour les intéressés, la musique de Passenger m'a accompagné durant toute l'écriture de cette fanfiction, en particulier la vidéo officielle des paroles de Somebody's Love. Je vous le recommande, c'est un mélange parfait de douceur et de tristesse qui représente très bien ma petite histoire. Sur ce, bonne lecture !


Où les pins et les érables poussent

Chapitre un

La maison était à moitié écroulée et Severus ne tenait pas à savoir comment. Toutes ses pensées ne résonnaient que du nom de Lily alors qu'il se précipitait dans l'escalier chancelant menant à l'étage. Il n'y trouva que son corps sans vie effondré au sol. Son teint était déjà livide, et ses yeux d'un vert si riche n'étaient plus que d'un blanc laiteux. L'odeur de la mort n'avait pas encore imprégné la pièce, mais le parfum métallique du sang s'accrochait à son nez. Ce fut suffisant pour lui monter le cœur aux lèvres, l'obligeant à se plier en deux dans le couloir alors que le salé de ses larmes se mêlait à l'amertume de sa bile. Il avait vu d'innombrables cadavres par le passé, tous l'ayant forcé à se détacher de la situation. Il ne pouvait pas garder ce masque cette fois-ci, pas devant ce qui restait de sa Lily.

C'est presque rampant à terre qu'il se traîna jusqu'à elle, la serrant dans ses bras avec l'énergie du désespoir. Son corps était encore chaud, mais plus aucun souffle ne traverserait ses lèvres, et cette fatalité transforma les lamentations de l'homme en cris déchirants. Quand ceux-ci s'épuisèrent, le laissant tremblant et la gorge éraillée, ce fut pour être remplacés par un chapelet d'excuses qui n'avaient plus aucun sens. C'est à ce moment-là qu'il entendit les gazouillements provenant du lit pour bébé juste derrière eux. L'enfant était encore là. L'enfant était… encore vivant.

Il pouvait voir le duvet noir en bataille qui lui servait de tignasse. Il pouvait voir ses grands yeux émeraudes, si semblables à ceux de sa mère, le fixer avec innocence. Il pouvait voir la plaie encore saignante sur son front, ressemblant étrangement à un éclair. Comment avait-il survécu alors que sa mère n'avait pu vaincre le Seigneur des Ténèbres ? C'est à ce moment que Severus compris l'odeur du sang. Délaissant le corps de Lily, ses mains retournèrent fébrilement le tapis recouvrant le plancher de la chambre. Caché en dessous se révéla l'un des pentagrammes les plus complexes qu'il ait jamais vu, et Severus avait pourtant eu son lot de rituels magiques en côtoyant le Seigneur des Ténèbres. Plusieurs de ces symboles lui étaient inconnus, mais il ne pouvait ignorer la rune représentant le sacrifice : il l'avait vu assez souvent pour la reconnaître.

Pour faire ce pentagramme, Lily avait dû utiliser une quantité incroyable de son sang, mais elle semblait avoir prévu le coup depuis longtemps puisqu'il avait eu le temps de sécher en une sorte de poudre brunâtre. Aux yeux du Ministère de la Magie, il n'y aurait aucun doute qu'il s'agirait d'un sort de haute magie noire, et cela ne collait pas à Lily. Serait-elle allée jusqu'à mettre ses principes de côté pour protéger la vie de son enfant ? Non, elle se serait enterrée dans les livres et la recherche, elle aurait découvert quelque magie plus ancienne et plus puissante encore que tout ce qui était connu : un sort capable de transformer son sacrifice d'amour en protection impénétrable pour son fils. Quant au Seigneur des Ténèbres, Severus ne savait pas ce qu'il était devenu, mais il ne souhaitait qu'une chose, c'est que ce bâtard ait trouvé la mort la plus douloureuse qui soit.

L'enfant continuait de babiller en tendant la main en direction de sa mère. Avec un malaise évident, Severus le prit dans ses bras. Son esprit analytique enregistra qu'il devait peser un peu moins d'une dizaine de kilos et mesurer dans les soixante centimètres. Il ne savait pas s'il s'agissait d'un poids ou d'une taille normale pour un gamin d'un an, et quelque part ce fait l'inquiéta. Harry était-il en bonne santé ? Aurait-il des séquelles mentales après avoir été blessé au front ? Aurait-il un traumatisme en grandissant sans ses parents, sans sa mère ? Le petit dut sentir son angoisse grandissante car son visage se plissa, les larmes perlèrent à ses yeux et ses couinements se transformèrent en gémissements. Cela ne fit qu'accroître la panique de Severus alors qu'il tentait désespérément de reprendre ses moyens, mais son corps ne cessait de trembler et ses poumons semblaient repousser tout oxygène.

Il devait sortir de cette maison maudite. Il devait le faire maintenant. Ce n'était qu'une question de temps avant que les Mangemorts n'accourent sur les lieux pour découvrir ce qui était arrivé à leur maître. S'il n'avait pas réussi à protéger Lily, alors il protègerait son enfant, quitte à y laisser sa propre vie. Il devait s'enfuir avec le petit, le mettre en lieu sûr, contacter Dumbledore pour lui dire ce qui s'était passé… Il ne pouvait prendre plus de temps à pleurer son amie, chaque minute à s'attarder mettait le gamin en danger. Alors il attrapa une couverture pour défendre Harry du froid mordant de l'automne et se précipita à nouveau dans les escaliers.

