Bonjour à tous

Me revoilà après un mois sans aucune publication pour cause de NaNo (pour ceux ne connaissant pas, c'est le Nationnal Novel Month Writing, ça a lieu tous les ans en novembre et l'objectif est d'écrire 50 000 mots de n'importe quoi dans le temps imparti.)

Je vous présente donc le résultat de mon dur mois de labeur. Cette idée me trottait dans la tête depuis le printemps et je me suis dit que c'était l'occasion de l'écrire.

J'ai suivi, à quelques ajustement prêt, la timeline "officielle" du MCU. Je vous conseille d'ailleurs d'aller y jeter un coup d'œil, on y apprend plein de choses intéressantes. N'hésitez pas à me MP si vous avez des questions.

Et sinon, je ne pouvais pas publier sans remercier Sana Shiya et Bebec pour leur super boulot de bêta, je vous aime les filles.

Je vous laisse donc avec ce chapitre d'introduction, bonne lecture !


27 février 1920

Ses pas résonnaient dans l'immense hall qui servait principalement de lieu de rencontre pour les dizaines d'assistants le secondant dans sa tâche. Les divers petits groupes se turent sur son passage, seuls quelques chuchotements étaient encore audibles derrière le bruit de ses pas.

Il ne s'arrêta pas, il ne le faisait jamais. Même au milieu de ces êtres dont la tâche était de guider les âmes des morts vers le lieu de leur dernier repos, il était craint. La mission qui lui incombait, celle qu'il menait à bien depuis des milliers d'années, lui imposait une solitude avec laquelle il avait pris l'habitude de vivre. Même si elle se montrait parfois trop pesante.

Il quitta la pièce par les immenses doubles portes situées au fond. Elles étaient bien trop grandes pour être pratiques - les ouvrir et les refermer produisait un bruit assourdissant - mais elles faisaient partie du décorum. Il y avait certaines choses que sa fonction imposait, que son bureau se trouve derrière des portes de plusieurs mètres de haut en faisait partie.

Une fois entré dans la pièce, il se dirigea immédiatement vers la droite, où un épais livre trônait sur un autel en pierre. Il monta les quelques marches qui le séparait de l'ouvrage et se pencha dessus.

La page qu'il était en train de lire était recouverte de dates, de noms et de lieux. L'écriture était minuscule, il y avait plusieurs milliers d'entrées sur chaque page, mais elles étaient toutes parfaitement lisibles.

Il chercha rapidement la date du jour - le 27 février 1920 - et observa d'un oeil critique la liste de noms à sa suite. Il allait pouvoir travailler avec une équipe réduite de passeurs aujourd'hui, la quantité de personnes à guider dans l'au-delà était moins longue que d'habitude.

Il plissa les yeux en tombant sur un nom noté en bleu au milieu du flot de noir. C'était une occurrence rare mais ce n'était pas la première fois qu'il tombait sur ce genre de phénomène. Il toucha le nom du bout du doigt et laissa les informations dont il avait besoin pénétrer dans son esprit : Steve Rogers, né le 04 juillet 1918, New York, rougeole, Paradis. Sa main quitta la page, coupant immédiatement le flux de données. C'était encore un bébé, moins de deux ans, et Dieu lui laissait le choix de se battre et vivre ou de mourir aujourd'hui.

Il quitta le promontoire et se dirigea vers son bureau, ses pensées tournées vers cet être qui luttait actuellement contre la maladie. A la différence des croyances populaires, il n'avait pas son mot à dire sur la date et les circonstances de chaque mort, son rôle se limitait à séparer l'âme immortelle du corps mortel lorsque le moment était venu. Mais sa présence répétée lors de carnages ou catastrophes, seulement perçue par divers marabouts, sorciers et autres médiums ou prophètes, lui avait donné le mauvais rôle.

Sortant plusieurs documents d'un tiroir, il haussa les épaules. Il était La Mort, une créature créée dans un seul et unique but ; il était inutile de tergiverser sur la mauvaise compréhension des humains.

Il était en train de faire quelques modifications sur l'emploi du temps de ses équipes quand Neela entra dans la pièce. Elle avait l'apparence d'une jeune femme noire, aux yeux verts et cheveux de jais, alors qu'elle était âgée de pratiquement deux mille cinq cents ans. Ils travaillaient ensemble depuis plusieurs millénaires et elle faisait partie des rares à oser pénétrer dans son bureau.

