Chapitre 8 : Éclipse

Éclipse : n.f. Astron. Disparition temporaire complète ou non d'un astre, due à son passage dans l'ombre ou la pénombre d'un autre.


-Donc, vous êtes encore ensemble ou pas? me demande Hermione sans quitter Cédric Diggory des yeux alors qu'il coure avec le ballon avant de faire une passe à Seamus qui tente de marquer dans le but gardé par Ron, je la sens se tendre près de moi, mais ce dernier parvient à l'intercepter et elle pousse une sorte de soupir de soulagement.

Certains spectateurs poussent des sifflements et des cris, d'autres une sorte de gémissement de déception. Tout cela se réverbère dans le gymnase et me donne mal à la tête.

Je détourne mon attention du terrain, déjà que je n'ai pas un grand intérêt pour le foot, c'est encore pire quand c'est à l'intérieur. Mais puisque Ron fait partie de l'équipe, Hermione et moi venons assister à ses matchs et parfois à ses pratiques. En fait, il serait plus exact de dire que Hermione y assiste et qu'elle insiste pour que je l'y accompagne. Il n'y a qu'eux pour ne pas voir ce qui se passe entre eux.

-Je ne sais pas, je réponds.

-Hum… c'est plutôt mauvais signe, elle commente en me jetant un regard. Et Ron t'a-t-il réadressé la parole depuis samedi?

-Non.

-Ça va venir, laisse-lui le temps, c'est sa petite sœur, c'est normal qu'il réagisse comme ça. Sinon, toi, ça va?

-Ouais.

-Ouais?

Et soudain je n'ai plus envie de parler de ça. Mais je connais trop bien Hermione pour penser qu'elle se satisferait de mon silence ou accepterait de changer de sujet sans que j'aie répondu à sa convenance à toutes les questions qu'elle pourrait avoir et notamment, celles visant à savoir comment je me porte. La vérité, c'est que je l'ignore.

Samedi, un sentiment désagréable, presque physique tant il était suffocant m'avait habité pour le reste de la journée. Alimenté, en plus, par la colère de Ron dont j'ignorais exactement ce que Ginny lui avait dit, mais qui m'accusait d'avoir fait de la peine à sa petite sœur et de n'être qu'un imbécile. J'avais pris le coup sans broncher, pensant qu'il n'avait peut-être pas complètement tort. C'est avec soulagement que, samedi soir, je suis retourné au centre. C'était la première fois que je ressentais une telle émotion en passant la porte d'entrée de cet endroit. Une constatation en soi inquiétante.

Le dimanche, cependant, les émotions négatives de la veille semblaient s'être émoussées en moi et je parvins à penser à autre chose, occupé par Neville qui était rentré plus tôt de chez sa grand-mère, en proie à une montée de son anxiété. Il me raconta comment madame Londubat avait fait redécorer sa chambre en son absence, disant que cela faisait trop longtemps que la pièce n'avait pas été peinturée. Elle avait choisi un vert pâle qui n'était pas sans rappeler à Neville les murs d'un hôpital, il avait aussitôt détesté la nouvelle décoration, mais savait qu'il était inutile d'en faire la remarque à sa grand-mère qui ne s'émouvrait pas de son opinion sur la question.

En soirée, je m'étais mis à repenser à Ginny et à la dispute que j'avais eu la veille avec Ron et cela dû paraître dans mon facies, car Neville me demanda si tout allait bien. Pendant une seconde, je pensai lui dire ce qui s'était passé, mais je changeai d'avis presqu'aussitôt, me disant que je n'avais pas envie de l'importuner avec ça, mais, au fonds, craignant surtout son jugement.

Et ce matin, en arrivant à l'école, Hermione m'avait intercepté avant même que je franchisse le portail du collège. Mettant ainsi fin, sans le savoir, aux questionnements qui tournaient en boucle dans ma tête, à savoir, si je me rendrais ou pas à notre lieu de rassemblement, sachant que Ron et Ginny s'y trouvaient assurément, mais n'ayant jamais dû les éviter auparavant.