L'enfant ne pleurnichait plus maintenant, il hurlait à s'en déchirer les cordes vocales. Mais même au travers de ses cris, il aurait été difficile de manquer le vrombissement de moteur et le crissement de pneus freinant devant la maison. Bondissant de sa moto, Sirius Black levait sa baguette alors même que Severus poussait la porte de la demeure, mais le maître des potions s'était déjà attendu à cette éventualité et avait dégainé dans un synchronisme presque parfait.

- Laisse le petit ! Maintenant !

- Comme si j'allais l'abandonner à un foutu traître !

- C'est toi le traître depuis le début ! Albus n'aurait jamais dû te faire confiance, jamais !

- Tu as du toupet de parler de confiance… Dis moi, qu'est-ce que le Seigneur des Ténèbres t'as promis en échange de la vie de ton meilleur ami ? Visiblement, il n'a pas eu besoin de te torturer longtemps avant que tu ne les livres sur un plateau !

- Fils de pute, comment ose-tu ? C'est toi qui les a vendus avec cette foutue prophétie de merde ! Et maintenant tu viens achever son travail !

- Si tu crois que tes petits discours vont me faire croire que tu es toujours du côté de la lumière, tu peux t'enfoncer ta baguette dans l'œil jusqu'à la garde ! Tu étais leur gardien du secret, par Merlin !

- Je ne l'étais pas ! Je ne l'ai jamais été !

- Et tu crois que je vais gober un mensonge aussi immense ?

- Peter était leur gardien !

- … Tu veux dire, Peter Pettigrew ?

- Bien sûr, qui d'autre ? Cette saleté de rat !

- Mais pourquoi…

- Oh, je ne sais pas, peut-être parce que le meilleur ami de la famille aurait été un choix trop évident pour être gardien du secret ? Surtout avec un foutu traître dans les parages pour confirmer au Seigneur des Ténèbres à quel point nous étions proches à Poudlard !

Le sort informulé de Sirius jaillit dans un trait de lumière rouge que Severus évita de justesse alors que derrière lui, la porte branlante était propulsée hors de ses gonds. Ballotté dans les bras du maître des potions, Harry ne lançait plus que des cris hystériques. Severus n'attendit qu'une fraction de seconde avant de riposter, les traits déformés par la rage.

- Legilimens !

Le souvenir ne fut pas difficile à trouver, les barrières mentales de Sirius étant aussi faciles à briser que du parchemin. Il vit James et Lily, encore vivants et l'air anxieux. Il vit Sirius prendre peur à la dernière minute et trouver l'excuse de la proie évidente pour sauver son honneur. Il vit les regards se tourner vers un pathétique Peter couinant et bégayant. Il entendit ce dernier convaincre les trois autres de ne rien révéler à l'Ordre, pas même à Dumbledore, pour minimiser les fuites d'informations. Le souvenir ne semblait pas altéré, Sirius n'aurait jamais eu les capacités mentales pour être un bon Occlumens. Alors il disait vrai. Il était réellement là pour protéger Harry et non pas pour finir le travail du Seigneur des Ténèbres. Avec un soupir fataliste, Severus abaissa sa baguette. Continuer de se chamailler comme des adolescents ne ferait qu'empirer les choses. Ils devaient quitter les lieux au plus vite.

- Qu'est-ce que tu…

- Je ne suis pas ton ennemi, Black. Quand j'ai appris que le Seigneur des Ténèbres allait attaquer, j'ai accouru dans l'espoir d'avertir Lily et… je suis arrivé trop tard. Tout ce que je veux maintenant, c'est ramener Harry en lieu sûr et avertir Dumbledore.

- Mais oui, bien sûr, prends-moi pour un imbécile.

- Je tiens Harry dans mes bras et tu m'as lancé un sort offensif, je pense que cela en dit long sur ton intelligence, en effet.

Il y eut un silence tendu, Sirius le fusillant du regard en serrant si fort sa baguette que ses jointures en étaient blanches. Puis enfin, il la rangea à son tour dans sa poche, mais ses yeux gris n'avaient rien perdu de leur fureur et de leur méfiance.

- Très bien, je vais t'emmener à Poudlard, mais si tu fais le moindre mouvement louche je n'hésiterai pas à utiliser un Impardonnable pour sauver le petit, c'est clair ?

Severus se contenta de rouler les yeux au ciel en réponse. Harry avait cessé ses cris stridents et hoquetait de sanglots épuisés, gesticulant sous sa couverture comme pour s'en défaire. Dans un soupire, le maître de potions le recala plus confortablement dans ses bras, resserrant les pans du tissu autour du bambin. Sirius lui lança un regard étrange depuis le siège de sa moto, mais Severus l'ignora superbement. Ce fut avec le plus grand déplaisir que le professeur s'installa derrière son ennemi d'enfance, essayant autant que possible de ne pas avoir de contacts physiques avec son dos malgré le peu de place qu'offrait le siège.

- Un transplanage aurait été suffisant, Black.

- Et rendre Harry malade de tournis ? Ne soit pas ridicule.

