Premier chapitre d'une longue histoire encore en cours d'écriture. J'espère que ça vous plaira, en tout cas je m'amuse bien à l'écrire.
Ceci n'est pas un UA, on retrouve nos deux frangins en train de chasser, parce que j'adore cet univers, tout simplement !
Disclaimer : les personnages de Supernatural ne m'appartiennent pas.
Chapitre 1 : Sur la route
Et le revoilà de nouveau.
Ce sourire. Ce beau sourire, croissant rayonnant de lèvres et de dents blanches. Yeux qui pétillent. Pommettes. Ils ont beau être de la même famille, Dean ne se reconnaîtra jamais dans le sourire de son petit frère.
« Tu veux bien arrêter de te marrer deux minutes et m'aider à me relever ? »
Sam rigole carrément à présent. Dean fronce les sourcils. Plutôt mourir que d'avouer qu'il adore ça quand son frère rit.
« Sam ! » le rappelle-t-il à l'ordre.
Trop tard, son pantalon, jusque là épargné, se recouvre d'une mixture écœurante de tripes et de sang. Le mélange dégouline abondamment de sa veste.
« Quoi ? C'est pas un peu de sang qui va effrayer le plus grand chasseur de tout les temps, si ?
-Le sang, non, mais je te préviens, c'est toi qui te tape le pré-lavage. Marre de toujours devoir nettoyer toute cette merde dans l'évier ! »
Les sourcils de Sam se lèvent, mélange d'étonnement et de sarcasme. Dean a sa dose. Il soupire et s'apprête à se lever quand la main de Sam se tend vers lui. C'est vrai qu'assit ainsi, sur les fesses et plein d'un sang qui ne lui appartient pas, il fait peine à voir. Enfin, cela pourrait aussi être effrayant. Mais pas pour les frères Winchester. La poigne de Sam est vigoureuse et Dean se retrouve sur ses pieds avant même de sentir la pression. Il s'empresse de se débarrasser de son habit souillé.
« Ma veste préférée putain. »
Dean a l'air tellement dépité que Sam le prend en pitié et se retient de le taquiner sur cet air de chien battu.
« C'était quand même un beau coup Dean, bien joué »
Et il l'étreint rudement, lui tapant dans le dos avec satisfaction. Un monstre de moins dans le monde, c'est toujours ça de prit ! Dean cligne des yeux, serré contre le torse de Sam, il se sent plus petit que jamais. Ça ne lui plaît pas plus que ça, cette sensation de faiblesse. Il se dégage un peu rapidement.
« Non mais tu as vu cette pouffiasse ! Il a fallu qu'elle se vide sur moi ! Beurk.
-C'est une harpie Dean, enfin c'était. Tu t'attendais à quoi ?
Puis avec un sourire moqueur : Finalement ça ne doit pas te changer tant que ça. »
Dean est trop fatigué pour trouver une répartie bien sentie.
« Ouais c'est ça. Allez on rentre, ça suffit pour aujourd'hui. »
La chambre du motel est sombre. L'ampoule au dessus du lit cassée. Un cafard se sauve derrière la cuisinière. Le vent fait claquer les volets. Sam soupire lourdement devant ce spectacle.
« Décidément ce motel rentre dans notre top 3 des pires du pire.
-Ah bon tu crois ? Et celui de San Antonio ?
-Celui où une camée est venue essayer de nous cambrioler et où on l'a trouvé endormie sur le lit les mains pleines de notre pognon ? Ah oui, j'oubliais San Antonio.
-On a fait pas mal à Mount Barrow aussi.
-Mount Barrow ?
-Oui Mount Barrow. Papa venait de nous déposer et ... »
Dean s'assombrit soudain. Ses yeux tournent au gris. Incroyable mais vrai. Sam sait bien reconnaître la douleur quand il la voit sur le visage de son frère.
« Laisse tomber, lance-t-il pour clore le sujet, tant que le lit tient le coup, c'est parfait pour moi »
et il se laisse tomber de tout son long sur l'un des lits double. Qui casse. Au tour de Dean de s'esclaffer comme un imbécile.
« Oublie donc ton sommeil réparateur idiot ! Tu es trop lourd. »
Et Dean s'allonge sur son lit, croise les bras derrière la tête et fixe le plafond, un petit rire sourd à la bouche.
« Oh non ! » Sam implore Dean de lui laisser son lit. Demande immédiatement rejetée.
Et c'est d'un geste énervé que Sam projette son matelas par terre, abandonnant le sommier trop fragile.
« Vraiment, quel motel pourri ! On mérite pas ça, tu parles d'une vie ! »
Il est frustré, Dean le sent bien et tourne son regard vers lui, pensif. Ce n'est pas la meilleure des périodes pour les frères Winchester. John vient de mourir. Dean refuse d'en parler mais ses humeurs sont plus sombres. Il est blessé. Sam ne sait pas vraiment quoi faire. Connaissant la façon de faire de Dean, il va sans doute attendre que ça passe sans rien dire.
Encaisser et passer à autre chose. Sam pense avec ironie que ça devrait être leur devise. Mais combien de fardeaux peut on accrocher à ses épaules avant d'être cloué au sol ? Il ferme les yeux et s'endort tandis que Dean fixe toujours le plafond. Ça s'arrangera.
Peut être.
Dean appuie sa main contre la bouche de son frère. Il lui intime le silence le plus absolu, les yeux déterminés, le front plissé d'inquiétude. L'air sent le souffre.
Merde, Sam n'a que 8 ans !
Sam a les yeux fermés, essaie de faire moins de bruits possible en respirant mais en vain. Il est terrorisé, et il peut. Le démon est juste à coté, il examine la chambre, n'en est pas encore au placard où les deux frères sont cachés. John devrait être là. C'est lui le père, le protecteur. Dean essaie de se rappeler sur quelle affaire il est parti. Il ne se souvient pas. Pas le bon moment pour se creuser la tête. Que peut il faire seul avec Sam face au mal absolu ? Pas grand chose. Alors il presse sa main contre la bouche de Sam, colle son front contre son front. « Ça ira, essaie-t-il de lui transmettre par télépathie, ça ira Sam. On va s'en sortir. »
Sam n'a que 8 ans.
Un enfant n'est pas sensé ressentir une peur aussi intense. John devrait être là. Dean note les gouttes de sueurs qui dégoulinent du front de son frère. Le pauvre fait vraiment son possible pour ne pas faire de bruit. Recroquevillés comme deux petites souris dans leur abri, Dean sait que cette fois ça ne suffira pas. Ce n'est pas juste.
Sam n'a que 8ans.
