Dernier chapitre pour cette petite fic qui m'a bien plu à écrire, pour cette série qui m'a fascinée pendant de longs mois et dont je me languis de retrouver pour la saison 2 ! Merci d'être passé par là. En espérant que cela vous ait plu… Peut être y aura-t-il une suite aux aventures de ma créature. :)

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James tire le gamin du lit avec violence, l'attrapant par la chemise trop grande. L'enfant glisse et tombe sur ses pieds, puis il cavale devant le grand homme qui lui enserre la base du cou.

"Qu'est ce que vous lui voulez à la fin ?!" surgit Lorna sur le seuil de sa chambre, alarmée par le raffut des claquements de portes.

L'homme a dit avoir des affaires à régler avant de partir pour les quais. Mais il s'est d'abord enfermé dans son grenier maudit. Lorna l'a entendu farfouiller du même bordel qu'il fait la nuit. Elle est restée dans sa chambre, finalisant les derniers effets qu'elle souhaite prendre pour elle et Ryan qu'elle avait laissée encore dormir un peu, après sa nuit passée chez Helga.

James arrête son avancée furieuse au pied du dernier escalier menant à son antre. Il pivote rapidement emmenant la créature dans son mouvement qui baisse l'échine tenue par la seule poigne serrant ses cervicales tel un pantin fragile.

"Laissez la tranquille Delaney", somme la rousse furieuse mais surtout inquiète de l'état mental de l'homme.

Il a quand même été plus de douze heures torturé à la Tours de Londres et libéré il n'y a qu'un couple d'heures. Pour y avoir fait elle-même une visite, même plus rapide que ça, elle sait les traces, les plaies de l'âme, qu'un tel séjour peut laisser. Même sur un homme de l'envergure digne de celle du diable en personne.

"J'ai besoin de lui. De ses réponses, marmonne-t-il en la vrillant de son regard luisant. Je ne vais faire aucun mal à ton oisillon, n'aies pas peur.

- Tu auras affaire à moi, James… le menaçant de son index manucuré, sans gêne.

- Bien, ma Dame…" hoche-t-il la tête, sérieux.

Elle interroge du regard l'enfant une seconde qui articule un "Ca va aller" que Lorna déchiffre sur les lèvres pâles.

Ils reprennent leur avancée, sentant la poussée de la main puissante sur sa colonne, l'enfant grimpe les marches grinçantes d'une foulée deux fois plus rapide que l'homme sur ses talons.

Il pousse l'enfant une dernière fois avant de le lâcher enfin pour verrouiller la porte du grenier sombre.

"Dis moi où elle est, somme-t-il en s'approchant du môme, encore plus sombre et menaçant.

- J'en sais rien… baissant la tête, voyant les jambes tatouées se rapprocher encore.

- C'est que tu n'l'as pas cherchée…" gronde-t-il, le dominant de toute sa hauteur.

Le gamin regarde les cendres, les maquillages aux teintes criardes et les plumes, devant l'âtre crachant sa chaleur.

Puis il lève à nouveau ses yeux froids sur l'homme toujours à quelque centimètres, l'échine penchée au dessus de lui.

"Je vois les morts, explique James d'une voix d'outre-tombe. Ils chantent pour moi… comme fier de ce fait. Mais elle, elle n'y est pas. Elle ne chante pas. Elle n'est pas là. Toi, tu entends les vivants, révèle-t-il. Alors où est elle ?

- Tu ne vois que tes morts à toi, James, précise la voix cristalline. Tu pourrais, bien entendu, mais tu es trop obnubilé, trop focalisé par ta mèr…"

Il se penche soudain dans un soupir excédé, pour soulever le petit corps droit qui se raidit encore, d'un avant-bras rapidement passé sous ses maigres fesses.

Pressé contre le buste de l'homme, le gamin s'élève à plusieurs dizaines de centimètre du sol, alors que l'adulte avance de quelques foulées boiteuses pour venir le lâcher brusquement, tombant debout sur le matelas du lit.

L'enfant reprend son équilibre chancelant, posant ses petites mains, par réflexe, sur les épaules massives de l'homme toujours tout contre lui. Le gamin ne lâche jamais le regard bleu qui le vrille, cette fois leurs deux têtes à la même hauteur. A égalité.

"Trouve ma soeur...ordonne encore l'homme d'une voix sourde.

- Ton amante…" corrige l'enfant sans plus d'espièglerie, ni dans le regard ni dans la voix, cette fois lui aussi très sérieux.

James saisit la petite mâchoire frêle entre ses deux doigts fermes et glacés de fureur sur la peau tiède et étrangement pâle.

