CHAPITRE 10
Juliette Sullivan donna sans ciller sa démission. Elle ne dégageait comme à son habitude aucune émotion particulière. Georges lui demanda la raison de cette décision et la réponse qu'il reçu fut pour le moins ... laconique.
« - J'ai trouvé mieux ailleurs. ».
Il n'insista pas mais se doutait que la raison était Sarah Legan. Elle était responsable de la plupart des défections du secteur des domestiques. Il hocha la tête, compréhensif. Juliette se garda bien de dire quoique ce soit et tourna simplement les talons.
1886, dans un établissement scolaire pour famille aisée, Juliette Sullivan travaillait à ses études de façon acharnée. C'était un petit miracle d'y avoir été admise et elle ne voulait pas faire honte à ses parents. Tout aurait pu être parfait s'il n'y avait pas eu le clan Cornwell. Sarah était la meneuse. Hautaine, calculatrice, la méchanceté dans la peau, elle haïssait les gens comme elle mais Juliette le lui rendait bien. Grâce à Sarah Corwell, Juliette s'aguerrit, appris la dissimulation et surtout que son plus grand allié était le silence et le camouflage des émotions. Sarah en avait fait son ennemi juré et parvint à faire renvoyer Juliette sur une fausse accusation de vol. Juliette se jura qu'elle lui paierait cet affront.
Ses parents furent atterrés devant la honte que leur fille soit considérée comme une voleuse. Juliette eut beau exposer les faits ce n'étaient pas les preuves qui comptaient mais la fameuse réputation. Ils persévérèrent à lui fournir une bonne éducation mais à ses dix-huit ans la chassèrent du domicile parental. Elle accumula alors les petits boulots mais n'oublia jamais son objectif : retrouver Sarah Cornwell et lui faire payer la destruction de sa vie.
Juliette ne jeta pas un regard derrière elle. La femme qu'elle haïssait le plus au monde venait de succomber à son cocktail mortel et au fond d'elle-même n'en concevait aucun regret. Bien au contraire. Elle ouvrit la porte de son appartement, celui qu'elle s'était échinée à conserver malgré les aléas de sa vie et qui provenait de l'héritage que ses parents lui avaient tout de même laissé. Elle le regarda indifférente. Bientôt elle partirait pour le Mexique et y ferait enfin sa vie, ou plutôt elle y retournerait pour ne plus jamais revenir aux Etats-Unis. Son visage hermétique laissa apparaître un léger sourire, et un regard qui s'illumina de l'intérieur avant de retrouver son masque habituel.
Dès mon arrivée dans la demeure principale du clan Legan et André je sens que quelque chose ne va pas. Je jette un coup d'œil en direction de Niel qui semble pour le moins aux aguets. Je ne peux m'empêcher de soupirer, le stress m'envahit. Qu'est-ce qui se passe ? Me voir va raviver la haine à mon égard et je me demande si je vais le supporter. Je n'ose pas me tourner vers Niel mais devinant certainement mon angoisse qui monte, me prends doucement la main. Je ferme les yeux tandis que sa chaleur monte en moi.
- Courage me souffle t-il doucement.
- Merci ... je me tourne et lui fait face, mon cœur saute dans sa cage, j'ai envie d'un baiser et sans doute lit-il en moi comme dans un livre ouvert, sa bouche prend la mienne et je me laisse submerger par cette vague de plaisir que je voudrais éternelle.
- Tu me rends fou ... me susurre t-il doucement contre mon oreille qui si elle pouvait frissonner se transformerait en hérisson.
- Moi aussi dis-je tout bas.
Le silence nous enveloppe alors. Je sais qu'il va falloir sortir de notre cocon protecteur que représente la voiture. Je me sens comme un bébé quelque seconde avant sa naissance.
- Tu vas y arriver.
Ma porte s'ouvre et je découvre avec stupeur ... Élisa. Je dois être blanche comme le marbre, je sens mon sang se réfugier dans mes pieds, voir dans la semelle de mes chaussures.