Soudain la porte du placard s'ouvre à la volée. Sam hurle. Le démon les dévisage, un sourire pervers aux lèvres.
« Ah, je me disais bien qu'il y avait des friandises dans le coin. »
Il rigole. Le démon rigole et Sam pleure. Dean ne pardonnera jamais ce moment à son père. Là, à cet instant précis, il le hait. Cette absence ne quittera jamais son esprit. Dean fait un pas en avant pour se placer devant son petit frère, les bras légèrement écartés, une lueur de défi dans les yeux. Le démon arrête de rire.
« Oh voyez-vous ça ! Quelle grandeur d'âme ! Le minus qui défend le petit minus ! Tu veux protéger ton insignifiant petit frère, mon crakers ? »
Toujours ce sourire terrifiant. Mais Dean fait face. Plutôt mourir que de courber l'échine. Puisque son père n'est pas là, c'est à lui de protéger Sam.
« Bon, si tu y tiens vraiment, je vais commencer par lui alors ! »
Et Dean sent brusquement ses pieds quitter terre. Le possédé le projette à l'autre bout de la pièce. Aie, Dean s'écrase contre un pied du lit.
« Vous les chasseurs, vous m'écœurez à toujours vous prendre pour des héros ! Alors m'en veut pas petit, mais je vais laisser un message à ton papounet.
Avec tes tripes. »
Sam pleure toujours, les deux mains devant le visage en geste vain de protection. Terrorisé.
Sam n'a que 8 ans.
Il essaie de s'enfuir, fonce vers la porte. Dean prie pour qu'il réussisse mais le démon lui barre la route à nouveau, sans un effort, avec un plaisir certain même. Cette ordure aime la chasse. Sam hurle.
Dean tire.
Le corps martyrisé du possédé s'écroule tandis que de la bouche s'échappe une fumée noire Le possédé est mort, le démon enfuit. Dean lâche le colt que son père cache toujours dans le tiroir de la table de chevet. Il se précipite vers Sam, le prend dans ses bras.
« C'est fini ! Plus la peine d'avoir peur. »
Serré contre son frère, Sam se calme peu à peu. Le sang du pauvre possédé se répand doucement, colorant la moquette miteuse de rouge intense.
Dean n'a que 12 ans.
La première chose que voit Dean en ouvrant les yeux, c'est le visage de Sam en plein sommeil. Moment suspendu. Moment d'apaisement. Dean profite de ce calme. Son cœur bat un peu moins vite, son cauchemar de la nuit à moitié oublié. Pas de meilleur médicament que cette vision ordinaire. Puis Sam se met à baver. De quoi se moquer de lui pendant longtemps ! Dean savoure.
Il s'apprête à le prendre en photo quand soudain son portable émet un bip étouffé. Message de Bobby. Fin de la pause détente. Dean braque à nouveau son téléphone sur son frère et déclenche l'appareil photo. Le flash arrose abondamment Sam, qui se réveille en sursaut, pointant le couteau qu'il garde toujours sous son oreiller en direction de Dean.
« Hein ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? »
Sacrés réflexes de combat. Dean approuve intérieurement. Sam est bien entraîné.
« Debout petite nature, une affaire. » et il lui lance son portable sur le matelas.
« Sam baisse toi ! »
Sans attendre de voir si son frère a bien suivi ses ordres, Dean lance la hache à lame d'argent de toutes ses forces. Elle se plante droit dans la poitrine du polymorphe qui s'écroule dans un gargouillis ignoble. Dean se précipite vers Sam.
« Ça va ? »
Ce dernier reprend à peine son souffle.
« Ça ira. »
Une méchante coupure entame son front. Une fois encore, c'est pas passé loin. Dean a l'air inquiet, la blessure saigne beaucoup.
« Fais moi voir. »
Après un examen sommaire Dean soupire.
« Bon, un ou deux points de sutures et ça devrait aller. Assieds toi dans la voiture. »
Sam s'exécute sans discuter. Son frère sait toujours quoi faire. Sam lui accorde une confiance absolue. Il serre les dents quand Dean lui transperce la peau avec l'aiguille. Dean aussi serre les dents. Il sait que son petit frère est fort et brave, mais parfois il voudrait juste ne pas avoir l'habitude de le recoudre. Triste vie.
« Voilà, ça ira pour ce soir. »
Sam semble soulagé. Il se renverse légèrement sur la banquette arrière de l'Impala.
« Je suis désolé. »
Le grand brun rouvre immédiatement les yeux, en alerte.
« Quoi ? Qu'est-ce que t'as encore fait ? »
Dean le fixe, un sourire un peu triste aux lèvres.
« Pour tout ça. Pour ce soir. Pour cette vie. »
Sam le trouve bien sérieux pour une fois. Il a plus l'habitude de l'entendre jacasser des bêtises.
« T'y es pour rien. C'est comme ça c'est tout. » Sam ferme à nouveau les yeux.
Dean reste là à fixer son frère, pensif.
« Peut être... Mais t'as pas à t'inquiéter Sammy.
-Quoi ?
-Je te protégerai toujours. Quoi qu'il arrive. »
Déclaration intense. Le visage de Dean est fermé, décidé. Il tient à être pris au sérieux. Sam pense soudain que peu de frères peuvent se vanter d'une telle loyauté. Ce qui les unit est bien plus qu'un vague lien de sang. Il en est conscient.
« Merci Dean. Tu peux compter sur moi aussi. »
Dean se retourne avant que Sam puisse voir quoi que ce soit traverser son regard.
« Bon, alors commence par choper le corps. Hors de question que je tache encore ma veste !
-Mouais, n'en fait pas trop surtout, je suis blessé je te rappelle. »
Sam s'est endormi. Dean conduit depuis maintenant plus de 10h. Rien ne lui fait jamais autant de bien.
Son Impala fonce dans le vent, fend le bitume, du moins dans son imagination. Il vole. Pas besoin de ces maudits avions pour ça. L'Impala c'est la liberté. Avec elle il peut aller ou il veut, elle peut les transporter partout, lui et Sam. Il ne sait plus depuis combien de temps elle le fait. La seule différence c'est qu'avant c'était John qui tenait le volant. Dean est plein de tristesse. Il le sait. Mais qu'est-ce qu'il peut y faire ? C'est comme ça. Son père est parti, ne reviendra pas cette fois. On ne peut pas dire que les Winchester possèdent beaucoup de chose, mais le sens de la famille ça oui ! Sam ne se rend pas compte. Sam a toujours été plus indépendant, plus fort en un sens. Capable de vivre seul. Dean cache à tout prix que lui ne pourrait pas. De toute manière que pourrai-t-il faire ? Universitaire ? Agent immobilier? Electricien ? Prof de yoga ? Rien de tous ça ne le fera jamais vibrer comme la chasse.
