« Thomas, c'est du suicide… Elle l'a démoli physiquement, intellectuellement, psychologiquement… Non seulement lui, mais la juge aussi… Le fait de mettre Lucie en avant, en le rabaissant, c'est autant de gifles. C'est brillant, oui, je l'admets, parce qu'elle n'a oublié aucun des éléments de son profil, mais il va devenir fou, Thomas… »
« Calme-toi. Visiblement, elle sait ce qu'elle fait, tu le dis toi-même. »
Adèle était très agitée, et Thomas tentait d'être rassurant, alors que lui-même était inquiet.
Maxine avait enchainé les coups comme un boxeur combat pour le titre, valorisant les organes judiciaires, citant notamment Alice et les différentes forces de polices avec lesquelles elle avait travaillé en France, félicitant Thomas pour son sang froid face à la démence de la juge valorisant Lucie, son abnégation à réparer les dégâts que sa mère avait faits, pour la paix des victimes et de leurs familles, mais aussi pour les innocents condamnés à tort. C'était elle l'âme de la cellule Marceau, elle grâce à qui on faisait appel enfin à un expert.
Elle n'avait pas à proprement parlé de Derco après son introduction plutôt cinglante à son encontre, le laissant dans le décor comme une chose sans importance, qui serait bientôt retrouvée, et qui finirait pourrissant dans un trou aux frais de l'état. Il n'était rien, pas le héro, pas le disciple, moins que rien, puisque la juge avait préféré se l'asservir plutôt que d'exercer sa vengeance sur lui. Il n'était pas le fils prodigue venu remplacé la fille dépravée et si peu reconnaissante, il n'était qu'un pâle substitut, un jouet…
Le téléphone sonna, c'était Jess. Elle aussi était stressée, en premier pour son amie, dont elle voulait être sûre avant tout qu'elle ne risquait rien, et parce que sa sensibilité exacerbée, lui avait fait prendre conscience de la violence des propos tenus par Max, et de leurs possibles conséquences.
Le téléphone de Thomas sonna aussi. C'était Chloé.
« Une seconde…
Il sortit prendre l'appel dans le couloir, il se doutait qu'il n'allait pas aimer la conversation, et encore moins Adèle si elle entendait…
Je vous écoute… »
« Thomas, il faut que vous la rejoigniez…
Il fut surpris du ton et de la fermeté de la phrase, à mille lieux des manières de Chloé.
Je sais que vous êtes sensé rester auprès d'Adèle, que la cible première c'était vous et qu'elle ne vous veut pas dans ses pattes, mais Thomas, elle ne peut pas l'affronter seule. Il ne va pas seulement lui faire du mal, il va vouloir lui prouver qu'elle a tord, et à tout le monde, et pour ça il va prendre son temps pour la faire souffrir. Physiquement d'abord, puis le temps de s'organiser, psychologiquement. Elle n'a pas pris la mesure de ce qu'elle fait, elle n'est pas dans son état normal, et c'est de ma faute, je n'aurais pas du la plonger dans une affaire alors qu'elle venait juste d'arriver à Paris, et… »
« Chloé, stop !
Tout le monde est sur le pont, appelez le commissaire Lamarck, il vous confirmera qu'un moustique ne pourrait pas l'approcher sans faire sonner une alarme. »
« Ce n'est pas cette affaire qu'elle veut sortir de sa tête Thomas ! Tout ça ce n'est qu'un moyen de se débarrasser de sa peine, c'est pour ça qu'elle y va, parce qu'elle pense qu'elle ne peut pas souffrir plus ! Elle va se laisser prendre si elle juge que c'est nécessaire, vous ne comprenez pas, vous DEVEZ y aller ! »
Et le déroulé des évènements repassa devant les yeux de Thomas en accéléré. Elle avait tout planifié, confié son fils à ses parents, revu ses amis, fait la paix avec Pauline et la famille d'Alex… Elle avait fait en sorte qu'ils soient tous en sécurité, que ce qui lui était arrivé à elle n'arrive à personne d'autre. Elle avait tout organisé pour cela, jusqu'au plan de ce soir.
Elle avait caché sa douleur tant que faire se peux, mais il l'avait senti… Elle l'avait laissée entrer dans sa tête et il l'avait vue, son vrai visage, cachée tout au fond d'elle, effondrée et hurlant sa peine sans que personne ne l'entende.