Le moteur se mit en marche dans une explosion de décibels. La moto bondit tel un animal fou avant de brusquement s'élever dans les airs, sous les jurons sonores de Severus et le retour des hurlements du gamin. Par réflexe, le maître des potions s'agrippa de son bras libre à la taille du conducteur, maudissant Sirius de le forcer à une telle proximité. Il détestait voler. Par Merlin, il détestait voler. Et s'il échappait Harry à plus de six mille mètres de hauteur ? Et s'il glissait et tombait ? Et si un problème quelconque les faisait s'écraser ? Foutu Sirius et ses idées de merde ! Il n'aurait jamais dû lui faire confiance !

- Va crever en enfer, Black ! C'est de l'enchantement d'objet moldu, si le Ministère…

- Désolé Servilus, mais en tant que prétendu ex-Mangemort, je ne crois pas que tu sois bien placé pour me parler de ce qui est légal ou pas.

À ces mots, l'homme fit grimper sa moto de plusieurs mètres au-dessus des nuages, laissant derrière eux les lumières de Godric's Hollow. Malgré lui, Severus laissa échapper un glapissement terrifié en se resserrant davantage contre sa seule prise. Son corps était si crispé qu'il en tremblait comme une feuille. Son cœur battait à ses oreilles alors que son ventre bondissait de haut en bas en menaçant de le rendre à nouveau malade. Serrant les dents jusqu'à s'en faire mal à la mâchoire, il s'obligea à ne pas fixer le sol pour ne pas céder davantage à la panique. C'est à ce moment que ses yeux noir charbon croisèrent l'expression surprise de Sirius qui s'était retourné en sentant sa poigne écrasante.

- Hey, ça va ? Tu n'as pas le vertige, toujours… Si ?

- Je te jure Black, si tu n'as pas mis de sort Repousse-Moldu sur ce maudit machin et que notre vol est repéré, je sabote ton procès pour t'envoyer directement à Azkaban.

- Relaxe, on devrait arriver dans moins de trois heures et ton calvaire prendra fin.

À la façon dont brillaient ses yeux gris, Sirius était visiblement hilare. Severus se promit de l'étrangler dès l'instant où il déposerait Potter en sûreté. Par fierté, il s'obligea à relâcher la pression dans ses muscles, affichant une attitude nonchalante qui ne trompait personne. L'instant d'après, un sort sifflait à ses oreilles et l'obligeait à se plaquer à nouveau contre Black, qui fit par réflexe une embardée sur le côté. Presque aussitôt, Severus coinçait Harry en sécurité entre lui et Sirius pour dégainer sa baguette. Ses yeux scrutèrent à toute vitesse les alentours, tentant de percevoir les silhouettes cachées dans les ombres.

- Ils nous entourent.

- Combien ?

Severus tapota six fois du doigt le ventre du conducteur, qui hocha la tête d'un signe bref. Ses yeux gris avaient désormais l'éclat de l'acier, aiguisés et prêts à l'attaque. Severus détestait l'homme, mais il connaissait ses compétences au combat mieux que quiconque. Il pouvait au moins compter sur lui pour cette bataille. C'est ce qu'il croyait jusqu'à ce que Sirius s'appuie de tout son poids sur le devant de sa moto en coupant brusquement le moteur. La machine descendit en piquée sans aucune hésitation, la gravité réclament ses trois cent kilos en une chute libre vertigineuse prenant de plus en plus de vitesse. Harry hurla comme s'il était torturé au fer chaud, et Severus dut enfoncer ses dents dans l'épaule de Sirius pour ne pas faire de même. Imperturbable, Black fit entendre un grognement en tournant la tête pour voir leurs poursuivants. Une pluie de sortilèges s'abattait sur eux, Sirius parvenant tout juste à esquiver en quelques coups de guidon.

- Mais riposte, bon sang ! On ne pourra pas les distancer indéfiniment !

Severus enfonça ses ongles dans la veste de cuir de l'homme. Il devait se ressaisir. Ne pas penser au sol qui arrivait à eux à pleine vitesse. Respirer. Reprendre le dessus de sa peur. Sirius avait raison, sa moto était puissante, mais comparée à un balai, son poids la rendait moins malléable dans les tournants rapides. Ils devaient se défendre et il était le seul capable de manier une baguette en ce moment. Se laissant porter par une sorte de semi-conscience reptilienne, Severus relâcha à nouveau sa prise sur le conducteur, juste assez pour pouvoir brandir sa baguette et viser. Son sort percuta de plein fouet le bras de l'un de leur poursuivant, le faisant dévier de sa trajectoire pendant un instant. La seconde suivante, il déviait un sortilège ennemi par un Protego, pestant quand l'adversaire évita son renvoi en une acrobatie habile.

C'est à ce moment que Sirius remit soudain le moteur en marche en redressant le guidon. La moto bondit en avant à seulement dix mètres du sol, sa course n'allant plus vers le nord, mais vers l'ouest. S'il s'agissait d'une manière de contourner leurs poursuivant, Severus espérait que Sirius savait ce qu'il faisait parce qu'ils étaient clairement dans une mauvaise position. Leurs adversaires les surplombaient comme des oiseaux de proies et deux d'entre eux s'étaient abaissés à leur hauteur dans le but d'immobiliser leurs flancs. Ils se rapprochaient dangereusement alors que leurs alliés continuaient de les bombarder de sorts, empêchant toute retraite vers le haut. Severus s'apprêta à riposter, quand l'éclat d'un œil bleu électrique le figea dans son geste. L'une des personnes se rapprochant d'eux était… Alastor Maugrey ?

