21 Mars 2017.
Hermione avait toujours eu une peur bleue des départs.
Déjà toute petite, les matins de grand voyage, alors que son père s'affairait à une démoniaque partie de Tetris pour faire rentrer tous les bagages dans le coffre de leur vieille Ford Anglia, elle courait se cacher, espérant que ses parents l'oublient là, l'autorisant à passer le reste de ses vacances lovée dans son lit avec pour seule compagnie la centaine de livres qui s'entassait du sol au plafond de sa chambre. Sans grande surprise, ils finissaient toujours par lui mettre la main dessus, et elle se retrouvait invariablement le nez collé à la vitre de la voiture, à regarder leur maison devenir de plus en plus petite à fur et à mesure qu'ils s'éloignaient, avant de disparaître totalement du paysage.
La main crispée autour de la anse de sa valise, Hermione retrouva la désagréable impression de tout abandonner derrière elle. Et pour la première fois de sa vie, c'était vrai.
A cette heure de la nuit, la gare était déserte. Quelques voyageurs traînaient encore, le regard vissé à la grande horloge, guettant l'arrivée de leur train. D'autres somnolaient sur des bancs, la tête posée sur leur valise. Les bruits de la ville lui parvenaient à peine. Une ou deux fois, le bruit lointain d'un klaxon la fit sursauter. Le reste du temps, le silence supplantait tout. Et cette nuit froide et sans bruit, ça avait le don de l'angoisser.
Elle leva les yeux vers l'affichage des trains. En petite lettres oranges, sa destination défilait en boucle sur l'écran noir : Paris - Nueva Lorca, départ : 01h16. A pas mal assurés, Hermione parcourut un enchevêtrement de tunnels souterrains avant de déboucher sur son quai où un train qui avait connu de meilleurs jours l'attendait, coincé entre la voie 9 et la voie 10.
Une goutte de sueur froide dévala sa tempe alors que ses doigts trituraient nerveusement la poignée de sa malle. L'espace d'une seconde, elle hésita à prendre ses jambes à son cou, arrêter le premier taxi qui passe et lui demander de l'emmener n'importe où. N'importe où, tant que c'est loin, s'il vous plaît. Est-ce que ça marchait vraiment, ce genre de chose ? Le type scène de film, où le chauffeur hoche la tête d'un air compréhensif en disant: Mais bien sûr, ma petite dame, avant de rouler au hasard jusqu'au lever du jour. Non, probablement pas. Dans la vraie vie, il la dévisagerait sûrement avec de grands yeux et lui demanderait gentiment de sortir de la voiture ou de lui donner une destination localisable par GPS.
Mais justement, elle n'avait nulle part où aller. C'est cette piqûre de rappel qui la poussa à mettre un pied sur la marche du wagon avant de s'y engouffrer totalement.
Les portes se refermèrent lourdement dans son dos et elle sentit une poussée de claustrophobie la gagner. Ses yeux tombèrent instinctivement sur la sonnette d'alarme du train et elle se vit, dans une hallucination orchestrée par l'angoisse, se jeter dessus, s'y agripper comme si sa vie en dépendait, ouvrir les portes à mains nues, sauter hors du wagon et courir comme une dératée jusqu'à ce que le train disparaisse du paysage. Ploc. Comme une bulle de savon au soleil, la pensée floue de son évasion se délita dans son esprit et elle rejeta l'hypothèse. Pas vraiment parce que l'idée était irrationnelle et dangereuse, mais parce qu'au fond d'elle, une petite voix couvrait le vacarme de sa peur, la rappelant à l'ordre : ce train, c'était sa dernière chance.
Le cœur au bord des lèvres, elle lissa les plis de sa robe, priant intérieurement pour que cessent les incontrôlables tremblements qui agitaient ses mains, et tenta tant bien que mal de donner à ses cheveux un aspect un peu moins chaotique. Rien à faire, elle sentait des boucles s'échapper de son chignon par dizaines pour venir chatouiller sa nuque. Un instant, elle eut envie d'attraper un ciseaux et de faire un carnage capillaire.
Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Il fallait qu'elle se calme, c'était pas vraiment le moment de se conduire comme une folle.
D'un coup d'œil circulaire, elle avisa le wagon. Le couloir était sombre, les lumières blâfardes, elle avança dans à pas feutrés, dans l'espoir de se trouver un compartiment vide. C'était la première fois qu'elle prenait un train de nuit. Tout ce qu'elle connaissait sur le sujet, elle l'avait lu dans des livres. Des voyages romantiques arrosées au champagne hors de prix avec demande en mariage à la clé. Des enquêtes sordides avec supplément secrets de famille et crime passionnel. Des contes de voyages traversant montagnes enneigées et plages paradisiaques. Ce qu'elle constatait, elle, c'est que ça n'avait pas grand chose à voir avec le train miteux dans lequel elle se trouvait. Elle en était là dans ses observations, quand un jeune homme tout sourire se planta devant elle. A son uniforme et casquette bleus, elle devina qu'il s'agissait d'un contrôleur. Une bouffée de peur la tétanisa et elle se retrouva paralysée, la bouche entrouverte.
Fais quelque chose, Hermione, fais quelque chose ou il va juste te trouver bizarre, se fustigea-t-elle mentalement.
« Bonjour ! », lança-t-il d'un ton guilleret avant même qu'elle n'ait le temps d'articuler quoi que ce soit.
Les yeux d'Hermione glissèrent jusqu'au badge doré épinglé à l'uniforme du jeune homme. Stan Rocade, lut-elle. Elle se fit violence pour reprendre son calme et lui offrir un sourire poli.
« Je peux vous aider, peut-être ? », demanda-t-il sans se départir de son sourire. « Si vous me montrez votre billet, je pourrai vous escorter directement jusqu'à votre cabine. »
« Non, non, merci, ça va aller, je vais juste... », murmura-t-elle, sans savoir où elle allait avec un début de phrase pareil.
