Disclaimer : je ne possède rien, sinon mon imagination et encore parfois j'ai des doutes.

Notes : Je récidive… j'avais créé une sorte d'articulation entre ma folie Torchwood et ma nouvelle marotte Hannibal. Je reviens avec une fic différente de ce que j'avais promis (le western avance, pas toujours comme je veux). J'avoue ne pas avoir encore de fin définitivement écrite. Peut-être arriverais-je à mieux me motiver en sachant ce que vous en pensez ? (non, ce n'est pas du chantage, juste un rappel que je ne suis qu'une ficqueuse ayant besoin de soutien.. lol)

Place à l'action! Euh précision utile, je n'ai pas de béta (encore) donc, il peut y avoir (encore) des fautes qui piquent les noeils. M'en voulez pas trop, je vous en prie. Mais à trop relire, je doute et quand je doute, je réécris, procrastine et je doute (bis repetitas). Après deux mois de tergiversation, je vous livre le premier chapitre de mon Hannigram (ch'uis émue...)

Résumé : Après une chute, Will, blessé, se réveille amnésique en compagnie d'un homme étrange qui s'occupe de lui. Les souvenirs déterminent-ils ce que nous sommes ? Les actions sont-elles véritablement le reflet de nos pensées ? Fic nettement moins philosophique que mon pauvre résumé.


Chapitre un : la mémoire en ruine


Un cri déchira la nuit et le ressac engloutit le son d'un impact. Froid puis inconscience.

oOoOo

Les sensations corporelles s'éveillèrent sous l'aiguillon de la douleur. L'homme reprit conscience un instant. Ses os, ses muscles, ses nerfs lui semblaient être de verre, de fibres cassantes, émiettés par le roulement des vagues sur la grève. Il prit une profonde inspiration, l'air froid lui râpa la gorge, insufflant de l'oxygène dans son cerveau. Il avait mal au visage, mal à la tête, mal aux sinus. Il n'était que douleur. Il vomit de l'eau au gout salé et cuivré. Il sentit qu'on le tirait sur le sable, ponçant un peu plus sa peau écorchée. Trop hébété pour penser, il ne faisait que ressentir.

Tout bougea autour de lui. Une tornade de douleur ronflait férocement sous son crâne. Puis il sentit une main glacée sur son ventre, un bras sous son épaule, un corps pressé contre le sien. On le portait. On le supportait. Il sentait la pâle caresse du soleil sur son visage, l'eau glaciale qui le giflait, le froid qui brûlait ses membres. Il devinait la chaleur humaine à ses côtés. Il grelottait. Un mouvement un peu brutal pour le relever le fit à nouveau basculer dans les limbes sans voir le visage de son sauveur. Il s'en fichait, sa souffrance s'éloignait, devenait anecdotique dans ce néant sombre qui l'attirait à lui. Il sombra.

oOoOo

Un ronronnement de moteur agressa son oreille et ses yeux papillonnèrent, ébloui par une lumière crue. Lentement, si lentement, il fut tiré de son évanouissement. Couché à même le sol, il ne voyait que le ciel, le bleu devenant gris, le gris fondant dans un violet d'orage, les nuages se heurtant. Trop épuisé pour bouger, il sentait le plancher tanguer et faire vibrer ses os. La douleur le fit gémir et il vit une ombre se pencher sur lui comme une monstrueuse présence. Une présence qui cherchait à le dévorer. Il tenta de lever ses poings dans une dérisoire et pathétique lutte pour la survie. Tétanisés, ses membres ne lui obéissaient plus. La panique monta et envahit son être et il ne put hurler, bâillonné par l'angoisse et la folie. Il avait mal, mal à en crever, il avait peur, une terreur à le tuer.

- Will, murmura une voix rauque aux intonations étranges que capta son oreille au moment où il basculait dans la déraison.