Elle m'avait entraîné un peu plus loin, disant à Luna et à Neville qui m'accompagnaient comme chaque qu'elle devait me parler en privé. Luna n'avait même pas semblé l'écouter, l'esprit déjà ailleurs et n'ayant pas l'habitude de questionner ce que faisaient les autres. Neville, lui, m'avait jeté un regard inquisiteur, se doutant que quelque chose n'allait pas sans pouvoir mettre le doigt sur ce que c'était, puis il avait acquiescé en suivant Luna qui avait remise ses écouteurs sur sa tête.

Il était clair qu'Hermione savait déjà tout ou presque. Elle était proche de Ginny et cette dernière avait dû l'appeler ou la texter. Néanmoins, elle me laissa lui dire ce qui s'était passé samedi sans m'interrompre ou faire mine qu'elle savait déjà ce que je lui racontais. Son silence avait quelque chose de troublant, elle qui, normalement, ne pouvait s'empêcher de vous couper sans vous laisser le temps de finir ce que vous avez à dire, désirant obtenir immédiatement les informations qui l'intéressaient. Mais pas cette fois. je vous fais grâce de la description des tics qui m'avaient assailli pendant ce récit, mais, comme depuis un moment déjà, ils ne m'avaient pas épargnés.

Le silence avait persisté même après que j'eus fini de parler et cela ne fit qu'ajouter à mon incertitude, mais après quelques secondes, elle posa une main sur mon bras et me fit un demi-sourire. « C'est pas simple. » avait-elle dit. Et j'avais haussé un sourcil vers elle, attendant la suite qui ne venait pas. À ce moment, j'ignorais encore que je n'aurais droit à LA conversation qu'en fin d'après-midi, pendant la pratique de soccer de Ron à laquelle elle m'entraîna sans me demander mon avis, m'y tirant presque de force.

Après le déjeuner qui s'était déroulé dans une tension presque insupportable malgré l'absence de Ginny à notre table et même, dans la cafétéria, je n'avais pas vraiment envie de côtoyer Ron plus qu'il ne le fallait. Mais Hermione ne m'avait pas laissé le choix.

-Le pire dans tout ça, c'est que j'ai perdu deux amis, je réponds au bout d'un moment.

-Tu ne les as pas perdus, ils ont simplement besoin de temps. Ne t'en fais pas, on est tous amis depuis si longtemps, ça ne se brise pas si facilement un telle amitié.

J'hausse les épaules.

-Si Ron me reparle, je ne pense pas que ce soit le cas de Ginny.

-Tu verras, ça va aller. C'est ta première copine, c'est sûr qu'un jour ou l'autre, vous alliez vous disputer, rompre même.

-Tu penses que je devrais lui parler? je demande en cherchant son regard.

Elle pince les lèvres.

-Éventuellement, mais… Harry, ça dépend de ce que toi tu désires. Si tu penses que tu… as des sentiments amoureux pour elle ou pas, ça va changer la tenue de la conversation que tu auras avec elle. Tu comprends?

-Je ne suis pas idiot, bien sûr que je comprends, je rétorque un peu sèchement.

Elle me jette un regard peu amène, puis se tourne vers la partie, je me sens aussitôt mal.

Et si je n'en sais rien? Si je n'arrive pas à savoir ce que ressens pour elle et que lorsque je me rends compte que finalement, je l'aime et qu'il est trop tard? Pourquoi est-ce si simple pour les autres alors que pour moi c'est si compliqué? C'est impossible que tout le monde ressente une telle confusion, ce serait invivable.

Je me sens horriblement coupable d'avoir fait de la peine à Ginny, mais surtout, j'ai l'horrible sentiment d'avoir fait quelque chose de mal. Je n'aurais jamais dû coucher avec elle, ça c'est sûr. J'ai l'impression de lui avoir volé quelque chose même si au moment de le faire, je n'en avais nullement l'intention. Je ne cesse de me demander si, au vu de comment toute cette histoire s'est terminée, elle regrette ce qui s'est passé.

