Mes excuses. Vraiment. Ecrire a été... compliqué ce mois-ci, et si je finis par poster ce chapitre qui ne me va pas du tout, c'est parce que je suis incapable de faire mieux. Je voulais absolument évoquer la fin de la série dans cette fic, mais du coup ça a l'air bâclé, parce qu'il y a matière à une histoire entière : pourquoi le trio décide-t-il de se séparer ? Pourquoi ne reprennent-ils pas du service ensemble, au lieu d'aller pourrir à l'amirauté, dans un coin paumé de campagne géorgienne, ou dans un désert vulcain ? La fin de ce chapitre aborde vaguement ces questions, mais y répondre totalement aurait nécessité encore dix mille mots de plus, et en ce moment, même une phrase est compliquée à écrire. Donc, voilà, comme ça au moins c'est terminé. Adalas, je suis vraiment désolée d'avoir traîné comme ça ta commande en longueur... J'espère reprendre "Ce qui fait la nuit en nous" relativement bientôt, mais je n'ose plus rien promettre, étant donné mes capacités réduites du moment. Cela dit, merci pour vos commentaires, et à bientôt j'espère.
Chapitre 5 : Like a bridge over trouble water*
"Vous êtes venus dans cette casserole ? Vous êtes plus braves que je ne pensais."**
Le Colombus, ballotté en tous sens par des vents violents, n'était pas sans rappeler un moucheron se débattant en vain, et de façon grotesque, dans une immense toile d'araignée.
Assis sur un fauteuil, les yeux fermés à s'en froisser les muscles des paupières, les doigts crispés sur les accoudoirs, McCoy ne pouvait empêcher son esprit de vagabonder vers ce genre de comparaisons inutiles. Seule l'idée de Jim aux portes de la mort, évanoui quelque part dans cet enfer liquide, ayant perdu tout espoir d'être secouru, l'empêchait de se laisser totalement aller à la crise de panique que le médecin en lui diagnostiquait imminente. Une secousse plus forte que les autres le cloua efficacement à son fauteuil et il s'efforça de maîtriser sa respiration, appelant à son aide le peu de techniques méditatives que Spock avait réussi à lui enseigner après leur bref passage dans l'univers miroir. (Et, si lesdites techniques avaient fini par chasser les cauchemars liés à l'intrusion d'un autre Spock dans son esprit, elles s'avéraient malheureusement de bien peu d'utilité dans une situation où sa claustrophobie prenait le dessus sur toute autre pensée.)
- Docteur ?
La main de Chapel se posa sur son bras tétanisé par la peur.
- Soyez gentille, Christine, répondit-il entre ses dents, sans réfléchir, faites-moi une injection d'un tranquillisant quelconque, sinon je ne sais pas ce que…
- Leonard, la navette vient de se poser.
McCoy entrouvrit un œil méfiant. Tout d'abord, il ne perçut par le hublot situé à sa droite que des nappes de brouillard verdâtres, puis, à travers la brume, une petite cabane perdue au milieu des marais. Son cœur s'emballa et il bondit de son siège, retrouvant enfin ses facultés mentales.
- Docteur, fit remarquer Garrovick, la procédure exige que nous sortions en premier, le lieutenant Dickerson et moi-même.
Bones leva les yeux vers les deux membres de la sécurité qui, phaseur à la main, se tenaient debout près de la porte, tandis que Sulu et Chekov, qui avaient déjà réussi l'exploit de poser le Colombus sur l'étroite langue de terre qui bordait la cabane, demeuraient à leur poste, prêts à faire redécoller la navette en cas de problème. Le médecin leur adressa un signe de tête reconnaissant avant de se tourner vers Garrovick.
- La procédure, grommela-t-il. Vous vous prenez pour Spock maintenant ?
Mais il recula malgré tout d'un pas pour laisser ses deux coéquipiers ouvrir la porte et sortir devant lui.
- Vous pouvez venir, docteur.
McCoy, le cœur battant douloureusement, descendit la plate-forme à la suite de Dickerson, et posa le pied sur un sol légèrement spongieux, recouvert d'une mince couche de vase et de feuilles pourries, les yeux fixés sur l'abri précaire où devait s'être réfugié Jim. A l'intérieur du Colombus, ni les scanners ni les communications ne fonctionnaient. Ils n'avaient donc aucun moyen de savoir si le capitaine se trouvait encore à cet endroit, ni s'il était encore vivant, ni…
- Nous allons ouvrir la porte et vérifier qu'il n'y a pas de danger à l'intérieur, expliqua Garrovick, puis nous procéderons à l'évacuation du capitaine.