- Bonjour Candy.
Tous mes sens sont en éveil, je tente de déceler un ton de haine, ironique, jaloux, mais je ne perçois rien de tout cela.
Je descends de mon carrosse, lentement, histoire de reprendre le contrôle sur moi-même.
- Bonjour Élisa.
C'est tout, rien d'autre. Le silence invisible devient néanmoins palpable, comme une barrière entre nous deux.
- Bonjour Candy ! Niel !
C'est Tom Steel. Élisa me sourit, amusée.
- Oui c'est Tom, je suis avec lui ... si on peut dire grâce à toi d'ailleurs.
- Ah ?
- Oui ... elle soupire. Je voulais savoir si cette Jessie André existait vraiment ... je sentais que c'était toi.
- C'était moi. Que dire d'autre ? J'ai l'impression que ça ne finira jamais.
- Je sais. Et puis j'ai rencontré Tom. J'étais allée le voir pour avoir la confirmation que c'était toi qui l'avait soigné ... et je ne suis plus jamais repartie de la ferme.
- Tu aimes Tom ? Je m'en veux soudain d'être si directe.
Elle a un petit rire. Je ne lis plus comme par le passé la jalousie, la méchanceté qui étaient en elle, c'est incroyable les miracles de l'amour !
- Oui je l'aime.
Je sens que c'est l'heure de mettre tout à plat. Je soupire, peut-être que je vais avoir la réponse à mes questions ... mais le timing est serré chez les André et Georges nous interpelle.
- Mesdames ... Miss Candy, Élisa, messieurs Tom Steel, Niel ... nous vous attendons au salon.
Ce sera pour plus tard. En montant la volée de marche quelque chose qui pesait sur mes épaules c'est envolé, je me sens nettement plus légère qu'à mon arrivée. Je sens une main prendre mon poignet et je ne peux qu'avoir les yeux écarquillés en constatant que ce contact encourageant provient ... d'Élisa. Je me retourne pour voir où se trouve Niel. Il est juste derrière moi, ses yeux ne me quittent pas, mais sa bouche parle à Tom.
Les visages solennels d'Albert et de son homme de confiance ajoutent à l'air lugubre de l'atmosphère. Des sanglots fusent quelque part derrière mon dos à l'annonce du décès de madame Legan. Le médecin jusque là silencieux se racle la gorge, s'apprêtant à nous en dire plus mais l'expression alarmée d'Albert me fait craindre le pire.
- Madame Legan a été empoisonnée. Au cyanure.
- Vous êtes certain de ce que vous dites ? Niel est atterré.
- Certain. Le poison a agit de manière fulgurante. Madame Legan a été retrouvée étendue devant la fenêtre de sa chambre ... sans vie.
- Mais ... c'est impossible !
- Mademoiselle Legan c'est comme je viens de vous le dire. Il semblerait que ce soit une toute nouvelle domestique qui l'ait vu en dernier ... pour un verre d'eau fraiche ... tout du moins c'est ce que nous a dit le shérif ... qui va nous rejoindre d'un moment à l'autre.
Je n'osais pas me tourner vers qui que ce soit. Un décès c'est déjà terrible (même si c'est celui de la grande tante qui ne m'a jamais aimé mais tout de même ...) mais deux ! Mes pensées sont chamboulées, je pense à ma future ex belle-mère ... qui me détestait de toute son âme, et aux probabilités qu'elle est eue de nombreuses ennemies. Je perçois la tension de tout ceux qui sont autour de moi. Bientôt des pas viennent troubler le silence compact qui nous enveloppe. Ce sont ceux du shérif. C'est un grand sec, le visage taillé à la serpe muni de deux petits yeux vifs et rapides. Instinctivement je sais alors qu'il s'installe en face de nous qu'il a fait notre portrait-robot à chacun d'entre nous. Il prend son temps puis nous fait face et peaufine son esquisse. Ceci fait il prend la parole.