Une main chaude passa sur son visage et il sentit une piqûre au cou et une chaleur piquante se diffusa dans son organisme, l'enveloppant dans un flou cotonneux, comme ce nuage duveteux qui ressemblait à un dragon. Un dragon dans le ciel. L'inconscience chassa l'image avant qu'un rire incongru ne passe ses lèvres desséchées.

oOoOo

Il s'éveilla pour la troisième fois, lentement comme au sortir d'un sommeil médicamenteux. Le plafond très bas était peu lumineux et des rideaux occultaient le soleil qu'il devinait radieux. Il se surprit à respirer trop vite, trop fort et chercha à se contrôler en examinant les éléments dont il disposait. Il souffrait de la tête, le visage, l'épaule et quelques autres endroits qui s'éveillaient à leur tour. Il puait le sang, la viande et la sueur qui lui glaçait le dos. Il était étalé sur un lit qui tanguait, dans une pièce où il devinait des éléments d'un beau bois patiné solidement encastrés dans les murs, au-dessus de lui, brillants malgré la faible luminosité.

A chaque battement de cœur, sa tête pulsait d'une douleur sourde, tout comme son bras droit pesant à ses côtés. Avec effort, il put bouger la main gauche et la soulever au-dessus de lui. Il palpa son épaule droite et découvrit un bandage sommaire sur son omoplate, désagréablement humide. Il ne parvenait pas à soulever la tête, lourde et douloureuse. Tout continuait de danser autour de lui, sous lui mais la douleur avait suffisamment reflué pour qu'il puisse réfléchir à sa situation. Il redevenait homme et redécouvrait le besoin de penser. Il se sentait à la fois pesant et léger. Cependant ses pensées se heurtèrent à un mur blanc, cotonneux qu'il ne parvenait pas à griffer.

Un bateau, il était dans une cabine de bateau et en haute mer si le roulis et le tangage n'étaient pas seulement causés par sa blessure à la tête. Fier de sa déduction mais épuisé, il souffla longuement. Cela ne répondait pas à ses principales interrogations. Il n'avait aucun souvenir. Il ne savait pas où il se trouvait ni qui il était ou fut ou... Si, quelqu'un l'avait appelé Will. Ce nom lui semblait familier, comme une chaussure qui correspond à son pied, le nom lui collait au cerveau. Will...

Il prit une profonde inspiration et souleva la tête. La cabine était grande, luxueuse et bien insonorisée car elle étouffait largement le bruit du moteur. Il se redressa, les dents serrées contre la douleur. Grimaçant, il parvint à s'asseoir et tira sur le fil actionnant l'ouverture du petit rideau gris perle. La lumière rentra à flot. Le soleil était bas sur la mer, mais Will fut incapable de dire s'il était à son lever ou son coucher. Il sentit que la mer ne lui était pas inconnue.

Il palpa son torse revêtu d'un t-shirt blanc trempé de sueur, certaines parties étaient douloureuses. Il souleva le tissu d'une main tremblante découvrant des hématomes violacés et une cicatrice livide en-dessous du nombril, comme un sourire amer. Rejetant les draps, il vit ses jambes elles aussi recouvertes de bleus, il n'osa pas toucher le genou droit, recouvert d'un pain de glace.

Il fit l'état des coups et blessures que son corps révélait à la lumière. Il avait été sans doute battu, roué de coups violents qui expliqueraient sûrement son amnésie. Dans quoi avait-il mis les pieds ? Comment était-il arrivé là ? Qui était cet homme dont il n'avait entendu que la voix ? Elle résonnait en lui. Will... Il lui avait donné une identité. Will... William? Willy, Bill ? Il ne se faisait pas à l'idée d'être un Bill.

Il passa une main sur le visage, la barbe était un peu longue, irritante sous ses doigts. Un pansement épais couvrait une partie de sa joue terriblement douloureuse. Il jugea que son inconscience avait duré au moins deux jours ce qui cadrait bien avec la couleur de ses bleus. Comment pouvait-il savoir cela ? Il déduisait une situation à partir de minces indices. Etait-il policier ? Détective ? Pourquoi n'était-il pas à l'hôpital ? Il sentait des points de suture à l'intérieur de sa bouche. Que lui était-il donc arrivé ? Il observa ses mains tremblantes. Il remarqua une marque plus claire autour de son annulaire gauche. Qui était-il ? La lumière du soleil qui se couchait lui devint insupportable. Sa tête le faisait souffrir.

