Note de l'auteur : Nuit un peu troublée, donc j'ai écrit. Je pense que cette histoire aura trois chapitres, un pour chacune des protagonistes. J'espère que cela vous plaira!

N'hésitez pas à me donner vos avis. Bonne lecture


Elles s'embrassent et pendant une seconde, juste une seconde, tu sens ton cœur se fêler. Juste une seconde. Donc, ça ne compte pas.

Tu reprends vite ta morgue. Ce n'est qu'un faux baiser, destiné à exciter, à provoquer. Tu le sais bien. C'est pour cette raison que lors de ces fêtes, sous les néons, tes lèvres frôlaient parfois celle d'une autre jolie fille… Tu l'embrassais, lui faisais perdre pied, et après, il apparaissait. Sublime, séducteur, parfait, comme toujours. Et elle finissait dans ses bras, dans son lit parfois. Tu le savais bien. Tu savais tout de lui, n'est-ce pas Cheryl ? C'est cela qui rend sa disparition si terrible. Sa mort. Sa trahison. Il ne devait pas mourir.

La colère t'embrase en silence. Donc tu te venges en utilisant ce que tu as devant toi. Des espoirs à briser... Mais tu te heurtes à une surprenante résistance. Pour une fois, le feu qui te hante s'incline. La glace gagne. Et la joie que tu vois dans leurs yeux te satisfait autant que l'humiliation que tu leur avais prévue. Ça te perturbe plus que tu ne l'aurais cru...

Le soir même, tu sors. Seule. Tu sembles vêtue de sang, tant le tissu rouge semble liquide et glisse sur toi. Le pouvoir de la soie. Tu t'étourdis, jusqu'à te sentir tournoyer, perdue dans les étoiles. Et là tu t'élances, et là tu danses, et là tu te sens vivante. Ta carapace craque, juste un peu, donc, ça.. Ça ne compte pas. Un regard t'attire, des yeux noirs, des sourcils ailes-de-corbeau-prêt-à-s'envoler, tu aimerais t'envoler aussi, alors tu t'approches. Veronica ne s'arrête pas de danser, tu ne sais même pas si elle te reconnaît. Des larmes dessinent des sillons sombres sur ses joues, et quand elle te frôle, tu sens que tu as les mêmes. Tu n'avais pas réalisé que tu pleurais. Tu danses contre elle, elle s'accroche autour de ton cou, vous n'êtes plus que deux dans votre bulle. Parenthèse. Quand vos lèvres se touchent enfin, tu ne sursautes même pas. C'était évident.

Un instant, tu regardes au dessus de son épaule, alors que tes mains caressent son dos. Tu t'attends à le voir, victorieux, l'emporter loin de toi, la marquer comme sienne. Et cette fois, tu te dis que peut être, tu ne le laisseras pas faire...

Mais il n'est pas là.

Il est mort.

Il est parti, pour toujours.

Il ne te contactera pas dans quelques semaines, le temps de s'installer. Le temps de trouver un emploi, pour lui, et Polly. Il ne te regardera plus, fier de toi. Il ne cherchera plus à te provoquer, en te volant celles qui accrochent ton regard, il ne cherchera plus à te faire voir cette facette de toi. Il ne te servira plus d'excuses. Tu es seule… Seule avec tes pensées, seule avec tes peurs, seule avec tes envies.

Le choc de la réalisation te fige. Veronica lève la tête vers toi, t'interrogeant du regard. Un frisson te parcourt, chacun de tes muscles se transmettant l'impulsion. La réalisation est douloureuse. Des aiguilles transpercent ta peau, tu recules pour éviter le contact. La musique, les voix, les respirations mêlées, agressent tes tympans les odeurs de fumée, de transpiration et d'alcool bon marché te donnent la nausée. Sortir. Tu dois sortir. Tu repousses la brune et tu t'enfuis vers la sortie en lui lançant un dernier coup d'œil.

Elle ne te suit pas. Elle reste immobile au milieu de la foule. Un spasme crispe son visage pâle, elle se mord la lèvre. Ton cœur rate un battement. Puis elle se détourne alors que tu pousses la lourde porte.

Une inspiration. Il est mort. Une expiration. Tu es seule.

La nuit t'enlace. La lumière orange des réverbères nimbe la ville de feu tandis que tu réalises vraiment ce que veut dire son absence. Ça veut dire que tu n'as plus ni protection, ni limites, et cette possibilité te terrorise. Tu réalises que tu te considérais comme déjà morte. Que vos visages se superposent encore dans ta tête. Que oui, tu te vois parfois avec le même cratère de chair pourrie. Que tu n'es plus Cheryl, la jumelle du formidable Jason, mais Cheryl-toute-seule. Bien sur que tu le savais. Mais là… Tu le réalises. Et c'est trop.

Tu erres dans les rues, vacillante sur tes talons trop hauts pour ton degré d'alcoolémie. Tu as froid, mais le sens-tu vraiment ? Tu te diriges vers la rivière, là où tu l'as vu pour la dernière fois. Là où il t'a embrassée sur le front pour te rassurer, là où tu as compris que vous alliez être séparés. Ça ne devait être que pour quelques semaines, une farce cruelle à jouer à vos parents et au monde entier. Au final, ça durera toute ta vie. Une sacrée erreur … Si tu ne l'avais pas aidé à se cacher, peut être serait-il toujours en vie. Malheureux mais vivant.

La rivière gronde, gonflée par les récentes pluies. L'automne est là. Tu t'avances sur la berge, retires tes talons, tes pieds s'enfoncent dans l'épais tapis d'épines de pin, avant de glisser légèrement sur les rochers blancs et lisses. Puis c'est l'eau, qui enserre tes chevilles et tente de te faire vaciller. Peut être que tu devrais la laisser faire...

Tu entends craquer derrière toi. Tu te retournes, perplexe. Une ombre te regarde, avant de s'avancer vers toi en tendant la main. Veronica t'a suivie finalement… Tu prends sa main, la serres à la briser, sans oser bouger. Tu baisses la tête, tes larmes roulent jusqu'à se fondre dans la rivière. Tu aimerais parler mais tu n'arrives qu'à trembler. Elle t'attire alors vers elle, et te prends dans ses bras.

Son corps est plus froid que toi, ça te surprend un peu. Tu te pensais glacée. Elle caresse tes cheveux épars, embrasse ton front, frictionne ton dos. Tu pleures sur son épaule, sans retenue, tandis qu'elle te murmure des phrases rassurantes dont tu ne saisis que la mélodie. Vous finissez par sortir de la rivière, toujours accrochées. Elle récupère tes chaussures, passe sa veste sur tes épaules. Vous rentrez sans un mot, main dans la main.

Ta maison est la plus proche, et bientôt, vous vous arrêtez devant le portail imposant des Blossom. Veronica te rend tes chaussures, tu lui rends sa veste. Tu avances ta main pour caresser sa joue, mais tu t'interromps. Et si elle ne voulait pas de ce contact ? Ce baiser, ces baisers, ne signifiaient sans doute rien, sauf peut être un peu de pitié pour la loque que tu es. Ses lèvres pourpres s'étirent en un sourire quand elle voit ton hésitation, et elle prend alors ta main pour la poser sur sa joue. Puis elle murmure, comme un secret..

« Je peux t'embrasser ? »