- Je suis désolé donc de vous apprendre que le décès de Madame Sarah Legan n'est donc pas du à une décision divine. Il se tait, son regard perçant fait le tour de notre petite assemblée. Ce qui nous interroge donc également sur celui de Madame Elroy. Il y a quelques « Oh » et « Ah ! » qui fusent vers le coin où se tient Élisa.
- Pardon ...
- Oui mademoiselle ?
- Donc vous voulez dire que ma mère et ma grande tante ont été ... vraisemblablement assassinées ?
- Exactement.
- Mais ... mais qui ... ?
- C'est justement la raison pour laquelle je suis ici. Cependant vous êtes mis hors de cause à moins que ... mais vous étiez tous absents lors des faits. Nos soupçons vont vers cette personne, celle qui a servi ce fameux verre d'eau fraiche.
- Ma mère aurait senti le poison, intervient doucement Niel.
- Non. Lorsqu'on ne se sent pas en danger nous mettons en veilleuse nos alarmes, et surtout ... la fraicheur du verre a permis de camoufler en partie le goût ... Je suis également navré mais en ce jour funeste je vais devoir tous vous voir ...
- Nous voir ... pour nous interroger ?
- Oui mademoiselle Legan.
- Nous ne sommes intéressés en rien pour ce meurtre ... vous devriez vous concentrer sur cette personne ... cette domestique ... ça semble évident. Je manque de rire. Élisa vient de retrouver son mordant, celui que j'ai toujours connu. Le Shérif lui, cache bien sa surprise devant cet aplomb.
- Je ne dois rien négliger. Cette personne a pu être ... commanditée pour commettre son crime. Il nous inspecte, je me sens comme disséquée.
Le Shériff et son adjoint se sont installés dans le bureau d'Albert. C'est Albert lui-même qui commence les entrevues.
- Monsieur André ... quels étaient vos rapports avec madame Legan et madame Elroy ?
Le Shérif ne le quitte pas des yeux. Il a en face de lui un homme particulièrement indifférent. C'est d'ailleurs une caractéristique majeure dans cette famille a t-il pu constater alors qu'il faisait son discours.
- Hum ... et bien je les côtoyais ... je n'avais pas d'affinités avec madame Legan ... je ne l'aimais pas pour être franc ... mais de là à vouloir sa mort ... ce n'est pas mon cas. Je ne l'aimais pas mais pas au point de vouloir lui ôter la vie.
- Je comprends.
C'est au tour d'Albert d'observer le Shérif. Tout est carré chez cet homme, il sent que l'imprévu n'a aucune place et que tout est parfaitement cadré.
- Vous vous entendiez bien avec madame Elroy ?
Albert plonge son regard sur ses chaussures parfaitement cirées. Est-ce qu'il s'entendait bien avec cette femme austère ? Froide ? Qui récriait sans cesse son comportement ?
- Non.
- Pouvez-vous s'il-vous plait développer ?
Soupir.
- Non. Je n'aime pas être obligé de suivre une étiquette, un comportement qui sied à la bonne société. C'était ce que voulez madame Elroy. Elle était pétrie par soit-disant l'étiquette, celle qui régit notre famille. Je ne la supportais pas.
- Elle vous a tout de même mit à la tête de votre clan.
- Parce que mon père m'a donné cet héritage.
- Et madame Legan ?
Silence. Le Shérif sent qu'Albert choisit parfaitement ses mots.
- Je ne fréquentais que très rarement cette personne.
- A ce point ?
- Je ne supportais pas sa façon hautaine et méprisante de s'adresser aux gens. Le Shérif ressent une certaine tension et agressivité dans le ton.
- Elle était ... agressive envers le petit personnel ?
- On peut le dire.
- Merci. Si j'ai d'autres questions ...
- Je serais disponible. C'est terminé ?