« Je vous assure, je vais vous faire gagner du temps. Ce train, on s'y perd comme dans un labyrinthe. Laissez-moi au moins vous aider avec votre valise. »
Primo, elle ne voyait pas trop comment on pouvait se perdre dans ce genre de train. Un couloir, des numéros au-dessus des portes, c'était pas non plus une équation à huit inconnues. Mais surtout, elle avait envie qu'on les laisse tranquille, elle et sa valise. Elle avait déjà assez à faire avec la petite voix intérieure qui lui criait : dis-lui ! dis-lui que t'as pas de billet ! Tu ne sais pas mentir de toute façon ! sans qu'on vienne, en plus, lui proposer gentiment de porter sa valise. Stan la regardait toujours avec le même sourire, la main tendue. Le tic tac de sa montre résonnait dans la moiteur étouffante du train comme le compte à rebours d'une bombe.
Son silence était suspect, elle le savait bien. Il fallait répondre quelque chose, n'importe quoi.
« Vous saviez que les poissons rouges ont en fait une mémoire de plus de trois mois ? »
Dans les situations inconfortables, elle avait remarqué que balancer une information aléatoire aidait souvent. Non, pour tout à fait être exact, ça n'avait jamais été d'un quelconque secours mais c'était la seule parade qu'elle avait trouvé. Ça lui avait valu le surnom de Hermy-tête-de-pie quand, en CM2, Millicent Bulstrode lui avait demandé de quel garçon elle était amoureuse et que, dans la panique, elle avait répondu : tu savais que les pies mâles offrent de la nourriture aux pies femelles pour leur parade nuptiale ?
Heureusement pour elle, Stan Rocade n'avait rien d'une Millicent Bulstrode. Il se contenta de hocher la tête, pris au dépourvu, et de marmonner : « Ah, je ne savais pas. C'est très... intéressant. »
Il y'eut un instant de flottement avant que la jeune fille ne conclue par un bancal :
« Bon, ben, je vais y aller... Merci. »
Stan bafouilla une formule de politesse qu'elle n'entendit pas : elle s'était déjà éclipsée par le sas entre les deux wagons. Ce n'est qu'une fois arrivée dans un nouveau couloir qu'elle prit le temps de reprendre son souffle et d'évaluer la situation. Personne rencontrée : une. Personne la prenant pour une folle : une. Un bon ratio pour quelqu'un qui essaye de se la jouer discret. Elle ne prit pas le risque de s'attarder un peu plus à découvert et après avoir rapidement inspecté le couloir, elle s'engouffra dans la seule cabine vide qu'elle trouva.
La pièce était spartiate, avec une arrière-odeur de renfermé. Des draps et des taies d'oreillers attendaient qu'on les installe sur une des quatre couchettes superposées qui composaient la cabine. Par la fenêtre, Hermione pouvait apercevoir la gare déserte et la trotteuse de la grosse horloge qui continuaient inlassablement de faire le tour du cadran.
Méthodiquement, la jeune fille rangea sa valise sous un lit, installa draps et taie, enfila une tenue plus confortable, se hissa sur le lit du haut et éteignit la lumière. Allongée sur le ventre, le menton calé sur les bras, elle contempla le paysage qu'elle s'apprêtait à laisser derrière elle : les lampadaires qui éclairaient d'une lueur pâle les pavés de la gare, le chat errant qui louvoyait près des poubelles, la fille étendue sur le banc, qui pianotait sur son portable, et la silhouette pressée d'un homme qui se dépêchait de rejoindre le train. Sans qu'elle ne sache pourquoi, elle se sentit écrasée par un brusque sentiment de solitude. Elle aurait peut-être dû rester en Angleterre, reprendre son boulot, se trouver un nouvel appartement. Elle aurait peut-être dû se forcer. Retourner au restau chinois qu'elle aimait bien, en bas de chez elle. Acheter un livre au hasard et aller le dévorer au Parc des Lilas, comme avant. Inviter Neville à prendre un verre, depuis le temps qu'il lui proposait. Avec Dean et Seamus, pourquoi pas ? Peut-être que les choses seraient rentrées dans l'ordre si elle s'était donné la peine d'insister.
Elle repensa à Londres. Au ciel gris. Elle se vit toute seule, dans son appartement vide. Son répondeur qui clignotte. Et le temps qui passe. Lentement. Minute après minute.
Non. Elle avait pris la bonne décision. Le train se mit lentement en branle, cahotant sur les rails, d'abord, puis filant à toute allure. Les ronrons métalliques la bercèrent et elle sombra dans un sommeil sans rêve.
~o~
Clac. La porte de la cabine s'ouvrit en grand. Hermione cligna des yeux, sonnée, avant de remonter la couverture jusqu'à son nez. Une silhouette se découpa dans la lumière du couloir, puis la porte se referma dans son dos et ce fut le noir total. Tétanisée, elle hésita sur la marche à suivre. Rester là en espérant que celui qui venait d'entrer ne la voit pas ? Signaler sa présence d'un toussotement ? Ou carrément, allumer la lumière et se présenter ? Elle se sentit soudain fragile et sans défense, là, seule dans le noir, avec un inconnu dans sa chambre.
Elle n'eut pas le temps de tergiverser que la lumière s'alluma. Ses yeux papillonnèrent d'eux-mêmes, éblouis, mais elle n'osa pas bouger. C'est à peine si elle s'autorisait à respirer. Quelque part, au fin fond de son cerveau, elle se rendait bien compte qu'elle avait l'air ridicule et bizarre. Bizarre, surtout. Au pire, elle pouvait toujours faire semblant de dormir. Personne ne tenterait de la réveiller, si elle était endormie. Elle ferma les yeux, fort.