La porte s'ouvrit soudain et un homme pénétra doucement dans la pièce tenant d'une main un plateau rempli d'instruments que Will entendit cliqueter sur du métal. Ce bruit lui remplit l'estomac de glace. L'homme se tourna vers lui et ses yeux couleur caramel brûlé semblèrent se réchauffer. Il claudiqua jusqu'à lui. Will se recroquevilla sur lui-même, incapable de résister à cette présence écrasante qu'il sentait vibrer contre lui. Son cerveau lui envoyait des signaux contradictoires qu'il ne parvenait pas à analyser, terreur et reconnaissance, amour et haine...

Cet homme grand, au visage acéré et d'une beauté glaçante, le subjuguait. Il se sentit transpercé par la violence des sensations. Il se laissa engloutir par les ombres liquides qui naissaient à la lisière de sa vision. Il lut pourtant la déception sur le visage de l'inconnu et une inquiétude qu'il dissimulait derrière un masque froid. Il devait attendre depuis longtemps son retour parmi les vivants pour faire une tête pareille.

oOoOo

Will ne s'éveilla qu'à la nuit tombée. A vue de nez, son t-shirt et ses draps avaient été changés. Il ne sentait plus la sueur âcre et le sang mais l'adoucissant et le savon. Il sentait quelque chose de différent sur son visage, il tâtonna pour découvrir la peau de son menton lisse et nette et un pansement qui couvrait sa joue droite. Un aftershave dont il ignorait la provenance embaumait la pièce.

- Je t'ai changé et rasé pendant ton inconscience.

Will ne répondit pas alors que son cœur battait la chamade sous la surprise. Il força sa vue en direction de la voix. Une ombre bougeait légèrement au rythme du bateau. Un souffle léger lui parvint lui apportant des odeurs complexes de mer, de café et de nourriture. Son estomac gronda férocement. Un bruit le renseigna sur l'activité de son hôte. Il s'approchait de lui, ses chaussures grinçaient sur le parquet. Will réprima un frisson, lorsque l'homme s'arrêta et se pencha vers lui. Il tendit la main vers son épaule pour l'aider à se relever. Cette main brulante marqua Will qui se redressa vivement, ignorant la douleur de son corps. Sa tête lui paraissait vide, si vide, comme incapable de penser.

Il ne connaissait rien de cet homme, ni son nom, ni leurs relations, ni leur passé. Mais il ne pouvait pas ignorer la manière dont il réagissait, un étrange mélange d'attraction et de répulsion, un sentiment qu'il ne parvenait pas à démêler. Il lui faisait confiance tout en craignant la trahison. Il le craignait tout en se sentant plus fort près de lui. Il se sentait proche de lui néanmoins, comme si son corps le reconnaissait comme amical.

- Je vais t'aider à manger si cela t'est nécessaire.

Will secoua la tête en dénégation muette. L'homme posa un plateau à pied au-dessus de lui, dans lequel se trouvait un bouillon de viande, du pain, des fruits. Will parvint à soulever sa cuillère qui lui paraissait d'un poids effrayant pour aspirer le liquide encore chaud.

Sa main lâcha la cuillère qui retentit dans le silence de la cabine. L'autre homme reprit le couvert pour la porter naturellement à sa bouche. Après un instant d'hésitation, Will ouvrit la bouche et avala le bouillon de viande. Un sourire ironique flotta sur les lèvres de l'homme qui le nourrissait. Il le regarda en biais, incapable de comprendre ce que cela signifiait.

Peu à peu, sa faim s'affaiblit et ses yeux s'alourdirent. Il eut de l'aide pour se rallonger confortablement. Au chaud, nourri et en relative sécurité, quelque chose l'avertissait de conserver le plus d'information pour lui tant qu'il ne savait pas à qui il avait affaire. Il comprit que son caractère le portait à la méfiance. Mais il avait besoin de savoir certaines choses. Il se força à le regarder dans les yeux en choisissant ses mots avec soin. La difficulté qu'il avait à mouvoir sa joue et la douleur le poussa à économiser ses mots.

- Où sommes-nous ? articula-t-il doucement. S'il te plait.

Il vit la position des épaules de son - comment l'appeler ? - son bienfaiteur se adoucir. Il comprit alors l'inquiétude dans la tension qui avait habité. L'homme s'installa mieux sur sa chaise pour le regarder attentivement pendant qu'il lui expliquait en quelques mots ce qu'ils faisaient sur ce navire.