McCoy acquiesça, la gorge sèche, et regarda les deux officiers ouvrir avec précaution la porte basse, éclairer l'intérieur avec la lampe qui était fixée à leur poignet…
- Lieutenant Garrovick, aucun danger ne vous attend à l'intérieur de cette cabane. En revanche, il est possible qu'une créature translucide rôde aux alentours. Soyez prudents : elle est extrêmement dangereuse.
Le médecin en chef se demanda, l'espace d'un instant, s'il était victime d'hallucinations, parce qu'il connaissait par cœur cette voix froide et monocorde, qui prononçait avec calme des mots parfaitement sensés au beau milieu d'une situation de crise…
Bones bouscula Garrovick, qui s'était retourné pour inspecter les environs, et se précipita à genoux dans la petite cabane, une lampe torche à la main.
- Docteur McCoy, reprit la voix de Spock, toujours aussi posée, le capitaine a besoin de soins immédiats.
Les yeux du médecin se posèrent sur Jim, étendu à terre, la tête reposant sur les genoux de Spock. Ce dernier avait plaqué ses deux mains contre le front et les tempes du capitaine, dont le visage avait pris une teinte grisâtre, crayeuse. Bones se jeta à son côté, posa la lampe à côté du pied droit de Spock, refusant d'essayer de comprendre, refusant de laisser la moindre émotion prendre le pas sur les réflexes professionnels qui, il le savait, allaient s'avérer vitaux dans les minutes qui allaient venir. Par moments, il se savait paradoxalement capable de se montrer presque aussi Vulcain que le premier officier.
Il prit une brusque inspiration à la vue de l'abcès suppurant, de la taille d'une orange, qui s'était formé sur la cuisse du blessé. Spock hocha la tête d'une façon presque urgente.
- Sous la tunique, murmura-t-il, et McCoy se demanda distraitement depuis quand le Vulcain s'autorisait à prononcer des phrases nominales.
Toutes ses pensées furent balayées par l'aspect mortel de la blessure qui s'étendait sur le flanc gauche du capitaine. Il n'avait pas besoin de tricordeur pour poser un diagnostic – empoisonnement du sang à un stade tellement avancé qu'il doutait d'être en mesure de le contrer.
- Chapel ! hurla-t-il en hissant Kirk en position semi-assise. Préparez immédiatement une dose de trinephedrine ! Jim, ajouta-t-il en posant ses doigts sur la carotide du blessé, pour constater avec horreur que le battement du cœur était pratiquement inexistant, tenez le coup encore cinq petites minutes, d'accord ?
.
Jusqu'au moment où le médecin en chef prit la parole – se mit à hurler était une expression plus appropriée –, Spock avait douté de la réalité de sa présence. Après tout, pour ce qu'il en savait, la lumière bleuâtre qui avait brusquement éclairé la fenêtre ouest de la petite cabane et l'apparition du lieutenant Garrovick à la porte auraient très bien pu n'être que des hallucinations causées par le poison qu'il sentait se répandre dans son corps. Mais la voix du docteur McCoy possédait une qualité de réalité inimitable.
- Garrovick, Dickerson, aidez-moi à le sortir de là.
Comme dans un rêve, à travers le brouillard persistant qui avait envahi son esprit, Spock vit les deux hommes saisir chacun un bras du capitaine et le porter le plus doucement possible vers la porte de la cabane, pendant que McCoy soulevait la jambe blessée afin qu'elle ne traînât pas à terre.
- Portez le capitaine sur le lit, aboya le médecin. Spock, vous pouvez nous suivre ? ajouta-t-il beaucoup plus doucement.
- Affirmatif, docteur.
Le premier officier se hissa en position accroupie et se rendit compte avec une certaine surprise qu'il ne lui était pas si aisé de marcher courbé dans la pièce exiguë, aussi opta-t-il pour une sortie à quatre pattes, peu digne mais plus sûre. Une fois hors de la cabane, il se redressa, et sentit immédiatement que la tête lui tournait. Devant lui, les deux membres de la sécurité avaient hissé Jim en position plus ou moins verticale, les deux bras du capitaine posés sur leurs épaules. Il lui fallut un certain temps pour se rendre compte que le médecin s'était retourné vers lui, prêt à le soutenir à son tour et visiblement dans l'attente d'une réponse.
- Vous êtes blessé ? demanda-t-il, apparemment pas pour la première fois, et Spock ouvrit la bouche pour répondre, mais il se sentit partir en arrière avant d'avoir pu articuler un seul mot.