« Qu'est-ce que tu fais là, toi ? J'avais réservé la cabine entière. »
C'était une voix d'homme. Une voix qui lui noua l'estomac. Elle eut envie de se cacher sous les draps et d'attendre que l'inconnu conclue qu'elle était folle et qu'il s'en aille sans insister. Mais ça n'avait pas de sens, elle le savait. Réunissant tout ce qui lui restait de courage, elle se releva et pencha la tête par dessus son lit. Le souffle lui manqua soudain et elle crut partir à la renverse.
Là, debout dans le compartiment, les bras croisés, se tenait Drago Malefoy. L'exécrable, l'insupportable, le détestable Drago Malefoy. Celui même qui s'était appliqué à lui rendre la vie infernale pendant toutes ses années étudiantes, qui avait passé sept ans à se moquer d'elle, de ses notes, de ses cheveux, de ses habits, de ses amis, d'à peu près tout ce qui avait le malheur de la concerner de près ou de loin.
« Malefoy », cracha-t-elle.
Il haussa les sourcils, et elle réalisa avec effroi qu'il ne l'avait pas reconnue. Et c'est cette idée, plus encore que ces retrouvailles dont elle se serait bien volontiers passée, qui lui retourna l'estomac. Celui qui avait passé son adolescence à la sacrer comme souffre-douleur préféré, ne se souvenait même pas d'elle. Elle fronça les sourcils, les lèvres pincées, et le foudroya du regard. Un éclair de compréhension traversa les yeux de Malefoy et il pencha la tête, perplexe.
« Granger ? »
Cette intonation traînante, ce sourire narquois, ce sourcil haussé... elle se retrouva projetée quatre ans en arrière, assise au premier rang en classe d'arithmétique, à supporter les moqueries de Malefoy. A l'exception des cernes qui étaient venues souligner le gris de ses yeux, il n'avait pas changé. Elle ferma les yeux, lentement, compta jusqu'à dix dans l'espoir de retrouver son calme. Ou de réaliser qu'elle était juste en train de faire un mauvais cauchemar et se réveiller dans un wagon vide. Ça n'eut aucun des deux effets escomptés.
« Je vais répéter lentement, pour être sûr que tu comprennes bien la question », articula-t-il alors qu'elle gardait toujours les yeux fermés. « J'ai réservé les quatre lits couchettes. Alors qu'est-ce que tu fous ici ? »
« Y'avait pas d'autre place. »
Il plissa un oeil, pencha la tête sur le côté, comme s'il n'était pas tout à fait sûr qu'elle soit saine d'esprit.
« Mais ça, je m'en fous, moi. T'as bien un numéro de place sur ton billet, non ? Alors tu récupères gentiment tes affaires, tu sors de cette cabine et tu retournes dormir dans ton lit. Ou même par terre, dans le couloir, pour ce que j'en ai à faire. »
Elle déglutit difficilement avec la sensation inconfortable d'être en tort et de continuer à pousser le bouchon.
« Je peux pas. »
Le pouce et l'index pressés contre l'arête de son nez, il laissa échapper un long soupir avant de lever de nouveau les yeux vers elle.
« Granger, ne m'oblige pas à venir te chercher. »
Prise de panique, Hermione s'accrocha aux rebords de la couchette en secouant furieusement la tête. Il était hors de question qu'elle retourne dans le couloir, qu'elle prenne le risque de recroiser Stan. Elle était épuisée, à bout, et elle avait siphoné le peu de force et de courage qui lui restaient en prenant ce train. En partant, sans se retourner. Si elle se faisait expulser parce qu'elle n'avait pas de billet, elle se retrouverait sans ressource, sans rien. Et elle n'avait plus le cœur à vivre des aventures, à tenter le diable.
« Non. Je reste ici. »
Cette fois-ci, il perdit patience. Il fit un pas dans sa direction.
« Mais c'est quoi ton problème, à la fin ? A Poudlard, Madame-la-Préfète-en-chef nous piquait une crise quand un élève avait le malheur de se balader dans les couloirs dix secondes après le couvre-feu mais par contre, là, tout de suite, ça ne te pose aucun problème moral de t'incruster dans la cabine des autres ? »
Il fronça les sourcils, avant de les hausser, comme frappé par une illumination.
« Granger... Est-ce que t'es devenue folle ? J'ai toujours su que ça arriverait un jour ou l'autre, mais je t'aurais donné quelques années de plus. »
Sous le choc, elle lâcha la barre de sécurité de sa couchette, la bouche ouverte.
« Quoi ? Non ! Je ne suis pas folle ! C'est juste que... je ne peux pas aller ailleurs, ok ? »
Il fit une moue indignée.
« Ok ? C'est tout ce que tu trouves à me dire ? Donne-toi au moins la peine d'avoir l'air désolée, histoire que j'ai, ne serait-ce qu'une pointe de remords, en te foutant dehors. »
Elle s'enroula dans ses couvertures, assise en tailleur, et s'accrocha fermement à la rambarde, sa valise ramenée derrière son dos.
« Si tu veux me faire sortir d'ici, ce sera par la force. »
Le jeune homme la regarda cinq longues secondes avant de se passer une main sur le visage, las.
« Ok, elle est devenue folle », murmura-t-il pour lui-même.
Il posa sa valise sur un lit, ouvrit la porte de la cabine et se pencha pour observer. Il eut un tic nerveux, se passa l'index sur le sourcil droit avant d'abdiquer en refermant la porte. Il se tourna vers elle, le regard noir.
« T'as de la chance, Grangie. Il se trouve que je n'ai vraiment, mais alors vraiment pas envie de faire des histoires. Mais crois-moi, tu vas passer la pire nuit de ta vie. »
Elle ne dit rien, se contentant de soutenir son regard. Elle resta dans cette même position, assise en tailleur, le regard planté devant elle, bien après qu'il ait éteint la lumière.