"Tout le monde est prêt, Voo'cha."

Elle utilisait un de ses plus anciens noms, le dialecte dont il était issu ayant disparu depuis des milliers d'années, mais elle refusait d'en changer pour un plus récent. Il leva les yeux vers elle et posa le document sur lequel il travaillait à l'extrémité de son bureau.

"J'ai fait quelques modifications, peux-tu prévenir les chefs de chaque équipe ?"

Elle s'approcha lentement, sa démarche se voulant désinvolte mais n'arrivant pas à cacher totalement la crainte qu'il lui inspirait. Il n'aurait volontairement blessé aucun des membres de ses équipes, mais… il ne contrôlait pas toujours ses pouvoirs.

"Je m'en occupe."

Elle jeta un oeil au planning et fronça les sourcils.

"Vous n'avez mis aucune équipe pour vous accompagner à New York. Vous voulez que je vienne ?"

"Je n'aurai pas besoin de toi."

Il ne donna pas plus d'explications malgré la lueur d'interrogation qui apparut dans les yeux verts de Neela. Il n'avait pas à se justifier auprès d'elle de son emploi du temps et de ses allées et venues. S'il avait envie de rendre visite à ce gamin avant de commencer son boulot quotidien, cela ne regardait que lui.

11 décembre 1927

La seconde fois où le nom de l'enfant apparut sur le livre ne fut guère différente de la première.

La Mort était en train de feuilleter les pages des prochaines semaines quand quelques mots en bleu attirèrent son regard : Steve Rogers, New York, Paradis. Il effleura la page des doigts et des informations complémentaires prirent immédiatement vie dans son esprit : né le 04 juillet 1918, Grippe. Jusqu'à cet instant, il avait oublié l'enfant qu'il avait brièvement rencontré en 1920. Il ne pouvait pas se rappeler de chaque humain qu'il croisait. Mais maintenant, il se souvenait de ce corps frêle et malade, de ces cheveux blonds comme le soleil et de deux yeux aussi bleus qu'un ciel d'été. Il y avait eu tellement de détermination dans le regard de ce petit être que La Mort elle-même avait espéré ne pas avoir à repasser plus tard dans la journée.

Il fallait croire qu'il n'avait gagné que quelques années de répit. Mais encore une fois, Sa Toute Puissance lui laissait le choix, il pouvait se battre et vivre. Il était déjà suffisamment rare que cette possibilité soit offerte une fois, mais qu'elle le soit une seconde était pratiquement un cas inédit.

Arrêtant sa tâche quelques instants, il plongea dans sa mémoire, y cherchant les dernières occurrences. Il y avait bien eu Mozart, qui avait survécu à une maladie avant la fin de son premier mois puis à un accident de cheval, ainsi que Georges Washington. Il y en avait d'autres, plus anciens, qui avaient marqué leur temps mais il ne se souvenait plus des détails.

La curiosité piquée, il nota dans un coin de son esprit de rendre une petite visite à Steve Rogers dans les jours à venir.

04 avril 1930

Il avait beau ne pas ressentir la fatigue, le poids des dernières semaines se faisait sentir. Comme il arrivait parfois, le cumul de catastrophes naturelles, de guerres et d'épidémies ne lui laissait pas une seconde de répit.

Les passeurs travaillaient habituellement à tour de rôle, leur permettant d'avoir des moments de repos, mais il n'y avait qu'une seule Mort. Lui seul était capable de couper le lien unissant le corps et l'âme et il devait s'occuper personnellement de chaque défunt.

Au moins il avait troqué sa faux, lourde et difficilement maniable, pour une arme plus fonctionnelle. Avoir un bras de métal avait ses inconvénients, mais il était infiniment plus pratique sur bien des aspects. Déjà, il ne terrorisait pas la moitié des pauvres bougres qu'il croisait. Ensuite, il lui suffisait de saisir le lien et de serrer pour le sectionner. Le temps qu'il gagnait ainsi était précieux, d'autant plus quand il avait plusieurs milliers d'âmes attendant d'être libérées sur la même journée, comme c'était le cas depuis pratiquement un mois.

Il avait laissé Neela et Marcus gérer le passage des victimes d'un tremblement de terre au Mexique, sa propre tâche étant terminée. Il était rentré dans la dimension qui abritait ce qui était sa maison depuis le commencement des temps.