- Sirius Black et Severus Snape, arrêtez-vous immédiatement et libérez cet enfant ! Si vous lui faites le moindre mal, nous n'hésiterons pas !

- Attends, est-ce que c'est Maugrey ? Merde, depuis quand il est Mangemort ?

- Il ne l'a jamais été, bon sang ! C'est l'Ordre qui nous attaque !

- Tu plaisantes !?

Un Confringo explosa soudain à quelques pas d'eux, forçant Sirius à faire une embardée qui manqua projeter Harry par-dessus bord. Le bébé était plus hystérique que jamais, rendant la communication presque impossible entre le sifflement du vent et le vrombissement du moteur à puissance maximale. Bon sang, l'Ordre voulait sauver le gamin ou causer sa mort, ces imbéciles ? C'est ce que dû penser la partenaire de chasse de Maugrey, car elle cria à l'escadron arrière de cesser leurs conneries au plus vite. Severus reconnu aussitôt la voix autoritaire d'Emmeline Vance, la sorcière la plus puissante de leur petite troupe. Si Albus les avait envoyés, il s'attendait à rencontrer une résistance solide des partisans de Voldemort.

- Accélère.

- Ce sont nos alliés !

- Black, pour l'amour de Merlin, accélère ! Tout ce qu'ils voient est le soi-disant gardien du secret des Potter en compagnie d'un Mangemort ! Tu crois qu'ils vont s'arrêter calmement pour une petite discussion diplomatique ? Je leur ai déjà envoyé deux sorts !

- C'était de la stricte défense, c'est eux qui ont attaqué en premier, on ne pouvait pas deviner ! Ils n'ont qu'à nous faire boire un peu de Veritaserum et tout sera réglé.

- Comme s'ils se donneront la peine de nous faire un procès. Black, ils nous imaginent en train de capturer l'élu Potter ! Si ça ne vaut pas le baiser direct des Détraqueurs, ça sera Azkaban à vie, je te l'assu...

Severus ne termina jamais sa phrase. Quelque chose lui percuta l'omoplate. Quelque chose de froid qui se propagea dans le reste de son corps à toute vitesse. En une fraction de seconde, son esprit maudit Sirius pour l'avoir déconcentré et n'être qu'une tête de mule. Mais avant que sa vision ne tourne au noir et qu'il ne sombre dans l'inconscience, sa dernière pensée fut pour Harry.

Quand il reprit conscience, l'odeur du sel était omniprésente. Tous ses membres étaient raides et engourdis par le froid alors que l'humidité s'infiltrait sous sa cape, mais quelque chose semblait ronronner sous lui comme pour le rassurer. Un grognement lui échappa lorsque la faible lumière du jour vint frapper sa rétine. Par réflexe, il se resserra davantage contre la forme tiède sur laquelle il reposait. Elle avait la texture et l'odeur du cuir, ce que l'homme considéra comme réconfortant dans son demi-sommeil. Puis la forme fut parcourue d'un petit rire faible, et dans sa confusion, Severus dut obliger son cerveau à quitter son état cotonneux.

- On sort enfin de son sommeil, princesse ?

- … Black ?

- Yep, et encore vivant. Je n'étais pas sûr que ce soit ton cas, mais je n'osai pas me retourner et que tu glisses par-dessus bord avec le petit. C'est… c'est bien de savoir que, enfin…

Sa voix était enrouée, sûrement par l'épuisement et de longues heures à braver la température glaciale. Elle avait aussi cette étrange note soulagée qui tremblait au fond de sa gorge, quelque chose que Severus n'avait jamais entendu chez lui. Papillonnant des yeux, sa vision trouble finit par s'éclaircir pour lui dévoiler un horizon de brume argentée au-dessus de vagues grises semblables à du plomb liquide. Contre lui, le dos de Sirius était tendu et courbé comme s'il portait tout le poids du monde sur ses épaules. Protégé des éléments entre leurs deux corps, Harry dormait paisiblement en une petite boule de chaleur.

- Le petit va bien ? Quand il a cessé de pleurer j'ai craint que, tu vois, avec le froid…

- Il va bien.

- Oh, super, c'est… vraiment super.

- Si je ne te savais pas de Gryffondor, Black, je croirais que tu te serais inquiété.

- Bien sûr que je me suis inquiété, merde ! Je… Tu… Tu crois que c'est marrant de risquer sa vie pour finalement échouer et tuer son propre filleul à cause de… Ça fait onze heures que je suis sûr de trimbaler derrière moi deux cadavres et tu…

- J'aurais dû savoir que ton intellect ne soulignerait pas la subtilité du sarcasme.

- Tu vas la fermer, oui ?! J'ai manqué nous tuer ! Je croyais que tout était perdu, et j'étais épuisé, et il aurait juste suffit que je m'endorme ou que je cède et on…

- Attends, onze heures ?