C'est ça le monde de Dean, la famille et la chasse. Il se trouve un peu pitoyable, mais bon, c'est comme ça.
Sam est là pour relever le niveau. Sam et sa tête bien faite. C'est sûr, il a pu partir faire des études lui. Heureusement que ça sert aujourd'hui ! Dean lui en veut encore un peu. Seul avec John, il n'était pas si heureux que ça... Sam lui, n'en a toujours fait qu'à sa tête. Dean se rappelle des disputes terribles entre lui et leur père. Est-ce que Sam y pense aussi parfois ? Est-ce qu'il réagirait différemment en sachant comment tout ça allait finir ? Est-ce qu'il aurai réagi différemment si il avait su que John mourait à cause de Dean ?
Ses tripes se nouent. Sam pense-t-il ça ? Il devrait.
Il tourne ses yeux vers son frère endormi. C'est un moment précieux. La route, Sam et l'Impala. Il est beau. Dean veut bien le reconnaître. Son petit frère est vraiment beau. Dean a envie de lui caresser le coté de la tête, comme quand ils étaient petits. Rien ne calmait autant le petit Sammy, tout nerveux, tout inquiet, que ce geste d'affection. Ses cheveux sont toujours aussi lisse, toujours aussi soyeux. Dean le scrute un peu trop longtemps. Un camion dépasse la voiture en klaxonnant quand l'Impala fait un écart. Sam se réveille en sursaut.
« Dean !
-Oui désolé.
-Tu es fatigué. Tu devrais me laisser conduire un peu. »
Dean hésite. Sam le fixe avec ses beau yeux plissés par l'inquiétude. Dean aime un peu trop ça.
« Non pas question. Ça va je continue. Repose toi, tu l'as pas volé.
-Wahou un compliment ! Mais qui êtes vous ? Qu'avez vous fait de mon frère ?
-Ah ah très drôle petit comique. Dors. Je te réveille quand on arrive.
-Pas la peine je suis réveillé maintenant. »
Il ouvre son éternel ordi portable tandis que Dean regrette ce moment de paix qui a prit fin.
« ... »
Dean examine pour la centième fois l'étiquette de sa bière. Dégueulasse. Comment peut on faire une bière aussi dégueulasse ?
« ... »
Pourtant Dean n'est pas difficile, une mousse est une mousse. Mais aujourd'hui le monde semble le haïr plus que tout.
« ... »
Dean est persuadé de pouvoir en faire une meilleure avec juste ses pieds comme outils.
« Oh mais tu m'écoutes ou quoi ?
-Hein quoi ? »
Dean détache ces yeux de cette abomination pour trouver un Sam interloqué en face de lui.
« Est-ce que tu as écouté un seul mot de ce que j'ai dis ?»
Oh oh, le petit Sammy a l'air tout prêt de se fâcher maintenant. Dean hésite une seconde. Est-ce qu'il a vraiment envie d'arranger les choses ? La réponse est non.
« Ça va, lâche moi deux minutes, maman. Je peux boire ma bière tranquillement sans que tu devienne tout rouge de colère ? Si tu m'accorde ce privilège, je suis même prêt à t'appeler Mère Thérésa »
Et Dean s'envoie une gorgée majestueuse, exagérant au maximum son plaisir, quasi inexistant. Sam n'en revient pas.
« On bosse là ! Tu peux arrêter de boire plus de trente secondes et te concentrer un peu ?
-On bosse tout le temps je te signale. Notre vie c'est le boulot. Alors si j'ai envie de m'accorder une pause, je m'accorde une pause et c'est tout. Tu commence à me gonfler à gueuler comme ça Castafiore »
Seconde gorgée, un peu plus rapide celle là. Zut, Dean commence à vraiment se sentir énervé en fin de compte. Il voulait juste embêter un peu son idiot de frère, et voilà qu'une colère venue d'on ne sait où commence à réellement monter en lui. Sam le foudroie du regard.
« Dean, tu peux être un vrai con quand tu t'y met. Tu es conscient de ça j'espère ?
-Mais tu vas me lâcher à la fin ! Toujours là à me juger, à observer tout ce que je fais, à me faire des reproches ! Ça va j'ai compris, tu es parfait toi, tu n'a rien à te reprocher, t'es même un putain de végétarien ! Je le sais ! Laisse moi juste savourer une bière Sammy, une bière ! Je te demande pas la lune, merde !
-T'as fini de t'emballer pour rien ? »
Dean est debout, il crie sur son frère sans aucune retenue, sans aucune raison.
« M'emballer pour rien ? C'est bien une phrase de premier de la classe ça. Forcément tu t'énerve jamais toi hein ? Tu bois jamais non plus d'ailleurs ! Gentil petit Sammy, si parfait. Et bien pardon si moi j'ai besoin de temps mort de temps en temps ! Pardon si parfois pour dormir j'ai besoin d'un doigt de whisky ! Pardon si j'arrive pas toujours à suivre tes résumés barbant de la vie de gens complètement barrés qui se transforment en monstres sérial killer ! Et pardon si papa est mort à cause de moi !
-Dean ! Tu vas arrêter tes conneries maintenant ou … Quoi ? »
Sam qui commençait à se lever lui aussi se fige, pas bien sûr de ce qu'il vient d'entendre.
« Qu'est-ce que tu viens de dire ? »
Dean se fige également. Zut ! Il a fallu qu'il le dise finalement.
« Je sors » il attrape sa veste, ses clés de voiture et claque la porte derrière lui.
Dean et Sam ne sont pas cote à cote, séparés par de plus en plus de kilomètres, au rythme de l'Impala qui dévore la route. Ils ne se rendent donc pas compte de la similitude de leurs comportements. Ils vérifient leurs portables toutes les quinze secondes environ. Ils se passent nerveusement la main sur le haut de la tête, aplatissant leurs cheveux. Ils soupirent, leurs fronts plissés par une ride d'inquiétude. Ils se demandent si c'est à eux de faire le premier pas, d'appeler l'autre.
Sam se dit qu'il faut qu'il laisse Dean se calmer un peu avant d'essayer de lui parler.
Dean se dit que cette larme qui dégouline de son œil droit est vraiment de trop.