Il s'installa à son bureau, regardant avec détresse l'amoncellement de papiers qui s'y trouvait. Qui aurait cru que La Mort était en fait un bureaucrate qui croulait sous les dossiers ? Ne voulant pas s'attaquer tout de suite à son travail en retard, il se releva et s'approcha du livre. Sous ses yeux, des noms de la liste étaient rayés lorsque les âmes étaient accompagnées à leur destination finale. Son regard descendit jusqu'en bas de la page et il ne put empêcher une exclamation de surprise de quitter sa gorge.

Tout en bas, sur la dernière ligne, Steve Rogers, New York, Paradis était écrit en lettres bleues. Il passa rapidement les doigts sur l'encre, absorbant les données : Steve Rogers, né le 04 juillet 1918, New York, pneumonie, Paradis.

Il n'avait, en définitive, pas rendu visite au jeune garçon lors de sa dernière apparition sur la page du livre. Le temps lui avait manqué et il avait juste remarqué plusieurs jours après, avec soulagement - même s'il ne l'aurait avoué à personne - que le gamin avait tenu bon.

Sur un coup de tête, il se transporta dans la chambre de l'enfant. La pièce était plongée dans le noir, la seule lumière provenant du couloir où il entendait plusieurs personnes discuter. Il ne prêta pas attention à eux et il s'approcha du lit où était couché le jeune Rogers.

Il avait grandi depuis sa dernière visite, mais il paraissait toujours aussi frêle et fragile. Ses cheveux blonds étaient plus foncés, collés à son front par la sueur, et son visage avait la pâleur caractéristique des gens aux portes de la mort. Il grelottait malgré la quantité impressionnante de couvertures qui étaient entassées sur lui, et ses yeux étaient fermés. Une violente quinte de toux secoua le corps à bout de forces allongé sur le lit. Quelques gouttelettes de sang atterrirent sur les lèvres sèches et gercées du tout jeune homme.

Une femme blonde entra dans la pièce et La Mort s'écarta de quelques pas. Elle ne pouvait pas le voir, peu de personnes en avaient la capacité de leur vivant, mais il n'appréciait pas qu'on le traverse pour autant. Pendant qu'elle passait un linge humide sur le visage du malade, un homme s'arrêta sur le pas de la porte. D'après sa tenue et les sanglots qui secouaient la femme, il s'agissait d'un prêtre venu donner les derniers sacrements.

Après quelques mots d'encouragement de la part de sa mère, Steve ouvrit les yeux lentement. Leur bleu était toujours aussi vibrant et La Mort ressentit une vague de regret à l'idée de les voir s'éteindre.

Lorsque le prêtre entra à son tour, la femme se leva et quitta les lieux, rejoignant les autres voix l'attendant dans le reste du logement. L'homme commença ses prières, à genoux aux côtés du lit et La Mort les vit monter vers les cieux, petites bulles d'espoir qui avaient peu de chance d'être exaucées mais seraient tout de même écoutées avec bienveillance.

Quand il reposa son regard sur le jeune garçon, celui-ci le fixait. Il devait être très proche de la fin s'il arrivait à le voir. Cette idée fit naître une nouvelle vague de tristesse qu'il ne put s'expliquer. Ce n'était que le commencement de l'aventure pour le jeune homme, pas son dénouement

Après s'être léché plusieurs fois les lèvres, Steve posa une question d'une voix si faible qu'elle ne couvrit qu'à peine les litanies du prêtre :

"Je vais mourir, n'est ce pas ?"

L'homme d'église arrêta ses prières pour répondre mais Steve ne lui prêta aucune attention. Il regardait toujours l'apparition dans le coin de sa chambre. La Mort acquiesça de la tête ; il y avait peu de chance que le gamin survive, malgré toute la détermination que l'on pouvait voir dans ses yeux. Son regard glissa vers la porte et il murmura :

"Elle va être toute seule. Mon père est mort avant ma naissance. Je ne veux pas la laisser toute seule. S'il vous plaît."

Cette fois, il ne put que dire non d'un mouvement de la tête. Ce n'était pas à lui de décider ; son rôle se limitait à une tâche bien précise.

"S'il vous plaît, pour elle."

Steve essaya de se relever, mais le prêtre l'en empêcha d'une main sur l'épaule.

"Reste allongé, mon garçon. Ne t'inquiète pas pour ta mère, tout ira bien."