- … on se serait noyé dans le foutu milieu de l'océan, c'est ça que tu veux ? Que j'avoue que j'ai eut la chienne et…

- Tu es en train de me dire que depuis les onze dernières heures, tu as continué en ligne droite au-dessus de l'océan Atlantique ? Il fallait se rendre à Poudlard ! Ce n'était qu'à trois heures de Godric's Hollow !

- Je sais, merde, mais j'ai paniqué ! Tu t'es écroulé d'un coup sur mon dos et les sorts pleuvaient de partout sans que je puisse lâcher mon guidon pour riposter ! Est-ce que tu sais à quel point c'est difficile d'esquiver des sortilèges avec ce truc ? Ils m'encerclaient, putain, j'ai eu beau essayer, impossible de dévier de ma trajectoire pour les contourner. Ils m'ont poursuivi au-dessus de l'Irlande ! Même une fois au-dessus de l'océan, Dearborn et les Longdubat ont continué de me courser !

- … J'aurais dû me douter que Dearborn serait là, il n'y a que lui pour envoyer un Confringo en pleine mission de sauvetage.

- Ouais, Alice va l'écorcher pour avoir risqué la vie d'un gamin.

Un silence étrangement confortable s'installa, faisant réaliser à Severus avec un certain malaise qu'il était toujours serré contre le dos de Sirius. Soupirant, il bougea péniblement son corps raidit pour s'éloigner de cette dérangeante proximité, mais regretta aussitôt son geste quand ses frissons s'intensifièrent. Il lui fallut user de toute sa volonté pour ne pas se plaquer à nouveau contre la veste de cuir et y retrouver un semblant de chaleur. Sirius sembla partager sa souffrance, car il se mis aussitôt à trembler et claquer des dents à son retrait. Malgré leur dispute, Harry dormait toujours à poings fermés, probablement épuisé par tout ce qui s'était passé hier soir.

- Et donc ? Ça ne m'explique toujours pas pourquoi on est à onze heures de vol des côtes anglaises.

- Tu vas en revenir à la fin, merde ! Une fois sur l'océan, je ne pouvais plus faire demi-tour, qu'est-ce que tu crois. Ils se sont mis à patrouiller les rives comme des chiens enragés, alors bonne chance pour passer inaperçu avec le bruit du moteur…

- Toi et ta foutue moto, je l'avais dit qu'il aurait fallu transplaner !

- Mais la ferme ! Comment j'aurais pu savoir, moi, qu'on se serait fait attaquer par nos propres alliés ?!

- Peut-être en utilisant le peu de cervelle que vous, Gryffondor, prétendez avoir !

- Continue comme ça et je te balance par-dessus bord.

- Grogne autant que tu veux, Black, je reste celui qui a ton précieux filleul dans les bras.

- Je vais te… !

- Attends, tu vois là-bas ?

- Ne détourne pas la conversation, je te jure que… !

- Black, bordel, ferme-la et regarde devant toi.

Une large silhouette sombre se dessinait à travers la brume. Les premiers récifs rocheux perçaient la surface des flots, petites îles stériles où s'accrochait une sorte d'algue brunâtre. Comme de raison, ce fut précisément à ce moment-là que le moteur se mit à tousser.

- Merde !

- Black, qu'est-ce que…

- Du calme, du calme, je… Tout est sous contrôle.

- Maintenant que tu le dis sur ce ton, tu m'en vois hautement convaincu.

- Ok, écoute, ce truc carbure à la magie, d'accord ? Et quand il n'est pas en marche, il se recharge avec la magie alentour… en quelque sorte, j'ai pas trop compris tout ce que m'expliquait le gars qui me l'a vendu.

- Black, si tu pouvais en venir aux faits.

- Tu veux des faits, très bien, voici les faits : ça fait bientôt douze heures que je vole non-stop avec ce truc, tu crois qu'il a eut le temps de se recharger depuis le temps ?

- Je te jure, Black, si ta satané machine nous fait s'écraser avant d'atteindre… !

- Pour l'amour de Merlin, Servilus, calme-toi, je maîtrise.

- Oui, bien sûr, comme tu as maîtrisé notre aller à Poudlard ?!

La moto perdit brusquement un bon cinq mètres de hauteur avant de se restabiliser, mais ce fut suffisant à Severus pour oublier sa pudeur et s'agripper de toutes ses forces à Sirius. En réponse, celui-ci eut un bref rire ressemblant à un aboiement, et le maître des potions lui aurait probablement renfoncé ses dents dans l'épaule si le geste n'avait pas été aussi puéril. D'ailleurs, il pouvait encore voir la marque de sa dernière morsure dans le cuir noir de la veste.

- Tu disais ?

- La ferme, Black.

- Non, je t'en prie, tu sembles un expert en ce qui concerne le vol ! Éclaire-moi donc de ton savoir.

- Je suis aussi un expert du Doloris, si ça t'intéresse.

- Relaxe, Servilus. Comme je te dis, je maîtrise la situa…

La moto perdit à nouveau soudainement de la hauteur, sa roue avant percutant le sommet d'une île rocheuse plus haute que les autres. Le temps que Sirius ne reprenne le contrôle, la brume s'était dissipée sur les derniers mètres, révélant une montagne bien plus proche que prévue. Avant même d'avoir eu le temps de crier, ils percutèrent de plein fouet les flancs rocailleux. À la dernière minute, Black parvint à redresser le guidon pour que les roues encaissent le choc, mais leur vitesse de vol les fit rebondir vers l'arrière pour mieux dégringoler vers la grève en contrebas.