Et elle ne pouvait plus vivre comme ça. Elle devait faire disparaître ses sensations, ses hallucinations, pour son fils, pour qu'il ne grandisse pas en sentant cette fêlure dans sa maman. Elle ne voulait garder que le bon.
Il jura, il s'en voulait. Il aurait du le voir, il était passé par là. Lui avait cogné dans des sacs jusqu'à en avoir les poings qui saignent quand il avait perdu son épouse. Comment avait-il pu être aussi aveugle !
Il entra dans la chambre un peu brusquement.
« Je dois y aller »
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Tu as raison, elle va faire n'importe quoi, si j'y suis il sera distrait, à nous deux on a une chance. »
Elle savait qu'il avait raison. Elle avait peur pour lui, mais elle savait qu'il ne prendrait pas de risques inconsidérés. Elle acquiesça. Son menton tremblait un peu. Il l'embrassa et parti en trombe.
Il arriva aux studios en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ils étaient tous là, et ils étaient visiblement inquiets. Ça ne voulait dire qu'une chose, elle avait disparue.
« Comment c'est possible ? » Hurlement d'un Lamarck en ébullition
« C'est pas possible ! Patron, on avait tout mis en place, il ne pouvait pas être au courant ! Encore moins neutraliser ses traqueurs ! » Désespoir d'un Chevalier à la limite de la panique
« C'est parce qu'il ne l'a pas enlevée, elle est partie se jeter dans la gueule du loup » Thomas, en plein contrôle de la situation.
Elle était où quand vous l'avez perdue ? »
« Dans sa loge »
« On y va.
Il mit son oreillette et appela Chloé.
J'ai besoin de vous, je vais être vos yeux, dites moi quoi chercher. C'est vous et moi, comme au bon vieux temps. »
Il filmait la loge minuscule, tout en s'attardant sur les moindres détails.
« Elle ne s'est pas changée, elle a laissé son sac… »
« Elle ne veut pas qu'on la suive, elle a laissé son portable, ses lunettes, tout ce qui contenait un traqueur… »
« Elle sait qu'il va chercher, elle a du nous laisser un indice Thomas… Elle n'est pas partie comme ça… Elle veut de l'avance, pas forcément être seule… »
« C'est étrange cet alignement non ? »
« Oui… Elle fait ça quand elle est en colère… Elle aligne, ça l'aide à se concentrer…
Attendez, non, remontrez-moi… C'est ça Thomas ! Le gobelet ! Il est plein ? »
Thomas enlève l'opercule. Le gobelet contient du thé, il est plein.
Trouvez de l'eau chaude Thomas, vite !
« Amenez-moi de l'eau bouillante, dépêchez-vous ! »
Une assistante arrive en courant, elle tient une bouilloire. Thomas s'en saisie, ouvre le couvercle et laisse la vapeur flouter le miroir. Le message de Max apparaît : Quai de Béthune.
« C'est sur l'île Saint-Louis, en face de la DPJ »
L'hôtel particulier en travaux semblait hanté sous les lumières des gyrophares. Il portait un gilet pare balles, et entra parmi les premiers dans les lieux, avec Chevalier. Il y avait de la fumée provenant d'une des cheminées du premier étage, c'est la qu'ils se dirigèrent en premier.
Il ne voulait pas penser, il n'allait pas arriver trop tard. Elle avait tout compris, bien avant eux, dès qu'Adèle l'avait identifié. Elle avait agit en conséquence, mettant sa vie dans la balance, non seulement pour le stopper, mais aussi pour résoudre toute l'histoire.
Elle n'avait pas peur, tout était sous contrôle, elle savait qu'à un certain point il aurait besoin de la faire souffrir pour se sentir exister, et la souffrance, c'était son quotidien, son expertise…
Le respect du protocole de sécurité lui tapait sur les nerfs tant il voulait monter les escaliers 4 à 4. Ils arrivèrent enfin, après ce qui lui sembla bien trop long.
Derco était fou de rage, l'écume aux lèvres. Elle était attachée avec des chaines à l'un des chandeliers contre le mur. Il l'avait battue sévèrement, découpé ses vêtements, sa peau, et elle riait.
Il la mit en joue. Elle continuait de sourire.