- Oui monsieur Albert William André.
Niel regard le Shérif, serein. Il devrait être au trente-sixième dessous à l'annonce du décès de sa mère mais cela lui importe peu voir le réjouirait. Désormais il n'y a plus d'obstacles à son amour avec un grand « A » pour Candy. Une partie de lui-même se demande quand même qui a eu assez de cran pour commettre un tel acte. Quelqu'un qui devait la haïr à un point considérable CQFD.
- Monsieur Legan ... vous êtes donc le fils de Sarah Legan et le petit-fils de la grande tante Elroy.
- Exact.
- Quels étaient vos relations avec ces deux femmes ?
- Normales.
- Ca ne veut rien dire ...
- Je m'étais éloigné de ma mère et de ma grande tante. Le Shérif se tait, il sait que le silence est impitoyable et force les gens à parler. Elles refusaient que j'aime quelqu'un.
- La demoiselle blonde ... celle qui s'appelle Candy ... ou Jessie ... au choix ?
Niel ricane mais cesse bientôt devant l'air glacial du représentant de l'ordre.
- Candy. Elle avait choisi de disparaître justement pour ne plus être harcelée par ma mère et la grande tante Elroy.
- Intéressant.
Le visage de Niel se fait soudain soucieux.
- Poursuivez ... pourquoi dîtes-vous « harcelée » ?
Désormais Niel sent que l'interrogatoire va être long. Il s'installe plus confortablement dans son fauteuil.
- Candy a toujours été rejetée ... par ma mère et par le reste de la famille.
- Et donc vous-même.
- Oui jusqu'à ce que je comprenne que ... j'ai été obligé de penser d'une certaine manière. J'ai compris que mon éducation avait été catastrophique, que ma mère avait fait de moi une sorte de monstre.
- À ce point-là ?
- Oui. Niel serre les mâchoires.
- Monstre dans quel sens ?
- Imbu de moi-même, un tyran pour ceux qui ne sont pas de ma condition.
- Et vous êtes tombé amoureux de ... miss Candy Neige André.
- Oui.
«Évidemment qu'il l'aime ... on dirait qu'il parle d'un ange qu'en j'évoque son nom ... » pense le Shérif.
- Bien. Votre mère pensait quoi par rapport à votre fiancée ?
- Ah ! Nous y voilà ! Et bien pour ma mère ... Candy est une moins-que-rien. Une voleuse, une arriviste, une manipulatrice ...
- Hum ...
- Cette image-là ... elle la doit à nous, à moi et à ma sœur.
- Développez ...
- Et bien ... Candy a été adoptée avant par nous ...
- D'accord, coupe le Shérif. Il contemple un Niel soudain assailli par la honte, celle-là même qui s'abat sur un garnement prit la main dans un pôt de confiture.
- Nous ... nous avons fait de la vie de Candy une sorte d'enfer durant cette période.
- Et votre mère ? Elle s'est rendue compte de rien ?
- Pire ...
- Comment ça « pire » ?
- Elle savait mais a toujours prit notre défense. Voyez ... quand je vous disais que son éducation a fait de moi un monstre.
- Nous nous éloignons de l'enquête mais ... il semblerait que vous soyez devenu quelqu'un de bien. Maintenant ... comment étaient vos relations avec votre mère ?
- Je dirais ... nécessaires.
- Vous ne la haïssiez pas ?
Rire.
- Ca aurait avancé à quoi ? Elle m'indifférait si c'est ce que vous voulez savoir.
« Encore ! ».
- Merci monsieur Legan. Vous pouvez disposer.
Une fois Niel sorti, il jeta un coup d'œil à son assistant.
- Je n'ai jamais rencontré des personnes aussi détachées face à la mort de proches !
- Bah ... l'assistant se concentrait tout en tachant de répondre sur son clavier de machine à écrire rutilante, la dame me paraît ... antipathique à souhait ! Non ?
