Bonjour à tous,
Premièrement, je m'excuse pour ce long silence radio. J'ai été pas mal occupée ces-derniers mois et j'avais un peu le syndrome de la page blanche mais comme vous pouvez le voir, je reviens plus forte que jamais avec un chapitre à plus de 8 000 mots. J'espère que ça suffira à me faire pardonner. Je ne compte pas abandonner cette fiction, je vous rassure. Si jamais je le faisais (ça n'arrivera pas sauf cas de force majeur), je vous laisserai un message. Et si vous n'avez plus jamais de nouvelles, c'est qu'il me sera arrivé un truc grave. (Ahah… C'est joyeux tout ça !)
Bref, tout ça pour vous dire, qu'enfin, le nouveau chapitre est publié. (Oui, on m'appelle souvent Captain Obvious, haha.)
Je suis désolée de pas avoir répondu aux reviews anonymes, mais comme vous ne possédez pas de compte, je ne peux pas vous envoyer de messages privés. Je vais donc vous répondre ici même.
ATTENTION : Scène violente qui peut être difficile à encaisser à la fin de ce chapitre.
La chèvre : Je suis flattée que tu me laisses un commentaire d'autant plus que ce n'est pas dans tes habitudes de le faire. Merci (très en retard) pour tes encouragements. J'espère que la suite sera à la hauteur de tes espérances. Et encore merci d'avoir pris le temps de donner ton avis qui me comble de joie. (et c'est pas un euphémisme !) Bonne lecture à toi si tu passes encore par là pour lire la suite.
Crazer : Merci beaucoup pour ton commentaire qui m'a fait très plaisir. J'essaie d'accorder beaucoup d'importance à Kenny puisque cette histoire, bien que qu'à la troisième personne, lui est consacré. Voici la suite qui, j'espère, te plaira.
Guest : Ne t'inquiète pas, je n'ai pas prévu de l'arrêter. C'est juste que je suis très irrégulière dans sa publication. Merci d'avoir pris le temps de commenter. Bonne lecture à toi !
Au passage, je remercie tous ceux-celles qui ont ajouté l'histoire en follow et favoris. Merci. Merci !
Bonne lecture à tous-tes
L'esprit ailleurs, Kenny déambule seul dans les tribunes couvertes du stade d'athlétisme. Un souffle d'agacement lui échappe et se transforme aussitôt en buée glacée. Avec une grande habileté, il enjambe chacun des gradins sur sa route pour finir par se retrouver au milieu de la structure. Les sièges en bois ne sont pas enneigés mais la piste de course, quant à elle, est recouverte d'une fine pellicule blanche. Contrairement à ce matin, Kenny a enfilé ses gants pour préserver ses mains du froid. De son anorak orange, il tire son sandwich qu'il commence à manger avec retenu pour prolonger le plaisir. Ce sera peut-être son seul repas de la journée alors hors de question de tout ingurgiter d'une traite.
Sous ses yeux ternes quelques personnes s'entraînent malgré les conditions météorologiques défavorables. Avec la solitude comme seule compagne, il peut maintenant effacer ce sourire qui lui bariole toujours les joues en présence d'autrui. Parfois, cela devient usant de toujours devoir faire semblant, de porter continuellement ce masque d'une lourdeur assommante mais ainsi va la vie…
Alors qu'il prend une énième petite bouchée de son repas, l'adolescent aperçoit Tucker faire son entrée sur la piste. Il a troqué ses vêtements de ville pour une tenue sportive, jogging ample gris avec quelques teintes de bleu et veste de sport assortie. Son bonnet, quant à lui, reste toujours vissé sur sa tête, peu importe les circonstances.
Kenny se redresse un peu sur son siège, surpris, avant de l'observer plus attentivement. Ses yeux cristallins retrouvent alors leur étincelle malicieuse. Craig, légèrement en retrait, commence à s'étirer puis à faire quelques tours au pas de course, suivant de loin le parcours des autres lycéens. Les lèvres du blond s'étirent légèrement, cette présence fortuite lui mettant un peu de baume au cœur. Il termine son sandwich sans même s'en apercevoir, son attention absorbée par la démarche sportive de l'autre garçon.
Déjà qu'immobile, les fesses vissées sur une chaise, il est à tomber par terre… alors si en plus, il les agite sous mon nez…
A cette pensée, il laisse échapper un petit rire solitaire en continuant d'admirer le corps du brun sous toutes ses coutures. Déconcerté par sa propre réaction, il tourne la tête et examine les alentours, un peu inquiet. Soulagement. Aucun témoin de son laisser-aller. Alors il ferme les yeux, puis souffle tout en souriant en coin, à la fois amusé et blasé par son propre comportement.
« Abruti » murmure-t-il pour lui-même.
Quelques minutes passent et Kenny tire de son sac à dos un petit carnet de note ainsi qu'un crayon à mine. Il le feuillette un instant et observe les croquis qui remplissent les pages blanches. Son sourire s'élargit lorsqu'il reporte son regard sur le coureur esseulé qui continue de s'entraîner. Afin de se rapprocher, il bondit sur les bancs et descend de quelques étages. Le crayon d'une main, le carnet de l'autre, il commence à esquisser quelques courbes tout en reportant de temps à autre son regard sur la piste pour s'imprégner de ce qui défile devant ses yeux. Le temps s'écoule et Kenny réalise plusieurs dessins avec pour thème commun, Craig, qui ne semble même pas avoir remarqué sa présence dans les gradins. A la bonne heure. Il pourra donc continuer à l'épier sans honte ni vergogne.
Trop absorbé par ses tracés, il n'entend pas les bruits de pas se rapprocher dangereusement dans son dos. Un léger craquement de bois derrière lui se reporte à ses oreilles, mais avant même qu'il n'ait le temps de tourner la tête, son carnet lui glisse des mains. Kenny écarquille rond les yeux de surprise. Pendant une demi-seconde, il reste bouche-bée face à Cartman qui commence à feuilleter l'ouvrage avec un sourire niais.
« Qu'est-ce que c'est, Kenny ?! Un recueil de poème à l'eau de rose ? »
Furibond, le susnommé se dresse face à l'adolescent et lui arrache sans préavis le cahier des mains. La lueur de ses yeux a changé pour une expression assassine. Ce regard que le lycéen obèse ne lui connaît pas lui coupe instantanément la chique. En retrait, Stan et Kyle observe la scène sans dire un mot, pantois.
« Va chier ! » éructe-t-il en fourrant le carnet aussitôt dans son cartable pour le cacher de la vue des trois autres. Son visage habituellement blanc comme un cachet d'aspirine a viré au rouge écarlate et ses traits sont déformés par la colère.
