Voici enfin le chapitre 3 :) Désolée pour l'attente, mais comme je le craignais, Harry est une galère à écrire. J'aime trop ce personnage, j'aime trop Colin Firth, pour moi il est quasi intouchable et du coup ceci fut un peu la misère pour moi. Et ça va pas aller en s'arrangeant, théoriquement le prochain chapitre comptera un lemon entre ces trois là... Mais dans quoi je me suis embarquée moi ? XDD

J'espère que ce chapitre vous plaira cependant. Quoi qu'il arrive je prends quand même plaisir avec fic et je souhaite vraiment que ça se ressente.

Merci pour vos commentaires, toujours source d'inspiration :)

Et place donc à la suite ;)

ooOoo

Sortant de la cuisine d'un pas vif, Eggsy ne savait pas s'il devait être amusé ou plutôt se mettre en colère. Las, il se laissa tomber dans le canapé en soupirant, tentant d'ignorer les éclats de voix provenant de la pièce voisine. Apparemment, avec Jack et Harry dans la même pièce, même préparer un simple repas virait au rapport de force, rendant ce que le jeune homme espérait être une cohabitation harmonieuse souvent à peine supportable.

Jack s'était installé à Londres de façon définitive à peine quelques mois plus tôt. Il avait pesté plus d'une fois contre le climat pluvieux auquel il était bien peu habitué, son chapeau avait d'ailleurs pris cher à force d'averses, ce qui ne changerait pas tant qu'il s'obstinerait à ne pas vouloir de parapluie. C'est qu'il savait être têtu par moment. Si le look cow-boy moderne détonait ici, Eggsy ne lui aurait cependant demandé d'en changer pour rien au monde, il l'aimait trop ainsi et était fier de se montrer à son bras. La raison peut-être qui empêchait le principal intéressé de faire couleur locale.

Malgré ces quelques détails, Jack se faisait plutôt bien à cette nouvelle vie. S'il avait trouvé un appartement proche de Saville Row, où la nouvelle boutique Kingsman avait rapidement été inaugurée, il passait le plus clair de son temps dans la maison récemment acquise par Harry et Eggsy. Il y avait même sa propre chambre, bénéficiant ainsi d'un peu d'intimité, mais là encore, la plupart des nuits il les passait en compagnie des deux hommes depuis que le plus jeune lui avait dit combien il aimait à pouvoir se blottir entre eux. C'était ironiquement lorsqu'ils étaient ensemble ainsi que chacun gardait ses vêtements, se faisait un peu distant, comme si la présence trop proche du rival empêchait les deux aînés d'être totalement tendres. Alors Eggsy se suffisait de leur présence, en attendant que là aussi ils trouvent leurs marques. Pour la bagatelle, il se contentait de l'un quand l'autre n'était pas là, ce qui n'était pas rare avec leurs emplois du temps bien particulier.

Eggsy restait optimiste, convaincu que tôt ou tard, il ne serait plus le seul point commun entre ses deux amants et que ceux-ci sauraient trouver un terrain d'entente et se rapprocher suffisamment pour passer du temps ensemble sereinement. Il avait compris cela en surprenant plus d'une fois un regard plus qu'appréciateur de Jack sur Harry. De même, ce dernier, lorsque l'Américain n'était pas dans le coin, parlait beaucoup de lui, se préoccupant de son bien-être dans une ville, une maison, qu'il découvrait encore. Ces deux-là étaient faits pour s'entendre, il leur fallait juste laisser les rivalités s'effacer, qu'ils comprennent et acceptent enfin pleinement qu'ils n'étaient pas adversaires dans le cœur d'Eggsy et qu'il n'y avait aucune compétition pour le conquérir exclusivement.

Ça et leur passif relativement compliqué. Pour Harry, Jack demeurait l'homme qui les avait trahis, avant de manquer tuer Eggsy. Pour Jack, Harry était encore et toujours celui qui lui avait tiré dessus et qui avait, un an durant, oublié jusqu'à l'existence du jeune homme, le plongeant du même coup dans la solitude et la tristesse.

S'ils se toléraient pour leur bien à tous, ils avaient encore bien du mal à passer outre ces ressentiments pour admettre avoir bien des points communs en dehors d'Eggsy. En attendant, celui-ci leur était reconnaissant pour accepter une situation au demeurant pesante seulement pour son bien-être à lui. La raison pour laquelle il tolérait patiemment chaque dispute sans leur rentrer dans le lard comme il en avait pourtant envie. Généralement, dans ces moments où le ton montait, comme ce soir, il se contentait de s'éclipser pour les laisser gérer, avant ensuite de savamment rappeler à chacun toutes les qualités de l'autre. Et cela portait lentement ses fruits. Ainsi, si les disputes étaient toujours aussi fréquentes, séparément, quoi que du bout des lèvres, chacun admettait commencer à apprécier celui qu'il continuait à voir comme un adversaire plus par habitude.

A cet instant pourtant, réalisant après de longues minutes que la dispute, loin de se calmer, semblait au contraire gagner en intensité, il comprit que la soirée était sans nul doute gâchée et qu'en prenant pour une fois ses distances, il parviendrait peut-être enfin à faire comprendre à ces deux idiots qu'ils se conduisaient justement en idiots, ce qui semblait bien leur échapper encore. C'est en entendant l'un se plaindre qu'il y avait trop de sel et l'autre pas assez de basilic, que le jeune homme revint dans la cuisine, tentant de se composer le regard le plus noir possible.

Il leur était reconnaissant pour cette vie qu'ils acceptaient de lui consacrer et voulait bien être patient, mais à un moment il leur faudrait réagir seuls et prendre des mesures radicales, où ils iraient tôt ou tard droit dans le mur, ce qu'il ne voulait désespérément pas.

- Puisque vous êtes incapables de vous conduire en adultes, je sors, dit-il en restant volontairement sur le pas de la porte. J'ai des rapports en retard qui auraient pu attendre demain, mais vu l'ambiance, je serais mieux dans mon bureau. En attendant, je ne saurais trop vous conseiller de parler enfin, plutôt que vous engueuler pour des conneries, ça nous ferait tous des vacances. Alors bonne soirée.

Il s'attarda un peu plus longtemps que nécessaire pour savourer les regards, mélange d'incrédulité et de déception, un peu de honte aussi, que ses mots avaient provoqué, mais au moins s'étaient-ils tus, ce qui était un progrès. Il les fusilla l'un puis l'autre du regard et sortit dignement.

Dans la cuisine désormais silencieuse, l'ambiance était tout à coup bien pesante. La casserole, source de tant de débats passionnés jusque-là, était désormais abandonnée sur le feu, chacun des deux hommes réfugié dans un coin de la pièce, appuyé au plan de travail en se faisant face, mais les regards soigneusement baissés pour être certains de ne pas se croiser.