- Tout à fait ... la famille semble s'y être accommodée ... On dirait un bloc uni face à ces deux femmes ...
- Unis « contre » une femme, ajouta l'assistant tout en lâchant son clavier pour poser les guillemets dans l'air. Il retourna ensuite à son compte-rendu tout en affichant un petit air des plus satisfait.
- Cette Candy ... c'est la prochaine sur la liste. Il ouvrit alors la porte et l'appela.
- Monsieur, Shérif ... bonjour.
- Bonjour mademoiselle ... Candy Neige André. C'est ça ?
- Tout à fait.
Le shérif fronça les sourcils ce qui m'inquiéta quelque peu.
- Candy ou Jessie ?
- Candy.
- Pourquoi cette double identité ?
- Parce que ... je regarde mes mains, que dire ? Je lâche un soupir. A un moment de ma vie, il fallait que je disparaisse.
Le shérif plisse ses petits yeux secs sur moi. L'image d'une fouine s'impose alors dans mes pensées. Je sens un petit rire naître en moi. Je parviens à le chasser.
- Oui il le fallait. Devant son silence j'enchaîne. Je ... Niel Legan me harcelait. Je sens mes joues devenir cramoisies. Je ne voulais pas de lui ni surtout de sa famille ... . Je crois percevoir alors une étincelle dans les deux miroirs amorphes qui me scrutent.
- Et pourquoi ça ?
- J'ai tout d'abord été adoptée par la famille Legan. Je m'efforce d'ignorer ce petit pincement au creux de mon ventre. Il me fait un petit signe pour poursuivre. Derrière moi j'entends le cliquetis cadencé de la machine à écrire. Ce fut une période difficile pour moi.
- C'est-à-dire ?
- Madame Legan ... je pince les lèvres, mon cerveau cherche une formule diplomatique, je ne veux pas accabler cette femme qui vient de décéder. Madame Legan et ses enfants avaient fait en sorte de moi, comme un souffre-douleur.
- Je comprends.
- Vous comprenez ?
- Oui votre « fiancé » nous a parlé de votre passé plutôt difficile.
- Niel a changé vous savez ?
- En tous les cas il n'est toujours pas tendre avec lui-même.
- Je sais. Oui je le sais et j'ai un petit soupir intérieur.
- Comment étaient vos relations avec votre ex-future-belle-mère ?
- Je ... nous ne parlions que si nécessaire.
Le shérif garde alors le silence. Son visage dur, ses petits yeux malins semblent calculer à toute vitesse qu'elle a été la trajectoire entre cette femme et son assassin.
- Et vos relations avec votre grande tante ?
- Pareilles. Elles ne m'appréciaient pas beaucoup. Pour elles j'étais une roturière, une moins-que-rien que la chance avait favorisé pour entrer dans leur famille illustre alors que je ne le méritais pas.
- Bien ... encore une chose ...
- Oui ?
- Vous les haïssiez ?
- Non pourquoi ? Il tressaille et je me demande si je n'ai pas répondu trop vite.
- Vous auriez pu ...
- Non ... je ... j'avais choisi de disparaître pour être enfin tranquille, avoir un travail, me marier ... peut-être, bref être libre de mener ma propre vie comme je le souhaitais.
- Et vous avez retrouvé Niel Legan.
- Plus exactement c'est lui qui m'a trouvé.
Son regard trahi alors une certain relâchement. Je lui souris.
- Bien. Je vous libère. Tout en m'ouvrant la porte il met sa main sur mon épaule ce qui me déconcerte. Soyez heureuse mademoiselle, vous le méritez.
- Merci !
Je retrouve Niel plutôt décontracté sur un banc dans le jardin. Des yeux je cherche sa sœur dont l'attitude m'a totalement prise au dépourvu.
- Si tu cherches Élisa elle est partie rejoindre Tom ... . Il paraît amusé devant mon air soucieux.