-Excuse-moi… je… j'en ai juste marre. J'ai l'impression d'avoir fait quelque chose de mal et d'être le dernier des salops, mais en même temps, qu'aurait-il fallu que je fasse? Que je lui mente? Que je lui réponde que je l'aime alors que je n'en sais rien?

Hermione pousse un soupir et pose une main sur mon avant-bras.

-Je ne sais pas, Harry, je ne suis pas la meilleure dans ce domaine, comme tu le sais, mais il me semble qu'effectivement, tu as bien fait de ne pas lui mentir. Même si tu es dans une position inconfortable maintenant. Laisse la poussière retomber, peut-être que ça t'éclaircira les idées aussi.

-Ouais…

Mon attention se porte sur la partie. Je remarque alors que Draco est sur le terrain, je ne savais pas qu'il faisait maintenant partie de l'équipe, en fait, j'ignorais qu'il jouait au soccer. Il me semble que ce n'est pas son genre. Mais rapidement, je constate qu'il est doué, très doué, même. Peut-être jouait-il pour l'équipe de son ancienne école? En tout cas, il parvient sans difficulté à éviter Cédric qui tente de lui prendre le ballon, fait une passe à un de ses coéquipiers qui fait quatre enjambées et marque un but. Draco se tourne vers les gradins et son regard se pose sur moi un moment et alors que je m'apprête à lui faire un salut de la main, il détourne le regard. Ok, sympa, un autre qui m'en veut, on dirait.

-Wow, il est plutôt bon, commente Hermione en voyant que le regarde.

J'hausse les épaules, l'air faussement désintéressé.

-Je déteste le soccer, je réponds froidement.

Elle lève les yeux au ciel et me dit que je devrais être heureux, dans ce cas, car la partie est terminée. Ron vient vers elle, mais en me voyant, il fronce les sourcils et fait volteface. Génial.

Hermione pousse un soupir près de moi, agacée par l'attitude de Ron. Je lui fais signe d'y aller, de toute manière, la journée est terminée et nous allons dans des directions opposées, comme elle prend le bus jusque chez elle et pas moi.

Pas de réunion d'équipe pour le concours ce soir et ça fait bien mon affaire. Je n'ai envie de parler à personne et surtout pas à Lee. Il ne m'a rien fait, c'est vrai, mais son enthousiasme me porte parfois sur les nerfs. En fait, depuis quelque temps, tout ce qu'il fait m'énerve sans que je ne puisse m'expliquer pourquoi.

Je cherche Luna du regard dans le but de marcher avec elle sur le chemin du retour, puis je me rappelle que les lundis soir, elle a une pratique avec l'harmonie de l'école. Tant pis. Demain nous travaillons tous les deux, nous aurons le temps de discuter s'il n'y a pas trop de clients et si l'apprenti-gérant qui a à peine un an de plus que moi et qui se prend au moins autant au sérieux que le premier ministre nous laisse échanger plus de trois mots.

-Harry! Harry, attends! appelle une voix et je me retourne pour voir Lavande à quelques pas de moi.

-Euh… salut, je dis en me demandant pourquoi elle m'a interpellé, nous n'avons jamais été proches ni même amis et depuis qu'elle et Ron ont rompu, j'ai encore moins de raisons de lui parler.

-J'ai entendu dire que Ginny et toi, c'était terminé, est-ce que c'est vrai?

Mes sourcils se froncent aussitôt devant son manque de tact. Pourquoi me demande-t-elle une telle chose?

-Je ne vois pas en quoi ça te regarde, je réponds en la dévisageant sans prendre la peine de dissimuler mon agacement.

-Euh… je voulais juste savoir, c'est que j'aurais une amie qui…

Stupéfait, je l'interromps sans même lui laisser le temps de placer un autre mot.

-Je ne suis absolument pas intéressé et j'apprécierais que tu ne te mêles plus de mes affaires!