- Il a raison, dit enfin Jack après plusieurs minutes de ce mutisme inconfortable. Je ne sais même pas pourquoi j'ai parlé du basilic, je n'aime pas le basilic.

Soutenant enfin son regard, Harry eut un petit rire.

- Et moi je n'ai jamais rien eu contre le sel. Bien au contraire, c'est Eggsy qui insiste pour que j'en consomme moins. Mais je crois que tous les moyens sont bons pour te faire tourner en bourrique.

Croisant les bras, Jack dut se mordre la lèvre pour ne pas trop sourire.

- Oui, je connais ça. C'est un plaisir que de te titiller, j'ai l'impression que ça fait ma journée quand j'arrive à te faire sortir de tes gonds.

C'était ainsi depuis le début. Eggsy lui avait tellement vanté le Harry stoïque, maître de lui-même, disant cela avec admiration et fierté, que Jack s'était lancé le défi de casser cette image. Déjà parce qu'il en avait marre d'entendre à quel point celui qu'il continuait trop souvent à considérer comme un rival était parfait. Et puis, il le nierait bien évidemment même sous la torture, mais à ses yeux Harry n'était jamais aussi sexy que lorsqu'il perdait son calme.

Quand il s'était lancé dans cette relation, même s'il avait fait quelques blagues concernant le sexe à trois qu'il avait parfois pratiqué, à ses yeux il était clair qu'il aurait une relation de son côté avec Eggsy, de même que Harry, mais qu'entre eux deux il n'y aurait ni rapprochement physique, pas plus que sentimental. Cela demandait quelques concessions, quelques ajustements, et mettre une jalousie naturelle dans ces conditions au placard. Mais voir Eggsy aussi épanoui, un sourire en permanence sur les lèvres, valait bien ce genre de sacrifices.

Pour avoir expérimenté cette relation à distance tandis qu'il était encore aux Etats-Unis, Jack pouvait confirmer que c'était plus simple de vivre sous le même toit que les deux hommes, d'avoir Eggsy à ses côtés au quotidien. C'était bon de pouvoir faire quelques projets, sortir et vivre presque normalement. C'était moins facile cependant de rester stoïque en voyant certaines nuits, quand il ne parvenait à dormir, Eggsy blotti tout contre Harry, quand bien même souvent c'était lui qui l'avait dans ses bras, ou lorsque le même Eggsy parlait de l'autre homme avec des étoiles plein les yeux. Heureusement, savoir que Harry éprouvait globalement les mêmes tourments arrangeait un peu les choses. Ils ne s'en sortaient pas si mal, estimait-il, même si Eggsy ne pensait pas toujours la même chose lorsqu'il était témoin de leur quasi quotidiennes prises de bec.

Prises de bec qui avaient pris plus d'ampleur quand certains sentiments avaient commencé à voir le jour. Cela s'était fait de façon insidieuse, tout doucement, lentement, mais Jack devait admettre être désormais attiré par Harry, à le considérer comme partie intégrante de sa vie, et non plus seulement comme simplement l'autre compagnon d'Eggsy. Mais au départ, il y avait eu tellement de ressentiments qu'accepter ces changements ne pouvait se faire sans heurt. D'autant qu'il n'avait aucune certitude que ces sentiments naissants soient réellement réciproques. Il était même plutôt convaincu du contraire à la façon dont Harry sautait sur l'occasion de se défouler à chaque engueulade.

Ce même Harry qui à présent ne le lâchait pas du regard, tout en gardant une expression parfaitement indéchiffrable. Harry, qu'il aurait souhaité un peu débraillé, décoiffé, moins sérieux, comme lorsqu'il le surprenait en compagnie d'Eggsy, et qu'il se croyait seul avec lui. C'était comme si chaque fois que Jack était à ses côtés, il enfilait le masque de l'homme froid, distant, dédaigneux même. Alors lui-même faisait pareil, les enfermant tous les deux dans cette situation malsaine.

Enfin, Harry montra quelques émotions, esquissant un sourire que Jack lui avait déjà vu adresser à Eggsy, mais certainement pas à lui.

- Eggsy m'a dit que si j'étais aussi odieux avec toi, c'est parce que je n'osais pas m'avouer que tu me plaisais.

Jack hocha la tête. Le cadet lui avait également déjà fait cette remarque. Fondée dans son cas.

- Et ? interrogea-t-il, désireux de savoir si son attirance était réciproque.

Vivre avec serait peut-être un peu plus simple que cette impression de ramer perpétuellement quand il était avec lui.

- Et je ne me suis pas gêné pour lui dire à quel point je le trouvais ridicule, répondit Harry.

D'accord, ce n'était définitivement pas ce que Jack avait espéré entendre. Il se rassura pourtant en constatant que l'autre n'avait pas fini.

- Seulement, aussi ridicule puisse-t-il être par moment, il n'en est pas moins très observateur. Et sacrément manipulateur. Il a lancé sa ligne un peu par hasard ce jour-là, il n'avait plus qu'à attendre de ferrer le poisson. Et ça a fonctionné. J'ai beaucoup réfléchi ces dernières semaines à ce qu'il avait dit, m'interrogeant sur ses intérêts dans l'affaire. Qu'aurait-il bien à gagner si je m'intéressais subitement à toi ? Pour l'instant, il est au centre de nos préoccupations à tous deux. En revanche, si toi et moi… Il ne serait plus alors l'élément central de notre étrange arrangement, mais juste un membre de la relation comme toi et moi.

- Mais nous fonctionnerions ainsi de façon plus harmonieuse, plaida Jack, qui avait lui-même beaucoup réfléchi à la question. Enfin, seulement si tu pouvais accepter de mettre tes beaux préceptes de côté pour prêter attention à un Américain râleur, préférant le Stetson aux parapluies, les jeans aux costumes chics et bien sûr les bottes aux Oxford, que je soupçonne d'être tout à fait inconfortables.

Voilà qui illustrait bien ce qu'il ressentait quand Harry le regardait, parce qu'il la voyait bien la condescendance dans son regard face à son manque de classe. Mais dans le fond, il s'en fichait et n'avait nulle intention de virer gentleman coincé, pour les beaux yeux d'un british qui semblait avoir un parapluie supplémentaire enfoncé en permanence bien profond là où ça ne devait guère être confortable, aussi beaux les yeux soient-ils. Autant que Harry le sache pour éviter bien des malentendus. Il avait renoncé à bien des principes pour trouver sa place au sein de cette relation, mais même lui avait ses limites.