Ne t'endors pas, surtout, ne t'endors pas. Pas avec ce malade à quelques mètres de toi. Ne t'endors pas. Lutte, se répétait-elle en boucle.
Elle réussit à ignorer les yeux lourds, les membres engourdis et les pensées brumeuses pendant quarante trois minutes. Puis, la fatigue eut raison d'elle.
~o~
Une désagréable sensation d'asphyxie la sortit péniblement des vapeurs du sommeil. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de les ouvrir tout à fait, crispa ses mains sur les couvertures, le souffle court, en réalisant où elle se trouvait. L'espace d'un instant, elle avait cru se réveiller dans son minuscule appartement Londonien, sur son vieux matelas bosselé par les ressorts. Elle mit quelques secondes à recouvrer son calme, clignant des yeux jusqu'à s'habituer à la lumière tramblottante accrochée au-dessus de leurs lits. Ce qui l'avait réveillée, c'était la fumée, âcre et épaisse, de la cigarette de Malefoy qui s'enroulait au dessus des couchettes en tourbillons brumeux.
Elle eut envie de l'assassiner. Du Malefoy tout craché. Quel genre de malade fumait dans les trains ? Il fallait vraimer aimer emmerder le monde pour se permettre ce genre de choses. Elle eut l'impression d'être de nouveau au lycée, de devoir réprimander un élève un peu trop poussif. Ils avaient vingt-deux ans, et pourtant, rien n'avait changé. Une idée l'angoissa soudain : la fumée était en train de ramper sur le sol, passant sous la porte de leur cabine. D'ici cinq minutes, Stan Rocade risquait de débouler pour leur coller une amende ou pire, les expulser.
Elle opta pour la prudence. Se penchant par dessus la rambarde de son lit, elle jeta un coup d'oeil au fauteur de trouble. Il était allongé sur le lit, les bras derrière la tête, la cigarette coincée à la commissure des lèvres, un oeil fermé pour le protéger de la fumée, le visage auréolé par la lumière de la veilleuse. Elle hésita une seconde à le déranger : il y'avait quelque chose de doux, dans son visage. Quelque chose qu'elle ne lui avait jamais connu auparavant. Un filet de fumée lui irrita l'oeil et elle oublia vite ses scrupules.
« Oh ! », l'interpela-t-elle.
Il tourna la tête pour croiser son regard. Ils se regardèrent en silence, elle penchée par dessus la barrière de son lit, lui allongé sur le sien.
« Quoi ? », demanda-t-il finalement.
« Ta cigarette. Éteins-la. »
Il saisit lentement sa cigarette entre son pouce et son index et dévisagea Hermione avec un sourcil relevé, alors que la fumée continuait de s'empiler au plafond.
« Tu veux pas te rendormir ? C'est nettement plus agréable pour l'un comme pour l'autre. »
Du coin de l'œil, elle aperçut la fumée tourbillonner près de la porte. Elle étouffa de justesse une quinte de toux. L'air de la cabine était chargé, lourd, s'infiltrant dans ses poumons, dans sa gorge, sur sa langue.
« Éteins immédiatement cette cigarette... Ne m'oblige pas à faire des choses que je regretterais... »
Il se fendit d'un ricanement narquois qu'elle trouva tout à fait détestable.
« Comme quoi ? Aller pleurnicher dans le bureau de McGonagall pour qu'elle me colle ? »
Un moment, l'idée de lui écraser sa cigarette dans l'œil lui parut être une option envisageable.
« Malefoy, éteins cette cigarette avant qu'on ne se fasse remarquer », murmura-t-elle entre ses dents. « S'il te plaît. »
« Ah... Miss Parfaite n'a pas la conscience tranquille, à ce que je vois... »
Elle le regarda, les lèvres pincées, alors qu'une boule d'anxiété remontait lentement le long de sa gorge. Une virulente bouffée de colère étira ses griffes en elle alors qu'il la toisait de son éternel regard moqueur, suintant de satisfaction ; la marque de fabrique des enfants capricieux qui s'attendent à ce que le monde se courbe docilement devant eux. Elle bondit hors du lit, se planta devant lui, les mains sur les hanches. Le regard du blond glissa lentement sur elle, des pieds à la tête, et un sourire en coin vint creuser une légère fossette, sous sa paumette gauche.
« Mais qu'est-ce tu cherches à la fin ? », demanda-t-elle à voix basse après avoir jeté un oeil par dessus son épaule pour s'assurer que Stan n'avait toujours pas fait son apparition. « Si c'est juste pour me donner une leçon, je t'épargne l'effort : j'ai compris, je suis désolée de m'être imposée dans ta cabine, et à la minute où je mettrai le pied à Nueva Lorca, tu n'entendras plus jamais parler de moi. Mais par pitié, balance cette cigarette avant de ramener tout le train. »
Il eut un bref sourire avant d'attraper sa cigarette entre le pouce et l'index.
« A tes ordres, petit génie. »
Et d'une pichenette, il envoya valser son mégot qui exécuta un arc de cercle parfait avant de finir sa course contre un rideau. Il fallut exactement quatre secondes au rideau en question pour s'embraser dans une flamme rougeoyante, brusque et violente. Lentement, le feu agrippa de ses doigts brûlants les draps posés au bout d'un des lits vacant, puis les couvertures. Il y eut trente secondes de latence, trente secondes durant lesquelles Hermione se contenta de fixer les flammes, bouche ouverte et yeux grand écarquillés.