Elle me jette un regard outré avant de virer les talons, marmonnant des paroles inintelligibles qui doivent être une série d'insultes m'étant adressées. Je n'en ai que faire. Je ne parviens pas à croire à ce qui vient de se passer. Non seulement ce n'est pas officiellement fini entre Ginny et moi, du moins, à ce que j'en sais, mais, en plus, nous sommes lundi et c'est seulement depuis samedi que nous sommes en froid. Qui a pu répandre une telle nouvelle aussi rapidement? Ginny? Ron? Si c'est Ginny, ça signifierait que c'est bel et bien terminé entre nous.

Je marche seul pour revenir au centre, mais ça ne me dérange pas. J'aimerais être capable de cesser de tourner et retourner dans ma tête ce qui vient de se passer avec Lavande, mais surtout, ce qui est arrivé avec Ginny le weekend dernier. Plutôt que de me libérer l'esprit, en avoir discuté avec Hermione n'a fait que mettre ces pensées au premier plan.

Dans moins de dix minutes de marche, je serai au centre, mais je n'ai pas envie d'y être aussi tôt. Je pourrais traverser par le parc, ça me rallongerait d'une bonne demie heure et je pourrais toujours dire à Remus que je discutais et que je n'ai pas vu le temps passé. Je rentre toujours à l'heure, alors même si pour une fois j'étais un peu en retard, ça ne serait pas la fin du monde.

Je tourne à droite au coin de la rue et marche jusqu'au bout de la rue, la tête ailleurs. C'est un cul-de-sac, mais au bout, entre deux blocs de béton, un sentier traverse le boisé qui s'y trouve. Il n'est évidemment pas déblayé durant l'hiver et une certaine épaisseur de neige s'y trouve, mais cette dernière a été chauffée par le soleil et s'est solidifiée, en plus des gens qui y sont passés avant moi et qui l'ont tapée.

Je me demande si Hermione a raison, si les choses vont réellement s'améliorer ou redevenir comme elles étaient avant. Peut-être n'aurais-je jamais dû sortir avec Ginny pour commencer. La sœur de mon meilleur ami, ça ne pouvait que mal finir. Et je ne peux m'empêcher de me demander si ça changera la donne pour mon placement en famille d'accueil chez eux. En a-t-elle parlé à ses parents? C'est certain qu'il est impossible qu'ils n'aient pas remarqué la tension qui régnait chez eux samedi soir, même s'ils n'en ont pas parlé.

« Je te dis que je t'aime et tu me remercies? »

Cette phrase. Je l'entends encore. Elle se répète encore et encore et je n'as pas à fermer les yeux pour revoir son air à la fois incrédule et furieux.

Quel imbécile.

La neige cède sous mon pied et je manque de tomber à genoux, mais je me reprends juste à temps. À l'ombre des arbres, la neige n'a pas encore subi les rayons du soleil et elle est plus épaisse, mais je continue.

Lorsque je suis seul, ainsi, je n'ai pas à tenter de retenir mes tics, et pourtant, c'est dans ces moments-là qu'ils me laissent tranquille, la plupart du temps. J'ai commencé la nouvelle médication et, à vrai dire, je ne vois pas de différences, mais le médecin a dit que cela pouvait prendre plusieurs semaines. Je n'ai pas grand espoir, la médication n'a jamais fonctionnée pour mes tics. Comme pour me donner raison, ma tête donne un violent coup vers la droite. Ce n'est pas la première fois que j'ai ce tic, mais il avait disparu dans les dernières années, je pense que c'est l'un des pires, je ne vous dis pas les torticolis…

Sans trop savoir pourquoi, l'image de Draco durant la pratique de soccer s'impose à moi. Mais aussitôt, je repense à la manière dont il m'a ignoré, dont il m'ignore depuis quelque temps, depuis qu'il semble être devenu le nouveau meilleur ami de Lee. Je ne comprends pas pourquoi, il ne s'est rien passé entre nous. Peut-être ne me parlait-il que pas dépit et que maintenant qu'il s'est fait un ami « normal », il n'a plus besoin de moi. Ce ne serait pas la première fois que ça m'arrive. Peut-être qu'il ne veut pas être associé à moi, le débile.