- Je ... tu crois qu'elle est comme avant ?
- Non. Viens là, et cesse de te torturer l'esprit pour ma sœur.
- Je ne me « torture pas l'esprit pour TA sœur » fis-je sur un ton vexé. Je m'inquiète c'est tout ... c'est ... elle ... j'ai été sa tête de Turc pendant des années tout de même !
- Et ça te manque ?
- Non ça ne me manque pas mais ce changement radical ... c'est bizarre voilà c'est tout. Non mais des fois il m'agace à la fin ! Il me fixe et son regard chaud produit chez moi des sensations bizarres. Sans crier gare il m'attire à lui et m'embrasse dans le cou, mon corps et mon cerveau se laisse embarquer sur le paquebot des plaisirs. Soudain je ne sens plus que son souffle et je veux qu'il continue !
- Pourq ...
- Parce que si je continue tu vas te retrouver dans une situation très embarrassante.
Houlà mes joues prennent feu ! Je sens son désir et le mien qui se télescopent.
- Si ça ne t'ennuie pas ... même si j'ai eu une éducation pour le moins désastreuse, ça j'y tiens.
- Tu tiens ... à quoi ?
- Je veux que tu sois à moi, telle que tu es là aujourd'hui ... pour notre nuit de noce.
- Notre nuit de noce ? Il me demande en mariage là ? Mon cœur lui est plus prompt que moi aux déductions et se met au galop.
- Je veux que tu deviennes ma femme. C'est une conséquence logique non ? Je ... peut-être que je ne m'y prends pas comme il faut alors voilà « Mademoiselle Candy Neige André ... (il s'est mis à genoux ! Devant moi !), souhaitez-vous m'épouser ? Je vous promets de vous chérir et de vous aimer tout le long de notre vie conjugale. Je suis devenu un honnête garçon ... je vais bientôt exercer la profession de médecin dans un futur proche ... ma famille vous acceptera à présent sans aucun problème, et mon cœur ardent se languit de votre réponse ... » Il me regarde d'une façon si douce et amusée à la fois que je me demande si mon grill costal va être assez solide pour contenir mon cœur qui menace de sauter hors de ma poitrine. Toute mon attention est tournée vers ce garçon que par le passé j'ai détesté de toute mon âme. J'entends un ricanement reconnaissable entre tous derrière mon dos mais je décide de donner ma réponse malgré tout.
- J'accepte !
- Evidemment qu'elle accepte ! Niel ... je n'arrive pas à croire ce que mes yeux viennent de voir !
Niel s'est relevé, lentement, son visage ne montre aucune expression vis à vis de sa sœur. Je sais qu'en ce moment même, il n'y a que moi qui compte. Je m'enflamme peut-être là non ?
- Et bien Élisa ... tu vois ... tout est possible !
- Tout. Elle balaye son regard sur moi et Niel. Elle a conservé son petit air supérieur si déplaisant mais pourtant je sens un changement subtil qui s'est produit en elle. Heureuse pour vous deux.
- Dis voir ... tu as laissé quelque part Tom ? Il risque de se perdre ...
- Non, je ne m'en fais pas pour lui. Elle fronce ses sourcils délicats. Sa peau n'est plus aussi blanche que par le passé et ses anglaises sont nettement moins apprêtées que par le passé. Je pense une chose en tout cas (son regard se détache de son frère pour se perdre quelque part sur un nuage) c'est que ... ça doit bien t'arranger que la grande tante et notre mère soit disparues. Je me trompe ?
- Non je ...
- C'est à mon frère que je parle. Elle me sourit comme pour s'excuser de son ton encore plutôt frais à mon égard.
- J'aime Candy ... je me serais passé de leur accord à toutes les deux.
Je n'ose pas regarder Élisa. Je sais qu'au fond de moi elle m'impressionne encore. Je me demande bien pourquoi d'ailleurs.