-Si tu le souhaites... Nous sommes sur le Blue Perrot, un yacht appartenant à un riche Ukrainien. Il ne nous causera pas d'ennui, dit-il avec un sous-entendu qui fit ourler sa lèvre supérieure d'un sourire carnassier. Tu as besoin de temps pour te remettre de tes blessures, reprit-il, d'une voix plus douce. Ce voilier nous permettra de voyager en toute impunité pendant ta convalescence. Notre convalescence, ajouta-t-il d'un ton plus bas, rapprochant sa tête de celle du blessé.

Will sentit qu'il partageait ici quelque chose dont il n'avait pas connaissance. Ses souvenirs ne parvenaient pas à briser la brume qui engourdissait son cerveau. Mais pour rien au monde, il ne laisserait cet homme le découvrir. Il sentait qu'il y avait plus que de la connivence entre eux. Quelque chose les liait définitivement l'un à l'autre et tant qu'il ignorerait ce lien, il ne pouvait comprendre et lui faire confiance. Entièrement. Il devait comprendre la raison de cette fascination. Il eut brutalement peur de ce que cela allait révéler sur lui-même.

Son comparse, faute d'autres mots pour le définir, sembla se rendre compte de son inconfort. Il se releva avec une grâce fluide que Will ne put s'empêcher de remarquer. Il se déplaçait comme un animal magnifique, habité par une indéniable vitalité malgré ses propres blessures. En effet, Will avait noté un boitillement et une raideur au niveau des reins.

- Will, est-ce que tout va bien ? demanda-t-il de cette voix chaude qui s'enroulait autour des lobes cérébraux du blessé qui ne savait comment résister à cette séduction inattendue.

- je... je ne sais pas, dit-il avec une certaine réticence, tentant d'échapper à ses yeux inquisiteurs et concernés.

- Ressens-tu une douleur précise ? Un inconfort quelconque ?

- Je ... il faut que j'aille aux toilettes. dit Will en se demandant anxieusement comment il avait bien pu faire pendant ses quelques jours d'inconscience.

Il capta le regard de l'autre, franc et ouvert et comprit qu'il s'était véritablement chargé de lui. Un ami, c'est un ami, se dit-il, mais pourquoi alors ai-je une telle difficulté à lui parler ? Pourquoi ne puis-je lui dire que je ne me souviens pas de lui ? Et que je ne sais pas ce que je fais ici ?

- Je vais t'assister. N'hésite pas à t'appuyer sur moi.

Sa main se posa sous son aisselle et Will trembla, comme s'il avait de la fièvre. Le trajet jusqu'aux commodités fut horriblement long et douloureux et le retour au lit le laissa totalement épuisé, incapable de répondre aux questions de son... infirmier? - questions qu'il sentait tout autant informulée que formulée. Il se méfiait des sous-entendus qu'il décelait mais ne comprenait pas.

Cet homme le connaissait visiblement depuis un certain nombre d'année et en retirait une certaine familiarité. A moins que ce ne se fut tout autre chose. Will envisageait maintenant que l'homme soit plus qu'un simple ami, un compagnon peut-être quand le sommeil le prit brusquement. Il ne sentit qu'une main lentement ramener la sienne sur les draps et la serrer un peu plus longuement que ne le voudrait une simple amitié. Il sombra dans les limbes d'un sommeil agité de rêves complexes et dramatiques qui lui laissèrent une impression fugace et un nom.

oOoOo

Il marchait dans une prairie d'un vert printanier en direction d'une forêt sombre et tumultueuse, suivant une rivière qui courait tel un filet d'argent. A mesure qu'il avançait, le ciel d'un bleu pimpant se teintait de violet et de rouge, de gris et de sang où miroitaient des éclats onyx. Curieusement il n'éprouvait aucun peur à marcher sous les frondaisons violemment secoués par un vent chaud et humide à l'odeur de cuivre. Il marchait à pas lent comme s'il savait ce qu'il faisait ici, comme s'il était attendu de toute éternité.

Un être étrange, homme animal aux bois lourds implanté sur l'os du crâne le contemplait d'un regard perçant. Il s'approcha encore, montrant ses mains, couvertes d'un sang noir, brillant à la lumière de la lune. Il savait qu'il souriait, et que l'autre le regardait intensément, comme acceptant l'offrande à un dieu païen. L'être s'approcha et toucha du front le sien.