De là où il se trouve, Kenny peut ressentir le poids du regard de Craig, alarmé par les cris, peser sur lui. C'est embarrassant, mais la colère l'emporte sur la gêne. Juste après, il balance son sac sur son épaule et prend le chemin de la sortie sans donner d'explication. La bande de lycéen en reste comme deux ronds de flan, se dévisageant mutuellement par incompréhension. Ce n'est clairement pas dans les habitudes du blond d'envoyer paître les autres, surtout pour une plaisanterie aussi banale.
Les poings serrés et la mâchoire crispée, il descend les gradins avec la haine au corps. Devant lui, un petit chemin en bordure des tribunes mène à l'extérieur du lycée. Sans plus attendre et au pas de course, il progresse le long du grillage. Avec aisance ses pas s'enfoncent dans la neige immaculée. Ses vieilles baskets trouées sur les côtés ne suffisent pas à garder ses pieds au sec. Mais qu'importe. En ce moment, c'est le cadet de ses soucis.
Kenny court. Il court jusqu'à en perdre l'haleine et jusqu'à ne plus sentir ses pieds rongés par le froid. Il fuit Cartman et sa mentalité rétrograde qui est pourrie jusqu'à la moelle. Mais en réalité, c'est plutôt sa vie merdique qu'il essaie de fuir. Symboliquement.
Après plusieurs dizaines de minutes à courir comme un dératé, il freine progressivement. Il est à bout de souffle. Ses poumons sont en feu et sifflent. Il tousse, crache et essaie de libérer ses bronches atrophiées par la fumée de cigarette.
« Merde, » grogne-t-il les dents serrées.
Ses mains reposent sur ses genoux. Plié en deux sur une route déserte à moitié déneigée, il souffle bruyamment. Difficilement, il essaie de reprendre sa respiration puis se redresse. Quelques flocons virevoltent tout autour de lui, se perdent dans ses cheveux dorés et fondent sur son visage rougi par l'effort et la colère. Alors il lève le nez en l'air tout en fermant les paupières. Le froid s'égrène lentement sur sa peau. Il reste là, sans bouger au beau milieu de nul part. Autour de lui, il n'y a que des arbres et des champs recouverts de poudre blanche. Il est seul. Comme toujours, n'est-ce pas ? Il n'a jamais eu personne à qui se confier. Kyle a Stan et inversement. Karen a Ruby. Cartman… Cartman a le monde entier. Et lui… A qui peut-il se confier ? Il prend une profonde inspiration. Ses douleurs pulmonaires le relancent et il grimace sans pour autant rouvrir les yeux.
Il n'y a pas un seul bruit dans les environs ni aucun mouvement à l'exception des flocons qui tourbillonnent avant de se déposer avec délicatesse au sol. Le temps semble être figé dans ce décor hivernal. Le silence devient alors rapidement assourdissant. Kenny ressent chacun de ses battements de cœur vibrer dans ses tympans. Cela devient un véritable calvaire. Alors il serre les poings et s'efforce de garder son calme, mais la pression dans son crâne monte en flèche jusqu'à en devenir insupportable. Son corps tout entier se met à trembler à force de contracter ses muscles. Il résiste encore quelques instants puis finit par hurler pour libérer la soupape et briser la quiétude des lieux. Il hurle à s'en arracher les cordes vocales. De toutes ses forces. Il hurle sa douleur puisque personne d'autre que lui ne peut l'entendre et ne l'entendra certainement jamais.
Quelques corbeaux dérangés par le vacarme s'envolent et s'éloignent à l'opposé d'où il se trouve. Quelle ironie. Même les oiseaux foutent le camp face à sa détresse. Mais Kenny continue de vider ses poumons d'air. Il hurle pour libérer toute sa rancœur, sa souffrance et les non-dits emmurés dans un silence dévastateur. Il hurle pour alléger le poids de son existence, mais son cri finit toutefois par faiblir, vaciller, puis mourir au fond de sa gorge par manque de souffle.
Ses jambes flagellent sous son poids et il manque de peu de se rétamer au sol. Une larme lui échappe, mais elle est aussitôt rattrapée par son revers de manche. A-t-elle seulement existé ?
Le calme revient alors. Dans la nature, mais aussi dans son corps ainsi que son esprit. C'est comme s'il ne s'était rien passé. De nouveau, il prend une profonde inspiration pour évacuer les dernières tensions puis jette un coup d'œil à son portable déglingué.
13h30
2 appels manqués, 3 nouveaux messages
13h06, Appel manqué de Kyle
13h14, Appel manqué de Stan
Premier message
De : Kyle
Tout va bien ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu veux qu'on parle ? Réponds-moi, s'il te plaît.
Aujourd'hui, 13h04
Deuxième message
De : Stan
T'es où ?
Aujourd'hui, 13h10
Troisième message
De : Cartman
Qu'est-ce que tu branles ? Crois pas que je te pardonne pour ce matin, c'est les deux autres qui s'inquiètent pour toi puisque tu réponds pas.
Aujourd'hui, 13h25
Un long soupir lui échappe. Encore une fois. Avec nonchalance, il range son téléphone dans sa poche sans même répondre aux messages. Réflexion faite, il pourrait peut-être tout déballer à Kyle mais il ne souhaite pas le mêler à ses histoires. C'est un garçon gentil, empathique et compréhensif mais à coup sûr, Kenny sait que dans ses grands yeux verts se reflèterait de la pitié. Et ça, bordel… ça lui ferait vraiment trop mal au cœur pour qu'il puisse le supporter. Quant à Stan, il ne comprendrait pas. Et Cartman, pas la peine d'y songer…
Kenny souffle péniblement pour la énième fois. Dans l'immédiat, il doit revenir au lycée. Aujourd'hui, il a prévu de bosser à la bibliothèque avant de se rendre à l'épicerie pour prendre son poste de dix-neuf heure. L'avantage de ne pas avoir cours le vendredi après-midi est que l'on peut faire ce que l'on désire surtout si, comme Kenny, on ne participe à aucune activité extrascolaire. Pas par flemmardise ou manque de motivation, mais par manque de temps, tout simplement. Pour le blondinet, le temps, c'est de l'argent. Et Dieu sait combien sa « famille » a besoin de lui pour subsister. La dernière chose au monde qu'il souhaiterait serait d'être séparé de sa petite sœur par une assistance sociale. Ne plus pouvoir veiller sur elle est tout bonnement inconcevable dans son esprit. Hors de question de la savoir exilée à l'autre bout du pays dans une maison pleine d'inconnus qui n'en auront rien à foutre d'elle si ce n'est amasser l'argent de sa garde à la fin du mois. Alors si pour que cela n'arrive pas, il faut qu'il ne participe à aucune activité, il s'en abstiendra même si l'accès aux facultés s'en retrouvera négativement impacté.