Tous les deux maudissent la situation. Sam regrette de ne pas avoir vu plus tôt l'ampleur du tourment de son frère. Enfin peut être qu'il s'en doutait un peu quand même, ne savait juste pas comment réagir. Dean regrette d'en avoir parlé. C'est son problème, pas celui de Sam. Maintenant il ne sait plus comment rentrer. Il se sent ridicule. Mais de toute façon, ou pourrai-t-il bien aller ?
Deux heure plus tard la porte du motel s'ouvre doucement. Dean essaie de faire le fier, de se comporter normalement. Il renifle, s'essuie le nez avec le dos de la main et se dirige d'un pas qu'il veut résolu vers la salle de bain sans un coup d'œil vers son frère. Sam ne le laisse pas faire.
« Dean » appelle-t-il doucement.
Dean ne peut pas ne pas répondre à cet appel. Impossible. Que ce soit du conditionnement ou autre chose, il ne peut tout simplement pas. Alors il tente tant bien que mal de ravaler sa fierté et fait face à son frère.
« Désolé » réussi-t-il à dire avant de tourner la tête dans une autre direction.
C'est bon, assez de sentimentalisme pour aujourd'hui, Dean a sa dose pour une bonne année. Pas vraiment son truc les explications larmoyantes. Il se prépare à repartir vers la salle de bain quand Sam se lève brusquement et l'attrape. Il le serre dans ses bras. Dean sent sincèrement son corps exploser à ce contact.
« C'était pas ta faute Dean. »
Il ferme les yeux une seconde, savourant cette étreinte. Il sent bien toute la compassion de son frère, son inquiétude aussi. Bizarrement, ça lui donne du courage. Le contact de Sam, l'odeur de Sam. Il se dégage tout de même au bout d'un court instant.
« Ok Sammy, merci, mais ça ira pour ce soir hein ? N'en parlons plus. »
Il lui donne une tape sur l'épaule. Cette fois la douche est toute à lui.
« Bon, comme tu veux ... »
Sam n'a pas l'air convaincu. Mais là tout de suite, Dean est incapable d'en penser quoi que ce soit.
Le silence est agréable.
Sam et Dean sont assis sur le capot de l'Impala, leur fidèle maîtresse. Pas une ville à l'horizon, pas une route si ce n'est le petit chemin par lequel ils sont arrivés. La nuit est noire comme de l'encre et les étoiles ressortent magnifiquement sur cette toile neutre. Les deux frères fixent le ciel sans rien dire, absorbés dans leur contemplation passive, une bière à la main.
Instant de paix.
« Beurk ! Mais comment tu peux avaler ça ?
-Tais toi Sammy, tu sais pas ce que tu rates. »
Le burger est énorme, Sam ne se fatigue même pas à compter le nombre de steaks, il sait juste qu'il y en a beaucoup trop. Dean lui sourit. De la sauce en profite pour s'échapper de sa bouche.
Répugnant.
Sam regarde son frère, se demande une seconde si le même sang coule vraiment dans leurs veines. C'est quand la chemise de Dean s'écarte un peu et que son flingue apparaît qu'il se rappelle qu'il n'y a que leur famille pour vivre de cette manière. Personne d'autre ne pourrait supporter ça. D'ailleurs personne d'autre ne pourrait supporter Dean non plus.
Il soupire lourdement et jette un coup d'œil à sa montre. La chasse reprend.
Les cris du petit Sam résonnent dans tout l'appartement. Pas terrible d'avoir un bébé avec soit quand on squatte illégalement une maison vide. John essaie de le calmer, le berce, sans doute un peu trop rudement, excédé par la journée qu'il vient de passer. Toujours pas de trace du démon aux yeux jaunes.
« Allez Sam, allez, calme toi. Pourquoi tu pleures autant ? »
Dean assiste à la scène, se demande comment de si petits poumons peuvent faire tant de bruit.
« Sam ... »
John se passe la main sur le visage, essuyant à la fois sa sueur et ses yeux humides. Il est à bout, Dean le sent bien. Il voit aussi combien il s'y prend mal avec son petit frère.
« Si seulement Mary était là » Cette fois John laisse ses larmes couler librement.
Dean pense que si sa mère était encore là ils ne seraient pas dans cette maison pourrie à traquer un monstre pouvant tous les tuer en un claquement de doigt. John sanglote en cœur avec Sam maintenant, d'épuisement, d'exaspération. C'est trop dur. C'est trop.
Se sentant sur le point de craquer pour de bon, il pose brutalement Sam dans les bras de son grand frère.
« Occupe toi de lui Dean, fais le taire. Moi j'ai pas le temps, j'ai des recherches à faire. »
Dean attrape Sam, le serre fort contre lui par peur de le faire tomber. Pour un garçon de cinq ans, c'est plutôt lourd un bébé. Il lève un regard triste vers son père mais John est trop préoccupé pour le remarquer. Il se dirige d'un pas ferme vers la pièce qu'il s'est aménagé en bureau et claque la porte derrière lui.
« Pfou » Dean soupire doucement et fixe le visage rouge et crispé de son petit frère.
Déjà six mois que leur mère est « partie » et la situation ne s'arrange pas.
« Sam... »
Six mois. C'est tout le temps qu'il aura eu avec elle. Dean se demande s'il se rappellera d'elle ou si en grandissant chaque détails s'effacera peu à peu. Comme la maison a brûlée, il ne reste qu'une photo d'elle et elle est dans le portefeuille de leur père. Dean espère qu'il la gardera précieusement.
Petit Sam pleure toujours. Dean lui caresse la joue.
« Ça va Sam, ça va. Je suis là t'en fais pas. »
Mais en réalité ça ne va pas vraiment. Dean n'a que 5 ans. Comment pourrait-il veiller correctement sur qui que ce soit ? Pourtant ces derniers temps John ne lui laisse pas vraiment le choix. Alors tant pis, il apprendra sur le tas. Il fera de son mieux.
« Dean ! »
John hurle depuis l'autre pièce.
« Ça suffit fais le taire ! J'arrive pas me concentrer. »
Dean ignore royalement l'injonction, s'adresse toujours à Sam d'un ton le plus doux possible.
« Moi aussi Sammy, moi aussi elle me manque. »
Et il se met à chantonner, pas vraiment juste ni vraiment faux, la seule chanson dont il se souvient, la seule qu'il a pu retenir de tout le répertoire de Mary. Enfin Sam semble se calmer et cesse de hurler.
C'est Dean qui pleure maintenant, mais en silence.
Il ne le trouve pas.