Will s'éveilla avec un nom sur les lèvres. Hannibal. Il haletait comme au sortir d'une course, sa peau ruisselait de sueur alors qu'il faisait l'effort, un effort surhumain pour se souvenir. Pour comprendre qui était cet Hannibal pour lui. De rage, il frappa les draps, se fit mal et gémit, toute fureur évanouie. Il choisit de se redresser et de se lever pour se passer de l'eau sur le visage. Le moteur du yacht grondait légèrement, il jeta un coup d'œil par le hublot pour découvrir une côte qui se rapprochait peu à peu. Les lumières d'une ville découpaient nettement la côte alors que le soleil se levait et ensanglantait les flots.

Il se découvrit dans la salle de bain, ce qu'Hannibal - qu'il était heureux de pouvoir désormais mettre un nom sur ce visage- ne l'avait pas laissé faire la veille. Il comprenait mieux la raison en découvrant le pansement taché de sang qui lui couvrait la joue droite et les hématomes qui marbraient ce qui restait visible. Il nota également une cicatrice qui lui barrait le front. Les yeux injectés de sang, les cheveux gras plaqués au crâne, il se trouva laid et épuisé. Une véritable épave.

- Je dois changer tes pansements, entendit-il de cette voix à la fois souple et dense, profonde, qui agissait comme un baume sur les oreilles sensibles du blessé. Je te prie de bien vouloir retourner à ton lit.

Habillé comme un marin d'un pull de grosses mailles grises et d'un pantalon noir, l'homme apparut derrière lui à travers le miroir. Il ne l'avait pas entendu approcher. Will sentit un morceau d'un rêve, un souvenir peut-être, remonter comme une bulle de savon. A peine effleurée, elle se dissipa en laissant seulement une odeur particulière derrière elle. Une odeur de feu de cheminée. Ses cheveux était blonds, striés de gris, brillant de propreté. Ses yeux ambrés cherchaient à lire dans les siens. Will évita son regard et se retourna pour sortir de la petite pièce. Il perdit légèrement son équilibre à cause du roulis et s'appuya sur son épaule. Un courant électrique passa entre eux, comme un échange muet d'informations, leurs yeux accrochés l'un à l'autre, captifs l'un de ses souvenirs et l'autre de leur absence.

Will retint sa respiration et se détourna avant d'agir inconsidérément. Il ne vit pas alors le froncement de sourcil et la lueur interrogative qui passa dans les yeux de l'autre homme. Le cœur du blessé battait si fort que le sang rugissait à ses oreilles. Il déglutit rapidement pour passer l'envie qui venait de le saisir aux tripes. Il avait eu envie de l'embrasser, de perdre le souffle dans une étreinte qui l'appelait. De l'embrasser ou le frapper. Il ne savait pas. Il battit retraite jusqu'à son lit. Son genou le lançait encore, mais la douleur restait supportable tant qu'il se déplaçait lentement. Il aurait peut-être besoin d'une béquille pour soutenir son poids.

- Nous n'avons pas encore parlé de cette nuit-là, articula soigneusement Hannibal en retirant les bandages de son visage.

L'homme aimait choisir scrupuleusement ses mots, se dit Will en grimaçant sous la douleur des soins. Mais que dire de cette nuit-là ? Quelle nuit ? Il n'en avait aucune idée et le regard dont il le couvait pouvait signifier tant de choses. Il ne pouvait que s'interroger à l'heure où ses souvenirs le désertaient. Avait-il réellement une relation avec Hannibal ? Que savait-il de lui ?

- Que veux-tu dire, demanda-t-il prudemment, regardant ailleurs, en direction de la côte qui se profilait.

- Dolarhyde est mort, nous sommes morts aux yeux de tous et nous sommes ici ensemble.

Il appuya particulièrement le mot ensemble. Troublé, Will détourna la tête vers les lignes du paysage. Il ne comprenait pas la situation, ce qu'Hannibal lui disait ou souhaitait lui faire comprendre. Il ne savait pas ce qu'il ressentait et l'ignorance le hérissait. A cela, s'ajoutait la douleur brûlante de sa joue que l'homme triturait. Il ne savait pas à quoi cela ressemblait mais évita de toucher de la langue les sutures intérieures. Son caractère devait être moins doux qu'il ne le pensait car mis en difficulté, il sentit devenir hargneux comme un chien acculé.