L'éclat de rire que provoqua sa réaction le surpris tout à fait. Déjà parce que c'était la première fois que Harry se laissait suffisamment aller pour rire en sa seule présence – pour l'heure, le parapluie n'était peut-être pas enfoncé aussi profondément que d'habitude – et surtout parce que ce n'était définitivement pas la réaction qu'il avait attendu tant lui-même était sérieux à cet instant

- Crois-moi, sourit Harry, un Stetson et un jean, au demeurant tout aussi bien ajusté que le meilleur costume sur mesure, ne sont rien en comparaison de ce que portait Eggsy quand je l'ai rencontré. Ce qui ne m'a pas empêché de tomber amoureux de lui.

Disant cela, Harry s'était rapproché de lui, l'air pourtant si maître de lui que Jack, une fois de plus, ne savait pas sur quel pied danser. Ce foutu Brit était une contradiction absolue. Il venait de complimenter la façon dont il portait son pantalon – Eggsy lui avait dit souvent avec ses mots bien à lui combien ses jeans lui faisaient un cul d'enfer – tout en soulignant qu'un manque de distinction n'empêchait pas ses sentiments. Et pourtant, dans ce qui aurait pu apparaître comme une ouverture, il affichait toujours ce regard distant, limite froid, empêchant Jack de se projeter de quelque façon que ce soit.

- Pour en revenir au cœur du problème, reprit l'aîné, si Eggsy prend le risque de nous voir nous éloigner de lui pour nous rapprocher l'un de l'autre, c'est qu'il sait qu'il aurait tout à y gagner, tout autant que nous. Ce gamin est par moment un enfer de clairvoyance.

- Alors tu claques des doigts et je te tombe dans les bras ? grogna Jack. Tu penses vraiment que je n'ai pas déjà assez piétiné ma fierté en m'installant avec vous ?

- M'est d'avis que ça ne serait pourtant pas un gros sacrifice de ta part.

Certes. Mais cela, Harry n'avait aucun besoin de le savoir, surtout pas s'il pensait pouvoir l'avoir aussi facilement.

- D'autant que je n'ignore pas avoir certains arguments jouant en ma faveur, reprit Harry avec une assurance que Jack n'avait jamais vu chez qui que ce soit. Mais il y a bien d'autres choses à régler avant de t'en faire profiter.

C'était terriblement prétentieux, mais Jack brûlait de lui demander d'en dire plus, même s'il avait bien sa petite idée quant aux arguments concernés. Il parvint cependant à garder pour lui sa curiosité, encore une fois au nom d'une fierté déjà douloureusement malmenée.

- A quelles choses en particuliers fais-tu allusion ? demanda-t-il plutôt.

Une fois encore, il était convaincu de connaître la réponse, mais mettre cartes sur table une bonne fois pour toute ne leur ferait pas de mal.

- S'assurer que nous allons dans la même direction, dit Harry, et je ne parle pas que concernant Eggsy seul. On ne va pas le nier, c'est lui qui a provoqué tout ça. Il te voulait, je ne pouvais pas m'y opposer et te voilà. Je l'ai accepté pour lui, toi aussi je suppose. Mais il fait aussi que nous y trouvions notre compte.

Jack hocha doucement la tête, se reconnaissant dans chaque mot. Il avait fait bien des concessions pour Eggsy, en toute connaissance de cause, sans le lui reprocher le moins du monde, alors l'idée de penser à lui-même de temps en temps ne lui semblait pas si déplacé. Surtout que Harry lui faisait de l'effet, plus qu'il ne voudrait se l'avouer.

- Je trouvais que c'était absurde, quand Eggsy trouvait excellente l'idée qu'il se passe quelque chose entre nous, reprit Harry. Mais il n'est pas bête, il avait remarqué la façon dont je te regardais. Pourtant, j'ai vraiment essayé de me convaincre qu'il se trompait, que je n'avais pas envie de ça… Mais tu n'as rien fait pour m'aider. A te promener à moitié nu en sortant de la salle de bain, en portant parfois des jeans tellement ajustés…

Oh oui, comme Harry avait du mal à se retenir parfois. Jack n'avait par moment aucune notion de la décence la plus élémentaire et cette vision de lui, déambulant à l'étage, sa serviette tombant bien trop bas sur ses hanches faisait beaucoup d'effets à l'homme supposément tellement capable de se contrôler. Mais justement, il était un gentleman, il avait promis la fidélité à son compagnon et il s'y employait, quand bien même les règles entre eux avaient beaucoup changé. Alors il ne tentait rien, même si c'était frustrant de se retenir.

Quelques jours plus tôt, croisant une nouvelle fois Jack à peine vêtu – il avait une façon bien à lui de mettre en pratique le "fais ici comme chez toi" auquel il avait eu droit en s'installant – Harry, ne pouvant plus se contenir, avait sauté sur Eggsy, lui faisant subir mille outrages avec une fougue nouvelle, tout en songeant combien ce serait agréable de sentir un corps de plus contre lui. Eggsy avait apprécié son empressement avant de sourire mystérieusement ensuite, tandis qu'ils reprenaient leur souffle, comme s'il savait exactement ce qu'il avait en tête. Ce qui tenait de la performance, Harry lui-même n'en ayant pour sa part aucune idée.

Sur le coup, il était sorti de leur chambre apaisé, mais davantage obsédé également. Plus mal à l'aise aussi en présence de Jack, parce qu'il ne voulait pas de cette attirance. Sa priorité encore et toujours demeurait Eggsy et il était perturbé de penser à quelque d'autre.

Alors il avait choisi de se montrer plus intransigeant encore avec l'Américain, provoquant entre eux des disputes permanentes, parce que c'était plus facile que gérer un quelconque autre sentiment ô combien malvenu. Mais cette stratégie, que lui-même reconnaissait comme absurde, montrait déjà ses limites. Parce que ce n'était pas agréable pour lui et cela semblait profondément ennuyer Eggsy. Qu'aurait-il à gagner si à terme ce dernier décidait de fuir ? Ou si c'était Jack qui jetait l'éponge et repartait ? Cette seconde solution restait la plus enviable pour lui, mais cela aurait signifié alors revoir Eggsy malheureux, et cela était intolérable. Quant à lui-même, il avait beau se convaincre que le départ de Jack ne le toucherait pas, se mentir devenait de plus en plus compliqué.