Les mains de McCoy agrippèrent ses avant-bras, lui offrant une stabilité bienvenue dans un monde en perpétuel mouvement, puis, sans prévenir, le médecin en chef attira Spock dans une courte étreinte, qui ne dura pas plus de deux secondes, et qui laissa le Vulcain perplexe. Il était rare que son ami fasse preuve d'un tel sentimentalisme alors que le capitaine était en danger. Puis Spock sentit ses boucliers mentaux céder totalement sous le poids de la fatigue et de la douleur, et, submergé par les dizaines d'émotions humaines qui passaient des doigts du praticien à sa propre peau, et absolument incapable, en l'état actuel de ses boucliers, de faire le tri entre l'horreur, le soulagement, l'angoisse, l'affection, il ne comprit pas immédiatement le sens de la question que lui posait McCoy pour la troisième fois. Cependant, l'urgence clairement perceptible dans sa voix indiquait qu'il attendait une réponse rapide.
- Occupez-vous du capitaine, dit-il, se focalisant sur la seule chose véritablement claire et importante.
Il marchait comme au ralenti, butant à chaque pas, et incapable de maîtriser le tremblement de ses doigts qui s'agrippaient malgré lui à la veste du médecin. Autour de lui, le monde avait perdu de sa clarté.
- Si vous me tenez comme ça, ça va être difficile, répondit McCoy calmement et sans aucune ironie – signe que la situation était réellement préoccupante (sinon, son interlocuteur aurait soit hurlé, soit employé ce ton sarcastique qui semblait réservé spécialement au Vulcain).
Spock le lâcha immédiatement, et tandis que l'univers devenait brusquement flou autour de lui, il sentit une couverture thermique se poser sur ses épaules et des mains le soutenir jusqu'au siège le plus proche. Comment il était arrivé jusqu'à la navette demeurait un mystère. Son corps ne lui obéissait plus totalement, pas plus que son esprit, qui vagabondait sur des terres aussi dangereuses qu'inconnues. Il avait beaucoup de mal à percevoir son environnement immédiat, à reconnaître les lieux, et mêmes les visages qui étaient apparus dans son champ de vision. Quelqu'un lui tendit un verre d'eau, qu'il avala sans réfléchir. Non loin de lui, il entendit la voix du docteur McCoy donner des ordres de façon calme et posée, le ramenant à la réalité pour un moment.
- Chapel, posez un drain sur la blessure de la cuisse et sortez absolument tout le sang que nous avons pris en réserve.
Le premier officier se demanda, pas pour la première fois, comment un humain aussi extraordinairement émotif que l'était le médecin en chef de l'Enterprise pouvait, dans les conditions les plus extrêmes, conserver un tel sang-froid au milieu de la panique générale. Le paradoxe que représentait Leonard ne finirait probablement jamais de le fasciner.
En parlant de panique, quelqu'un était en train de le secouer par les épaules dans un mouvement quasi hystérique qui n'améliorait pas la migraine qui lui vrillait les tempes.
- Commandant ? Vous m'entendez ? Commandant !
Il releva la tête pour essayer de voir qui était en train de lui parler, et le prier d'arrêter, mais il lui sembla que la communication entre son cerveau et ses yeux avait momentanément été interrompue, et la dernière chose qu'il perçut avant de se laisser totalement sombrer dans l'inconscience fut la voix de McCoy :
- Non, Spock, pas maintenant !
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Lorsque Kirk ouvrit les yeux, il constata qu'il se trouvait dans l'infirmerie de l'Enterprise. Il faisait chaud, et après l'humidité glaciale des marais de Dagobah, il éprouva une sensation de bien-être incroyable, renforcée par le fait que quelqu'un avait cru bon de l'envelopper de deux couvertures thermiques. (Qui que ce fût, Jim avait envie de l'embrasser. Il avait réellement cru qu'il ne sentirait plus jamais la chaleur.)
Il lui fallut quelques minutes pour distinguer clairement les murs clairs de l'infirmerie, le lit médical en face du sien, et, assis sur une chaise à côté de lui…
- Bones ?
Le médecin sursauta, posa sur Jim un regard à demi réveillé et se leva avec brusquerie.
- Bones ? répéta le capitaine, en s'éclaircissant la gorge.
McCoy acquiesça sèchement, sans quitter des yeux le moniteur.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda encore Kirk en essayant de voir s'il était seul à l'infirmerie. Où est Spock ?
Aucune réponse. Jim commença sérieusement à s'inquiéter.
- Bones, où est Spock ?
Le médecin baissa la tête vers son patient, et ce dernier put voir à quel point le praticien était pâle. Ses yeux rougis et les larges cernes qui les soulignaient indiquaient qu'il avait peu dormi récemment.
- Il va bien, répondit-il brièvement, sans fioritures. Il dort.
Jim se tortilla maladroitement pour apercevoir le lit situé à côté du sien, et il poussa un soupir de soulagement en constatant que le Vulcain semblait en effet dormir paisiblement. Ce problème résolu, il pouvait aborder un autre sujet.
- Le vaisseau ? chuchota-t-il, la voix inexplicablement cassée.