Une vague de chaleur revint brusquement jusqu'à elle, et elle eut l'impression, au contraire, de recevoir un seau d'eau glacée en plein visage. Machinalement, elle recula d'un pas, les joues rouges, les yeux brillants, la lueur insoutenable des flammes imprimée sur les rétines. Réfléchir, surtout, ne pas perdre son sang froid. Ignorer la chaleur, le coeur qui vrille, la colère. Avant tout, récupérer sa valise avant que les flammes ne l'atteigne. Elle courut vers la fenêtre, s'accrocha à la tringle à rideau d'une main, un pied posé sur le cadre de la vitre, se hissa à hauteur de son lit, et récupéra sa valise sans toucher à l'armature déjà brûlante de son lit. Elle sauta au sol, prête à prendre ses jambes à son cou quand elle aperçut Malefoy se lever calmement, la contourner pour sortir sans même lui jeter un regard, tirer sur la manette d'arrêt d'urgence et s'éloigner de la cabine comme si la situation était tout à fait normale. Malgré la peur, elle ne put s'empêcher de l'observer, abasourdie. Elle se demanda s'il n'était pas devenu complètement fou, en quatre ans. Il n'avait jamais été particulièrement équilibré, c'est vrai... mais de là à faire cramer tout un train, dans lequel il était lui même passager, juste pour le plaisir de l'énerver, il y avait quand même un pas.
Il y eut un bruit sourd, le train ralentit en grinçant, envoyant Hermione au sol. Elle roula par terre, inspirant une grande goulée de fumée âcre. A quatre pattes, elle toussa, la gorge irritée, les yeux gonflés, chercha à tâtons sa valise. La seconde où ses doigts se refermèrent autour de la hanse, elle bondit sur ses pieds et quitta la cabine en courant. Appuyée contre le mur du couloir, la tête embrumée, elle inspira une grande goulée d'air frais. Dans le micro accroché au plafond, une voix éraillée crachota :
« Un incendie s'est déclaré dans le train, veuillez suivre les consignes de sécurité et évacuer les wagons dans le calme. Je répète, veuillez évacuer dans le calme. »
Le temps qu'elle reprenne ses esprits, le train s'était arrêté. Titubante, elle sortit du wagon. Une foule de voyageurs anxieux se pressaient les uns contre les autres, criant, apostrophant le contrôleur, réunissant le peu d'affaires qu'ils avaient réussi à embarquer avec eux.
La tête lourde, la bouche pâteuse, le pas chancelant, Hermione s'appuya contre le mur de la gare. L'air de la nuit lui ébouriffa les cheveux, et elle sentit la peur desserrer légèrement ses griffes.
~o~
Lorsque l'incendie fut finalement maîtrisé par les pompiers du village voisin, une heure plus tard, et que le wagon sinistré fut remplacé par un autre, les passagers, quoi qu'encore agités, remontèrent peu à peu. Hermione s'apprêtait à suivre le mouvement quand un vieil homme, les yeux encadrés par des lunettes aussi épaisses que des verres de loupe, lui barra le passage.
« Vous... », commença-t-il en épluchant le petit carnet qu'il tenait dans sa main droite. « ...d'après les témoignages recueillis, vous étiez dans la cabine qui a pris feu. Vous ne remontez pas dans le train. »
Il avait dit ça sur le ton de la conversation, comme on parle de la météo. Hermione sentit son pouls s'accélérer. Nauséeuse, elle regarda autour d'elle, cherchant des yeux Malefoy. A quoi elle s'attendait ? Lâche comme il était, il avait dû se faire la malle depuis bien longtemps. Elle voulut dire quelque chose, se défendre, mais le conducteur leva la main.
« La police nous attend à la prochaine gare. Vous imaginez bien que dans ce genre de situation, ils ont plutôt tendance à fouiner. Vous avez de la chance, j'aime pas les flics. Donc je vais gentiment fermer les yeux, considérer que c'était un accident et faire jouer l'assurance, mais vous avez plutôt intérêt à disparaître du paysage... fissa. »
Elle laissa glisser son regard du train, à la minuscule gare, et au-delà, la forêt. Prendre le risque de se faire emmener au poste pour un incendie dont elle n'était même pas responsable ? Ou se retrouver sans argent, sans nourriture, sans moyen de transport, perdue au milieu de nulle part ? Elle pesa le pour et le contre approximativement six secondes et joignit ses mains comme pour une prière.
« Je vous en prie, il faut absolument que je prenne ce train. C'est... c'est impératif. J'ai... C'était pas ma cigarette à moi, je ne fume même pas. »
Indifférent à ses supplications, le vieil homme haussa les épaules. Le sifflet calé à la commissure de ses lèvres émit un long hululement, et il disparut dans un lourd claquement de porte. Quelques secondes plus tard, le train s'ébranlait dans un panache de fumée blanche qui zébra le ciel noir d'une longue balafre. Sonnée, Hermione regarda le train s'éloigner, la gorge nouée.
C'est le ricanement de Drago, sans son dos, qui la tira de sa torpeur. Sans ça, elle aurait sûrement passé la nuit à fixer le virage piqué d'arbres derrière lequel le train avait disparu. Elle fit volte-face et jeta un regard meurtrier au blond, appuyé contre le mur de la gare. Avec désinvolture, il tira une cigarette de son étui en argent, fit claquer le clapet de son briquet et une flamme vint éclairer son visage d'une lueur vacillante avant de disparaître brusquement. Un court silence, puis un point rougeoyant illumina de nouveau son visage, suivi de près par une longue expiration noyée de fumée.
« Pourquoi... », commença-t-elle mais sa voix se brisa dans sa gorge. « Pourquoi t'as fait ça ? Qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu me pourrisses la vie comme ça ? »
« Tu t'es retrouvé sur mon chemin au mauvais moment. Pas de chance. »
Elle ouvrit la bouche, estomaquée par absence de culpabilité. Elle eut envie qu'un arbre s'arrache du sol pour l'écrabouiller, qu'un chien sauvage sorte des fourrés et lui arrache la jambe, qu'un piano tombe du ciel pour le réduire en miettes, qu'une tornade se déclenche soudainement et l'emmène à des centaines, des milliers de kilomètres d'elle.