Il y avait bien trop à perdre, alors Harry continua sur sa lancée, usant d'une franchise qui généralement lui portait chance. Par le passé, il avait mis du temps à accepter son attirance pour le jeune homme, se donnant l'excuse de leur fichue différence d'âge là où il avait simplement peur de s'engager. Après qu'Eggsy ait usé de tous les stratagèmes possibles pour l'attirer dans son lit sans résultat, il avait failli partir. C'est en refusant de le perdre que Harry avait enfin accepté l'inévitable. Et voilà qu'il reproduisait les mêmes erreurs avec Jack à présent. Par peur d'il ne savait trop quoi à la vérité. Ils se devaient déjà d'être discrets quant à l'originalité de leur arrangement, que lui-même couche finalement avec Jack également ne changerait pas grand-chose à leur quotidien. D'ailleurs, ils n'en étaient pas encore là, pour l'instant mettre des mots sur certaines émotions serait déjà un soulagement.

Soutenant le regard de l'autre homme, il s'approcha de lui, ne s'arrêtant qu'avant d'envahir tout à fait son espace personnel, pour lui laisser la solution de la fuite si c'était ce que Jack voulait. Jack justement ne baissait pas les yeux et semblait en attente de ce qui allait suivre. Il allait être servi.

- Je le répète, dit donc Harry, au départ je ne t'ai accepté dans ma vie, dans cette maison, que pour Eggsy, que je sentais malheureux loin de toi. C'était blessant de comprendre que je ne lui suffisais plus, mais je l'ai accepté pour ne pas le perdre. Ça a demandé bien des ajustements de ma part, mais j'ai fini par y trouver ma place puis mon compte. Il demande parfois tellement d'attention, que c'est bon à l'occasion de pouvoir déléguer. Et voilà qu'au milieu de toute cette nouvelle vie, une attirance imprévue pour toi m'est tombée dessus. Je sortais encore une fois de ma zone de confort…

Pour la première fois depuis le début de la conversation, Jack eut un sourire. Pas cet habituel sourire moqueur, distant, qu'il lui réservait généralement, mais un sourire tendre, de ceux qu'il n'adressait qu'à Eggsy. Et ce fut à cette seconde précise, découvrant l'homme tel qu'il était vraiment, que Harry comprît pourquoi Eggsy justement avait pu craquer. Il n'y eut plus alors la moindre crainte quant à ce que cette attirance pourrait donner, il n'y avait plus que la certitude que tout se passerait bien.

Fort de cette évidence, Harry combla les quelques centimètres les séparant encore et posa ses lèvres sur celles de Jack. Celui-ci d'abord ne réagit pas pendant ce qui sembla de longues secondes, puis il eut finalement un gémissement appréciateur avant de répondre enfin au baiser. Ils s'étreignirent avec force tandis que leurs langues se mêlaient et Harry ne put que constater qu'ils en faisaient ainsi meilleur usage plutôt que lorsqu'ils s'engueulaient sans fin.

Ils perdirent toute notion du temps, l'échange semblant définitivement trop court tout en donnant l'impression de durer une éternité quand ils se séparèrent finalement, à bout de souffle.

- Il était temps, nota Jack avec plus d'émotions qu'il n'avait prévu.

Harry se contenta de hocher la tête, incapable pour encore quelques instants de gérer tout ce qu'il éprouvait. Depuis Eggsy, il n'avait désiré aucun homme, touché encore moins, ce baiser aurait pu sonner comme une trahison, pourtant il ne regrettait pas un instant. Embrasser Jack avait paru comme l'une des choses les plus naturelles au monde. Une évidence. Et celui-ci avait raison, il était plus que temps. Ils s'étaient tournés autour assez longtemps, ils pouvaient enfin admettre que, s'ils ne s'aimaient pas encore, il ne le détestait pas davantage.

Près de lui, vraiment tout près constata-t-il avec plaisir, Jack eut un petit rire tandis que sa main venait caresser sa joue en un geste d'une douceur inattendue.

- Je crois que c'est malgré tout encore trop tôt pour te proposer de venir dans ma chambre.

Ok, Harry en mourait pourtant d'envie, mais c'était effectivement trop tôt et il était reconnaissant que Jack semble de son avis, même si son attitude semblait plus sereine que la sienne, ce pourquoi il l'envia. Harry devait encore se faire à l'idée qu'il désirait un autre qu'Eggsy, alors le reste devrait effectivement encore attendre, même si l'envie, mordante, était bien là, lui donnant l'impression de le consumer sur place.

- Ça arrivera bien assez tôt, répondit-il.

Jack hocha doucement la tête et initia un second baiser, qui fut plus intense que le précédent.

Quand Eggsy rentra un peu plus tard, ce fut pour les trouver blottis ensemble sur le canapé. Si les cheveux étaient un peu ébouriffés et les joues un peu rougies, les vêtements étaient toujours bien en place. Il fut presque déçu de ce dernier détail, mais il était cependant plus que satisfait du tournant que semblait avoir pris la situation. Voilà qui faciliterait grandement la suite. Et ne lui donnerait plus l'impression de profiter des choses en étant le seul à y trouver son compte. En silence, voulant tout sauf les interrompre, il quitta la pièce, un sourire flottant sur ses lèvres, avec le sentiment grisant du devoir accompli.

ooOoo

Quelques jours plus tard, Jack quitta les locaux de Kingsman en avance, impatient de rentrer. Il avait bouclé une mission de routine la veille et s'était retrouvé avec de la paperasse jusque par-dessus la tête. Le nouveau Merlin était un obsédé des dossiers, exigeant sans fin rapports et procès-verbaux et Harry, encore en train de prendre ses marques à la tête de Kingsman, préférait ne pas s'en mêler malgré les plaintes, nombreuses, de ses collaborateurs. Rapporter à l'écrit tout ce qu'il avait fait était nouveau pour Jack, qui se prêtait à l'exercice de si mauvaise grâce qu'il s'était vu contraint de recommencer certains rapports. Il soupçonnait fortement Merlin de se réjouir de faire de lui sa tête de turc et qu'on ne lui dise pas que le fait que cela commence quand il avait avoué préférer une bière à un bon scotch Écossais soit une coïncidence.

Entre cette relation totalement infantilisante, la distance de Harry dans ces foutus locaux et l'absence régulière d'Eggsy, ses débuts londoniens n'étaient pas aussi agréables que prévus. Pourtant, il était arrivé ici sans a priori, désireux de faire ses preuves dans une agence en pleine reconstruction, il aurait juste apprécié que son impartialité envers ce peuple qui avait si peu évolué qu'il continuait à vénérer une famille royale – au vingt-et-unième siècle, sérieusement ? – soit réciproque. Mais il ne lui avait pas échappé que ses nouveaux collègues doutaient encore trop souvent de lui – des bleus alors qu'il faisait son job depuis vingt ans, la blague ! – tout comme il ne ratait jamais les regards suspicieux des gens qu'il rencontrait dès qu'on entendait son accent. Ok, il venait d'un pays qui avait envoyé Donald Trump à la Maison Blanche avec les clés de la valise nucléaire et il avait tendance à avoir la gâchette facile, mais à sa décharge il n'avait pas voté, coincé à l'étranger au moment des élections, et il n'avait toujours tiré que sur des méchants, alors il aurait souhaité un peu plus de tolérance à son égard, merci bien.