Durant cette cruciale fraction de seconde, le maître des potions n'eut qu'une seule pensée : protéger Harry. Alors que la force du choc le séparait brusquement de sa prise sur le conducteur, ses bras se refermèrent sur la petite chose blottie contre son ventre, son corps entier se recroquevillant comme un bouclier autour du fragile poupon. Il sentit la gravité l'entraîner vers l'arrière, puis son dos percuter violemment un rocher râpeux. Il entendit le raclement de la lourde machine sur les pierres alors que la moto continuait sa route en contrebas. Puis le silence, un long silence douloureux et angoissant, fut heureusement percé par le grognement de Sirius plus loin.

- Putain de bordel de merde de Merlin en shorts !

Bon, pas juste un grognement. Severus relâcha enfin la tension dans son corps douloureux, révélant un Harry encore endormi malgré la secousse. Severus s'empressa de vérifier s'il respirait bel et bien, effrayé à l'idée qu'il lui ait involontairement cassé la nuque ou quelque chose du genre. Mais non, l'enfant dormait sereinement dans ses bras. Avec un soupir soulagé, l'homme se laissa retomber sur le sol, sifflant entre ses dents alors que son omoplate blessée se rappelait à lui. Elle ne semblait pas cassée, heureusement, mais il aurait une méchante ecchymose pendant plusieurs jours.

- Servilus ! Merde, Servilus, dis-moi que tout va bien !

- Appelle-moi encore comme ça et je te jure que je…

- Merlin soit loué, tu… Comment va Harry ?

- Il va bien, mais ce n'est pas grâce à toi.

- On aurait pu mourir si je n'avais pas redressé à temps, espèce de sale chauve-souris ingrate !

- Mais oui, mais oui…

Severus aurait dû se redresser et voir si Sirius allait bien, mais pour être sincère, il était épuisé. Trop d'action, trop de froid durant leurs satanées douze heures de trajet. Il se laissa donc aller à quelques précieuses secondes de calme, avant que son instinct de survie ne lui fasse craindre une commotion cérébrale. Son bras libre se releva aussitôt pour se palper le crâne, mais avec soulagement il ne sentit aucune plaie ou douleur. Non, sa fatigue devait venir de l'adrénaline se résorbant de son système maintenant qu'il s'était assuré qu'Harry tout comme Sirius allaient bien. Mais autant il aurait été délicieux de s'abandonner au néant après toutes ces émotions, ils n'étaient toujours pas tirés d'affaire, et c'est pourquoi il s'obligea à se relever.

La vue de Sirius, la jambe en sang sous sa moto, lui ramena toute l'adrénaline nécessaire dans les veines. Il dévala aussitôt la dizaine de mètres les séparant, trébuchant sur les petites roches, rattrapant son équilibre de justesse malgré le poids de Harry dans ses bras. À son arrivée, Sirius était pâle comme un drap et une sueur froide perlait déjà sur son front. Alors que Severus s'agenouillait à ses côtés, l'homme alla jusqu'à offrir un petit sourire désolé qui ne lui ressemblait pas du tout, avant de regarder d'un air attendri le poupon ensommeillé. L'imbécile, s'inquiéter pour lui et l'enfant alors que son état est pire que le leur… Déposant Harry sur un rocher plat, Severus se mit en quête de sa baguette pour lancer un Wingardium Leviosa, seulement pour réaliser qu'elle était introuvable. Avec un juron, l'homme comprit qu'il l'avait perdue lors de sa pétrification. Pas le choix alors, il allait devoir utiliser la force brute.

- Tu es coincé quelque part ?

- Bordel Servilus, si tu me sors une phrase sarcastique de plus je…

- Alors apprend à lire les tons de voix parce que je suis sérieux, Black. Ton pied est tordu quelque part dans la machinerie ou seulement écrasé en-dessous ?

- Est-ce que c'est important ?

- Si tu continues d'être aussi peu coopératif, je te fends le crâne à coup de pierre pour abréger tes souffrances.

- Trop gentil, vraiment, j'apprécie l'attention.

Sirius était clairement sur le point de tourner de l'œil et pourtant il s'obstinait, le bâtard. Mais au moment où Severus allait maudire la fierté mal placée des Gryffondors, l'homme finit par renverser la tête vers l'arrière en soupirant, exposant sa gorge dans un état de vulnérabilité assez dérangeante.

- Ça fait un mal de chien, mais je n'ai rien de cassé ou de foulé, je crois… Ouais, je sens encore mes orteils bouger, alors ça va. Juste coincé en-dessous et la peau lacérée jusqu'aux aux muscles, mais ça… ça ira.

- Bien. Ne bouge pas.

- Et comment tu veux que je… Bordel de merde, mais qu'est-ce que tu fous ?!

Severus s'était attendu à une plus grande résistance de la moto, elle avait l'air de peser particulièrement lourd, mais l'angle de la pente abrupte devait avoir créé un effet de balancier. En y mettant toute sa force, il avait renversé l'engin au point d'être emporté par le mouvement, le haut de son corps atterrissant sans douceur entre les jambes de Sirius. Le cri de douleur de ce dernier fut presque enterré par le bruit de ferraille de la machine dégringolant la côte rocheuse, avant de sombrer à moitié dans les vagues avec grandes éclaboussures.