"Tu parles sans doute de trop avec Brace ces derniers temps… Ce vieux te met des idées bien trop indépendantes et révoltées dans la tête… Mais n'oublie pas que tu n'es pas davantage qu'une petite pute de négresse blanche… Alors fais bien attention quand même…

- Tu es ivre de brandy et ce, depuis des jours et des jours, Delaney… Donc cela te paraît évidemment plus louable de faire mine de prendre ta soeur dans une église ou plus sûrement dans son lit conjugal encore chaud, plutôt qu'une insignifiante esclave de dix huit ou même dix neuf ans, pas vrai ? Pour ce qui est de ma fonction de putain, ma langue ne tourne que sur le sexe des vieux messieurs et le plus souvent simplement dans leur bouche… Comme elle ne va pas tarder à finir bientôt dans la tienne…" le provoque le môme sans sourire, les yeux gris devenus plus froids et cinglants que de la glace.

James la pousse un peu en arrière en lâchant sa peau qui rougit déjà de la pression de ses doigts, et ne peut retenir ses dents de se desserrer légèrement sous la crudité des mots qu'il n'a jamais entendus dans la bouche de l'enfant. Sans doute parce qu'il perçoit une vraie femme, une adulte, là, devant lui, pour la première fois. Et elle est en rogne, très clairement.

Lâche prise, James Delaney, fait-elle résonner dans la tête de l'homme contre elle, alors qu'il ferme déjà les yeux, presque malgré lui.

L'enfant passe doucement une main sur la traînée de suie qui macule le côté droit du visage de l'homme, comme pour dissiper ses effets indésirables, frôlant la couture fraîche de son arcade fendue, le fil dépassant à peine de la peau un peu bleuie du traumatisme, sans même le faire frémir.

Puis l'index de son autre main suit encore la cicatrice sous l'oeil gauche. Elle fixe les paupières closes, voyant les yeux bouger à toute vitesse sous la peau fine comme lorsqu'on rêve. Mais James ne bouge pas, se laisse enfin faire.

Elle écarte les doigts pour parcourir le front soucieux et légèrement fiévreux, étendant leur exploration parmi les cheveux ras et tondus à la va-vite. Traçant les cicatrices chauves, trouvant sans mal les chemins sinueux de l'esprit de l'homme sous son crâne torturé.

Les petites mains frôlent, frottent, caressent et bercent lentement la tête enfin relâchée du grand homme.

Les voix sont là, partout. Autour, comme à l'intérieur de leurs esprits, de leurs oreilles à tous deux. Mais aucune n'est celle de Zilpha.

Toujours debout sur le matelas, à quelques frôlements l'un de l'autre, les yeux toujours fermés, James enlace sans un mot la petite taille de l'enfant, collant le corps minuscule au sien, leur peau séparées seulement de leur deux seules chemises de coton bleue et blanche.

L'homme penche la tête pour poser son nez contre la clavicule fine de sa créature qui pose ses bras tout autour de sa tête, le haut de ses coudes sur ses épaules larges, comme pour l'isoler de tout le monde qui les entoure, comme pour le protéger aussi de leur folie commune.

Elle pose sa joue au dessus de son oreille en ouvrant enfin les yeux, sentant le souffle chaud et alcoolisé de l'homme dans le creux de son cou. Elle sent la chaleur se répandre sous sa chemise, sur la peau frémissante de sa poitrine, jusqu'à son ventre plat.

Encore une seconde et l'homme s'écarte doucement, à peine. Les yeux bleus grand ouverts se plongent dans le gris de la créature, deux teintes liquides qui se mélangent. Elle relâche l'étreinte de ses bras lentement, lisant la perdition sans plus d'espoir dans ces yeux là.

Le bras de l'adulte reste serré contre la cambrure du bas de son dos et l'autre main vient se glisser autour de la mâchoire et de l'oreille pâles, attirant encore le visage du gamin pour l'obliger à s'approcher plus près, anéantissant sans mal la toute faible résistance qui crispe les petites cervicales qu'il sent au bout de ses doigts.

La paume chaude de l'homme sent l'articulation de la mâchoire s'ouvrir doucement alors qu'il pousse sa langue à l'intérieur de la petite bouche finalement accueillante.

James se cambre un peu, émettant un court râle sous la douleur que son mouvement réveille sur l'une de ses cuisses, la peau écorchée à vif, juste pour soulever de quelques centimètres encore, les petits pieds du matelas. Dans le même mouvement, les jambes graciles mais musclées se lèvent d'elles mêmes pour venir enlacer ses hanches hautes et solides. Les mollets fins entraînent vers le haut, les pans de la chemise bleue dans leur étreinte, frottant encore une fois contre le pansement de fortune fait par le médecin de la Tour de Londres, autour de la cuisse blessée. Puis l'homme bascule soudain en avant, étendant doucement le petit corps blanc sous lui, l'engloutissant lentement de sa masse bouillante d'alcool, de rage et d'envie.