« Vous n'êtes rien Derco… Ils vont vous abattre, et tout sera fini. Et on vous oubliera… Vous… Elle… »
« Taisez-vous ! »
« Lâchez votre arme ! Lâchez-là, MAINTENANT ! » Thomas voulait qu'il le voit, qu'il détourne une partie de sa haine contre lui.
« Je vais lui éclater la tronche si vous avancez encore »
« Regardez-moi. Vous ne ferez rien, vous n'avez pas le cran.
Elle avança sa tête jusqu'à poser son front contre le canon
Vous n'êtes pas le héro, vous ne le serez jamais. Pas même si vous aviez résolu toutes ces affaires, et de toutes manières, vous n'en étiez pas capable. Alors allez-y, tirez, qu'il nous débarrasse de vous. »
« C'était le plan, et il a fallut que vous veniez tout gâcher ! J'avais récupéré ses notes, j'avais sauvé la fille, j'aurais tout résolu ! »
« Ben voyons, les notes. Elle était brillante, elle, elle n'aurait pas couru ce genre de risque, elle aurait tout fait disparaître… »
« C'est vous qui n'êtes qu'une fraude, vous n'avez rien compris. Quand vous avez remué ses histoires de famille, j'ai tout copié, et j'ai tout gardé avec moi je savais que ça finirait mal. Et puis, il m'a débarrassé d'elle, et j'ai compris qu'on allait devenir des frères. En sauvant la fille, je rentrais dans le cercle, et je résolvais les affaires avec eux… J'aurais fini par diriger ce ramassis d'incompétents. Jamais ils ne se seraient douté de quoi que ce soit… Vous n'avez pas cessé de me mettre des bâtons dans les roues, vous !
Il recula tout en parlant et sorti une clef USB de sa poche.
Tout est de votre faute ! »
Il remit Max en joue et il y eu 3 coups de feu. Le premier de Thomas, le touchant à la poitrine, le second de Romain, à quelques centimètres du 1er, et le troisième de l'arme de Derco.
Maxine ferma les yeux, attendant l'impact, mais la balle la manqua… De peu…
Les deux hommes se précipitèrent pour la décrocher, et elle se laissa aller dans les bras de Thomas, à la limite de la conscience.
« J'ai compris que je m'étais trompé quand elle l'a reconnu… Il cherchait un autre Maître… »
« Doucement, je vous tiens, vous aurez le temps de me raconter, et moi de vous engueuler »
« On va tous t'engueuler, Max. Tu nous as fait une sacrée peur ! »
Romain s'accroupi près d'eux et pose sa main sur le bras de la criminologue. Elle ouvre les yeux un instant, leur sourit, puis retombe comme une poupée de chiffons.
« Max ! Ouvrez les yeux.
C'est fini. »
Epilogue
Le soleil se levait sur la plage Pereire, annonçant une magnifique journée d'hiver sur le bassin. Quinze jours, et il ne se lassait pas de cette vision.
Il était debout dans la véranda, buvant son café. Il avait rallumé le feu dans la cheminée, et était torse nu, dans la fraicheur du petit matin.
Elle se glissa derrière lui sans faire de bruit, et l'entoura de ses bras, posant son front contre son dos tatoué. Il prit l'une de ses mains de sa main libre, pour l'embrasser, et il se retourna pour lui faire face. Il posa sa tasse afin de la prendre dans ses bras, déposant un baiser sur son front. Elle ne portait que sa chemise et une paire de grosses chaussettes. Ses cheveux auréolaient sont visage, sa peau claire semblait dorée dans la lumière du petit jour.
Comme il le lui avait promis, il avait posé 3 semaines de congés, et organisé leurs vacances. Avec l'aide de Max, il faut bien l'avouer. Elle avait des amis à Arcachon et leur avait trouvé cette maison au bord de la plage. La plage où ils allaient marcher, chaque jour, où il faisait son jogging, et s'entrainait.
Max quant à elle, était allé chercher son fils à Aix, afin de recoller les morceaux de sa vie. De la manière dont il le voyait, elle n'allait pas rentrer aux Etats-Unis tout de suite. Et quand bien même, elle était partie pour revenir souvent.
Adèle semblait revivre et elle allait mieux, de jour en jour.