Ou alors, Lee lui a raconté des trucs sur moi, sur ce qui s'est passé. Peut-être a-t-il dit que j'étais…

Stop. Quelle importance de toute manière? S'il est assez con pour ne plus vouloir me parler sans raison ou parce qu'il me juge à cause de ma condition, je n'ai pas besoin de lui dans ma vie!

Le sentier débouche finalement sur le par cet je ne suis que trop heureux de pouvoir marcher dans autre chose que de la neige à moitié fondue, mais le mal est fait, mes bottes sont trempées. La lumière du jour commence à décliner tranquillement et, à contre-jour, je vois un petit groupe de jeunes hommes autour d'une voiture qui joue de la musique très fort. Je n'ai pas le choix de passer près d'eux pour sortir du parc et prendre le trottoir.

Arrivé à leur hauteur, je ne peux m'empêcher de leur jeter furtivement un coup d'œil. Je vois que certains ont une bouteille de bière à la main et j'accélère instinctivement le pas. Puis je le vois. Dudley, mon cousin.

C'est comme si on venait de me verser un seau d'eau glacé sur la tête. Un frisson me parcoure de part en part. Au même moment, il lève les yeux vers moi.

-Harry? il dit de cette voix trop familière et je recule en trébuchant. Hey, les mecs, c'est mon retardé de cousin dont je vous avais parlé…

Mais je n'entends jamais la suite. Je me mets alors à courir. Comme un fou. Comme si j'avais le diable à mes trousses et c'est un peu ça, au fonds. Je n'enjambe pas la haie entourant le parc, je saute littéralement par-dessus. Je n'ai jamais été du genre athlétique, mais, en cet instant, mon corps n'en a que faire, je courre encore et encore, je suis un sprinter, un marathonien, un coureur de fonds.

Mon cousin. Que fait-il ici? Il est censé être partit étudier à Londres et de toute manière, la maison de mon oncle et de ma tante est à au moins dix minutes de voiture.

Une voiture manque de me happer lorsque je traverse la rue sans regarder et me klaxonne furieusement. Le centre est à encore au moins deux kilomètres et je courre sans jamais m'arrêter. Puis, en traversant le stationnement du centre, mon corps semble se rappeler d'un coup que je n'ai rien d'un athlète et la tête me tourne alors qu'un goût de sang se propage dans ma bouche et que ma gorge prend feu. Je me plie en deux, me demandant pendant un instant si je vais vomir, le corps tremblant et secoué par mon souffle erratique. Je réalise que je suis en sueur, complètement trempé jusqu'à mon manteau. Mon souffle ne semble pas près de reprendre son rythme normal et je me demande s'il le fera un jour. Mon cœur bat contre mes oreilles et en levant les yeux, pour rendre le tout encore plus humiliant, je vois que Draco se tient près de la porte d'entrée et m'observe, impassible.

Si jusque-là, j'avais l'impression que Draco m'évitait sans pour autant en avoir la certitude, lorsque je le vois s'apprêter à me tourner le dos pour entrer à l'intérieur, j'en ai la certitude.

-Attends! je l'interpelle, sans trop savoir pourquoi, surpris d'être encore capable de prononcer quelque parole que ce fut dans mon état.

Il s'arrête en m'entendant, mais ne se retourne pas immédiatement, si bien que je pense pendant un instant qu'il va se remettre à marcher et me laisser seul. Mais, au bout de quelques secondes, tout au plus, il se retourne. Son visage est froid, critique. Je reste figé, toujours à bout de souffle. Je réalise combien je dois avoir l'air ridicule. Ce n'est pas parce que je l'ai interpelé que je sais quoi lui dire, je n'avais pas réfléchi jusque-là ou plutôt, je n'avais pas réfléchi du tout.

-Oui? il demande d'un ton légèrement agacé.

Puis les mots coulent d'eux-mêmes.

-Tu m'évites.