La panique fraie lentement son chemin dans sa tête. Encore une porte donnant sur une pièce vide. Sam la claque violemment, exaspéré. Pas très malin d'annoncer sa position de cette manière, quelqu'un ou quelque chose pourrait l'entendre. Ça avait bien commencé pourtant ! Ils étaient préparés, avaient fait leurs recherches. Une banale histoire d'hôtel hanté, rien de nouveaux sous les tropiques. Ça n'aurait pas du se passer comme ça. Sam se reprend, souffle lentement en fermant les yeux. Calme. Il doit être calme. C'est la meilleure façon de retrouver tous ses moyens. D'être efficace. Tous ses sens en alerte, le regard déterminé, il se remet à la tâche. Il ne peut pas échouer. Il sait que Dean l'attend quelque part par là. Il ne le décevra pas, ne le laissera pas tomber. Impossible. Le cadet Winchester s'attaque donc à la porte suivante. Ce vieil hôtel est un vrai cauchemar. Succession sans fin de pièces et de corridors sombres. Sam est bel et bien perdu, depuis un moment déjà.
Et il a entendu Dean crier.
Il se reproche pour la centième fois d'avoir proposé de se séparer pour couvrir plus de terrain. Quelle idée stupide ! Une erreur de débutant ! Ils ne sont que deux, pas tout un gang, ils ne peuvent compter que l'un sur l'autre, c'est tout. L'histoire de leur vie ...
Sam parcourt rapidement une chambre sinistre au possible, avec son lit couvert de moisissures et ses taches d'humidité aux murs. Rien là non plus. Il débouche sur un autre couloir, plus petit celui ci. Probablement destiné aux domestiques de l'époque. Si son frère est blessé Sam ne répond pas de lui. La rage est revenue, il voit littéralement rouge. Ses doigts enserrent sa barre de fer de toute leur force. Cela fait un moment déjà qu'il ne les sent plus vraiment. Un bruit attire son attention sur une pièce sur sa droite. Rapide et souple comme un félin, il se colle contre le mur et écoute attentivement. Ralentit sa respiration. Prêt à bondir. Quand il surgit comme une furie de l'encadrement de la porte une horde de rats s'enfuit à toute allure.
Et merde !
Il s'appuie un instant contre un mur, essuie la sueur qui coule de son front.
Où peut il bien être ?
Soudain un fantôme se jette sur lui de nulle part. Il ne doit sa survie qu'à ses extraordinaires réflexes de chasseur qui lui permettent de se baisser pour esquiver et de se retourner dans le même mouvement pour transpercer l'agresseur de sa barre de fer. Le fantôme disparaît immédiatement. Coup d'adrénaline. Sam est reboosté. Il se précipite une fois encore à la recherche de son frère. Il s'imagine déjà le pire. Dean mort. Dean gravement blessé, handicapé pour le reste de sa vie. Dean en train de se vider de son sang. Dean étranglé. Dean pendu. Dean noyé.
« Arrête ça idiot ! »
Voilà que Dean lui parle dans sa tête maintenant ! Sam est trop préoccupé pour questionner sa santé mentale. On verra ça plus tard.
« Bon, reprend toi mon vieux. Où est-ce que tu n'as pas encore cherché ? »
Et la réponse lui apparaît soudain, claire comme de l'eau de roche. Le sous sol. Et en effet, plus il essaie de descendre, plus il tombe sur des apparitions fantomatiques essayant à tout prix de lui arracher les tripes. Il doit être sur la bonne voie.
« Dean ? » chuchote-il doucement.
Il se rapproche, il en est certain à présent. Au détour d'un énième couloir sombre et humide il tombe soudain sur son frère. Étendu sur le sol, il semble inconscient.
« Dean ! »
Sam se précipite à ses cotés. Mais à peine l'a-t-il atteint que Dean ouvre les yeux, un rictus de souffrance au visage.
« Sam ? Ne crie pas s'il te plaît. »
Il se relève doucement en position assise, porte une main à l'arrière de sa tête.
« Cette saloperie m'est tombé dessus comme une tique sur un chien ! Rien pu faire. Celle là, je vais me faire un plaisir de lui cramer la gueule, crois moi ! »
Quand il retire la main de son crane elle est imprégnée de sang.
« Et merde ! »
Sam est partagé entre le soulagement et l'inquiétude. Il a retrouvé Dean. Mais il faut le ramener à l'Impala maintenant, pas question de traîner dans le coin.
« Accroche toi, on se tire d'ici ! »
Et les deux frères repartent, Dean appuyé sur son frère cadet.
Sam grimace de douleur. Dean hurle de rire.
« J'arrive pas à croire que tu m'aie cru ! Incroyable comme je peux te faire faire n'importe quoi !
-Dean c'est pas drôle !
-Oh si mon vieux, c'est même super drôle.
-Ça fait mal putain ! »
Sam se frotte les fesses, des larmes de douleur aux yeux.
« Je te faisais confiance !
-Eh il y a pas écrit expert en plantes urticantes sur mon front, comment tu as pu croire que je savais de quoi je parlais ?
-Tu m'as tendu les feuilles !
-Oui bon, peut être. Mais tu t'en remettra petit frère. Et puis quels merveilleux souvenirs familiaux ça nous fait !
-Ah tais toi donc, j'en ai marre de toi Dean. »
Le rire de Dean reprend de plus belle.
« T'es mon fardeau personnel, je sais pas ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir un frère comme toi !
-Oh dis pas des choses pareilles, tu vas me faire chialer. Enfin, je sais que tu m'aimes très fort au fond de ton petit cœur. »
Et Dean, avec un sourire narquois, souffle un baiser dans sa direction.
« Comment tu as pu me faire ça ? Quel enfer ! S'il te plaît rappelle moi de ne plus jamais partir camper avec toi.
-Il faut ce qu'il faut pour choper un Wendigo Sam, tu le sais bien. Allez, reprends toi fillette, la voiture n'est plus très loin. »
Sam gémit de souffrance, il se masse toujours la fesse droite.
« Oh non pas la voiture, pitié ! »
Il n'arrive pas à s'imaginer rester assis plus de 5 secondes d'affilés.
Les roues de l'Impala crissent sur le gravier du sentier tandis qu'elle s'arrête doucement.
« Mais qu'est-ce que tu fais ? » demande Sam « la nuit tombe je te signale, et le motel est encore loin »
Le visage de Dean est fermé, soucieux. Il se lève tout d'un coup et se dirige vers le ponton auprès duquel il a prit soin de garer la voiture. Sam le suit du regard, intrigué, peut être un peu inquiet. Ça ne ressemble pas à son frère de s'arrêter comme ça sans rien dire. En fait ça ne ressemble pas à son frère de ne rien dire tout court. Dean se place au bord du ponton et se met à fixer l'horizon. Les mains dans les poches, il ne bouge plus, semble réfléchir intensément. Encore une chose qui ne lui ressemble pas, pense Sam un peu méchamment. Il se décide à sortir de l'Impala et se rapproche doucement de son frère.