- Pourquoi Candy d'ailleurs. Elle s'assombrit soudain. Pourquoi Tom ? Elle a un petit rire. Je crois que nous deux on l'a fait exprès. Quelque part j'en avais assez que mère me guide dans le choix de mes petits amis. Elle prend un ton nasillard qui m'arrache un sourire. « Ma chérie ce garçon n'est pas d'une bonne famille ... (manière guindée caricaturée à l'excès) ses parents ont été ruinés l'année dernière ! » ou encore « Tu seras la risée de nos amis très chère avec ce garçon à ton bras ! Dieu qu'il est laid et on m'a rapporté que les affaires de son père ne sont pas florissantes et que dire au fait qu'il a en plus de ça la tare de la manie du jeu ! ». Je crois que c'est pour ça que je me suis retrouvée dans la ferme des Steel et que depuis je ne l'ai pas quittée !
- Mais le confort, le luxe, les robes ... j'avoue que ... je ne te voyais pas t'en passer si facilement !
- Tout arrive. Elle me regarde avec un drôle de sourire. Je crois que Candy et toi vous étiez fait l'un pour l'autre. Je ne promets pas de t'apprécier comme une vraie amie mais ... je vais faire de mon mieux.
- Je le sais intervient Niel tout en m'enlaçant tendrement. Sinon de toute façon tu auras affaire à moi. Le ton est sans équivoque.
- Bonne chance. Elle se lève et nous quitte sans crier gare, aussi soudainement qu'elle est venue nous parler.
La soirée a été des plus agréables. Archibald et Annie nous ont rejoint mais le shérif n'a pas eu l'air de trouver nécessaire de les interroger. En fait ils reviennent d'Ecosse et Annie a encore des étoiles plein les yeux. À l'annonce de notre union à venir elle frôle l'hystérie. Archibald lui aussi est aux anges. Élisa et Tom ont quitté Chicago pour retrouver leur vie paisible, après bien sûr que le shérif et les autorités aient donné leur accord. Albert et Georges nous rejoignent, ainsi que le père de Niel.
- Bien ... un nouveau tournant s'amorce, un changement d'époque !
- Oui Albert, c'est ça ... un changement d'époque. Je souris et mes yeux rencontrent ceux de Niel. Il me prend la main et un courant chaud m'envahit.
- Archibald et Annie, Niel et Candy, Élisa et Tom certainement à venir ... notre famille évolue ! Et c'est tellement mieux comme ça !
- Oui ... à présent terminé cette étiquette obsolète et inutile ! C'était Archibald et sa remarque fut accueillie par des rires et des « Hourrah ! ». Albert lui conserve son petit air sérieux.
- Pas tout à fait susurre t-il. Non ... il va falloir garder le cap c'est ce que je pense. L'étiquette doit rester mais être modifiée, remise au goût du jour.
- Mais ... mais pourquoi ? Firent Niel et son cousin en chœur.
Le visage d'Albert se renferme soudain, comme si quelque chose de grave pointait son nez.
- L'étiquette c'est la cohésion, elle existe pour que les membres d'un groupe se respectent. Il soupire. Du temps de la grande tante je vous avoue que je ne voyais que l'hypocrisie, la malhonnêteté, l'injustice ... mais je veux qu'elle soit maintenue mais que chacun ici présent ait la possibilité de s'exprimer. C'est compris ?
- Un peu comme la politesse. C'est ça ?
- Oui Annie, exactement ça.
Quelques secondes s'écoulèrent et puis Albert repris sur un ton enjoué « Et si nous parlions de votre mariage ? ». Mariage ... ce mot qui revêtait tant d'espoir depuis toute petite et qui devenait réalité ! Mais pour mon prince il y avait eu en tout et pour tout trois prétendants mais c'est celui dans lequel je mettais toutes mes rancœurs passées qui avait remporté mon cœur. Niel Legan ! J'allais devenir une Legan ! Je ne parvenais pas encore parfaitement à y croire.