Garde un fragment de mon âme au coeur de la tienne, répète la voix de Zilpha dans sa tête.

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Les barricades se mettent déjà en place quand Lorna arrive enfin sur les quais de l'Ile aux Chiens. Elle croise James avec qui elle échange quelques mots à peine. Il se contente de lui désigner le bâtiment de bois où elle court se réfugier. La petite est derrière elle et la suit comme son ombre. L'homme au chapeau et au grand manteau noirs ne lui a pas jeté un regard, invisible qu'elle est.

Les deux femmes pénètrent dans la bicoque sombre. Atticus toise une longue seconde la gamine habillée de cette robe, clairement trop grande qu'elle relève très haut pour ne pas se prendre les pieds dans la longueur de la jupe trop longue pour elle. Le violet profond du tissu et le foulard dans les mêmes tons, tout autour de la tête, contraste avec son teint de porcelaine. Suivant la rousse flamboyante, la petite créature s'engouffre par la porte du Dolphin. Cette silhouette, petite et encore tellement enfantine, ces quelques cheveux presque blancs qui passent au-delà de la coiffe de tissu, tout ça lui dit bien quelque chose mais il ne parvient pas à mettre le doigt dessus.

"C'est qui ça ?! demande-t-il à James qui passe près de lui.

- Qui ça ? regardant la porte du bâtiment se refermer. Personne. C'est personne", répond l'homme mystérieux en s'éloignant déjà, indifférent.

Les minutes passent, dans leur cage de bois. Lorna est inquiète, stressée et Ryan ne peut rien faire pour elle. Puis elles entendent Robert crier au dehors. La porte s'ouvre subitement sur Atticus.

"Tu restes derrière, tu as compris ?" recommande Lorna à la gamine une dernière fois.

Celle-ci hoche la tête en silence alors que la rousse empoigne le pistolet qu'elle tient nerveusement.

Puis tout le petit groupe se met à courir en file indienne. Le quai, le navire là-bas. On y est presque !

Sans réfléchir, Lorna tire sur un soldat rouge qui s'effondre, la laissant pantoise une seconde. La petite la fait vite reprendre ses esprits en la poussant à avancer jusqu'à l'embarcadère.

Tous montent à bord du grand navire, précipitamment. Godefroy, Pearl, Robert se mettent à l'abri comme ils peuvent. Lorna tire encore sur un soldat du quai, mais elle se fait toucher également, s'effondrant sur le pont. Pearl se penche vers la femme consciente qui regarde son oisillon lui prendre le pistolet des mains et le réarmer à l'abri du bord.

"On dirait que ça aussi tu l'as fait toute ta vie…" articule-t-elle fièrement à l'adresse de sa gamine qui lui sourit gentiment.

La jeune fille se redresse pour tirer une nouvelle fois sur un uniforme rouge qui vient à l'encontre des hommes là-bas, avant de croiser le regard perçant de James qui tourne la tête en direction du tir bienvenu. Il hoche la tête de reconnaissance, surpris de comprendre qui vient de leur ouvrir a nouveau la voie, avant de s'élancer avec Atticus et un colosse inconnu pour éclaireur.

Encore quelques tirs mais surtout beaucoup de fumigènes et le bateau prend enfin le large.

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James remonte de la cale où Lorna et Cholmondeley, le chimiste, semblent agoniser chacun à un stade différent.

"Elle va se remettre… déclare-t-il de sa voix basse, y camouflant toute son inquiétude.

-...

- Fais moi confiance, Gamin..."

Atticus vient vers l'homme appuyé contre le bastingage du pont, lui tournant le dos, entendant ses derniers mots, alors que Delaney se tourne lentement pour l'accueillir près de lui.

Le chauve se décale, indifféremment, comprenant que le capitaine du navire n'est finalement pas tout seul. Il penche la tête une seconde supplémentaire mais s'arrête immédiatement en apercevant le violet de la jupe qui flotte et frotte contre la jambe de James.

Il se redresse en fronçant les sourcils, alors qu'il n'ose formuler tout haut toutes les pièces désordonnées qui se mettent en place soudain dans sa tête. Peut-il s'agir vraiment du gamin très étrange que Delaney promène comme un diablotin ?

"Ca c'est du bon vieux rafiot... l'Amérique alors… ? demande Atticus, reprenant contenance et prise avec sa réalité.

- Non. Ponta Delgada, aux Açores. Il faut que je parle à un certain Colonade.

- Je croyais que la poudre était pour les américains… ?

- On est américains…"