« Tout va bien Dean ? »
Ce dernier tourne la tête vers lui.
« Plutôt pas mal tu trouve pas ?
-De quoi tu parle ? Je te suis pas là ... »
Est-ce une lueur de malice que Sam détecte alors dans les yeux de son aîné ? Pourtant Dean garde une expression grave. Sam ne comprend pas. Ils restent comme ça un moment, sans que Dean daigne répondre quoi que ce soit. Sam est bien forcé de reconnaître que le lac près duquel son frère a voulu s'arrêter est magnifique. Entouré d'une épaisse forêt, l'eau rayonne doucement sous l'effet du couché de soleil. Étonnement, l'endroit est désert, malgré les quelques maisons disposées ça et là autour du lac.
« Donne moi ton portable » lui demande soudain Dean.
« Hein ? Pourquoi ?
-Donne moi ton portable Sam, c'est tout ! »
Sam le fusille du regard mais s'exécute et sort le téléphone de sa poche. Pourquoi faut il toujours que Dean le traite comme un enfant ?! Il a la désagréable impression que Dean se prend de plus en plus pour leur père.
« Merci. »
Et dans un éclair, Dean jette le portable sur l'herbe, près de la voiture et pousse son frère à l'eau. Sans pouvoir résister, Sam se sent plonger. Il percute l'eau dans un grand fracas et provoque ainsi un véritable fou rire à Dean, qui se tape littéralement les cuisses tant il se marre.
« Dean ! »
Sam est indigné. Mais difficile d'être prit au sérieux quand on peine à se maintenir hors de l'eau.
« Ah tu devrais voir ta tête ! Trop drôle !
-Dean tu me le paiera ! »
Dean se débarrasse rapidement de ses chaussures et saute à l'eau rejoindre son frère.
« Ah ! » hurle-t-il de joie en remontant à la surface « Elle est bonne Sammy ! »
Sam observe son frère s'agiter dans tous les sens. Il plonge et remonte sans cesse, secoue la tête dès qu'il est à la surface et arrose copieusement Sam. On dirai un petit chien tout content. En tout cas il est tout aussi bruyant, il crie et rit de vive voix, sans retenue. Dean a toujours aimé se baigner. Sam avait presque oublié. Cela fait un moment qu'ils ne s'étaient pas relâchés ainsi, un moment qu'ils n'avaient pas profité de petits bonheurs de ce genre. Sam se promet de remettre ça le plus rapidement possible. En attendant, il nage vers son aîné et tente de le noyer avec violence. Pas question de lui pardonner non plus ! Les garçons se battent dans l'eau un moment, joyeux, insouciants.
Ils finissent tout de même par se calmer, à bout de souffle et décident de s'arrêter avant de se noyer tout les deux, accrochés l'un à l'autre. Dean saigne du nez. Sam se soupçonne de lui avoir mit un coup de coude sans faire exprès. Deux chasseurs qui se battent, il y a forcement des dégâts ! Ça n'empêche pas Dean de sourire à pleine dents. Il savoure cet instant. Ce lac est vraiment magnifique !
« Ah ben bravo Sammy ! J'attire simplement ton attention sur la beauté de la nature et en retour tu essaie de me noyer ? Quel frère indigne !
-Et toi quel poète tu fais ! La beauté de la nature qui nous entoure ? Tu voulais juste me mettre à la flotte, avoue !
-Hmm il y a de ça aussi. »
Dean se laisse flotter sur le dos, planche improbable. Il se sent bien, heureux de sentir la caresse de l'eau sur sa peau. Sam retire ses chaussures et les jette sur la berge.
« Tu sais comment s'appelle cet endroit ? »
Sam, Sam. Sam et ses éternelles questions. Il ne s'arrête jamais.
« Non Sammy, je ne sais pas. »
Pourtant pour rien au monde Dean ne souhaiterai se retrouver ici sans lui. Sam barbote un peu autour de lui, pensif. Sam est presque tout le temps pensif. C'est bien l'intellectuel de la famille ! Dean le dévisage discrètement. Son petit frère est beau, c'est le moins qu'on puisse dire. Dean s'en veut, s'en inquiète, mais il ne peut pas s'empêcher de le regarder. Chaque jour, chaque heure. Quelque chose cloche vraiment chez lui. Dean ferme les yeux à regret. Il refuse d'y réfléchir plus avant. Le bien être qu'il ressentait jusqu'ici s'est un peu amoindri. Il voudrais pouvoir profiter pleinement de ce moment de tranquillité mais il n'y arrive plus aussi bien.
Sam abandonne un peu son frère et se lance dans un crawl vigoureux. Il apprécie de sentir ses muscles en action. Il se sent vivant. Dean a raison, l'eau est vraiment bonne.
30 minutes plus tard il rejoint Dean qui s'est étendu sur l'herbe, à quelques pas de l'eau. Il s'allonge à coté de lui, encore un peu essoufflé de sa performance sportive. Il laisse passer un moment puis lance :
« Tu avais raison.
-J'ai toujours raison Sam, tu ferais bien de t'en souvenir.
-Ouais c'est ça. »
Un silence.
« Mais sur quoi est-ce que j'ai raison cette fois ?
-On devrais faire ça plus souvent.
-Je te pousse à l'eau quand tu veux, pas de problème. Ne me remercie pas.
-Idiot.
-Imbécile. »
Une volée d'oies sauvages les survole. Le soleil est pratiquement couché cette fois, la lumière décline peu à peu.
« Dean ?
-Sam ?
-A quoi tu penses ?
-Je pense que seule les fillettes posent ce genre de questions. Sérieusement Sam ?!
-Ça va !»
Les deux frères se taisent. Dean est en pleine introspection quand il entend soudain Sam se mettre à ronfler. Cet idiot s'est endormi ! Dean n'en revient pas ! Il s'apprête à le réveiller avec une gifle ou quelque chose de ce genre mais il hésite au dernier moment. Après tout si Sam arrive à se détendre à ce point, ce n'est pas une mauvaise chose. Dean se remémore tous ce qu'ils ont du traverser ces derniers temps et décide que Sam a bien le droit de se reposer un peu.