De toute façon, Kenny n'a pas de grosses prétentions. Il sait très bien qu'il ne rentrera jamais dans une école prestigieuse. Depuis qu'il est gosse, on lui rabâche sans cesse qu'il ne fera rien de sa vie. Qu'un Mc Cormick reste un Mc Cormick et qu'il finira certainement drogué comme sa mère ou alcoolique comme son père. On se plait à l'imaginer dans un squat, une aiguille plantée dans chaque bras à s'étouffer dans son vomi au milieu d'autres camés qui ne sont, pour eux, rien d'autre que des parasites. Kenny n'écoute que d'une oreille ces paroles médisantes et blessantes qu'il entend à longueur de temps. Pas en face, bien sûr. Des messes basses, des rumeurs, mais au final, cela lui revient toujours aux oreilles. Pour l'instant, il préserve son apparence et soigne ses fréquentations. De toutes ses forces, il essaie de se défaire de cette image misérable qu'on lui attribue ou à laquelle on souhaiterait le voir correspondre. Et ça passe d'abord par son physique angélique qui détonne clairement du milieu crasseux auquel il appartient. Hormis la cigarette, il ne consomme aucune drogue et ne boit pas une seule goutte d'alcool. On attend de lui une conduite irréprochable et gare au faux pas. Il en suffirait d'un seul pour bousiller ce qu'il a mis des années à construire. Alors comment annoncer son homosexualité dans un monde où elle est encore taboue et sujette à une virulente discrimination ? Surtout dans sa cette ville merdique aux mentalités d'arriérées.
Tout ce qu'il désire, c'est obtenir un bon diplôme qui le sortira de la précarité dans laquelle lui et sa sœur se trouvent et partir vivre, de préférence, loin d'ici. De toute manière, il n'a jamais vraiment envisagé de pousser trop loin les études. Si après son année de lycée, aucune faculté ne l'accepte, il trouvera bien quelque chose d'autre à faire. Il sait se débrouiller et sans l'aide de personne. Même si sa future situation ne sera peut-être pas celle qu'il escompte aujourd'hui, celle-ci sera toujours préférable au merdier dans lequel ses parents l'ont fourré dès son enfance. Kenny est un battant et pour l'instant, il garde espoir. Il verra ce que l'avenir lui réserve en temps et en heure. Franchement, est-ce que ça pourrait être pire ?
L'oisiveté est mère de tous les vices alors le peu de répit qu'il a, il doit le passer à bûcher au risque d'échouer aux examens de fin de session s'il ne s'active pas. De plus, ce n'est pas à la supérette ou chez lui qu'il peut avancer dans ses révisions. Il préfère donc assurer les quelques points qu'il a la possibilité d'obtenir en ne bayant pas aux corneilles. Direction la bibliothèque, les pieds gelés et le jean trempé. C'est à peine s'il ressent ses orteils comprimés dans ses vieilles baskets. Par contre, ses jambes le brûlent terriblement et le vent qui se lève n'aide en rien à améliorer ces douleurs.
Après quelques longues minutes de marche dans le froid, Kenny revient devant le lycée. Il passe par le parking et slalome entre les voitures garées en épi. Au repos depuis ce matin, elles se sont peu à peu recouvertes de neige. Le calme est encore de rigueur même à proximité de l'établissement. On pourrait même penser que l'endroit est déserté, pourtant c'est loin d'être le cas. Il avance le pas traînant, ce n'est pas comme s'il avait réellement envie de bosser ses cours.
Au fil de son parcours pour rejoindre l'entrée principale, un crissement de métal désagréable lui parvient aux oreilles. L'adolescent fronce les sourcils. Il déteste ce bruit qui lui hérisse le poil. C'est au moins aussi horripilant que des ongles qui frottent contre un tableau à craie. A mesure qu'il progresse, la source du raffut s'intensifie. Sa démarche est aérienne et légère, il ne se fait donc pas remarquer. Avec agacement, il serre les poings. Sa tête balance de droite à gauche à la recherche de l'origine du grincement qui ressemble à s'y méprendre au son du frottement d'une clé contre la carrosserie d'une voiture. D'affreux frissons lui parcourent l'échine jusqu'à ce que son attention finisse par se reporter sur l'objet de son mécontentement.
Kenny se tend l'espace d'un instant avant de desserrer presqu'instantanément les poings. Stupéfait, il observe en silence le responsable réaliser son méfait. Ses pas se sont stoppés, il détaille la scène avec intérêt. Accroupis près d'une vieille berline noire, Craig gratte le côté effilé d'une clef contre les portières polies. Un sourire mauvais lui défigure le visage ce qui intrigue un peu plus Kenny. Il ne sait pas à qui est la voiture, mais il se doute qu'elle appartient à un membre du personnel scolaire. Certainement celle du prof de maths, d'ailleurs.
C'est la première fois que Kenny le voit commettre un délit. Il était assez loin de l'imaginer réaliser ce genre d'ouvrage, mais en y réfléchissant de plus près, ça correspond bien au personnage. Le blond se met à sourire, taquin. L'autre ne semble toujours pas l'avoir remarqué et il compte bien en tirer profit. Peut-être qu'il devrait se lancer dans l'art du profilage s'il passe inaperçu aussi facilement. Amusé, il essaie de lire ce qui est gravé sur le carénage mais n'y parvient pas d'où il se trouve. Alors il décide de se rapprocher en douce. Étrangement, ses yeux ont retrouvé leur malice et sa mauvaise humeur semble s'être envolée. Avec toute la discrétion qu'il est en mesure d'avoir, il contourne les voitures pour arriver derrière le délinquant trop occupé à réaliser son forfait.
Ses mains gantées se reportent sur ses hanches, une mine admirative sur le visage. Il hoche doucement la tête en signe d'approbation puis il se penche un peu en avant pour se retrouver juste derrière l'épaule du brun.
« Co-pro-phage… » murmure-t-il en lisant les rayures tout près de son oreille.
Aussitôt, Craig fait volteface, affolé en sentant une présence dans son dos.
« C'est à la fois raffiné et original. Chapeau bas, » continue Kenny, un large sourire plaqué sur les lèvres. Il se redresse lentement sous le regard médusé de l'autre.
La surprise laisse rapidement sa place à la colère. L'adolescent pris en faute attrape Kenny par le col, le retourne comme s'il n'était qu'un pantin entre ses mains puissantes et le plaque violemment dans un froissement de taule contre la portière. Son regard est menaçant et sa prise sur l'anorak du blond est agressive. Appuyé fermement contre la voiture, son dos en épouse la forme. Cette position pourrait lui tirer un cri de douleur, mais le froid a partiellement engourdi son corps.