« Je te hais », résuma-t-elle.
« Je sais. »
Il haussa les épaules, jeta sa cigarette au sol. Des poussières incandescentes illuminèrent un instant le sol dans un bouquet final d'étincelles avant de s'éteindre tout à fait.
« Sinon, tu peux toujours tenter d'aller jusqu'en Espagne à pieds. En pressant le pas, tu devrais y être d'ici quelques jours, si tu meurs pas de faim ou de fatigue entre temps. »
« T'es sérieux, là ? »
« Ou alors tu sautes dans le prochain train qui passe. Ça a l'air d'être devenu ton truc de monter dans les trains sans payer ton billet. Bref, amuse-toi bien. »
Il lui adressa un bref sourire et disparut à l'angle du vieux bâtiment de la gare. Elle étouffa un juron et courut pour le rattraper.
« Qu'est-ce que tu fais ? », soupira-t-il. « Tu me suis ? Je devrais peut-être m'inquiéter. T'étais déjà pas très saine, à l'époque, qui sait ce que t'es devenue entre temps ? »
« C'est toi qui m'as mise dans cette situation, tu me trouves une solution. »
« Je t'en ai déjà donné deux, des solutions. C'est quand même pas ma faute si tu fais la difficile. »
Elle fronça les sourcils et accéléra le pas pour rester à son niveau.
« Ah oui, tu me proposes de marcher jusqu'en Espagne... merci, super plan. »
« Content que ça te plaise. Maintenant, si tu avais l'obligeance de me laisser tranquille, on pourrait éviter le moment délicat où je suis obligé de t'attacher à un arbre pour avoir la paix. »
Elle se fendit d'une exclamation offusquée, avant de presser le pas pour calquer son allure sur celle du jeune homme. Sa valise balançait désagréablement contre sa cuisse et ses pieds la lançaient douloureusement dans ses escarpins... preuve, s'il en fallait une, que l'option de rejoindre l'Espagne à pied était strictement inenvisageable.
Il sortirent de la forêt et débouchèrent sur un minuscule village qui s'entortillait sur la colline en bouquet de toits bleus et rouges. Malefoy ne ralentit pas l'allure, l'accéléra au contraire, dirigeant ses pas vers le vieux bistrot qui occupait la moitié de la minuscule place principale du village. Chez Tonio, clamait la devanture peinte à la main. Les lampions qui y étaient hissés renvoyaient, sur les trottoirs, des lueurs dansantes, tigrées par l'ombre des vieux habitués qui finissaient leur verre en terrasse. Quatre vieux jouaient à la belote d'un air concentré, tandis que sur la table d'à côté, trois hommes en habits de travail, bâtis commes des armoires à glaces, étaient en grande discussion avec une jeune femme enveloppée dans un châle.
Hermione cligna des yeux, une fois, deux fois, trois fois, pour s'habituer à l'obscurité. Il y avait quelque chose d'inhabituel dans cette scène pourtant banale, une sorte de tranquillité paisible qui contrastait avec les battements erratiques de son cœur.
Le temps qu'elle embrasse la scène du regard, Malefoy l'avait devancée de trente bons mètres et s'était planté devant une voiture garée sur le bord de la place avant de toquer à la vitre. Le propriétaire de la vieille Simca rutilante sursauta en relevant les yeux de sa boîte à gants pour tomber nez à nez avec Malefoy, qui le salua d'un bref hochement de tête. L'homme hésita un instant avant d'ouvrir la porte mais s'y résigna finalement.
« Tu veux quelque chose, gamin ? »
« La voiture. »
L'homme éclata d'un rire si franc que sa casquette glissa de son crâne pour s'échouer à ses pieds.
« Tu manques pas d'air, toi. »
Sans prendre la peine de répondre, Malefoy ouvrit lentement sa valise et en tira deux liasses bien rangées.
« Dix mille euros pour ton vieux tacot. »
Le regard de l'homme passa lentement du visage sérieux de Drago aux deux liasses. Pris de court, l'homme passa une main sur son front ridé, jeta un œil à sa voiture, puis, de nouveau, à l'argent qui bruissait dans la brise nocturne.
« C'est beaucoup d'argent. T'as pas braqué une banque, au moins ? »
« Pour dix mille euros, je crois que je peux me payer le luxe de ne pas répondre à cette question. »
L'homme hésita, ses prunelles exécutant une dernière fois le trajet entre la Simca et les billets.
« Je veux pas d'histoires, moi. Si c'est des billets volés, tout ça... J'en ai entendu des affaires comme ça... Je veux pas d'hist... »
Malefoy le coupa d'un geste de la main.
« Ecoute. Je te propose dix mille euros pour une voiture dont même la casse ne voudrait pas. Je suis potentiellement un braqueur de banque, ou peut-être même un tueur à gage qui a décroché un gros contrat, qui sait ? Ou alors je suis juste un mec qui a gagné au loto et qui a décidé de faire une bonne action. La vraie question c'est : est-ce que t'es prêt à prendre le risque pour dix mille euros ? »
Le vieil homme lui jeta un regard abasourdi. Indécis, il tritura un instant le bouton de sa manche avant de pousser un long soupir.
« T'as pas vraiment la tête d'un mec à faire de bonnes actions mais après tout, qu'est-ce que ça peut bien me faire ? »
« Voilà, c'est l'idée. »
Le propriétaire de la voiture se pencha, ouvrit la boîte à gants pour en tirer son coffret à cigare avant de sortir de la Simca. Il hésita une dernière fois, regarda autour de lui et empocha l'argent.
« Elle est à toi. Je t'ai même fait le plein, ça vaut bien cinquante balles de plus, non ? »
Drago s'installa côté conducteur, jeta sa valise sur le siège arrière.