Le blond se débattit quelques instants mais l'épuisement eut tôt fait de saper ses faibles efforts. Il se laissa lourdement tomber sur le matelas et le prêtre reprit ses prières.

Les lèvres serrées, La Mort se força à soutenir son regard. Ce garçon faisait preuve de tellement de courage, pensant au bonheur sa mère lors de ce qui était certainement ses derniers instants.

D'une voix encore plus faible, il posa une dernière question :

"Est-ce… est-ce que cela fait mal ?"

Pendant que le prêtre discourait sur la vallée de souffrances et de larmes que le jeune garçon allait bientôt quitter, La Mort répondit encore silencieusement : non. Il pouvait rendre le processus douloureux et il l'avait déjà fait à plusieurs reprises, parfois il ne pouvait pas s'en empêcher. Mais cette âme était spéciale, il en prendrait un soin particulier et demanderait à Neela de l'accompagner. Elle était parmi les passeurs ayant le plus d'empathie et de patience. Elle saurait comment apaiser le jeune Steve quand le temps serait venu.

Mais pour l'instant, il s'était rendormi, la fatigue l'ayant rattrapé, et La Mort quitta la chambre, se préparant à y revenir plus tard dans la soirée.

22 Juin 1943

En définitive, Steve Rogers avait survécu et son nom ne réapparut dans le livre que treize ans plus tard. La Mort resta quelques secondes à fixer les lettres bleues en clignant des yeux. Il avait surveillé l'apparition de ce nom durant des années, espérant ne le revoir que dans plusieurs décennies, mais il semblait que cela était trop demander.

Comme à son habitude, il glissa ses doigts sur le nom : Steve Rogers, né le 04 juillet 1918, New York, crise cardiaque, Paradis. Qu'est ce qui pouvait bien provoquer un arrêt cardiaque chez un homme d'à peine vingt ans ?

Sans vraiment réfléchir, il se transporta sur les lieux et fut surpris d'atterrir dans une salle pleine de militaires et de scientifiques en blouses blanches. Une espèce de capsule se dressait au milieu de la pièce et à l'intérieur se trouvait Steve Rogers. Il semblait en meilleure santé que la dernière fois que La Mort l'avait vu, même s'il avait à peine grandi, et le regard bleu azur glissa sur lui sans le voir.

De nombreuses personnes s'affairaient dans la pièce et il comprit qu'une expérience allait être menée sur le jeune homme et que ce dernier s'était porté volontaire. Saisi d'une colère qu'il n'arriva pas à comprendre, il retourna dans sa dimension, son pouvoir pulsant autour de lui. Les passeurs qu'il croisa s'éloignèrent le plus possible de lui et cela ne fit qu'attiser son ire. Il entra dans son bureau, bien décidé à emmener Verde avec lui quand il irait récupérer l'âme de cet idiot. Rogers ne mériterait pas mieux qu'un passeur hautain et insensible s'il mettait sa propre vie en danger ainsi.

17 décembre 1943

En fin de compte, La Mort n'eut pas besoin de Verde. Et quand il aperçut Steve Rogers, Zellenberg, Paradis apparaître sur une page à peine quelques mois après, il refusa de prendre plus de nouvelles.

Sa tâche l'amenait assez souvent dans ce village alsacien pour savoir ce qui s'y trouvait : une base alliée. Si cet idiot de Rogers s'était engagé et était parti au front, il était hors de question que La Mort s'inquiète pour lui. Non pas qu'il soit vraiment inquiet, c'était juste de la curiosité. Il n'avait jamais vu quelqu'un apparaître aussi souvent dans son livre.

Il mit Zellenberg tout en bas de sa liste de lieux à visiter et s'il fut soulagé de ne pas avoir à séparer l'âme d'un idiot de soldat aux cheveux blonds et aux yeux bleus, c'était son problème et il ne regardait personne d'autre.

8 février 1944

Cette guerre commençait à sérieusement l'agacer. Il avait vu des centaines de pays et d'empires se dresser et tomber, des milliers de batailles et des millions d'hommes mourir pour une cause ou un souverain et il n'avait habituellement pas d'avis sur le sujet. Mais cette guerre-là lui tapait réellement sur le système. Et cela n'avait rien à voir avec le fait qu'un certain nom était à nouveau apparu dans son livre. Absolument pas.