Craig soulève le manteau orange dont le bas du visage angélique disparait sous le tissu. Ses pieds décollent du sol sans même s'agiter. Il se laisse gentiment manipuler sans opposer une quelconque résistance. Son sourire arrogant est dissimulé mais son regard qu'il braque sans sourciller dans celui du brun trahit son air narquois. Malgré la situation plutôt inconfortable, cela l'amuse.
« Qu'est-ce que tu fous là Mc Cormick ?! » se met à crier Craig en bousculant davantage l'adolescent soumis à sa poigne. « Tu comptes me balancer, hein ?! Enfoiré ! »
Encore une fois, Kenny se fait soulever puis plaquer plusieurs fois brutalement contre la portière de la voiture. Leur visage sont proches et les cris du lycéen se transforment en une buée qui s'échoue tout contre les joues redevenues pâles du blond. Elle les réchauffe doucement.
Les mouvements emportés du plus grand font se soulever les effluves de son parfum mélangés à celles de son déodorant que Kenny prend plaisir à inhaler à travers son vêtement. Malgré la violence dont il est victime, il ne pense qu'à ce souffle qui lui caresse la peau et cette odeur qui le fait se sentir bien. Pourtant, le regard du brun est brûlant d'hostilité mais il ne rompt pas le contact visuel. Dans une telle situation, n'importe quel autre lycéen pâlirait d'angoisse mais Kenny n'est pas un adolescent comme les autres.
Son silence tend davantage le plus âgé et ses sourcils se froncent encore plus sévèrement. Pour espérer une réponse qui ne vient toujours pas, il secoue Kenny plus durement. Comme seule réaction, il obtient un pouffement de rire ce qui durcit davantage ses traits.
« Tu te fous de ma gueule en prime ?! Tu veux que je te fracasse la mâchoire ?! »
Le rire redouble d'intensité face à la menace. Excédé, Craig arme le poing, prêt à en découdre. Les yeux d'un bleu cristallin s'attardent quelques instants sur les métacarpes abîmés qui lui sont présentés.
Il n'oserait pas le frapper tout de même… Si ?
« Parce que tu crois vraiment que j'irai moucharder ? Tu me prends pour qui, Tucker ?! » s'indigne le blond qui retrouve son sérieux sans pour autant perdre son sourire. Mieux vaut désamorcer la bombe qui est prête à lui exploser en pleine face. « Je suis déçu que tu penses ça de moi… » continue-t-il en feignant la déception.
Craig, intrigué, relâche la pression et le redépose au sol. Cependant, ses doigts ne quittent toujours pas l'encolure de l'anorak. Ils sont maintenant distants d'une longueur de bras. Une fois l'équilibre retrouvé, l'autre garçon s'avance d'un pas pour se rapprocher du brun qui ne cille pas et le regarde faire, méfiant.
« … Je ne dirai rien, tu sais… » confie Kenny d'une voix malicieuse.
Son visage est de nouveau visible dans son intégralité. Il lui adresse son plus beau sourire. Le plus charmeur. Celui qui ferait craquer n'importe quelle jeune femme de son âge. Jusqu'à aujourd'hui, jamais il ne l'avait dégainé pour un homme, mais c'est aussi la première fois qu'il ne se force pas pour l'obtenir. La sensation est grisante et le fait se sentir vivant, pour une fois.
Ses yeux azur sont pétillants d'excitation et son cœur bat à tout rompre dans sa poitrine. L'appréhension s'empare de lui, mais une décharge d'adrénaline le pousse à agir. D'un mouvement souple, il lève le bras en direction du plus âgé qui reste interdit, subjugué par ce regard et ce sourire enjôleurs.
Le cœur au bord des lèvres, il murmure d'une voix chaude sans quitter l'iris tremblant d'incompréhension de Craig :
« … Motus et bouche cousue… »
Au même instant et avec son index, il trace, dans une caresse délicate, une croix sur les lèvres entrouvertes du jeune homme pour qui il a le béguin. Elles frémissement légèrement au contact qui le déstabilise complètement. Sa poigne sur le blond se desserre aussitôt et il fait un pas en arrière. Choqué et sur la défensive. A ce moment, il ne ressemble plus à l'adolescent au caractère violent et impulsif qu'il a pour habitude de montrer, mais plutôt à un animal effrayé traqué par un prédateur. Se sentirait-il en danger ?
Kenny s'avance encore, agrippe doucement un pan de son blouson en cuir d'une main et vient s'appuyer tout contre son buste. Il se hisse ensuite sur la pointe des pieds pour venir à hauteur de son camarade et approche ses lèvres tout contre l'oreille percée auprès de laquelle il glisse d'une voix lascive :
« Je serai muet comme une carpe… »
Son souffle chaud roule sur toute la longueur du cou mais aussi contre l'oreille du jeune homme qu'il sent déglutir avec peine. La situation vient de s'inverser et c'est le plus petit qui a pris l'avantage. Malgré sa fine musculature, Kenny dégage quelque chose d'attractif et d'envoûtant qui ne semble pas laisser indifférent l'autre garçon. Il poursuit sur le même ton :
« … mais ce genre de service, tu t'en doutes, ça se paie… »
D'une main habile, il fait courir le bout de ses doigts sur la nuque raidis de Craig pour remonter ensuite le long du crâne. Son sourire s'élargit davantage et il s'en mordille même l'intérieur des lèvres. Depuis le temps qu'il rêve d'exécuter ce geste…
Sous sa main, il sent le rebelle se décomposer et perdre toute son assurance. Faut avouer qu'habituellement, les personnes qu'il menace de frapper réagissent rarement de cette manière.
« Qu'est-ce que tu veux… » halète ce-dernier d'une voix presque éteinte.
Les doigts fins du blond continuent leur progression, se perdent dans la chevelure d'un noir de jais et passent habilement sous le bonnet péruvien. De l'eau se dépose sur ses doigts qu'il imagine provenir de la douche post séance d'entraînement. Il lui faut une volonté de fer pour ne pas laisser son esprit s'égarer vers des pensées libidineuses et rester concentrer sur le moment présent.
La tension, déjà palpable, monte encore d'un cran entre eux. Kenny sent le bas de ses reins fourmiller d'excitation par cette proximité. Son souffle chaud et humide continue de lécher l'oreille et le cou de Craig qui reste statique, le sien coupé. Le blondinet profite en toute impunité de cette odeur masculine qui le transporte sur un petit nuage de satisfaction.