Heureusement, quand il rentrait enfin dans la maison qu'il partageait avec Harry et Eggsy, tout cela importait bien peu. Ils étaient dans leur monde à eux et c'était d'autant plus agréable à présent que ses rapports avec Harry s'étaient grandement améliorés. Tout n'était pas encore parfait entre eux, mais ils progressaient. Et à mesure, c'était moins frustrant de devoir partager Eggsy. Même si bien évidemment, il continuait de préférer les moments qu'il partageait seul avec le jeune homme.

La raison pour laquelle il avait quitté le bureau en avance ce soir. Il se ferait certainement sonner les cloches par Merlin, mais sincèrement c'était trop tentant. Harry était en Ecosse jusqu'au lendemain pour rencontrer une potentielle nouvelle recrue, alors quitte à avoir Eggsy pour lui tout seul toute la soirée, autant que celle-ci commence le plus tôt possible.

La maison était étonnamment calme quand il rentra enfin. Pas de télévision allumée, par de musique, alors qu'Eggsy en profitait pourtant quand Harry n'était pas là. Faisant le tour du rez-de-chaussée, l'Américain remarqua dans la cuisine des casseroles sur le plan de travail et un poivron sur la planche à découper. Cela aussi contribua à le surprendre, Eggsy ne cuisinait jamais, laissant plutôt cela à Harry ou lui-même.

Il sut instantanément ce qui se tramait et comme il avait pour règle numéro un de toujours suivre son instinct, il monta directement jusqu'à la chambre principale, poussant discrètement la porte entrouverte.

Etait-il jaloux, excité, désireux de les rejoindre ? En tout cas, le spectacle qu'il eut sous les yeux ne le laissa pas indifférent.

Sur le lit qu'ils n'avaient même pas pris la peine de défaire, Eggsy et Harry étaient enlacés, nus, Harry sur Eggsy, celui-ci avait noué ses jambes autour de son bassin, subissant ses assauts brutaux, presque violents. A ses gémissements, que Jack connaissait trop bien pour les entendre lui-même souvent, il était clair que le plus jeune aimait ce traitement. Il demandait lui-même cette fougue la plupart du temps et Harry comme Jack ne voulaient rien d'autre que le combler dans ces moments-là, comme dans tous les autres domaines au demeurant, comme s'ils conservaient entre eux cette espèce de rivalité quant à celui qui serait le plus à l'écoute d'Eggsy. Lui seul comptait depuis le début, même s'il était lui-même le premier à vouloir que ce ne soit pas toujours le cas. Et il n'avait certainement pas tort, ce n'était pas forcément très sain pour eux tous.

D'autant que c'était bien en train de changer, même si Jack avait encore besoin de s'y faire. Depuis que Harry et lui s'étaient rapprochés… eh bien, si Eggsy était toujours au centre de ses préoccupations, il commençait à ne plus être le seul. C'était un peu perturbant mais en même temps terriblement excitant.

Comme cette situation. Il aurait pu en vouloir à Harry d'être revenu en avance et ruiner ainsi la soirée en amoureux qu'il avait prévu avec Eggsy. Il aurait pu être gêné de les surprendre dans une telle situation. Au lieu de cela, il ne pouvait détourner les yeux de ce spectacle, hautement érotique. Et il était surpris de ce qui lui passait par la tête. Parce qu'à cet instant, il était tout entier concentré sur Harry. Il avait à quelques pas de lui Eggsy, nu, offert, demandeur, mais lui ne pouvait regarder que Harry. Son corps tendu sous l'effort, ses caresses tendres malgré la force de l'étreinte et ses petits grognements appréciateurs…

Jack avait dit à Eggsy récemment espérer que tôt ou tard, quand ils seraient prêts, ils seraient tous les trois dans le même lit. Et ce n'était que trop vrai. Ce serait l'occasion de prendre un putain de pied, il n'avait aucun doute à ce sujet. Alors il aurait été facile de les rejoindre maintenant. Mais commencer par Harry seul était plus tentant. Il y aurait tellement de choses à découvrir… Et ce qu'il avait sous les yeux à cet instant avait tendance à confirmer qu'il aimerait ce qu'il découvrirait. Embrasser ce corps, toucher ces fesses, lécher ce cou…

Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas fantasmé à ce point sur quelqu'un. Il avait oublié à quel point cela lui avait manqué. Eggsy, le jeune et sexy Eggsy, appétissant et désirable, il l'avait eu tellement vite que la question ne s'était pas posée. Il l'avait désiré alors même qu'il le découvrait, offert et quasiment soumis. Il avait aimé cette facilité, qui l'avait fait se sentir attirant.

Il aimait tout autant la difficulté d'avoir Harry. Déjà parce qu'admettre ce désir avait pris du temps. L'accepter encore plus. Patienter désormais était excitant et donnerait d'autant plus de valeur au trophée quand il l'obtiendrait. Et quel trophée… Putain, il était déjà dur rien qu'à juste imaginer ce que ça ferait de le toucher ! Alors quand il le toucherait vraiment…

Il sursauta, son désir s'estompant aussi vite qu'il était venu, en réalisant qu'Eggsy avait tourné la tête de son côté et l'observait. Souriant et gémissant, il était un appel à la luxure, mais ce n'était pas ce que retenait Jack. Mal à l'aise, il se faisait l'impression d'avoir été pris la main dans le sac, et c'était exactement ça à la réflexion. C'était une sensation désagréable qui lui fit oublier tout ce qu'il avait pu ressentir jusque-là. Ça aussi c'était nouveau pour lui, d'être gêné de la sorte. Décidemment, avec ces deux-là, il avait du mal à fonctionner correctement. Sentiment frustrant alors même qu'il n'aurait pu vouloir davantage que tout coule de source.

Pour éviter de se poser davantage de questions, il détourna le regard, ce qui était une grande première face à un Eggsy aussi putain de sexy, et quitta la pièce sans faire un commentaire.