- Ma moto… Bordel, ma moto…

Dans un grondement, Severus se redressa tant bien que mal, évitant de s'appuyer le plus possible sur Sirius écrasé sous lui. Ses mains étaient en sang, mais ce n'étaient que des égratignures mineures. Cela chaufferait un peu, mais il survivrait du moment qu'il les nettoie. Non, la blessure de Sirius avait priorité. Si elle s'infectait et qu'ils doivent amputer… Ils devaient trouver de l'aide vite, du moment qu'ils n'aient pas atterri au milieu de nulle part. Il en était à ces pensées quand la poigne de Sirius se referma sur son collet, le ramenant face à un regard gris orageux crachant des éclairs.

- Mais t'es malade !? C'était notre seule chance de s'en sortir, comment tu veux qu'elle vole maintenant dans cet état ?! Elle est foutue !

Severus jeta un regard blasé vers la carcasse de métal tordu à moitié submergée, avant de hausser un sourcil désabusé en direction de l'homme. Il avait enduré sept années d'intimidation de sa part, il n'allait pas commencer à avoir peur de lui pour si peu.

- En effet, j'aurais dû la laisser en place et t'abandonner derrière, tu m'en vois désolé.

- Tu aurais pu utiliser ta baguette !

- Oui, très bonne idée Black, utilisons ma baguette échappée en sol britannique. Parce que nous savons tous deux qu'il est si facile de garder quoi que ce soit en main lorsque l'on est inconscient, n'est-ce pas ?

- Tu aurais pu prendre la mienne alors !

En effet, le manche dépassait de la poche de son jeans, clairement visible pour tout regard sorcier. De quoi se sentir particulièrement stupide.

- J'admet avoir un peu… paniqué.

- Paniqué ?

- Un problème, Black ?

- Oh, non, rien, juste étrange d'entendre que le terrible Servilus s'est sincèrement inquiété pour ma simple personne au point d'en perdre son légendaire sens de l'observation.

Severus allait répliquer avec son mordant habituel quand Sirius fit entendre un sifflement de douleur en redressant sa jambe meurtrie, son sourire arrogant remplacé brutalement par une expression de douleur. Ils n'avaient plus le temps pour de stupides arguments. Leur situation allait de mal en pis, mieux valait passer à l'action le plus tôt possible.

- Il faut diminuer la perte de sang.

- Non, pour vrai ?

- La ferme Black, j'essaie de t'aider alors ne me pousse pas à bout.

Enlevant d'un geste sûr sa cape et ignorant les piques de douleur de ses propres mains ensanglantées, Severus déchira méthodiquement le tissu en bandelettes. Sirius siffla à nouveau de douleur lorsque la laine noire entra en contact avec sa chair déchiquetée, mais au moins le bandage de fortune fut assez efficace pour absorber l'hémoglobine. Cela ferait l'affaire pour l'instant, mais Sirius n'allait pas pouvoir marcher seul, il lui faudrait un support.

- Tu sais, tu pourrais utiliser ma baguette pour un sort de soin.

- Je ne suis pas Pomfresh, je suis maître de potions. À ce que je sache, tu as encore usage de tes mains et de ta langue pour le faire toi-même.

- Je… ne connais pas de sortilèges de soins.

- Alors nous sommes deux.

Avec un soupir, Severus enleva cette fois sa robe de sorcier, frissonnant alors qu'il ne restait plus que son veston et sa chemise pour le protéger du vent. Après quelques essais et erreurs, il parvint à nouer le tout pour porter Harry contre son torse. Le vacarme de la moto avait tiré le petit du sommeil, mais il se rendormit bien vite une fois blottit de nouveau contre une source de chaleur.

La montée de la colline fut particulièrement pénible. Sirius était beaucoup plus lourd que sa silhouette fine ne laissait croire, même avec une jambe valide sur laquelle s'appuyer. Et comme il était plus petit que Severus d'un bon dix centimètres, ce dernier devait se pencher pour lui permettre d'entourer ses épaules de son bras, ce qui n'aidait vraiment pas sa blessure à l'omoplate. Et puisque le sol rocailleux avait tendance à glisser sous leurs pieds, il devait tenir Sirius par la taille pour éviter qu'il ne dérape, un contact physique qui le répulsait au plus haut point. Quelques mètres avant d'arriver au sommet, le terrain finit par changer, le sol rocheux devenant plus lisse pour se couvrir de mousse roussâtre et de petits pins rachitiques, mais Sirius continuait de trébucher sur les racines et ronces au point que Severus fut tenté à plusieurs reprises de l'abandonner derrière lui.

Malgré toute sa colère, l'homme ne put s'empêcher d'arrêter devant la beauté du paysage une fois au sommet. Le vent avait momentanément emporté la brume au loin, révélant un ciel d'un bleu délavé tournant l'océan argenté en un bleu profond. L'odeur du sel se mêlait à celle lourde et sucrée de la résine, créant un parfum entêtant, mais vivifiant. Severus ignorait où ils avaient atterri, mais cela ressemblait à si méprendre à la côte écossaise. Malheureusement, cela incluait aussi la totale isolation des lieux. Aucune ville n'était visible à moins de dix kilomètres à la ronde, et le terrain montagneux n'aidait pas à voir au-delà.