D'une caresse tendre, il remonte jusqu'à atteindre le sommet de la tête. Une petite impulsion vers le haut soulève le bonnet et le propulse dans les airs. Kenny le rattrape de son autre main et contourne Tucker pour s'en écarter sans plus de cérémonie. La séparation est abrupte et la tension est aussitôt relâchée. Il s'éloigne à petits pas et enfile le fruit de son larcin sur sa tête blonde.
Abasourdi, l'éternel révolté ne trouve rien à dire. Il ne proteste pas alors qu'on vient de lui dérober son bien le plus précieux. Ses iris bleu sombre semblent même éclaircis par une curieuse lueur d'amusement. Kenny aurait même juré avoir décelé un petit rictus au coin de ses lèvres pincées. Des mèches brunes sont dressées sur sa tête par l'humidité. Il en est que plus irrésistible.
« Je le garde pour le week-end, si tu veux bien… »
Il disparaît alors de son champ visuel avant même que le jeune homme ait le temps de contester.
« … et même si tu ne veux pas, d'ailleurs ! » rajoute-t-il d'une voix forte et mélodieuse pour qu'il se fasse entendre malgré son départ.
Tout sourire, il rejoint le chemin principal pour se rendre devant les portes du lycée. Craig ne le poursuit pas. A la bonne heure ! Il n'est donc pas réfractaire à un possible jeu de séduction. Soulagement. Pendant qu'il réfléchit à la suite des opérations, il joue avec les pompons jaunes, les entortillent autour de ses doigts fins avant de les relâcher, fier de lui. Son cœur ralentit la cadence, maintenant apaisé.
Ah ! Qu'est-ce qu'il se sent comblé avec, sur la tête, le bonnet du garçon pour lequel il éprouve des sentiments depuis deux années maintenant. C'est peut-être puéril, mais c'est ainsi. Il n'avait jamais imaginé qu'un quelconque rapprochement soit possible entre eux. Premièrement parce que leurs deux bandes ne peuvent pas se blairer et deuxièmement parce qu'il n'envisage pas de flirter avec un mec sans s'assurer, au préalable, qu'il soit gay. La deuxième raison est résolue depuis ce matin. Quant à la première… eh bien… il s'agit d'une autre paire de manche. Dans l'immédiat, ce n'est pas le plus important. Il verra plus tard comment arranger les choses. Rah… et puis, rien que de penser à ses trois compères, ça lui en déclenche une migraine à s'en cogner le crâne contre les murs.
Deux étudiants font irruption dans son champs visuel. Ils poussent les portes du lycée ce qui distrait son attention. Aussitôt, il enlève le bonnet de sa tête et le fourre dans son sac. Tout le monde ou presque sait à qui appartient ce bonnet péruvien et la réputation de bad-boy qui le précède. Dans ce petit établissement, les rumeurs vont bons trains et il n'aimerait pas que les gens parlent dans son dos de choses qu'ils ne connaissent, et surtout, ne comprennent pas.
Dernier coup d'œil au fond de son sac, le voilà reboosté pour la journée.
D'un pas joyeux, presque sautillant, il rejoint la bibliothèque où il y passe le plus clair de son après-midi. Les cours d'histoires sont à jour. Ceux d'algèbres ne le sont pas du tout, mais c'est plus fort que lui… Dès qu'il pose ses yeux sur des différentielles, la vieille tête ridée de l'autre matheux vient le tourmenter. Brr. Sans façon pour aujourd'hui. Et puis, il a déjà bien avancé, il s'occupera de son devoir maison de mathématiques ce week-end.
En ce moment, la plupart des étudiants sont en cours ou dans des clubs culturels. Les tables sont désertes et seuls quelques postes informatiques sont occupés. Au moins, la bibliothèque est l'endroit propice pour un travail efficace même si le silence quasi constant l'oppresse un tantinet. Faut dire qu'il est plus habitué à vivre dans un environnement cacophonique. Hurlements. Objets fracassés. Télévision qui crache trop de sons. Bruits de voitures. Couloirs aériens juste au-dessus de sa maison. L'idéal pour se ressourcer et rester concentré, quoi …
Kenny observe un instant l'espace autour de lui et referme ses bouquins, satisfait. En rangeant ses affaires, il aperçoit le bonnet au fond de son sac et ne peut s'empêcher de sourire. Puis il jette un coup d'œil sur son portable.
17h45
1 nouveau message
De : Kyle
Je suis à mon cours de théâtre. Si tu veux on peut se voir à la fin de ma répétition à 18h30.
Aujourd'hui, 15h15
Une pointe de remord vient titiller Kenny qui s'en veut de ne pas avoir répondu à son ami. Ce n'est pas la première fois que le roux témoigne des signes d'inquiétudes à son encontre. Il ne devrait pas se faire autant de mouron. Surtout pas pour lui. Il décide tout de même de lui renvoyer un message.
A : Kyle
J'embauche à 19 h. Tout va bien, ne t'inquiète pas. Juste un peu de fatigue accumulée que j'ai du mal à rattraper. On se voit lundi en cours. Bon W-E.
Envoyé. Aujourd'hui, 17h47
Le coup de la fatigue. Ah… Elle est bien utile cette excuse. Simple. Efficace. Personne ne vient la remettre en cause puisque son seul emploi du temps suffit à la justifier. Lycéen assidu, travailleur exploité les week-ends et quelques soirs dans la semaine ainsi que chef de famille à ses heures perdues. Un rendez-vous médical pour sa sœur ? C'est lui qui gère. Des factures en retard à payer ? Encore lui. Les courses ? Toujours lui. Travaux ménagers ? Faut-il préciser que c'est encore et toujours lui ? Il prend tout sur ses épaules puisqu'il refuse que sa sœur fasse ce qui devrait être le rôle de ses parents. Surtout à 13 ans.
La deuxième vague de bus scolaires ne va pas tarder à arriver alors il doit se hâter. D'un pas rapide, il rejoint l'extérieur du bâtiment. Les arrêts sont à une centaines de mètres de l'entrée principale. Au passage, il voit le professeur de mathématiques, rouge pivoine, s'égosiller près de sa voiture avec le directeur et le CPE autour qui fixent, consternés, l'œuvre d'un certain délinquant. Il trace sa route et se retient in extremis de sourire, il ne faudrait pas que son comportement éveille les soupçons.
Peu après, il aperçoit du coin de l'œil Tweek, Jimmy et Token assis sur le dossier d'un banc à proximité du premier arrêt de bus. Craig est débout, face à eux, les mains dans les poches de son jean. Kenny longe l'arrière du banc, il n'est donc visible que du brun. Avec un sourire qu'il ne prend pas la peine de dissimuler cette fois-ci, il marche sans adresser un regard au jeune homme. Cependant, il sent le poids du sien peser sur ses épaules et suivre sa démarche chaloupée. C'est plutôt agréable.