Il retourna à la cuisine et sortit une bière du frigo. C'était l'une des choses qu'il appréciait en Angleterre, les bières de qualité, qui lui avait fait abandonner sans regret jusqu'au whisky Statesman. Il but lentement en restant debout, appuyer contre le plan de travail, à l'endroit exact où il se tenait quand Harry l'avait embrassé. Il se refusait cependant à y repenser, c'est ce qu'il avait bien trop fait ces derniers jours et il n'en pouvait plus. Ça semblait bien parti avec lui, autant donc désormais se contenter de voir où cela mènerait pour la suite, sans rien prévoir. Foncer sans le moindre plan, à l'instant T au gré de son instinct, voilà qui lui avait sauvé la vie plus d'une fois. Faire de même dans le domaine privé n'apparaissait pas comme une mauvaise idée. Et puis, ça simplifiait grandement les choses.

Alors, mettant en pratique cette résolution, il arrêta de cogiter et songea plutôt à l'excuse qu'il pourrait donner à Merlin le lendemain pour justifier qu'il soit parti ce soir non seulement en avance, mais en prime sans avoir fini son dernier rapport. Cela risquait d'être une conversation intéressante, mais franchement, si le bonhomme l'exaspérait, il ne l'effrayait pas le moins du monde. C'est que ça aidait de coucher avec le patron, même s'ils ne couchaient pas encore techniquement ensemble, détail que Merlin bien sûr ignorait totalement.

Soupirant à cette pensée, qui allait à l'encontre de sa décision précédente de se sortir Harry de la tête, il finit sa bouteille d'une traite et envisagea très sérieusement de reprendre la préparation du repas là où elle avait été interrompue, songeant que les deux là-haut auraient certainement faim après leur petite séance. Mais les poivrons lui sortirent définitivement de la tête quand il vit Eggsy passer la porte.

Le gamin ne portait rien d'autre qu'un boxer, qui ne dissimulait pas grand-chose de ce qu'il y avait en-dessous. C'était une vision presqu'aussi excitante que celle à laquelle Jack avait assisté précédemment. Ces deux hommes auraient sa peau à terme, ça semblait évident.

Eggsy sortit une bouteille d'eau du frigo et la porta à ses lèvres en quelques gestes qui semblaient plus érotiques qu'ils n'auraient dû l'être. Quand il la reposa, il fixa enfin Jack avec intensité.

- Désolé pour… ça, dit-il avec un petit sourire amusé qui confirmait qu'il était tout sauf désolé.

- Pas grave. Il n'y a rien que je ne connaisse déjà.

Sauf le corps nu et terriblement appétissant de Harry, mais ce n'était pas maintenant, alors que de la sueur perlait toujours sur sa peau et qu'il sentait encore le sexe qu'Eggsy aurait droit à cette confession.

- Le déplacement de Harry était plus rapide que prévu, il était là quand je suis rentré et…

Le sourire se fit plus intense, ce qui amusa Jack. Il espérait être capable de provoquer lui aussi ce genre de réaction comblée chez l'autre homme.

- Tu n'as pas à te justifier, rappela-t-il.

- Toi oui, en revanche. Pourquoi ne pas t'être joint à nous ? Il serait temps je pense, à présent qu'il y a bien un truc entre Harry et toi. Au départ je pensais que ce serait deux relations bien distinctes, ça me dérangeait pas. Mais à présent… Ça pourrait être une dynamique intéressante. Et très excitante.

- J'y ai pensé, avoua Jack, pas surpris un instant connaissant l'autre que la conversation ait pris ce tour-là. Mais ça m'a paru prématuré. Harry et moi on n'a pas encore…

- Donc tu préfères baiser avec Harry avant, plaida Eggsy avec un naturel déconcertant. Ok, ça me va. Alors traînez pas trop. Parce que pour l'instant, on dirait deux puceaux sans expérience qui se tournent autour sans oser se lancer. Et franchement, c'est frustrant pour moi aussi. Je peux en témoigner, Harry est un super coup, tu prendras ton pied. Et la réciproque est vraie, ce que j'ai dit à Harry.

D'accord, définitivement, Eggsy qui jouait les entremetteurs c'était surréaliste. Mais c'était également rassurant quelque part. Il aurait pu effectivement préférer demeurer dans cette dynamique où il avait le beau rôle, mais lui aussi voulait avant tout que chacun y trouve son compte. Jack n'était plus inquiet à ce sujet. Ils étaient en train de trouver leur rythme. Et Eggsy avait beau être touchant à essayer d'aider, pour ce qu'il avait prévu, l'Américain ne le voulait pas dans les pattes.

ooOoo

La journée du lendemain ne fut pas aussi terrible que prévu. Merlin ne fit pratiquement pas de misères à Jack pour sa défection de la veille, mais celui-ci mis cette attitude sur le compte du retour de Harry. Merlin était un lèche-bottes de première et malin de surcroît, il avait donc bien évidemment compris qu'il y avait une certaine proximité entre Jack et le nouvellement nommé Arthur, bien qu'il ignore tout de la nature de cette relation. Aussi se tenait-il globalement à carreau quand le big boss était dans le coin. Ce qui ne l'avait pas empêché de réclamer malgré tous les rapports inachevés. Qui avaient pris à Jack la matinée. Oui, il n'était jamais particulièrement rapide quand l'occupation ne lui plaisait pas et il estimait qu'une pause café ou cigarette tous les quarts d'heure n'avait rien d'excessif.

Puis, avant de retrouver Harry en salle de conférence pour une réunion visant à présenter les tous derniers membres de l'équipe, Jack avait passé l'après-midi à s'entraîner avec Eggsy. Et aussi étonnant que cela paraisse avec le recul, ils avaient effectivement consacré ces quelques heures à l'entraînement seul, gardant tous leurs vêtements sur le dos et se frottant parfois à peine plus que nécessaire. Impressionnant comme le jeune homme pouvait être studieux quand quelque chose lui tenait à cœur. Ce qui était bien le cas en ce moment.

S'il s'était amusé un bon moment à se moquer de la "corde à sauter" de Jack, Eggsy avait finalement montré de l'intérêt pour le maniement du lasso. Arme qu'il trouvait éminemment érotique de son propre aveu, mais également bien pratique comme Jack l'avait prouvé plus d'une fois sur le terrain. Fier de le voir s'y intéresser, Jack était donc parvenu à leur trouver quelques heures dans leurs emplois du temps plus que chargés.

Et l'Américain avait enfin parfaitement comprit ce que Eggsy voulait dire quand il soulignait l'érotisme du lasso. Parce que quand c'était lui qui le maniait, et il avait très vite eu le coup de main, Jack avait apprécié la vue et s'était surpris plus d'une fois à imaginer une utilisation moins formelle… En prime, Eggsy était adorable quand il était concentré, le regard fixe, buvant chaque parole prononcée puis s'exécutant en se mordant doucement la lèvre… Définitivement, c'était à se demander comment ils avaient effectivement pu garder leurs vêtements sur le dos toute la séance.