Ce n'est pas une question, mais plutôt un constat. Son regard d'acier me jauge sans pour autant que je sois en mesure de déterminer ce à quoi il pense en cet instant. La tête me tourne une seconde fois et je prie tous les dieux pour ne pas vomir devant lui, il y a une limite aux humiliations que l'on peu subir dans une même journée.

Il se contente d'hausser les épaules. Il n'essaie même pas de nier?

-Pourquoi? je demande en faisant un pas vers lui.

-Tu veux vraiment savoir?

Son ton dépourvu d'émotion, mais quelque chose transparaît dans son visage pendant un fraction de seconde…de l'incertitude?

-Oui.

Bien sûr. Pourquoi ne voudrais-je pas savoir? C'est quoi cette question?

-Lee m'a raconté ce qui s'est passé entre vous.

Je me sens blêmir.

-Ce… il ne s'est rien passé! Je ne sais pas ce qu'il t'a dit, mais… mais ce n'est pas… je ne suis pas comme ça! Je n'ai rien fait, quoi qu'il ait pu dire, c'est un mensonge, je…

-Il m'a dit qu'il t'avait embrassé et que tu l'avais repoussé, puis que tu avais mal réagi.

-Oh.

Je me sens soudain mal d'avoir été si prompt à dénigrer Lee. Je m'attendais à ce qu'il ait prétendu que c'est moi qui l'avait embrassé ou encore que j'y avais répondu d'une quelconque manière. Je croyais qu'il se serait servi de ça pour se moquer de moi face à Draco, se doutant que ce dernier serait repoussé par une telle chose, sans aucun doute. Mais non, Lee n'avait rien fait de tel, au contraire, il avait dit la vérité. Non, c'est plutôt moi, qui à la première occasion, essayait d'accuser Lee.

Pourquoi agir de la sorte? Pour prouver à Draco que je n'étais surtout pas homo? De peur qu'il me rejette s'il croyait que j'étais gay? Et quelle importance qu'il croit que je sois gay ou pas?

Ma tête donne un brusque coup sur la droite.

-Donc, j'ai pris mes distances, répond le blond en faisant comme s'il n'avait pas remarqué mon tic.

Je ne comprends pas. Pourquoi prendre ses distances si c'est Lee qui a admis m'avoir embrassé? Moi, je suis toujours le même, ça ne change absolument rien me concernant.

-Tu sais que Lee est… euh… comme ça, alors? je dis, maladroitement en ayant envie de disparaître et fur et à mesure que je m'entends prononcer ces mots.

Ses sourcils se froncent et son regard se fait encore plus glacial, si possible.

-Oui, je sais, il répond entre ses dents serrées.

Un nouveau tic s'empare de moi pendant une fraction de seconde et je sens mes mains devenir moites. Je ne comprends rien.

-Ok… Je ne suis pas certain que… Je pensais que c'était à cause de mon…

Mais il me coupe, cette fois, la colère qu'il semblait contenir jusque-là s'échappe d'un coup.

-Je suis « comme ça »! Tu ne comprends donc rien? Je suis gay! Et je n'ai pas besoin, mais alors, vraiment pas besoin d'être entouré d'un intolérant de plus, j'ai déjà mon père et la moitié de cette foutue école, alors merci bien! Donc, c'est pour ça que je t'évite, parce que je n'ai plus rien à te dire!

Et soudain je comprends tout et toutes les insultes dont il pourrait m'abreuver ne sont rien en comparaison avec celles dont je m'invective moi-même, mentalement. Et je me rends compte que je n'ai toujours rien répondu et qu'à chaque seconde qui s'égrène, je passe pour le dernier des homophobes et pourtant ce n'est pas le cas. Et je ne peux pas dire non plus que je sois totalement surpris, pas après ce qui s'est passé avec Crabbe et Goyle, mais en même temps je le suis. Parce qu'il y a une différence entre des insultes creuses balancées par des connards qui s'imagine que d'être pédé c'est la pire chose dont ils peuvent taxer quelqu'un et d'avouer qu'on aime réellement les hommes.