Ses pas se stoppent à quelques mètres du groupe, au deuxième arrêt de bus. Parfois, il ne prend pas le même que le matin pour se rendre à son lieu de travail en banlieue. Aujourd'hui, ses amis sont aux abonnés absents. Kyle finit tard le vendredi et c'est généralement ses parents qui le ramènent chez lui. Quant à Cartman, il est déjà rentré puisque ses cours de journalisme finissent plus tôt. En bonne commère qui se respecte, c'est tout naturellement qu'il s'est orienté vers cette activité dans laquelle il s'occupe de la rubrique faits-divers. Kenny s'étonne toutefois que Stan ne soit pas présent, d'habitude, c'est l'heure à laquelle il finit ses entraînements de football américain. Enfin… Heureusement qu'ils ne sont pas là ! Pas sûr qu'il aurait pu encaisser les regards inquisiteurs et les multiples questions qui les auraient accompagnés. L'esprit moins préoccupé, il peut donc se concentrer sur quelque chose de bien plus attrayant à son goût.
De loin, il entend des bribes de conversation. Une retient particulièrement son attention.
« Bah… Craig… Qu-Qu'est ce que tu as fait de ton bo-bonnet ?
— T'occupe Tweek.
— Pou-pourquoi tu veux pas le dire. T'as des-des trucs à cacher ?
— Tu d'vais pas arrêter de boire du café après 17 heures, toi ?! essaie de se défendre Craig pour changer de sujet, une pointe d'agressivité dans la voix.
— Haaa ! Parle pas de chose qui fâche... s'écrit Tweek en se réfugiant dans sa tasse de café fumante.
— J'avoue ! T'avais pas dit que tu devais passer au décaféiné, en plus ? » enchaine Jimmy qui fait le jeu de Craig sans s'en apercevoir.
L'oreille tendue, Kenny sait qu'il est en ce moment même en train de se faire épier en long, en large et en travers. Amusé par la situation, il concède finalement à lui lancer un coup d'œil en coin. Leur regard se croise comme il l'avait pressenti et il s'observe un long moment en silence alors que les autres continuent leur discussion.
Craig essaie de décrypter les intentions du blondinet à travers ses iris d'un bleu azur qui contrastent dans cet univers d'un blanc immaculé. Cette fois-ci, il n'y a pas de doigt d'honneur ni de menaces qui viennent perturber leur échange. Pour le plus grand plaisir du plus jeune qui se régale d'être au centre de son attention.
Finalement, le bus de Kenny arrive en premier. Avant de rompre le contact plutôt étrange qui s'était formé, il lui lance un clin d'œil complice qui est accueilli par un très léger haussement de sourcil. Le visage de Craig est fermé mais son expression incrédule est adorable. Apparemment, le brun ne sait pas vraiment comment interpréter les signaux qu'il lui envoie.
Kenny prend place dans le véhicule qui ne tarde pas à décoller. Il jette une dernière œillade à Craig qui fait de même et se tourne dans sa direction. Ses amis ne lui prêtent pas attention, trop occupés à embêter Tweek de toutes les façons imaginables. Encore une fois, le blond retrouve son sourire, fait un long clin d'œil accompagné d'un signe V de la main après s'être assuré que personne d'autre que l'intéressé ne le voit faire. Aucune réaction de la part du rebelle qui ne fait qu'observer en silence, suspicieux.
Alors que le bus s'éloigne, il se dit qu'amadouer l'adolescent ne sera pas chose aisée. Faut dire que ce rapprochement inopiné doit lui sembler bien suspect. Mais qu'à cela ne tienne ! Kenny apprécie les défis. Et puis, ce n'est pas n'importe lequel ! On parle de séduire Craig Tucker…
Ses pensées tournées vers son apollon au tempérament volcanique, il s'empare de la pomme de son repas de midi et la croque à pleine dent. Le trajet défile à toute vitesse et c'est en un rien de temps qu'il se retrouve à son arrêt. Quelques centaines de mètres le séparent de son lieu de travail. Malgré le froid qui recommence à lui ronger les orteils, Kenny sifflote, les mains dans les poches de son anorak. Son visage apaisé porte un sourire qu'il ne peut décrocher. Il est de bonne humeur. De très bonne humeur même. A tel point d'avoir l'impression que rien sur cette terre ne pourrait la lui enlever.
Sa soirée passe relativement vite. Les clients sont agréables et ne lui posent aucun problème. Le sourire sincère qu'il a constamment plaqué au visage depuis cet après-midi doit y être pour quelque chose. Comme d'habitude en fin de service, il va jeter, dans les grandes poubelles extérieures, les produits frais ayant dépassés la date limite. Secrètement, il en range une partie dans ses affaires. Balancer toute cette bouffe non-consommée lui donne la nausée, mais les ordres sont les ordres et s'il veut garder son job, il doit les respecter. Avant de déverser de la javel pour éviter que des personnes viennent se servir allégrement dans les poubelles, il pose quelques yaourts et produits de charcuteries sur les côtés des containers. La famille de Kenny n'est pas la seule à vivre dans la précarité et ces aliments vont très vite trouver preneur. L'adolescent sait qu'il risque gros, mais c'est plus fort que lui. Il ne peut pas concevoir que l'on gaspille de la nourriture encore mangeable alors que tant de monde crève la dalle.
Fais ce que tu dois, advienne que pourra.
Il n'y a que de cette façon que Kenny puisse se tenir droit dans ses bottes.
L'heure de partir approche et son patron, toujours absent en fin de soirée depuis que l'adolescent a gagné sa confiance, lui laisse la lourde responsabilité de fermer le magasin. Ici, personne ne s'inquiète de voir un mineur travailler jusqu'à pas d'heure. En même temps, dans un pays où il est plus facile pour un ado d'acheter une arme qu'un paquet de cigarette ou un billet de loterie*… Rien de très étonnant.
Après avoir descendu le rideau métallique, compté sa caisse et avoir mis la recette de la journée en sécurité, Kenny passe un dernier coup de balais avant de fermer boutique. Il récupère son sac plein de victuailles périmées et se retrouve seul, dehors au beau milieu de la nuit. Quelques lampadaires éclairent la rue déserte d'une lumière jaune clignotante, mais il s'estime déjà heureux de les avoir pour rentrer jusqu'à chez lui. Le froid commence à s'insinuer dans son anorak et il frissonne légèrement. Pour éviter de marcher dans la poudreuse et aggraver ses engelures aux orteils, il reste sur la route fraîchement déneigée. De toute manière, ce n'est pas la circulation actuelle qui lui posera problème.