Puis les trois hommes étaient finalement rentrés chez eux, avaient commandé leur dîner plutôt que le préparer au vu de l'heure tardive, avant de s'installer confortablement devant un film. Ce qui signifiait dans le cas de Harry, demeurer parfaitement droit dans le canapé, verre de cognac à la main et veste d'intérieur sur le dos, image qui aurait immanquablement provoqué l'hilarité de Jack en d'autres temps, mais qui à présent lui donnait simplement envie de le décoiffer, ouvrir ses vêtements et le faire bafouiller par ses soins.

Eggsy s'était finalement endormi entre eux peu avant la fin du film, ce qui n'avait pas manqué d'arracher quelques commentaires à ses deux compagnons au moment du générique de fin.

- S'il n'y a pas d'explosions toutes les vingt minutes, il finit toujours par piquer du nez, remarqua Jack, qui ne faisait certes pas partie de leur vie depuis bien longtemps, mais n'avait pas son pareil pour tout observer et dûment noter dans un coin de sa tête.

- Ça devient compliqué d'étendre sa culture, confirma Harry. De toute façon, il se montre très peu coopératif dès lors qu'il s'agit de regarder des vieux films comme il dit.

- 1984 n'est pas un vieux film, c'est un classique !

- En fait, il considère comme vieux films tous ceux tournés avant sa naissance.

- Ce qui limite grandement le choix, soupira Jack. Là c'est moi qui me sens vieux.

- Et son rejet concerne également tout film en VO. Et en noir et blanc… Aucune exception. Par contre, moi je dois me prêter à ses choix. Il était tout heureux de me faire voir les Indiana Jones par exemple. Aucun intérêt…

- Qui sont pourtant plus âgés que lui, nota Jack, hilare.

- Mais Spielberg est une des rares exceptions valables. Et les Star Wars. Quelques James Bond aussi… Parfois je me demande ce qui lui passe par la tête.

- J'aime ces films aussi.

- Le contraire m'eut étonné. Mais toi, tu ne t'es pas endormi devant 1984. Donc, profitant de son intérêt pour Spielberg, j'ai voulu lui faire voir La liste de Schindler. Il a filé ventre à terre en constatant qu'il était en noir et blanc.

Jack rit doucement en couvant le jeune homme du regard. C'était à se demander ce qu'ils pouvaient bien lui trouver de si exceptionnel. Et pourtant c'était bien le cas. Il dut faire cette remarque à voix haute au vu de la réaction de Harry.

- Et encore, tu ne l'as pas connu à la grande époque casquette de travers et pantalon trop grand de plusieurs tailles. Il avait le juron facile et une fâcheuse tendance à montrer son majeur en cas de contrariété.

- Ces deux derniers détails sont encore bien souvent d'actualité.

- Je crois qu'on devra s'en contenter. Je me dis souvent que ma vie aurait été bien plus simple s'il n'en avait pas fait partie. Mais bien plus ennuyeuse aussi. J'aime ce que j'ai aujourd'hui. Et, Jack ? Je parle dans tout ce que j'aie, insista Harry. Ce qui t'inclus.

Jack le fixa en silence, surpris de cette phrase, ne sachant comment réagir. Si Harry avait été celui qui avait provoqué leur premier baiser, s'il n'hésitait jamais depuis lors à l'embrasser, à le prendre dans ses bras, il ne parlait en revanche en aucun cas de ce qu'il ressentait. Cela aurait été à l'encontre de son image de gentleman habitué à tout contrôler. Alors l'entendre dire cela ce soir était totalement imprévu et Jack n'avait aucune idée quant à la façon dont il devait réagir.

Ou plutôt si, il savait exactement quoi faire, mais un instant il hésita encore tant cette perspective lui semblait énorme. Ils avaient pris leur temps jusque-là, mais s'il fonçait ce soir, il n'y aurait plus de retour en arrière possible. Cela en était presque terrifiant. Même si le jeu en valait la chandelle, de cela il était désormais certain.

Sans prendre la peine de répondre quoi que ce soit, il rejoignit Harry au milieu de la pièce et l'attira à lui sans lui donner l'occasion de reculer. Ils avaient pris leur temps pour toute une vie, plus question de se défiler à présent. Il profita de leur baiser pour ouvrir la veste d'intérieur de Harry, satisfait de le sentir toujours aussi détendu contre lui. C'était une première, jamais jusque-là il n'était allé jusqu'à s'attaquer à ses vêtements, mais cela semblait étonnamment naturel à cet instant.

Ils étaient tous les deux à moitié débraillés – un Harry aux vêtements froissés était tellement improbable que ça n'aurait pu apparaître plus érotique comme vision – lorsqu'ils montèrent à l'étage sans même avoir besoin de se consulter. Jack ne s'en rendit pas compte, mais tandis qu'il s'allongeait sur le lit, il n'eut pas la moindre pensée pour Eggsy, bien trop focalisé sur ce qu'il faisait.

Déshabiller Harry ne lui prit guère de temps et le corps qu'il découvrit était aussi appétissant qu'il en avait rêvé si souvent. Son amant répondait à chaque caresse, chaque baiser, avec une égale passion, Eggsy avait vanté ses talents bien souvent, mais il fallait admettre qu'il était resté bien en-dessous de la réalité.

Ce qui le surprit également fut l'apparente soumission de l'aîné, qui se laissa acculer contre le matelas et lui concéda ensuite découvrir tout le loisir de son corps à sa guise, de sa langue, de ses mains. Savourant chaque gémissement qu'il parvenait à lui arracher, même un juron à un moment, chaque frisson, Jack enregistrait toutes ces infirmation, qui ne manqueraient pas de lui être utiles à l'avenir.

Harry fut un peu moins coopératif lorsque, tube de lubrifiant en main, Jack voulu se lancer dans une préparation en bonne et due forme en vue de ce qui viendrait ensuite. Il eut à peine le temps de réagir qu'il était à son tour allongé sur le matelas, Harry le surplombant avec sur le visage un air déterminé.

- Même pas en rêve, grogna l'Américain, qui avait parfaitement comprit ce qu'il avait en tête.

- Pourquoi tout doit toujours être un conflit avec toi, soupira Harry, qui semblait s'amuser de la situation putain !

Un instant, Jack envisagea de le repousser et de s'imposer à lui, il ne doutait pas d'y arriver, mais le moment était particulièrement mal choisi pour se battre alors il préféra la parole, une arme que Champagne lui conseillait tellement souvent d'utiliser.

- Je ne fais jamais ça, dit-il donc d'un ton qu'il espérait suffisamment ferme pour clore le débat.

Mais cela n'eut pour seule conséquence que de faire sourire davantage Harry.