« Je ne crois pas, non », répondit-il froidement. « Je t'aurais volontiers filé mille balles de plus si t'avais eu la décence de mettre le volant du bon côté. »
Il claqua la portière sur le rire sonore du vieil homme qui s'éloigna en lui faisant un petit signe de la main. Aussitôt, Hermione s'accrocha à la portière. Elle avait l'air plus hystérique que jamais avec ses longues boucles s'échappant de son chignon en pagaille, et ses yeux grands écarquillés.
« Emmène-moi en Espagne », tenta-t-elle. « T'y vas aussi, de toute façon. Une passagère en plus, je vois pas le problème. »
Il s'accouda à la fenêtre, un sourire moqueur aux lèvres.
« Le problème c'est toi, Granger. Très franchement, je préférerais me faire piétiner par un cheval plutôt que devoir souffrir ta compagnie pendant plus de dix heures. »
Elle fulmina, les sourcils froncés, les lèvres pincées.
« C'est de ta faute si j'ai été expulsée du train, je te rappelle. »
« Ah, parce que c'est de ma faute si t'avais pas de billet ? »
Elle ouvrit la bouche, prise de court, mais la referma aussitôt. Non. Malgré le nombre incalculable de choses qu'elle avait en stock à lui reprocher, ça, ce n'était décemment pas sa faute.
« D'ailleurs, pour une fille qui a passé sa scolarité à prêcher le respect des règles comme une missionnaire fanatique, je te trouve soudain bien négligente. »
Leur regard se croisèrent un instant, et elle décela dans le gris de ses yeux la satisfaction de la voir prise au piège. S'il y avait bien quelque chose qu'elle abhorrait, c'était de dépendre de quelqu'un, de ne pas pouvoir se débrouiller toute seule, de ne pas être capable de se sortir de l'impasse grâce à une équation savamment réfléchie. N'importe quelle solution miracle aurait fait l'affaire. Mais elle avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, elle n'avait pas l'ébauche d'une alternative. Rien. Elle était coincée au beau milieu de nulle part, sans argent, sans transport, et chaque minute qui défilait la rapprochait du moment fatidique où elle ratait sa correspondance à Nueva Lorca et voyait le train s'éloigner sans elle. Elle se mordit l'intérieur de la joue pour se retenir de hurler. Il fallait que ça tombe sur Malefoy, bien sûr. Que sur sept milliards d'êtres humains, son seul recours possible, ce soit lui. Dire qu'elle n'avait pas de chance était un gentil euphémisme.
Elle soupira, et opta pour un changement de tactique.
« Je te demande un seul minuscule service, Malefoy. »
Une lueur amusée réchauffa un instant les iris polaires du jeune homme.
« Ecoute Granger, il n'y a rien sur cette terre qui me procure plus de plaisir que de t'entendre m'implorer de la sorte, mais je suis assez pressé... donc si tu pouvais lâcher cette voiture et me laisser partir, ce serait vraiment gentil de ta part. »
« Non. »
« Non, quoi ? »
« Non, je bougerai pas. »
Il se fendit d'un rire qui l'exaspéra au plus haut point.
« Le problème c'est que tu crois sincèrement que j'hésiterai à te rouler dessus s'il le fallait. Je veux juste t'éviter une fin qui fera les gros titres des faits divers de tous les journaux du coin. »
La mâchoire de la jeune fille se crispa, elle serra les poings sur la portière pour se retenir de les lui coller dans la figure. A cet instant, elle aurait vendu sans scrupules père et mère pour pouvoir, elle, rouler sur Malefoy. Le bruit d'un briquet qui s'allume, au loin, attira son attention. Elle détourna un instant le regard et le laissa vagabonder jusqu'à la terrasse du bar où les habitués continuaient leur soirée sans se douter de ce qui était en train de se jouer à quelques mètres d'eux.
Ting ! Une petite ampoule s'alluma dans son cerveau, quelques détails lui revinrent en mémoire pour former une ébauche de plan. Malefoy qui voyage seul. Une mallette remplie de billets. Una voiture achetée à la va-vite au fin fond d'un village. Quelque chose là-dedans lui suggéra que le Serpentard n'avait pas vraiment intérêt à attirer l'attention sur lui. Elle ferma les yeux, poussa un long soupir, desserra les poings et laissa ses doigts courir sur le rebord de la fenêtre.
« Malefoy, s'il te plaît. Je te le demande en amie. »
Il éclata de nouveau de rire, et elle profita de son inattention pour faire coulisser la bague ancrée à son annulaire gauche, qui glissa le long de la portière avant de se perdre sous le fauteuil du conducteur.
« Tu es plus drôle que dans mon souvenir, Granger, je t'accorde ça. »
Il remonta la vitre, et elle retira de justesse ses doigts. Le moteur de la voiture vrombit alors qu'il allumait le contact. Elle contourna la voiture en courant, se plaça devant le capot, inondée par la lumière des phares, prit une longue inspiration avant de s'époumoner :
« Je bougerai pas de là tant que tu ne m'auras pas rendu ma bague, espèce de malade ! Rends-moi-ma-bague ! »
A travers la pare-brise, elle croisa le regard de Malefoy. Ses doigts pianotaient sur le volant en cuir de la Simca. Il alluma une cigarette d'un geste nonchalant, la cala à la commissure des lèvres. Le moteur vrombit une nouvelle fois alors qu'il jouait avec la pédale d'accélérateur. Ses lèvres articulèrent silencieusement « Bouge. » Elle déglutit difficilement. Ce malade était capable de l'écraser, elle n'avait aucun doute là-dessus. Pourtant, elle ne bougea pas, plaqua ses deux mains sur le capot, sentit le moteur gronder sous ses paumes.
Au bar, les vieux avaient arrêté leur belotte, le tenancier était sorti pour observer la scène, appuyé contre la porte de l'établissement, et les trois hommes et la jeune femme avaient cessé leur conciliabule. Elle y était presque.