Il traversait actuellement le no man's land situé sur le front au nord de la ligne Maginot. Les alliés avaient tenté une percée qui s'était soldée par un échec et avait coûté la vie à plusieurs centaines de soldats des deux côtés.

Quand il s'approcha d'une âme pour sectionner le lien qui la retenait encore, cette dernière se jeta au sol et se mit en boule, terrorisée. La Mort sentit son pouvoir grandir et pulser au même rythme que son agacement. Tous ces idiots lui faisaient perdre du temps.

Les passeurs lui laissaient une plus grande marge de manœuvre qu'habituellement, sentant que la prise qu'il avait sur ses pouvoirs était plus ténue que jamais. Ce qui voulait dire qu'il n'y avait personne autour de lui pour gérer l'âme à ses pieds. Son agacement ne fit qu'augmenter.

Son prochain arrêt était en Tchécoslovaquie, où un certain Steve Rogers l'attendait peut-être. Une nouvelle vague de colère le traversa ; cet humain était promis à de grandes choses, Sa Toute Puissance lui donnait chance sur chance et cet idiot ne trouvait rien de mieux à faire que de se jeter tête première dans le danger.

Il sentit son pouvoir enfler et une vague le quitta, sectionnant net tous les liens dans un cercle d'une vingtaine de mètres autour de lui. Les âmes crièrent de douleur et plusieurs passeurs levèrent la tête de leur tâche, inquiets.

Du coin de l'œil, il vit Neela approcher prudemment. Quand elle atteignit l'âme du soldat allemand, elle posa une main apaisante sur son épaule avant de se tourner vers La Mort, les sourcils froncés et la bouche plissée dans une moue réprobatrice :

« Les âmes sont des choses précieuses, vous ne devez en aucun cas les blesser. »

« Faites mieux votre travail alors. J'ai autre chose à faire que de perdre du temps à leur expliquer ou les calmer. »

Il fit demi-tour, se dirigeant vers l'autre côté du champ de bataille, coupant rapidement tous les liens qu'il croisait. Il sentait son aura s'échapper par tous les pores de sa peau, l'entourant d'une épais nuage noir. il devait très exactement avoir l'apparence sous laquelle les hommes l'imaginaient habituellement : La Mort, implacable, venue les arracher à tous ceux qu'ils aimaient, fondant sur eux avec une noirceur glaciale, sectionnant les vies sans y attacher aucune importance.

Il essaya de se calmer ; il ne voulait blesser personne, mais une petite partie de lui aimait quand il perdait le contrôle, aimait quand il lâchait prise et détruisait toutes les créatures autour de lui. Il prit plusieurs profondes inspirations puis se transporta dans sa dimension. Il ne pourrait blesser personne ici, le temps qu'il récupère la maîtrise de ses émotions.

4 mars 1945

Il était installé avec un livre dans une des nombreuses bibliothèques de son domaine quand Neela entra sans prendre la peine de toquer. Il leva les yeux de l'ouvrage et fut surpris de voir la passeuse essoufflée sur le pas de la porte.

« Voo'cha, il faut que vous veniez. Il y a quelque chose de bizarre dans le livre. »

Cela faisait plusieurs mois maintenant qu'il avait laissé certains passeurs de confiance, Neela et Marcus principalement, préparer leur itinéraire et donc accéder au livre des morts. Avec cette guerre qui n'en finissait pas et ses retombées sur les civils, il n'avait plus le temps de gérer cette partie de son travail.

Il se leva, posa l'Odyssée sur une petite table à côté de son fauteuil préféré et suivit Neela dans les couloirs. Elle refusa de lui expliquer quoi que ce soit, le guidant vers le livre, ouvert à la page du jour.

Il y vit le nom de Steve Rogers inscrit en bleu juste en dessous la date.

Encore. Cela faisait presque longtemps.

Mais cela n'expliquait pas la réaction de Neela ; elle savait à quoi correspondait cette couleur. Il leva un sourcil interrogatif vers elle. Il n'appréciait pas d'être dérangé pendant la seule heure de repos qu'il s'octroyait chaque jour.

« Regardez, Voo'cha. »

Et elle tourna la page, lui montrant du doigt le premier nom en dessous de la date du lendemain : Steve Rogers, Océan Arctique, Paradis. Fronçant les sourcils, La Mort chercha la date suivante et y trouva à nouveau le nom en bleu. Il s'avança de plusieurs semaines et, sous chaque date, il voyait les mêmes informations : Steve Rogers, Océan Arctique, Paradis.