Et je ne peux m'empêcher de le regarder avec plus d'attention que je ne l'ai fait jusqu'à présent et de repenser à nos échanges, comme si j'essayais d'y trouver des indices qui m'auraient permis de savoir. Et je sais que c'est con, que c'est ridicule, que de penser qu'à simplement regarder une personne on peut deviner son orientation sexuelle est aussi une forme de perpétuer les préjugés, mais c'est plus fort que moi.

Il pousse un soupir et je sais qu'il va partir, me laisser là. Mais, il n'a pas le temps de me tourner le dos que je le retiens d'une main, le cœur battant la chamade.

-Ok. Ok. Ok. Ok. Ok, je répète sans pouvoir m'en empêcher, puis j'inspire en perdant patience contre moi-même face à mon incapacité à me contrôler.

Il me regarde, impassible et j'apprécie le fait qu'il attende que mon tic se termine sans en faire de cas, comme si c'était une publicité avant un vidéo qu'il désirait voir et qu'il n'avait pas la possibilité de la passer.

-Je suis désolé, Draco. Ce n'est pas ce que tu crois, je dis lorsque je reprends le contrôle de ma voix.

Il semble loin d'être convaincu, mais je continue.

-Ok. Ok? Je suis con. OK! C'est sûr. Ok. Je ne suis pas homophobe, je te jure! J'ai juste… c'est sûr… mal réagit. Je ne savais pas. Je voulais juste… c'est con, je pensais que ce serait ce que tu voudrais entendre, ce que je devais dire… excuse-moi.

Je le regarde en espérant qu'il comprenne quelque chose dans ce charabia prononcé à toute vitesse et entrecoupé de tous ces mots qui s'échappent d'eux-mêmes, parce que je veux désespérément qu'il me croit.

-Je ne suis pas certain de tout saisir, mais je pense que j'en comprends l'idée générale, il intervient et je me demande si c'est uniquement pour me faire taire et mettre un terme à cette conversation constituée de malaises posés les uns sur les autres en un échafaudage qui menace à tout instant de s'écrouler sur nous.

-Alors, on est…ok?

-On devrait rentrer, tu es trempé.

-Dis-moi si on est ok, avant.

-Sinon quoi, tu vas passer la nuit dans ce stationnement? il rétorque, goguenard et si cette attitude me portait sur les nerfs auparavant, j'y vois désormais le signe que quelque chose s'est réparé entre nous.

Ma tête donne un nouveau grand coup sur le côté et il pince les lèvres en me voyant faire.

-Évidemment, je réponds en tentant d'imiter son ton de voix.

Il lève les yeux au ciel, mais juste avant qu'il ne se tourne pour ouvrir la porte, je vois un sourire passer sus ses lèvres.

-Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi tu es arrivé ici en courant comme un forcené.

Je réalise alors qu'aussi incroyable que cela puisse paraître, je n'avais plus pensé à la rencontre que je venais de faire avec mon cousin depuis le début de notre échange.

-C'est…

-Laisse-moi deviner, un autre mec a essayé de t'embrasser et tu as voulu lui échapper? il se moque en se tournant vers moi alors que nous pénétrons dans le bâtiment.

Un faible sourire traverse mon visage, mais un poids s'est réinstallé dans mon estomac. Il semble le remarquer puisque quelque chose ressemblant à de l'inquiétude s'installe dans son regard.

-Je… mes vêtements sont trempés, je ferais bien d'aller me changer, je réponds en évitant la question, parce que je ne sais pas quoi lui dire ou comment lui expliquer que c'est de mon cousin honnit que je courrais parce que pendant toutes les années que j'ai passé chez mon oncle et ma tante, il me maltraitait, me battait, m'humiliait et qu'encore aujourd'hui, j'ai peur de lui.


Note de l'auteur :

Chers lecteurs,

J'espère que vous avez apprécié de chapitre, si c'est le cas, vous pouvez m'encourager et me le signifier en me laissant un commentaire auquel je répondrai assurément. C'est la seule manière pour moi de savoir que mon histoire vous plaît et qu'avoir la suite vous intéresse.

Merci de me lire, de me suivre et de commenter,

Harley