Il se rallonge donc et ne bronche pas quand Sam remue un peu et ronfle de plus en plus fort. En bougeant dans son sommeil Sam ne se rend pas compte que son bras touche le bras de son frère. Dean se garde bien de dire quoi que ce soit mais une désagréable chaleur semble soudain enflammer sa peau. Dean se demande si sa chair réagira toujours ainsi au contact de son petit frère. L'éternuement de Sam sonne le glas de cette agréable pause. Un peu déstabilisé, un peu perdu, Dean se relève immédiatement.
« Tu vas prendre froid. Viens Sam, on va se sécher. »
Il se lève et va chercher une serviette dans son sac. Il la balance sur Sam et se rassoit derrière le volant.
« Tu peux dormir pendant que je conduis si tu veux. »
« Dean, tu comprends pourquoi tu ne peux pas faire ça hein ? »
John essaie de discuter pour une fois, Dean ne s'y attendait pas.
« Mais papa, il l'a mérité. C'est notre boulot non, de punir ceux qui le mérite ? »
Dean qui d'habitude ne s'oppose jamais à son père se sent plein de courage. Enfin, plein de rage surtout ! Le sang de son camarade de classe colore toujours sa main de rouge. Quand il a tapé il a entendu un grand craquement. Il pense qu'il lui a cassé le nez. Il lui faudra un moment pour s'en remettre, à cet abruti. Voilà un bon avertissement ! On ne s'en prend pas aux frères Winchester !
A 14 ans Dean se prend un peu pour un caïd. John le voit bien. Cela l'énerve.
« Tu es plus stupide que ce que je pensais ! Toutes mes leçons ne t'ont donc rien appris ? On ne s'en prend pas aux humains ! Encore moins à ses camarades de classe ! Discrétion et bon sens Dean ! Ça te dis quelque chose? »
Ça y est John est reparti dans une de ses colères. Mais Dean ne veut rien savoir, ne veut rien entendre. Il est fort. Il est entraîné. Il ne comprend pas en quoi se servir de ça est une mauvaise chose.
« Mais papa, il a frappé Sam ! Ce gros plein de soupe !
-Oui, et c'était à Sam de se débrouiller tout seul pour se sortir de cette situation. Je ne t'ai pas entraîné pour réagir aussi stupidement !
-Je protège Sam. »
John sent tout le sérieux et le détermination de son aîné. Il y a du feu dans ces beaux yeux verts. Il soupire lourdement. Voilà autre chose.
« Très bien Dean, bien sûr que tu protèges Sam. Mais pas de cette manière, pas comme ça.
-Qu'est ce que tu en sais toi de toute façon ? »
La voix de Dean se fait acide, mauvaise.
« Tu n'es jamais là quand il le faut. Sans moi Sam serait déjà mort cent fois ! »
Il a crié ces derniers mots. Sam les entend depuis sa chambre, malgré la cloison qui les sépare. Il entend également le choc de la chair contre la chair. John vient de gifler Dean. Ce dernier colle la main contre sa joue gauche qui rosit déjà. Il baisse les yeux. Très bien. Son père ne comprend pas. Tant pis.
« Excuse moi papa » il prend un air contrit.
Rien ne sert de continuer cette discussion. Il accepte sa punition sans discuter et part rejoindre Sam dans l'unique chambre de la petite maison qui leur sert actuellement de squat. Dès qu'il le voit Sam se précipite vers lui :
« Dean pardon ! »
Il s'arrête une seconde, fixe son jeune frère. Sam lui enlève la main de la joue.
« Laisse moi voir. »
Dean détourne le regard.
« C'est rien Sam. Pousse toi. »
Sam lui libère le passage à contrecœur et Dean s'étend sur le matelas posé à même le sol. Il croise les bras derrière la tête et se met à fixer le plafond.
Sam pleure.
Pas comme un petit garçon qui vient de perdre son jouet, mais pas non plus comme un adulte qui vient de perdre un proche. Sam pleure comme quelqu'un qui n'a pas rempli sa mission, Sam pleure de colère et de haine, contre le monstre, contre lui même. Sam pleure comme quelqu'un qui va craquer et commettre un meurtre. Son visage est rouge vif, contracté si fort qu'il semble grimacer. Quelques larmes s'échappent de ses yeux et viennent mouiller ses joues. Il serre tellement les dents que Dean se dit qu'elles vont certainement finir par exploser.
Le corps de la fillette repose contre son torse en une étreinte poignante et morbide.
Parfois ils arrivent trop tard. Parfois il n'y a plus rien à faire.
« Merde ! » Une flaque de sang se forme peu à peu autour d'eux. La fille est atrocement mutilée et ressemble plus à un steak sanguinolent qu'à une personne qui vivait encore il y a quelques heures de ça. Agenouillé, Sam la berce inconsciemment, un mouvement doux et peut être un peu rassurant pour ce géant qui ne s'est jamais sentit aussi impuissant.
« Sam …
-Merde ! »
Dean pose la main sur l'épaule de son frère. Parfois ils arrivent trop tard et ça fait mal.
« Fais chier ! »
Encore deux larmes qui coulent doucement. Sam renifle, s'essuie le nez du dos de la main, laisse échapper un râle de désespoir. Cette capacité d'empathie, cette sensibilité, c'est peut être ce qui le définit le plus. C'est peut être aussi ce que Dean aime le plus chez lui. Mais c'est difficile de veiller sur quelqu'un comme ça. Veiller sur celui qui veut à tout prix protéger tout le monde. Veiller sur le veilleur.
Parfois Dean aimerais que ce soit plus facile. Mais hé ! son frère est un type bien, il ne va pas s'en plaindre ! Le voir agenouillé là, le cœur brisé, ça c'est vraiment difficile ! Dean ne sait pas quoi faire, pas quoi dire. Lui aussi est dépité, lui aussi s'en veut de n'avoir pu éviter cette mort si inutile, si pitoyable.
Alors pourquoi est-ce la douleur de Sam qui lui importe plus que tout le reste ?
« Sammy …
-Ah c'est pas juste !
-On l'aura Sam, tôt ou tard. On fini toujours par les avoir. »
Sam s'essuie les yeux avec la manche de son pull tandis que Dean s'agenouille à coté de lui.
« Fais moi confiance petit frère. »
Sam a toujours la bouche tordue en un rictus de haine et de dépit.
« Je veux le retrouver Dean. Je vais le retrouver et le massacrer. Comme une bête. Comme l'ignoble monstre qu'il est ! Vermine méprisable ! Il ne mérite pas de vivre. »
Dean a rarement vu Sam aussi impitoyable. Il a toutes les raisons de l'être.
« On le trouvera. »
Il glisse la main derrière la tête de Sam et colle leurs fronts.
« Je te jure qu'on le trouvera Sammy ! »
Promesse solennelle.