McCoy haussa les épaules, et Kirk dut se contenter de cette réponse ambiguë. Après tout, si l'Enterprise avait été en danger, l'alerte aurait probablement retenti. Il ne restait donc plus qu'une chose à régler…
- Je peux savoir pour quelle raison vous me faites la tête ?
La mâchoire du médecin en chef se crispa, mais il ne répondit rien et se contenta d'enfoncer, avec peut-être un peu plus de force que nécessaire, un hypospray dans le bras de son patient. Jim grinça des dents.
- Je n'ai pas demandé à me retrouver sur cette planète, vous savez. Ce n'est pas de ma faute si…
- Non, capitaine, vous n'allez pas finir cette phrase. Ce n'est jamais de votre faute, mais pour finir vous vous retrouvez toujours ici, entre la vie et la mort, et c'est à moi de faire des miracles.
- C'est ce pourquoi on a signé, dit Kirk étourdiment, mais en voyant le visage de McCoy blêmir encore davantage (ce qu'il n'aurait pas cru possible quelques secondes auparavant) et se décomposer, il comprit que sa répartie n'avait pas été spécialement intelligente.
- Ce pourquoi on a signé ? répéta Bones sur un ton légèrement hystérique. Ce pourquoi on a signé ? Je n'ai pas signé pour rester bloqué sur ce foutu vaisseau pendant que mes deux meilleurs amis sont en train de crever à petit feu, Jim. Je n'ai pas signé pour vous regarder mourir par moniteur interposé sans pouvoir rien y faire. Et je n'ai pas signé pour pratiquer en même temps deux opérations quasiment infaisables en plein milieu d'une tempête magnétique, sur une navette instable, sans matériel digne de ce nom parce qu'il n'y avait pas la place sur le Colombus, et qu'en plus tous les appareils se sont mis à dysfonctionner en même temps ! Bref, je n'ai signé pour rien de tout ça, et je serai content quand cette mission sera enfin terminée ! Si je ne vous donne pas ma démission, c'est parce que de toute façon, tout sera terminé dans trois mois. Et ne me reprenez pas là-dessus, ajouta-t-il en se tournant vers Spock que, de toute évidence, les cris du médecin avaient réveillé, ne me dites pas qu'il nous reste 3,56 mois ou je ne sais quelle sottise vulcaine, parce que je ne suis pas d'humeur !
C'est évident, pensa Kirk, mais il s'abstint – sagement – de formuler cette remarque à voix haute.
- Et maintenant, je vais vous laisser entre vous et aller dormir, conclut Bones en reposant brutalement l'hypospray vide sur la table de chevet. Chapel s'occupera de vous.
Et sans un mot d'adieu, il quitta la pièce. Si la porte avait possédé une poignée, il l'aurait sans nul doute claquée. Jim resta un instant bouche bée devant cet accueil pour le moins douteux.
- C'était quoi, ça ? demanda-t-il finalement en faisait un effort pour se tourner vers le lit de Spock.
Le Vulcain paraissait en pleine forme – un peu pâle, peut-être, mais rien d'inquiétant, si ce n'est le soulagement clairement visible qui se lisait dans les yeux noirs habituellement inexpressifs.
- Capitaine, répondit le premier officier, ces derniers jours ont été… difficiles pour le docteur McCoy. Il a fallu procéder à une complète décontamination de votre sang, et même après huit heures d'opération, vous étiez toujours entre la vie et la mort. Si vous ajoutez à cela que l'équipe de secours a été bloquée pendant plusieurs heures dans la navette avant de pouvoir rejoindre le vaisseau, la conclusion qui s'impose est que le docteur McCoy a besoin de… décompresser après un tel stress. Depuis que je suis revenu à moi, 7,87 heures après l'opération, je ne l'ai jamais vu quitter votre chevet.
- Combien de temps suis-je resté inconscient ? demanda Jim en se passant la main sur le côté gauche dans un frisson qui n'échappa probablement pas au Vulcain.
- Deux jours, neuf heures, quarante-deux minutes et… trente-sept secondes, répondit Spock de façon beaucoup trop contrôlée.
Kirk poussa un soupir et referma les yeux.
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- Huit heures d'opération pour Jim, six heures pour Spock ! Et deux journées et demi de coma, pendant lesquelles j'ai à peine dormi ! Et tout ce qu'ils trouvent à me demander au réveil, tous les deux, c'est pourquoi je leur fais la tête !
En face du médecin en chef, un verre de scotch à la main, Scotty soupira et secoua la tête – mais Leonard ne parvint pas à déterminer s'il s'agissait ou non d'un signe d'approbation.
- Enfin, Scotty, s'énerva-t-il, vous avez vécu la même chose que moi ! Ne me dites pas que c'était une situation agréable !