« Qu'est-ce que tu comptes faire ? Tu vas m'écraser, c'est ça ? », cria-t-elle. « Tu vas me tuer, hein ? Après m'avoir volée, tu vas me tuer ? »
Les yeux de Malefoy roulèrent au ciel, exaspérés. Au bar, deux des trois hommes s'étaient levés, hésitèrent un instant sur le trottoir avant de parcourir les quelques mètres qui les séparaient de la Simca. Malefoy les suivit lentement du regard, poussa un long soupir et de mauvaise grâce, il baissa la vitre à laquelle s'accouda un des hommes.
« C'est quoi le problème ? », demanda l'homme en jetant un regard suspicieux à Malefoy.
« Le problème c'est une fille hystérique accrochée à mon capot. »
C'était le moment. Discrètement, Hermione se frotta les yeux, arriva même à se tirer une petite larme en se pinçant très fort et contourna la voiture pour se planter devant les deux hommes.
« Il m'a volé ma bague », expliqua-t-elle, la main crispée sur le col de sa chemise. « C'est une bague en or serti d'un rubis. Elle est gravée d'un H et d'un R. »
Les deux hommes dardèrent un regard méfiant sur Drago qui haussa les sourcils.
« Je sais même pas de quoi elle parle. »
Les villageois s'échangèrent un regard circonspect avant de se pencher par la fenêtre de la voiture.
« Et votre valise, là, y'a quoi dedans ? »
« Rien qui vous regarde. Et sûrement pas une bague. »
« Vous l'ouvririez pas, qu'on vérifie ? »
Un sourcil haussé, Malefoy regarda tour à tour les deux hommes avec une moue si méprisante qu'ils reculèrent instinctivement. Il attrapa sa valise et la cala bien en sécurité sur le siège passager.
« Non, je ne l'ouvrirai pas qu'on vérifie », les imita-t-il. « Alors, on fait quoi, maintenant ? »
Un long silence tomba sur le petit groupe alors qu'ils s'échangeaient des regards en chien de faïence. L'homme qui avait démarré la conversation avec Drago finit par lâcher un « très bien » avant de plonger sa main dans sa poche pour en tirer un vieux portable.
« On va régler ça avec les flics, qu'est-ce que t'en penses ? C'est un pote à moi, il sera là en moins de deux. »
Les mâchoires de Drago se contractèrent, un pli vertical se forma entre ses deux sourcils. Et cette expression raviva un souvenir brusque, perdu dans les méandres de l'esprit d'Hermione. Dans un flash, elle revit Drago, en sixième année. Son blaser noir frappé d'un serpent vert. Sa disparition soudaine du Lycée et puis, son retour, deux semaines plus tard. Son air hagard. Ses sourcils froncés, et ce pli, anxieux, qui donnait à son visage un air perdu.
Elle se souvint d'un autre détail, infime. Il avait attendu qu'elle soit toute seule dans la salle de cours, avait claqué la porte avant qu'elle ne puisse sortir. Elle était restée sans bouger, sans parler, les poings flanqués sur les hanches, prête à parer l'attaque. Il l'avait dévisagée d'un étrange regard et avait soufflé : Fais bien attention où tu mets les pieds. C'est tout. Et il était parti en claquant la porte. Elle s'était demandé longtemps ce que ça voulait dire. Si c'était un avertissement ou un conseil. Une déclaration de guerre ou une demande de trêve.
Elle s'était demandé longtemps et puis elle avait oublié. Comme beaucoup de choses de cette époque-là.
« C'est bon. »
La voix de Malefoy la tira de ses souvenirs. Son regard polaire se fixa sur le sien et elle eut toutes les peines du monde à réprimer un frisson.
« T'as gagné », siffla-t-il en replaçant sa valise sur le siège arrière. « Monte. »
Elle ne se fit pas prier, agrippa la hanse de sa valise, ouvrit la portière côté passager et s'engouffra dans la voiture. Pour la forme, elle adressa un sourire poli aux deux hommes qui la regardèrent s'installer sans comprendre.
« Désolée, il doit s'agir d'un malentendu. Mais merci quand même. »
« Je ne comp... »
Drago n'attendit pas la fin de sa phrase et démarra dans une gerbe de poussière. Une main sur le volant, l'autre farfouillant à ses pieds, Malefoy sentit l'anneau sous ses doigts. Il le récupéra et le fit tomber sur les genoux d'Hermione.
« Tiens. Range ça avant que je sois pris de l'envie de te la voler pour de bon, cette fois », lâcha-t-il entre ses dents.
Elle eut un pincement au coeur de remords.
« Écoute Malefoy, je voulais pas en arriver là. Je suis désolée, c'est juste que... »
D'un geste sec, Drago alluma le poste radio qui grésilla un instant avant de crachoter un jazz crépitant dans l'enceinte de la voiture. Hermione récupéra sa bague et croisa les bras sur sa poitrine, la tête tournée vers la fenêtre.
Dehors, la lune lourde, ronde, pesait sur le ciel. Elle serra sa bague contre sa paume, et l'angoisse qui la suivait comme son ombre resserra un peu plus son étreinte.
Bonjour mes petits poissons !
Après une looooongue pause, me revoilà avec une nouvelle histoire. Une UA, cette fois. J'espère que cette nouvelle aventure vous emballera !
Merci à tous ceux qui ont suivi Les Jolies choses, qui m'ont reviewé avec tant de gentillesse, et merci à ceux (on croise les doigts, pour qu'il y'en ait) qui suivront cette histoire. N'hésitez pas à me laisser un petit mot, me dire ce que vous en avez pensé, ce que vous avez aimé, détesté, me parler de votre journée ou m'écrire des mots d'amour... Tout-ce-que-vous-voulez.
Des bisous par cargos entiers !
LM.