- Où allons-nous ? demanda-t-il d'une voix dont il parvint à grand peine à maîtriser l'agressivité.

Son esprit s'affolait, analysait le peu qu'il comprenait. Qui était Dolarhyde ? Son nom n'évoquait rien de plus qu'un goût cuivré dans la bouche.

- Le Canada puis la Lituanie, à moins que tu aies une autre destination en tête.

Pourquoi la Lituanie se demanda-t-il et son interrogation fut sans aucun doute visible pour l'homme qui le dévisageait librement.

- J'ai besoin de retourner à mes racines, dit-il un peu ombrageusement, comme vexé de devoir s'expliquer.

Comme s'ils étaient suffisamment proches, comme si Will connaissait suffisamment ses secrets pour ne pas avoir à les prononcer. Le blessé se reprit. Il ne voulait pas que Hannibal découvre qu'il n'avait aucun souvenir de lui ou de leur supposée relation. Il fallait qu'il puisse réfléchir à tout cela, sans être dérangé par les yeux caramel qui ne le quittaient jamais.

- Je comprends, mentit-il avec conviction, ce qui lui parut bien trop aisé, comme s'il en avait l'habitude, une habitude dont il ressentait l'amertume dans sa bouche. Dolarhyde est mort. C'est donc pour cela que nous naviguons vers la côte? demanda-t-il un peu agressif. Pour nous faire prendre ou pour nous rendre ?

Il voulait qu'il parte, qu'il le laisse réfléchir et comprendre la situation en fonction des éléments dont il disposait. Il l'affrontait, une peur insidieuse au creux du ventre, sans en connaître la raison.

Il comprenait surtout qu'ils fuyaient tous les deux. Qui ? La police sûrement. Et pourquoi ? S'il était un personnage de roman, c'est à ce moment-là qu'il rechercherait des réponses, provoquerait le destin. Mais il ne savait pas qui il était. Seulement un ami de l'homme mystérieux qui se tenait à ses côtés. Ce dernier se déplaça vers lui en un éclair et attrapa précautionneusement son visage entre ses grandes mains.

Will réprima un nouveau frisson en les découvrant si chaudes et si douces. Son visage ainsi encadré n'était qu'à quelques centimètres de l'autre et il sentait son souffle caresser sa peau. Il détailla les traits de son visage si particulier, les yeux en amande qui enfermaient des prunelles assombries par des ténèbres secrètes. Il ne voulait pas les connaître. Il ne voulait pas savoir. Il refusait qu'il lui impose le résultat de ses actes passés. Il ne bougea pas, incapable cependant de se détacher de lui. Il le vit se mordre les lèvres comme soucieux de garder son contrôle sur une situation qui leur échappait à tous les deux, sur des sentiments dont il ignorait tout.

- Nous n'avons aucune raison de nous rendre, dit Hannibal en le relâchant finalement, comme vaincu par son absence de réaction. Et nous ne ferons pas prendre. Personne ne peut soupçonner que nous sommes encore en vie. Que t'arrive-t-il Will, regrettes-tu de m'avoir choisi ? Je ne te reconnais plus. Regretterais-tu de ne pas être mort ? Il ne tient qu'à toi de remédier à cela. N'oublie pas, cependant, que le suicide est l'ennemi. C'est toi qui as choisi de nous précipiter dans l'abîme. C'est toi qui t'es accroché à la vie. Aurais-je dû te laisser sombrer ? Aurais-je dû renoncer à toi ?

Will le regarda stupéfait, l'homme qui paraissait si froid, si sûr de lui était véritablement blessé. Ses yeux brillaient à présent d'un éclat sanglant.

- Will, nous avons tué le dragon rouge ensemble. Nous avons survécu ensemble. Nous avons un passé tumultueux mais ne te serait-il pas possible de passer outre ?

Sa tête si proche de la sienne lui donnait autant envie de l'embrasser que le mordre.

- C'est toi qui a choisi de me faire libérer, tu t'es, toi aussi, libéré. - Hannibal lui montra la trace de l'alliance à sa main gauche - Lorsque je t'ai vu devant moi, proposant ce plan impossible, sans anneau à ta main, à me demander "s'il te plait". J'ai accepté comprenant que tu m'avais choisi. Pourquoi faire marche arrière maintenant ?