- Bien sûr que non, déclara l'ingénieur en buvant une gorgée, mais est-ce que c'est une raison suffisante pour rester cloîtré dans vos appartements comme vous l'avez fait durant ces trois derniers jours ?
Leonard haussa les épaules, mais bien évidemment, la question l'embarrassait. Il n'avait pas réagi professionnellement en se mettant lui-même en arrêt pendant si longtemps – quoiqu'à son avis (professionnel, s'entend), il avait largement mérité les vingt-quatre heures de repos qu'il s'était ordonnées. Il n'aurait probablement pas pu tenir plus longtemps sans craquer, nerveusement ou physiquement – ou les deux. Et par la suite…
- Ecoutez, je ne sais pas pourquoi, mais ça me semblait impossible d'aller à l'infirmerie tant qu'ils y étaient. Maintenant que Jim a été déclaré apte à retourner dans ses quartiers, peut-être que…
- Docteur, vous devrez bien parler au capitaine ou à M. Spock durant les trois mois et demie qui restent d'ici la fin de notre mission. Vous ne pouvez pas vous cacher éternellement.
Bones se passa une main sur le visage.
- Je sais bien, murmura-t-il.
- Croyez-moi, reprit Scotty sur un ton compatissant, je comprends. Mais je suis allé voir le capitaine à l'infirmerie et je lui ai raconté comment nous avons vécu les choses ici, à bord du vaisseau. Comment les scans ont lâché, comment nous avons cru M. Spock mort, comment nous avons essayé de réparer la navette le plus vite possible… Bref, je ne vous fais pas de dessin, vous étiez là aussi. Il… n'avait pas envisagé les choses sous cet angle.
- Il n'envisage jamais les choses sous cet angle, rétorqua durement le médecin. Ce n'est pas la première fois qu'on le croit mort, et ce n'est pas la première fois qu'il ne voit absolument pas où est le problème. Vous vous souvenez, pendant toute cette histoire avec les Tholiens*** ? Il est revenu comme une fleur, comme si de rien n'était…
- Je sais, docteur, l'interrompit Scott avec un geste apaisant, mais comme vous l'avez dit, ce n'est pas la première fois – et d'habitude, vous ne réagissez pas aussi violemment. Qu'est-ce qui vous arrive ?
Leonard hocha la tête. Il n'était pas certain de le savoir lui-même.
- Vous n'étiez pas dans cette navette, Scotty, chuchota-t-il en se recroquevillant instinctivement sur lui-même pour chasser de son esprit le souvenir atroce.
Mais les images étaient toujours là, imprimées sur sa rétine, et impossibles à déloger – la blessure mortelle de Jim, la façon dont Spock s'était brusquement effondré dans les bras de Chekov, et les heures de folie qui s'étaient ensuivies. Comment il avait dû faire repartir le cœur du capitaine à trois reprises. Le moment où les moniteurs s'étaient éteints, les laissant, lui et Chapel, dans le noir total. L'état du sang, non plus rouge mais noir, et la conviction que malgré leur mission de sauvetage quasiment suicidaire, ils étaient arrivés trop tard pour Jim. Les difficultés qu'ils avaient eu à décontaminer le sang vert de Spock, atteint du même mal incompréhensible que celui du capitaine. Le tout dans une navette qui dansait au milieu de la tempête, avec la certitude qu'ils devaient arriver sur l'Enterprise le plus rapidement possible pour éviter le pire – tout en sachant que rejoindre le vaisseau était presque impossible étant donné les conditions météorologiques et le dysfonctionnement des appareils de navigation. Sulu et Chekov avaient réalisé un véritable miracle. Et si Jim avait conservé sa jambe gauche, c'était probablement parce qu'un dieu inconnu veillait sur lui depuis le fond de la galaxie. Il n'aurait pas dû s'en sortir. Quelques minutes plus tard, McCoy n'aurait probablement rien pu faire. Et c'était précisément ce qui le hantait, et refusait de quitter son esprit, s'insinuait dans ses cauchemars nocturnes comme dans ses rêves éveillés : s'il était arrivé sur la planète un quart d'heure après, pour trouver Jim mort dans les bras de Spock (qu'il croyait d'ailleurs mort également) ?
- Docteur ?
- Ca va aller, dit le médecin en chef en se redressant, les tempes moites et la gorge sèche.
- Vous ne croyez pas que ça irait mieux si vous leur parliez ?
Il haussa de nouveau les épaules.
- Si, probablement, mais je n'y arrive pas.
Il était psychologue de formation, après tout, et connaissait mieux que quiconque les vertus du langage – mais dans ce cas précis, il ne parvenait pas à dépasser sa propre colère, sa propre angoisse.
L'ingénieur se leva avec un soupir et alla à la porte.
- Je sais que vous n'allez probablement pas aimer ça, mais un vaisseau a besoin de son médecin en chef.