Sam acquiesce et ferme les yeux, trouvant du réconfort dans ce contact. Le cadavre de la fillette repose toujours entre eux deux.
La bête est énorme. Noire. Dangereuse.
Presque autant que Dean. Elle retrousse ses babines, commence à grogner doucement tandis que Dean la fixe avec prudence, une menace voilée dans le regard. Il ne reculera pas. Elle non plus. Les deux créatures se tournent autour. Méfiantes. Sur le qui vive. Bientôt elles se sauteront à la gorge.
« C'est pas ce soir qu'on me mettra au menu ma jolie, désolé pour toi. »
Dean s'apprête à tirer sur l'imposante chienne qui lui bloque la route quand Sam intervient.
« Non ! Laisse moi faire. »
Sam, le brave Sam, toujours prêt à arranger les choses. Mais cette fois Dean n'est pas confiant.
« Méfie toi Sammy, elle a pas l'air de vouloir prendre le thé celle là »
Sam fronce les sourcils.
« Laisse moi faire je te dis.
-Ok docteur Doolitle, vas y, étale ta science animale. »
Dean ne quitte pas la bête des yeux, montre les dents inconsciemment.
« Tout doux ma belle, tout doux.
-Ma belle ? Qu'est-ce qu'il faut pas entendre ! »
Sam le foudroie du regard. Dean lève les mains, fait signe qu'il se rend et accepte de se taire 5 minutes. Sam reprend d'une voix posée, calme. Ah cette voix ! Grave et suave à la fois. Douce. Agréable. Dean ne le lui a jamais dit, bien sûr, et puis quoi encore ! mais cette voix est parfois la seule qui résonne dans son univers.
« Tout va bien. »
Sam ne se rend pas compte que Dean le dévisage pensivement. Peut être en a-t-il trop l'habitude. Peut être que quand quelque chose est juste sous notre nez c'est là qu'on le voit le moins. Sam se concentre, veut émettre des ondes apaisantes. Il tend doucement la main vers la bête.
« Pas besoin d'avoir peur, on ne te veut pas de mal. »
Pas de doute, Sam sait vraiment s'y prendre avec les grosses bêtes. Dean est soudain prit d'une violente envie de donner la patte.
« On va repartir maintenant. Laisse nous juste tourner les talons ok ? »
Incroyable mais vrai, le gigantesque doberman semble se calmer. Il cesse de grogner, se contente de fixer les deux frères qui s'empressent de repartir en sens inverse.
« Autant pour la filature » Dean grommelle, mécontent.
« T'es pas croyable. Je viens de te sauver la vie, montre un peu de reconnaissance. »
Sam le taquine. Il est de bonne humeur. Pourquoi pas après tout ? Ce soir, il se sent à sa place.
« Me sauver la vie ! C'est ça ouais ! Ton cœur de mamie à caniches a craqué en voyant que j'allais tuer cette bête abominable, c'est tout.
-Ouais, t'a qu'a essayer de te convaincre que c'est vrai. Lopette.
-Idiot.
-Imbécile !
-C'est celui qui le dit qui l'est !
-Oh mon Dieu, je peux pas croire que tu viennes juste de dire ça ! »
L'espace d'une seconde Dean titube au bord du vide. Il pense qu'il va tomber. Il imagine la douleur qu'on doit ressentir quand tout ses os se brisent en même temps. La sensation de se désintégrer, d'exploser en milliards de morceaux. La perspective d'une mort incroyablement douloureuse. Est-ce qu'on est encore conscient quand on heurte le sol ? Ou est-ce que la longue chute permet de tomber directement dans l'inconscience ? Mais Dean ne tombe pas. A la place il se retrouve propulsé en arrière. Il s'affale sur une surface molle. Sam. Il vient de le ceinturer et de le sauver du vide. Dean se demande si Sam sera toujours là pour l'empêcher de tomber.
« Putain ! » Le soulagement est immédiat. Pas d'explosion de Dean aujourd'hui.
« Mais t'es con ou quoi ? T'approche pas aussi près du bord ! »
Sam lui fait la leçon. Dean lui rabattrais bien le caquet, mais considérant la situation, il décide de ne rien dire pour cette fois.
« Ouf » se contente-t-il de murmurer.
« Vire ton gros cul, tu m'écrase ! »
Dean se redresse doucement. Il a la tête qui tourne et les jambes qui tremblent un peu. Vivant pour un jour de plus. Ce n'est pas le cas du changeling qu'ils pourchassaient. Son corps finit de se vider de son sang 20 mètres plus bas. Il a bien failli entraîner Dean dans sa chute. Sam gît toujours sur le dos, il respire lentement, ralentit son cœur encore emballé par la poursuite.
« Bon, voilà une bonne chose de faite. Ce changeling n'embêtera jamais plus personne. »
Il retrouve son calme si rapidement que Dean s'inquiète. Est-il vraiment sage de confier sa vie à un mec aussi bipolaire ? Toujours un peu hébété, Dean se tourne vers lui.
« Comment tu fais pour changer d'humeur aussi vite ? T'as un diplôme de grand maître zen ou quoi ?!
-Non, je suis juste plus intelligent que toi, c'est tout. »
Dean lève un sourcil mais ne réplique pas. Il observe le paysage un instant. L'endroit est magnifique, c'est sûr, éclairé comme en plein jour par une lune qui semble si proche que Dean tend le bras vers elle comme s'il pouvait l'atteindre, des arbres à perte de vue et sa chère Impala garée au bout de la petite route en terre par laquelle ils sont arrivés.
« Rappelle moi comment on a atterrit sur ce putain de château d'eau déjà ? Plus jamais ça d'accord ! »
Sam rit doucement.
« Ravi de voir que ça te fait marrer, espèce de psychopathe. C'est pas toi qui a failli y passer !
-Arrête un peu de râler idiot, le boulot est fait ... »
Dean grimace en direction du cadavre désarticulé en bas.
« … on a pu sauver le fils Laurens et t'es pas mort. Mission accomplie ! »
Dean ne trouve rien à répondre.
Sam reste étendu sur le dos, le regard fixé pensivement vers les étoiles. Dean se demande une fois de plus ce qui peut bien se passer dans la tête de son cadet. Pourquoi faut il toujours que la personne avec qui il partage sa vie lui semble si mystérieuse ? Sans rien dire, mais avec un petit soupir de lassitude, Dean s'allonge à coté de son frère. Et c'est vrai que c'est beau, incontestablement.
Dean profite de ce petit bout de tranquillité. Frôler la mort de si près le pousse à savourer la sensation d'être en vie. Finalement ce n'est pas si mal.