En théorie, le livre était infini, mais chaque décès n'était pas prédéterminé longtemps à l'avance. Dieu apportait des ajustements selon les actions et les décisions des uns et des autres. Ce qui faisait que les pages devenaient très rapidement vierges. La Mort tourna les pages jusqu'à arriver à la fin de l'année et il trouva à chaque fois le nom écrit juste en dessous de la date. C'était bien la première fois qu'il voyait ce genre de choses. C'était comme si le jeune soldat allait passer les prochains mois à se battre pour sa survie.

Prenant sa décision en moins d'une seconde, il donna ses directives à Neela :

« Finis ton travail. Je reviens de suite. »

Heureusement pour lui, il n'avait pas besoin de respirer et il ne ressentait pas vraiment le froid, sinon il aurait été dans une fâcheuse posture. Il semblait être à l'intérieur d'un immense aéroplane ; il y avait de nombreuses traces de lutte et la vitre avant du véhicule était absente. L'eau glaciale avait envahi le cockpit, faisant descendre la température bien en dessous de zéro.

Et c'était précisément la raison pour laquelle l'homme - qui avait pris plusieurs dizaines de centimètres et une bonne quarantaine de kilos depuis la dernière fois qu'il l'avait vu - assis sur le siège du pilote n'était pas mort. Et qu'il ne le serait pas tant qu'il se battrait. Il allait rester en stase ici jusqu'à ce qu'il lâche prise ou que quelqu'un le libère.

Il n'y avait rien que La Mort puisse faire et il rentra chez lui, trempé et ne sachant quoi penser de cet événement.

8 octobre 2011

Neela venait de quitter son bureau, les plannings de chaque passeur pour la journée sous le bras. Il allait bientôt devoir rejoindre une équipe déjà en place en Somalie. Un village entier avait été rayé de la carte par une attaque rebelle dans la nuit et, comme à chaque fois qu'il y avait de nombreux morts en peu de temps, il s'était senti attiré dans la zone. Il avait réussi à résister mais il savait qu'il valait mieux commencer sa journée par libérer les âmes à cet endroit.

Avant de quitter sa dimension, il s'approcha du livre. Comme il en avait pris l'habitude ces soixante-six dernières années, il jeta un œil au premier nom sous la date du jour : Steve Roger. Il laissa son regard glisser sur la page suivante, cherchant des yeux les quelques mots bleus qui faisaient partie de sa vie depuis des décennies.

Sauf qu'ils n'y étaient pas.

Surpris, il balaya du regard tous les noms jusqu'à la date suivante. Aucune trace de Steve Rogers. Cela ne pouvait signifier que deux choses : soit il allait mourir aujourd'hui, soit il allait sortir de la stase dans laquelle la glace l'avait plongé en 1945.

Sans réfléchir, il se transporta à New York - il avait raté le fait que Steve avait été déplacé ces derniers jours - et se retrouva dans une réplique de chambre d'hôpital.

L'homme endormi sur le lit semblait en bonne santé ; sa peau avait une teinte normale et le rythme de sa respiration l'était également. La Mort resta quelques minutes à l'observer. Il s'était interdit de s'intéresser de trop près au devenir de cet homme qui avait déjà une emprise assez inquiétante sur son humeur. Pour les mêmes raisons, il n'était jamais retourné dans l'Arctique, alors que l'idée lui avait traversé l'esprit à plusieurs reprises.

Cela faisait donc plus de soixante ans qu'il n'avait pas vu Steve et il se rendit compte qu'il attendait avec une forme de trépidation qu'il ouvre les yeux. Il avait réappris à apprécier le bleu du ciel depuis qu'il avait croisé ce regard la première fois et tout ce qui pouvait l'intéresser ou le rattacher au monde était bon à prendre. Il avait passé bien trop de temps totalement séparé de toute humanité et il avait perdu toute empathie pour les âmes dont il avait la charge.

Il était tellement plongé dans ses pensées qu'il rata presque l'instant où Steve ouvrit les yeux. Pendant quelques secondes, il crut que le blond arrivait à le voir, mais très rapidement, son regard glissa tout autour de la pièce avant qu'il ne s'assoie.

La Mort décida de quitter la pièce et se transporta en Somalie. Vu l'habitude qu'avait ce Steve Rogers de se mettre en danger, il le reverrait sous peu.