Bones comprit deux secondes avant que la porte de ses quartiers ne s'ouvre sur les silhouettes du capitaine et du premier officier.
- Scotty, espèce de traître ! s'exclama-t-il. Et dire que je vous ai offert un verre !
Mais il devait admettre qu'au fond de lui, il était soulagé.
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Spock fit un léger signe de tête à l'ingénieur en chef avant de pénétrer, à la suite du capitaine, dans les appartements du docteur McCoy, qui semblait moins que ravi de les trouver ici. Ses yeux glissèrent sur la béquille sur laquelle Jim s'appuyait pour marcher (il devrait l'utiliser pendant au moins une semaine, le temps que sa jambe gauche retrouve sa force et sa stabilité) et il donna un léger coup de pied dans la chaise la plus proche pour lui permettre de s'asseoir avant d'aller lui-même s'adosser au mur, bras croisés sur la poitrine. Le Vulcain n'avait pas besoin d'être un expert en communication non-verbale humaine pour comprendre, d'après la posture tendue et fermée du médecin, qu'il n'allait pas leur rendre la tâche facile.
Il comprenait – un peu trop bien à son goût – les raisons pour lesquelles McCoy s'était barricadé dans sa chambre et avait refusé qui que ce soit, à l'exception de M. Scott, de pénétrer dans ses quartiers. Lui-même, dans des circonstances similaires, n'avait pas agi beaucoup plus logiquement****. Les sentiments, songea-t-il alors que la porte se refermait derrière lui dans un chuintement, pouvaient s'avérer non seulement gênants, mais même dangereux.
Quelque part, tout au fond de lui, la partie la plus vulcaine de son esprit lui répétait inlassablement que le kolinahr***** était la seule voie possible pour dominer totalement ces émotions indésirables, mais il la repoussa.
- Alors, Bones, commença Jim, ouvrant les hostilités avec le manque de tact et de diplomatie qui le caractérisait, vous nous en voulez toujours ? Pourtant, je vous rappelle que nous n'avons rien demandé non plus. Nous nous sommes retrouvés en bas, sur la planète, sans même nous rendre compte de ce qui se passait. Spock est d'accord avec moi pour dire qu'il est… illogique de reporter la faute sur nous, alors qu'il s'agissait d'un fâcheux concours de circonstances. Je sais que ça a dû être très dur pour vous, ajouta-t-il en adoucissant sa voix, mais nous sommes là, tous les deux, vivants – est-ce que vous ne pourriez pas envisager de vous réjouir pour nous au lieu de nous éviter comme la peste ?
Spock ne put s'empêcher d'éprouver une pointe d'admiration lorsqu'il vit le médecin quitter sa posture rigide et se passer une main sur le visage. Le capitaine savait toujours comment manipuler émotionnellement ceux qui l'entouraient (y compris lui, il devait bien l'admettre en dépit de sa fierté vulcaine), d'une façon que le premier officier, même après des années de pratique, ne pourrait jamais approcher.
- Je sais, Jim, soupira McCoy, je sais. C'est juste que… tout est devenu plus difficile depuis que toute cette histoire a commencé. Je crois que je suis trop vieux pour ça.
- Pour ça quoi ?
Le médecin en chef fit un geste vague qui pouvait désigner aussi bien le vaisseau que l'univers tout entier.
- Dans trois mois, nous allons rentrer sur Terre. Qu'est-ce que vous allez faire, Jim ? Et vous, Spock ? Signer de nouveau pour une mission de cinq ans ?
Le capitaine demeura un instant figé, comme pris au dépourvu, et Spock lui-même se trouva dans l'incapacité de répondre. Il s'était certes posé la question, sans parvenir à une conclusion satisfaisante, avant de se rendre compte que son choix dépendrait probablement, au final, de la réaction de ses amis, au lieu d'être fondé sur un raisonnement logique. Une telle idée allait tellement à l'encontre des lois de son peuple qu'il avait essayé de la repousser, et tout fait pour éviter cette discussion avec Jim. Et voilà que McCoy, avec sa propension agaçante à viser juste, au cœur du problème, le mettait au pied du mur.
- Je… je ne sais pas, avoua le capitaine, visiblement aussi mal à l'aise que l'était Spock. Je n'ai pas encore pris ma décision.