Will tremblait, ignorant s'il devait lui dire ou non. Il fit son choix brutalement. Il devait le lui dire, ne rien garder pour lui alors que cet homme lui disait l'avoir suivi. Si Hannibal lui avait fait confiance, il pouvait lui retourner la politesse. S'il y avait besoin de politesse entre eux.

- J'ai perdu la mémoire. Je ne sais pas qui je suis. Je ne comprends rien à tout ceci.

-Will ... Murmura l'homme en plissant légèrement les yeux comme pour mieux le scruter

Comme pour scruter un éventuel mensonge. Qu'avaient-ils vécu ensemble pour qu'il se méfie de lui finalement ? Il s'éloigna de lui et lui fit signe de continuer à parler. Will se sentit légèrement soulagé par son aveu et par son éloignement. Sa présence était intoxicante, il la ressentait au plus profond de ses os.

- Je n'ai aucun souvenir, depuis, depuis que je me suis réveillé, enfin que je suis sorti de mon coma. Je ne sais pas qui je suis ni qui tu es. Je ne me souviens de rien. Je sais que je suis chanceux de pouvoir parler, d'avoir conservé un certain vocabulaire. Mais je suis ...

- Une page blanche, la chance de tout recommencer sans aucune trace des actes perpétrés, interrompit-il d'une une voix presque admirative en le percutant de l'ambre de son regard.

- Qu'ai-je donc perpétré ? S'inquiéta Will, en se redressant. Ai-je tué ce Dolarhyde ?

- Ce n'est pas le plus important, s'entendit-il répondre par son ami qui semblait pris par ses propres réflexions.

- Cela l'est pour moi, grogna Will, cela détermine mon existence. Mes souvenirs déterminent mon existence. Je ne me souviens de rien. Absolument rien.

- Il s'agit peut-être d'un mécanisme de défense. Cependant tu te souviens de moi, fit l'homme pensif en revenant vers lui. Me fais-tu confiance ?

- Tu es présent depuis mon réveil.

- Je peux être ton geôlier.

- Tu m'as soigné, veillé et nourri. Tu as pris soin de moi. Même si je suis ton prisonnier, j'ai de la valeur pour toi.

Hannibal sourit doucement et commença à lui palper le crâne d'un air circonspect, lui faisant bouger le cou en avant et en arrière, regardant ses sclérotiques avant de reculer. Il garda sa main sur son poignet, comme pour suivre son pouls. Il avait tout d'un médecin aux yeux de Will.

- Il n'y a rien de physique à première vue mais le cerveau peut subir des dommages sans effet physique. De plus, nous avons fait une chute phénoménale. C'est véritablement un miracle de s'en être sorti sans trop de dommage... Will nota le léger frémissement de sa main à la mention de la chute puis il l'entendit reprendre d'une voix calme.

- Peut-être est-ce la conséquence de cette chute ? Ou bien pouvons-nous envisager une hypothèse plus psychologique ? Cela pourrait indiquer une rupture de ta conscience afin de te protéger.

- Me protéger de quoi? Me défendre de qui ? Demanda Will, excédé. Hannibal, dis-moi qui je suis, dis-moi qui tu es. Ce que nous avons fait. J'ai l'impression que mes souvenirs sont là mais inaccessibles, dit-il en montrant son crâne, touchant le léger bourrelet cicatriciel qui le fit hésiter. Hannibal eut l'air inquiet.

Il se sentait mal et avait des difficultés à suivre ce qu'Hannibal lui disait. Lui avouer qu'il avait perdu la mémoire lui avait coûté plus qu'il ne l'aurait pensé. Un sourire mince étira les lèvres d'Hannibal qui lui semblait avoir pris une résolution. Will n'était pas sûr d'apprécier cette décision.

- Repose-toi, le sommeil est le meilleur des remèdes.

- Je fais des rêves, Hannibal, je ne sais comment les appréhender.

- Nous le ferons en temps voulu, n'aie crainte. Tu retrouveras qui tu es. Ais confiance en tes capacités. Je vais préparer notre repas. Viens me voir lorsque tu auras retrouvé un peu de calme.


A suivre ... ou pas à suivre... telle est la question du jour.