Dans ce quartier assez mal-fréquenté, tout le monde sait qu'il ne possède rien alors personne ne vient l'emmerder. C'est bien pour ça qu'aujourd'hui, il ne se sent pas particulièrement en danger. Toutefois, prudence est mère de sureté donc ce sont les sens en alerte que Kenny trace sa route jusqu'à chez lui. On n'est jamais à l'abri d'un fou furieux ou d'un camé sous crystal meth en pleine crise paranoïaque.
Pendant les quarante-cinq minutes de marche silencieuse qui composent son retour à domicile, il se dit qu'il aimerait bien avoir un baladeur MP3 pour écouter de la musique et s'isoler du reste du monde. Malheureusement, ce n'est pas encore ce mois-ci qu'il pourra se le payer. De plus, pas sûr qu'il le conserve plus d'une semaine à traverser ce genre d'endroit quotidiennement.
Pour tuer le temps, il s'égare un instant dans ses pensées. Très vite l'ennuie le gagne et l'envie de fumer commence à pointer le bout de son nez, mais il se garde bien d'y succomber. Se faire dépouiller pour trois pauvres clopes, ça ne l'intéresse guère.
La nuit avance et le lycéen, les mains fourrées dans les poches, commence à greloter. Malgré la capuche de son anorak sur la tête, ses joues rondes ainsi que ses oreilles sont grignotées par le froid. Pour garder un peu de chaleur, il resserre le cordon de son manteau au maximum. L'idée d'enfiler le bonnet de Craig sur la tête n'a pas manqué de lui traverser l'esprit, mais il ne veut pas courir le risque de se le faire subtiliser. Il enfouit alors son nez à l'intérieur de la moumoute rugueuse pour que seule une bande de la largeur de ses yeux soit exposée à la morsure du gel.
Son regard, perdu au loin, est attiré vers une vieille canette oubliée sur le rebord du trottoir. Sans ménagement, il envoie son pied valser contre pour la projeter de l'autre côté de la chaussé. Le bruit métallique résonne quelques instants avant que la rue bordant les maisons et les HLM délabrés retourne dans le silence le plus complet. Parfois, ils croisent quelques groupes de jeunes auquel il ne porte aucune attention et continue son chemin.
Déjà deux heures du matin quand il arrive chez lui. Karen n'est pas à la maison ce soir. Tant mieux. Elle est sûrement chez Ruby. Et qui dit Ruby dit Craig, son grand-frère. Peut-être qu'il devrait l'accompagner un de ces quatre. Il trouverait bien une excuse pour que ses véritables intentions passent inaperçues aux yeux de sa petite sœur.
C'est le sourire fendu jusqu'aux oreilles qu'il arrive devant sa porte. Au moment où il pose sa main sur la poignée, sa bonne humeur se volatilise. Retour à la réalité. La porte est entrouverte et il entend racasser dans la cuisine. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Il fait un froid glacial et personne ne pense à fermer cette foutue porte pour préserver le peu de chaleur qui reste à l'intérieur. Calmement, il prend une profonde inspiration, expire bruyamment puis entre.
A contre-cœur, il s'aventure plus loin dans le couloir aux odeurs âcres d'alcool. Il appuie avec le bout de son pied contre ses talons et se débarrasse de ses chaussures qu'il laisse en plein milieu du passage. A tâtons dans la nuit, il essaie d'atteindre l'interrupteur. Peut-être que… Non. Toujours pas. Les factures sont encore impayées.
Calme et sérénité…
Il va encore devoir puiser dans ses ressources pour régler le problème. Traînant des pieds, il se dirige vers la cuisine, entouré par la pénombre. Lorsqu'il passe le cadre de la porte, des mains fermes l'agrippent de part et d'autre de sa capuche et le secoue dans tous les sens. Kenny, surpris, ferme les yeux par réflexe et se tend. Les secousses cessent enfin et un souffle chaud et nauséabond s'écrase sur son visage. Il reconnaitrait cette odeur pestilentielle entre mille.
« T'étais où, p'tit bâtard ?! J'espère que t'as ramené de quoi boire ! » s'écrit une voix grave et avinée.
L'adolescent ainsi immobilisé ne bouge pas d'un pouce. Il ne s'y risquerait pas lorsque son cher paternel se trouve dans cet état d'ébriété avancé. Une voix criarde, presqu'agonisante provenant du salon l'interrompt :
« L'insulte pas de bâtard, enfoiré. C'est ton fils…
— Ta gueule, sale chienne, grogne-t-il à l'encontre de sa femme. Puis son attention se reporte sur Kenny. Elles sont où mes bières ? Hein ?! Elles sont où ?! »
De nouveau, Stuart secoue brusquement son fils qui ne lui répond pas. A quoi cela pourrait-il servir ? Il n'a pas la moindre envie de dépenser le peu d'énergie qu'il lui reste à confronter son père. Cet ivrogne n'est, de toute manière, pas en mesure d'accepter une réponse négative alors il préfère garder le silence.
« Réponds ! hurle-t-il, de plus en plus énervé en resserrant sa prise sur le manteau.
— Laisse le tranquille.
— Ferme là, toi ! J'te parle pas à ce que je sache. »
Le regard de Kenny se perd dans le vide, la tête légèrement inclinée en avant. Totalement amorphe.
« Kenneth ! Tu vas me répondre p'tit fils de pute ! »
A bout de nerf, son père le déplace d'un geste brutal contre le mur et lui barre le passage en appuyant son bras contre sa clavicule. D'une main, il lui arrache son sac de l'épaule.
« C'est là-dedans ? Y a plutôt intérêt ! »
Tout en poussant des grognements, il enfouit la main dans son sac. Comme il ne trouve pas l'objet de sa convoitise, il renverse tout son contenu avant de l'envoyer valdinguer à l'autre bout de la pièce. Kenny est toujours immobilisé par son père qui lui agrippe désormais les épaules. C'est alors qu'il recommence à le secouer plus fermement et lui cogne plusieurs fois l'arrière du crâne contre le mur. Hagard, l'adolescent se laisse manipuler sans opposer la moindre résistance. Comme d'habitude, il ne le confronte pas. Cela ne servirait à rien, à part envenimer la situation. Une douleur cinglante irradie de l'arrière jusqu'à l'avant de sa tête.