- Eh bien moi, je l'ai prise, répondit le médecin en chef. Si vous repartez tous les deux, ce sera sans moi. Je suis désolé, je ne peux plus, j'ai passé l'âge de ce genre de choses. Et puis… et puis il arrivera fatalement un moment où ce genre de situation se reproduira, et où l'équipe de secours arrivera trop tard. (Il détourna la tête.) Je me sens lâche, mais je ne veux pas être là pour voir ça. Et cette fois-ci, c'est passé beaucoup trop près. (Son regard perçant revint se poser sur le capitaine qui l'écoutait, interdit, bouche ouverte, puis sur Spock qui était resté, comme à son habitude, parfaitement stoïque face à un tel déferlement d'émotions.) Scotty m'a demandé pourquoi je régissais si mal, et vous savez ce dont je me suis rendu compte en vous voyant entrer, il y a quelques instants ? Que je n'ai que vous. Il y a Joanna******, bien sûr, mais je n'ai jamais vraiment été dans sa vie, et elle n'est plus vraiment dans la mienne. Vous deux êtes… ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi. Si je vous perdais tous les deux, comme je l'ai cru…
McCoy laissa sa phrase en suspens et l'acheva par un profond soupir.
- Bref, conclut-il avec un petit ricanement amer, en levant les yeux vers le plafond pour dissimuler son embarras. Oubliez ce que je viens de dire, ça ne vaut pas la p…
La fin de sa tirade fut interrompue par le capitaine, que le docteur n'avait apparemment pas vu venir, et qui le serrait de toutes ses forces contre lui, béquille oubliée contre la table. Le premier officier se retint de lever les yeux au ciel devant un tel déploiement de sentimentalisme.
- Hé, Spock, vous ne voulez pas participer au câlin de groupe ? proposa Jim.
Incorrigibles humains.
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- Je vous assure, docteur, que cette créature était bel et bien réelle.
- Je vous crois, Spock, mais si elle était totalement translucide, qu'a-t-elle fait du sang qu'elle a visiblement absorbé ? Où se situait son appareil digestif ? Et pourquoi n'a-t-elle pas…
Kirk étouffa un bâillement dans la manche de son uniforme. Probablement les médicaments qui couraient encore dans ses veines ne faisaient-ils pas bon mélange avec le whisky d'Aldebaran que Bones leur avait généreusement servi pour fêter leur réconciliation. Spock avait étonnamment accepté un verre, et ils s'étaient tous trois installés autour de la table, laissant prudemment de côté l'épineuse question de « ce qu'ils allaient faire à la fin de leur mission ».
Bien sûr, il y avait déjà songé. A plusieurs reprises. Ces cinq dernières années avaient été exaltantes, extraordinaires, époustouflantes. Une partie de lui-même regrettait déjà qu'elles arrivent à leur fin. D'une façon qui l'étonnait, une autre part de lui l'incitait à se poser un peu, à réfléchir lui murmurait qu'il avait échappé à la mort plus d'une douzaine de fois, et qu'il ne serait peut-être pas aussi chanceux la prochaine fois…
… Et lui rappelait que ses amis n'étaient pas non plus immortels.
Les mots prononcés par le médecin en chef avaient rencontré en lui un écho certain. Il se souvenait en particulier de ce qu'il avait éprouvé lorsque, assis de force sur les gradins d'une arène, sur la planète 892-IV*******, il avait assisté à un combat de gladiateurs où avaient été lâchés ses deux meilleurs amis. Jamais il n'avait ressenti peur plus grande, bien qu'il se fût employé à la dissimuler soigneusement aux yeux de leurs ennemis. Que deviendrait-il, si Spock et McCoy lui étaient brusquement arrachés ?
- Hé, Jim, vous êtes avec nous ?
Le capitaine sursauta.
- Vos discussions scientifiques ne me fascinent pas, répondit-il du tac au tac avec un léger clin d'œil vers le médecin.
- Nous nous interrogions sur l'énergie qui émanait de la grotte dans laquelle je persiste à dire qu'une force inconnue m'a attiré, fit remarquer Spock, attendant visiblement de l'aide de la part de son supérieur.
Bones leva les yeux au ciel.
- Une force inconnue ? ironisa-t-il. Vous vous entendez parler ? Et moi qui croyais que les Vulcains ne connaissaient que la logique ! Or, il n'y en a aucune dans ce que vous me racontez, monsieur Spock. Aucune !
- Je ne le nie pas, docteur, mais refuser d'admettre ce qui est réellement arrivé est en soi illogique.
- Il a raison, Bones, intervint Kirk. Il y avait vraiment une sorte de pouvoir sur cette planète. Les scans ont été totalement brouillés, à ce que vous nous avez dit, quand Spock est entré dans cette caverne, et le point qui le représentait a disparu des écrans...
Les lèvres de McCoy se pincèrent, et Jim se mordit la langue. Rappeler que le Vulcain avait été officiellement déclaré mort n'était peut-être pas l'idée la plus brillante qu'il ait eue.
Et Spock, ingénu comme toujours, en rajouta une couche.
- La solution pour le savoir, suggéra-t-il (et à voir la lueur de curiosité qui brillait dans son œil, comme à chaque fois qu'il envisageait une mission scientifique particulièrement complexe, ce qu'il allait proposer ne serait certes pas au gout du médecin), serait de redescendre sur Dagobah, et de…
- NON !