- Servilus…

- Oui, je l'ai vu.

À environ quatre kilomètres d'eux se dressait un grand bâtiment blanc au toit rouge, perdu au sommet de sa colline dégarnie. À travers la végétation rase, ils pouvaient distinguer un mince chemin serpentant tout le long de la falaise pour les mener directement à l'édifice. Cette vision rendit Severus mal à l'aise. En tant qu'ancien Mangemort, il avait appris à se méfier des gens construisant leur maison en des lieux isolés. Ou bien ils n'étaient pas sains dans leur tête, ou bien ils avaient quelque chose de terrible à cacher, si ce n'était pas les deux en même temps. Mais avait-il vraiment le choix ? Sirius était blessé, Harry avait besoin de chaleur, ils seraient bientôt affamés, et tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la civilisation était cette demeure. Ils devraient s'en contenter.

- Tu pourras tenir jusque là ?

- Pas trop le choix.

Une demi-heure plus tard, ils n'avaient parcouru que la moitié du chemin. La respiration forte et hachée, Sirius réclama une pause, repoussant légèrement Severus pour mieux s'appuyer sur un rocher recouvert de mousse. Pour être franc, le maître des potions était dans le même état, peu habitué qu'il était de donner un effort physique constant. La petite vallée dans laquelle ils avaient atterri était plongée dans l'ombre d'arbres plus imposants, apportant de nouveaux frissons à Severus alors que la brume reprenait ses droits sur la région. Les bouleaux se mêlaient désormais aux pins, leurs feuilles jaunies par l'automne bruissant sous la brise. Devant eux, un escalier naturel formé de pierres et de racines permettait de remonter sur la deuxième montagne où était perchée la maison blanche.

Ils n'avaient échangé aucun mot de toute leur marche, ce qui n'était pas pour déplaire à Severus, sachant à quel point Black pouvait être exaspérant lorsqu'il ouvrait la bouche. Mieux valait garder leur souffle pour l'effort plutôt que des futilités. Du moins, jusqu'à ce que Harry se mette soudain à chouiner dans son sommeil alors qu'une brusque et forte odeur se mette à agresser l'odorat sensible de Severus.

- Par Merlin !

- Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Est-ce que Harry va bien ? Est-ce que… !

- Sa couche. Il… Il vient de faire dans sa couche.

Il y eut un silence alors que Sirius le regardait avec de grands yeux ronds… avant d'exploser en un rire rauque, ce qui n'était pas pour aider Severus dans sa panique. Il pouvait gérer les blessures, il pouvait gérer le danger. Mais il faisait quoi avec une couche de bébé pleine ?!

- C'est… Oh wow, c'est parfait, tu… Ton expression, ah !

- Black, si tu penses que le moment est bien choisi pour rigoler parce que ton neveu fait ses besoins sur moi… ! Merde, qu'est-ce qu'on fait ? On est pas pour le laisser comme ça, il faut trouver quelque chose, il doit bien y avoir…

- Non, attends, hey, relaxe. C'est pas la fin du monde, laisses-moi juste… voilà.

D'un coup de baguette, il lança un sort de nettoyage sur Harry, qui cessa presque aussitôt de s'agiter pour se rendormir alors que la mauvaise odeur se dissipait d'un coup. À nouveau, Severus se sentit bien stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt, et se vengea en fusillant du regard le grand sourire hilare de Sirius. Si seulement il pouvait le laisser derrière...

Une forêt d'arbres morts les attendait au sommet, les séparant de la demeure. L'air marin avait arraché leur écorce. Le sel les avait blanchis et desséchés jusqu'à leur donner l'apparence de squelettes. À leurs pieds, la mousse semblait avoir le rouge brunâtre du sang coagulé. Ce n'était pas l'œuvre du feu, ni d'un parasite, Severus avait assez de connaissances en botanique pour le savoir. Quelque chose de sombre avait été à l'œuvre, confirmant ses pires craintes. Pourtant, il n'y avait pas dans l'air ce picotement électrique caractéristique d'un condensé de magie, le même qu'il avait senti en entrant dans la maison des Potter. Peu importe ce qui s'était passé en ces lieux, cela datait d'assez longtemps pour que la terre absorbe et évapore cette énergie, mais le paysage en resterait défiguré pour encore une bonne décennie, si ce n'était pas plus.

- Je n'aime pas ça.

- Une autre idée ?

- Non, mais j'aimerais ne pas être seul à utiliser ma matière grise pour des solutions, Black.

- Voyons, je n'oserais jamais. Comment pourrais-tu faire confiance aux idées d'un homme avec si peu d'intellect que moi ?

- Je ne savais pas que l'auto-dérision faisait partie de ton humour.

- Alors apprends à lire les tons de voix parce qu'il s'agissait de sarcasme, Servilus.

Le maître des potions ferma les yeux en soupirant. Il ne gagnerait jamais contre la détermination de Black à être un enfoiré. C'est donc en titubant tous les deux qu'ils finirent par atteindre le bâtiment.