- Je passe mon temps à expliquer à Eggsy qu'il ne faut jamais dire jamais. Alors ne te montre pas plus têtu que lui.

Facile à dire. Au lit, Eggsy aimait le rôle de passif, il ne s'en était jamais caché, cela n'était donc pas un grand sacrifice pour lui que de se soumettre à l'autre. Mais si Jack n'était pas contre faire des concessions dans bien des domaines, il n'avait jamais envisagé que ceci se passe de cette façon. Pourtant connaissant Harry et son besoin pathologique de tout contrôler, ça semblait logique.

- Tu vas laisser ta fierté nous empêcher de profiter de ce moment ? reprit Harry.

Jack aurait pu lui retourner la question, mais quelque chose dans le ton langoureux l'apaisa. Il n'avait aucune envie d'entrer dans les détails, mais ce rôle dans un lit, il l'avait déjà eu, s'il ne voulait plus c'est que la dernière fois avait été les prémices d'une catastrophe. L'amant en question s'était avéré être un espion, qui l'avait séduit par intérêt avant de s'en aller avant son réveil avec du matériel sensible. Jack ne s'était jamais pardonné de s'être fait avoir de la sorte, même s'il était à l'époque encore un bleu qui avait besoin d'apprendre les subtilités d'un métier qui laissait peu de place à une vie privée. Inconsciemment, il avait associé cette trahison à ce rôle de soumis qu'il avait accepté. Il pensait souvent que peut-être il aurait pu empêcher ce désastre s'il avait été celui qui avait baisé l'autre. C'était sans nul doute une réflexion stupide, surtout pour baser ensuite toute sa vie intime là-dessus, mais dans ces temps troublés il avait eu besoin de quelque chose à quoi se raccrocher. Depuis, il ne s'était plus posé de questions, n'envisageant plus un instant de perdre le contrôle avec quelque amant que ce soit. Ça n'avait pas été un problème, puisqu'il n'était plus capable de s'attacher à qui que ce soit depuis la mort de sa femme, il n'était guère regardant quant au plaisir de l'autre. Le seul qui avait fini par compter, Eggsy, avait été clair sur ses préférences plus d'une fois et elles correspondaient aux siennes. Avec Harry, voilà que c'était différent. C'était bien sa veine, quoi qu'il n'en était pas surpris.

Mais justement, Harry était différent. Lui comptait, à l'inverse de bien des hommes passés entre ses bras. Et surtout, il n'était pas du genre à profiter de lui, mais bien prêt à lui donner du plaisir en plus d'une présence tranquille à ses côtés. Si Jack devait revenir sur son désir de contrôle quasi obsessionnel dans un lit, Harry était la personne idéale. Et puis, il avait déjà fait tellement de concessions au sein de cette relation, qu'il n'était plus à une près. Pas qu'il s'en plaigne d'ailleurs. Ces deux hommes le comblaient suffisamment pour compenser toute déconvenue.

Sans un mot, parce qu'il ne voyait pas quoi rajouter sans avoir désespéré, Jack se contenta donc de hocher brièvement la tête. C'était à peine perceptible, mais cela n'échappa évidemment pas à Harry.

- Bon garçon, murmura celui-ci.

La remarque aurait pu être mal prise, mais il n'y avait aucune condescendance dans le ton et Jack de toute façon n'avait plus les idées très claires, désormais qu'une main taquine s'aventurait sur son érection.

Les caresses qui suivirent, aussi intimes furent-elles pour certaines, étaient tout à fait douces, n'accélérant que lorsqu'il le fallait, confirmant le talent de Harry dans ce domaine tout particulier. Le corps tendu, le cœur battant la chamade, Jack subissait avec délice, se contentant pour tout geste de serrer le drap dans son poing et de se mordre les lèvres chaque fois qu'il avait envie de crier, ce qui arrivait plus souvent que prévu.

Le regard de Harry sur lui était assuré et il sut qu'il n'aurait pu trouver meilleur homme pour se soumettre de la sorte. Les gestes, qu'il croyait jusque-là enfouis bien loin dans sa mémoire, revinrent facilement à l'instant crucial, Harry le faisant sien tandis qu'il enserrait ses hanches avec une force dont il ne se serait pas cru capable. Un instant il voulut parler, dire combien il appréciait, encourager l'autre, il ne fut capable que de gémir pitoyablement tandis que le premier coup de reins se faisait sentir.

Ce qui fut certain durant les minutes suivantes, c'est que le plaisir n'était pas qu'un mot. Ce fut un festival de sensations, qui inondait chaque fibre des corps toujours plus en demande. Jack n'aurait pu rêver meilleure façon de découvrir cet Harry d'abord fougueux tandis qu'il le prenait avec passion, puis tendre lorsqu'il le garda dans ses bras après la jouissance. Avec Eggsy, il ne lâchait jamais rien, gérant tout à chaque seconde, parce qu'Eggsy méritait le meilleur. Avec Harry, il n'avait rien d'autre à faire que profiter et savourer. C'était reposant et nouveau. Agréable. Très agréable. Alors il se laissa aller dans l'étreinte avec un soupir de satisfaction, ne pensant à rien d'autre que les baisers dans son cou et les caresses sur son flanc.

Quand Eggsy se réveilla en pleine nuit, il fut surpris d'être seul dans le salon. Pas le genre de Harry de le laisser dormir sur le canapé… En silence, il rejoignit l'étage avec l'intention de se rendormir vite fait. Mais ses plans furent compromis quand il arriva dans la chambre. Seulement éclairée par la lumière du couloir, les deux corps enlacés se détachaient parfaitement dans la semi pénombre. Eggsy les regarda avec tendresse, content d'assister à ce qu'il avait attendu pendant des semaines. Ils avaient mis le temps, mais lui n'avait jamais douté d'eux.

Un instant il fut tenta de les rejoindre, mais ils ne voulaient pas les réveiller. Il souhaitait qu'ils profitent ensuite de se réveiller seuls, il savait combien cela pouvait être plaisant, surtout après la première fois. Sans l'ombre d'une déception, il choisit de se replier dans la chambre de Jack, celle qui servait bien peu. Celui-ci ne lui en tiendrait pas rigueur à n'en pas douter. Une fois allongé, il enfouit son visage dans l'oreiller de son compagnon, s'imprégnant de son odeur. Il se sentait heureux, rassuré, ainsi. Jusqu'au bout, il avait craint qu'ils ne s'en sortent pas, que Jack et Harry n'y trouvent jamais totalement leur compte et qu'il doive se résoudre à en perdre un. C'était derrière lui à présent, ce qu'il avait vu dans la chambre voisine le confirmait. Il en éprouvait la plus grande paix et découvrait combien cela pouvait être un sentiment enivrant.

...