Le premier officier s'arrêta net et regarda McCoy, interdit. Le médecin avait hurlé suffisamment fort pour perforer les tympans sensibles du Vulcain.
- Je vous demande pardon, docteur ?
- J'ai dit NON, et Scotty sera de mon avis. Non, personne ne redescend sur cette planète pourrie, non, personne ne va se balader dans une grotte obscure et dangereuse dont tout le monde se contrefiche, non, personne ne prend le risque de briser la première directive une fois de plus, et NON, personne ne meurt. C'est clair ?
Jim pria tous les dieux qu'il connaissait pour que le Vulcain ne continue pas dans cette voie dangereuse.
- Parfaitement clair, docteur, répondit-il, et Kirk poussa un soupir de soulagement.
- Il nous reste trois mois à passer dans cette boîte à sardines, reprit Bones, et vous allez me faire le plaisir de rester en vie tous les deux pendant ce temps, d'accord ?
Spock haussa un sourcil, son sens vulcain clairement choqué par un ordre aussi illogique.
- Je n'arriverai jamais à comprendre, déclara-t-il de son habituelle voix neutre, comment vous pouvez faire preuve d'autant de sang-froid au beau milieu du danger alors que vous êtes totalement incapable de contrôler votre humeur dans les situations les plus banales de la vie quotidienne.
- On pourrait écrire un livre avec tout ce que vous n'arrivez pas à comprendre, gobelin, marmonna McCoy en buvant une gorgée de whisky.
Kirk ne put réprimer un petit rire.
- Je suis certain que sa lecture serait des plus instructives, ajouta-t-il, et le regard faussement trahi que lui lança Spock ne fit rien pour calmer son hilarité.
L'Enterprise était chez lui – chez eux, se reprit-il. Quoi qu'en pense Bones, et quel que fût l'avis de Spock sur la question, leur place était sur le vaisseau, et pas ailleurs. Il avait la certitude qu'il les convaincrait de repartir avec lui.
Après tout, que pourraient-ils faire d'autre ?********
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P'tit gars, j'ai piloté cet appareil d'un coin de la galaxie à l'autre, j'ai vu des tas de choses étranges dans ma vie, mais j'ai encore rien vu qui me permette de croire qu'il y a un pouvoir capable de diriger l'univers tout entier. En tout cas c'est pas une force mystique qui dirigera ma vie à moi.*********
* "Comme un pont au-dessus de l'eau troublée". Simon and Garfunkel, évidemment. J'adore cette chanson, et "Hell darkness my old friend" me semblait plutôt pessimiste dans cette circonstance.
** Pour les dernières citations Star Wars : au chapitre précédent, c'était évidemment C-3PO et Han Solo, juste avant d'entrer dans le champ d'astéroïdes de L'empire contre-attaque. Quant à celle-ci, c'est Leïa à Han (en parlant du Faucon Millenium - une casserole ?! Vraiment ?).
*** TOS, "The Tholian web". Un épisode que je déteste parce que McCoy et Spock se déchirent mutuellement. Kirk est déclaré mort et quand il réapparaît, il n'a pas l'air de se préoccuper de la façon dont ses potes ont vécu "l'incident"...
**** Référence à TOS "The paradise syndrome" : Spock prend le commandement de l'Enterprise quand Kirk est déclaré "perdu en mer", ou l'équivalent pour un vaisseau spatial. Et il agit de façon illogique du début à la fin, comme McCoy le lui fait remarquer.
***** Kolinahr : le rituel vulcain qui permet de se purger de toutes les émotions, et que Spock va choisir de pratiquer entre la fin de TOS et The motion picture.
****** Joanna est la fille de McCoy. Je vous avoue qu'elle m'embarrasse beaucoup, car il n'est jamais fait mention d'elle dans TOS, mais apparemment elle est canon (sans jeu de mots, hein).
******* "Bread and circuses". Kirk doit assister, impuissant, à la lutte entre McCoy et Spock d'un côté, et des gladiateurs entraînés de l'autre. Comme vous pouvez vous en douter, j'adore cet épisode (Spock qui sauve McCoy, c'est à la fois hilarant et touchant. Genre "Vous avez besoin d'aide, docteur ?" - la tête de McCoy, qui évidemment ne sait pas se battre, vaut tout un poème...)
******** Ben... Beaucoup de choses, Kirk. Pour ceux et celles qui ne sauraient pas, ou l'auraient oublié, les trois zozos vont se séparer pour deux années dont on ne sait pratiquement rien. On ignore pourquoi. Ça me frustre beaucoup.
********* Pour finir en beauté, une citation de Han Solo à propos de la Force. J'imagine que Kirk pourrait dire la même chose.