Leur vie ici, s'était organisée de la manière la plus simple et la plus naturelle possible. Le matin, Lucas gardait Ulysse pendant que Thomas emmenais marcher Adèle et s'occupait de sa ré éducation. Puis ils partaient tous ensemble faire le marché, se délectaient de poissons et de cannelés à presque tous les repas. L'après-midi, ils allaient promener, faire du bateau, bref, jouir du cadre exceptionnel et le soir, Adèle profitait de son fils, pendant que Thomas et Lucas partaient faire du sport ensemble.
Jess et Hippo les avait rejoints avec Sidney pour ce dernier week-end des vacances. Ils ramèneraient Lucas chez sa tante et garderaient Ulysse, laissant Adèle et Thomas seuls cette dernière semaine.
Ils avaient un peu l'impression d'être les victimes d'un complot. C'était une excellente chose, mais ils étaient cependant très nerveux.
Thomas avait emmené Jess, Hippo et les enfants à l'aéroport à Bordeaux hier soir, et il stressait un peu sur le chemin du retour…
Il sourit tout seul à l'idée qu'il se comportait comme un ado pour son premier rencard. Ces dernières semaines, ils avaient dormis dans des chambres séparées, Adèle partageant sa chambre avec Ulysse. Outre ses blessures, et la présence des enfants, il ne voulait pas précipiter les choses. Il avait compris lors de sa tentative infructueuse en Anjou, qu'elle avait besoin de temps, mais surtout d'être rassurée.
De l'eau avait coulé sous les ponts cependant… Manquer de la perdre avait changé beaucoup de choses…
A son retour, il l'avait trouvé dans la cuisine. Elle avait préparé le diner et elle l'attendait, sur fond de Chopin, en bouquinant et en sirotant un verre d'Uby N°4, cadeau de Maxine.
Ils avaient passé une magnifique soirée, goutant à chaque instant.
Elle lui avait fait remarquer que c'était en quelque sorte leur premier vrai rendez-vous.
Ils en avaient plaisantés, et la conversation s'était prolongée, sur des tas de sujets différents. Ils étaient enfin libres, libres de vivre leur histoire, d'apprendre à se connaître mieux.
Ses blessures étaient cicatrisées, la douleur avait disparue, ses peurs semblaient évanouies… La tête avait suivie le corps…
Il était parti leur préparer une tasse de chocolat chaud, pendant qu'elle attendait dans le canapé devant la cheminée. Il posa les tasses sur la table et pris appui sur le sofa pour déposer un baiser sur ses lèvres.
Il avait le goût du chocolat.
Ça la fit sourire. Elle prit son visage entre ses mains et l'attira vers elle.
Il n'y avait plus de peur, tout était simple…
Cette nuit, c'était leur récompense…
« Bonjour »
Elle leva les yeux vers lui, et avec tout l'amour qu'elle pouvait mettre dans son regard, esquissant un sourire, elle lui dit bonjour.
« Tu as bien dormi ? »
« Très… Mais… »
« Oui ? »
« J'aurais aimé me réveiller dans tes bras… »
« Je suis désolé, je voulais te laisser dormir… Je ne le ferai plus. Promis ! Enfin, si toutefois tu me pardonnes et que tu prévois de dormir avec moi à nouveau… Avant 2 ans, je veux dire… »
Elle éclata de rire et se blottie contre lui. Ils se tournèrent vers la mer.
« C'est tellement beau ici…
Thomas… »
« Oui ? »
« Je… Je voulais te dire… Je n'ai plus peur. Je suis heureuse, Thomas… »
Il la serre plus fort encore, et lutte pour ne pas lui dire qu'il l'aime. Il ne veut pas la brusquer. Il veut lui laisser le temps, leur laisser le temps. Il allait commencer par s'employer à le lui prouver. Les mots viendraient plus tard.
« Tu as faim ? Je nous fais un grand p'tit déj ? Ou tu veux qu'on sorte marcher d'abord ? Quoique tu ais fait un peu d'exercice déjà, dit-il avec un sourire malicieux.
Elle recule d'un pas, puis un autre, sourit en mordant sa lèvre inférieure, le fixe intensément tout en déboutonnant sa chemise. Elle se retourne, la fait glisser le long de son dos nu, et lance le vêtement dans sa direction, tout en se dirigeant lentement vers la chambre à coucher…
Le petit déjeuner attendrait.