« T'es qu'un bon à rien ! Tu me dégoutes. J'aurai préféré qu'tu naisses jamais ou qu'tu crèves dans le ventre de ta salope de mère ! T'entends ce que je te dis ?! Tu sers à rien ! Tu pourrais bien clamser qu'j'en aurai rien à foutre ! »
Sa tête heurte une dernière fois durement le placo du mur qui finit par se creuser. L'esprit de Kenny est ailleurs, transporté loin de sa réalité. Complètement désorienté. Les yeux d'un bleu cristallins sont révulsés par les chocs. Il est à deux doigts de l'évanouissement. Ses muscles commencent à perdre leur tonus et ses pieds se dérobent sous son poids. Au moment où il se sent glisser au sol, deux mains fermes viennent lui encercler le cou et le soulève. Rapidement, une sensation d'étouffement le saisit. L'air ne circule plus malgré tous ses efforts pour inspirer. Il sent la pression dans sa boîte crânienne monter en flèche et venir appuyer douloureusement à l'arrière de ses yeux. Des cris fusent dans ses oreilles mais les mots prononcés sont inaudibles. Par réflexe, il place ses fines mains sur l'étau qui lui compresse la carotide pour essayer d'alléger la pression, mais rien y fait.
Aucun son de détresse ne sort de sa bouche grande ouverte. Ses cordes vocales sont complètement comprimées et il reste muet. Chaque seconde semble durer des heures. A mesure que son cerveau s'asphyxie, ses forces l'abandonnent. Une boule d'angoisse vient lui comprimer la poitrine et tous ses membres se mettent à trembler d'effroi. Avec l'énergie du désespoir, Kenny plante ses ongles dans la chair de Stuart qui ne relâche toujours pas sa poigne de fer. Il essaie de donner des coups de pieds violents qui se concluent par de pitoyables échecs.
Alors qu'il allait abandonner la lutte et tourner de l'œil, il sent une autre paire de mains se poser sur lui et essayer de défaire l'étau qui lui enserre le cou. Kenny n'entend plus rien à part d'affreux bourdonnements sourd dans ses oreilles. Puis d'un coup, l'air se met de nouveau à affluer dans une sensation douloureuse de brûlure. L'étreinte est relâchée et il s'écrase de tout son poids contre le sol.
Aussitôt, il reporte ses doigts à l'avant de son cou et tousse à s'en arracher les bronches. De la morve coule à flot de son nez et le jeune homme, à quatre pattes, se met à baver abondamment avant de vomir de la bile dans un râle effroyable. Son front est appuyé un long moment contre son bras, à même le sol. Il essaie de reprendre ses esprits entre deux hoquets et grognements puis se redresse légèrement après avoir rendu tout le contenu de son estomac. Son menton est inondé de glaire en tout genre et son corps tremble, soumis à de violents spasmes.
Les sons reviennent peu à peu et il commence à distinguer deux voix qui hurlent sans comprendre la moindre parole. Le jeune homme déglutit avec peine et commence à recouvrer ses esprits à genoux contre le carrelage poisseux de la cuisine. Doucement, il reporte une main tremblante à l'arrière de sa tête. Un liquide épais vient se répandre sur la pulpe de ses doigts. Il frotte légèrement, fait la grimace puis abandonne en agrippant ses cuisses des deux mains. Un mal de crâne épouvantable lui file de nouveau la nausée en plus de la sensation d'étranglement qui persiste sur sa trachée.
Le monde vacille autour de lui et il recommence à tanguer, prêt à s'écrouler. Un bras décharné se pose finalement sur son épaule pour l'empêcher de tomber. Trop faible, il ne fait rien pour s'en départir. Une caresse délicate vient alors dégager ses cheveux trempés de sueur de son visage. Tout de suite après, des lèvres moites et frémissantes se déposent sur son front. Une compresse froide et humide est appliquée contre sa plaie à l'arrière de sa tête et le lycéen ne peut s'empêcher de geindre faiblement face à la douleur lancinante qui la lui perfore. Il souffle bruyamment et aspire chaque molécule d'oxygène avec avidité. Sans comprendre pourquoi, il se laisse aller à l'étreinte étrangement chaleureuse de sa mère, rassuré d'être encore en vie. La tension retombe tout doucement et il reste de longues minutes affalé contre la poitrine de Carol qui occupe, pour la première fois depuis de nombreuses années, le rôle qu'elle aurait toujours dû occuper.
Lorsque les nausées commencent à s'estomper sans pour autant que les douleurs s'atténuent, l'adolescent essaie de se relever. Tant bien que mal, sa mère l'aide à se mettre debout. Tous les deux savent que le mieux qu'ils puissent faire maintenant serait de l'emmener à l'hôpital mais qui dit pauvre, dit pas de couverture maladie et qui dit pas de couverture maladie, dit aucun soin.
Une fois sur ses deux pieds, Kenny, encore tremblant, se concentre sur sa respiration pour éviter que sa tête lui tourne de trop. Une main se reporte tendrement sur sa tempe. Agacé par les gestes prévenants de sa maternelle qui n'a pas pour habitude de l'être, il cherche à se défaire de son contact. Elle le laisse faire sans dire un mot et relâche son étreinte pour éviter qu'il ne s'ébroue de trop.
Pendant une demi-seconde, il a l'impression qu'il va s'écrouler au sol mais se rattrape au dernier moment en agrippant le rebord du plan de travail. Immobile, il attend de retrouver sa stabilité. Une fois chose faite, il avance doucement dans l'obscurité et tâtonne le carrelage du bout du pied. Une matière cotonneuse effleure son orteil et il s'accroupit lentement pour récupérer l'objet. Il le serre de toutes ses forces entre ses doigts.
« Va te coucher, Kenneth… Tu as besoin de repos.
— Je n'ai pas besoin de tes conseils, mère modèle, » répond-il sèchement d'une voix rauque.
En prenant appui sur sa main toujours agrippée sur le rebord du meuble, il se redresse difficilement. Il marche ensuite d'un pas traînant et incertain jusque dans sa chambre sans accorder le moindre mot à Carol qui reste en retrait, interdite.
Chacun de ses souffles est douloureux. Sa gorge siffle au passage de l'air. Enfin dans sa chambre, il referme la porte contre laquelle il s'appuie de tout son poids. Ses yeux se reportent au plafond et il laisse son esprit s'égarer dans ses pensées. Sa main se crispe sur le bonnet. Il le porte lentement à son visage pour que la douceur de ce-dernier vienne lui caresser la peau des joues. L'odeur de Craig se répand dans ses narines et lui apporte un peu de réconfort. Il ferme les yeux, rassuré. C'est presque comme s'il était avec lui.
A bout, il trouve tout de même la force de se tirer jusqu'à son lit sur lequel il s'assoit avec précaution. Sa tête lui fait un mal de chien. Il pose le bonnet péruvien sur son oreiller et défait la fermeture éclair de son anorak qu'il enlève avant de le jeter par terre. Au moment où il allait s'allonger, on frappe faiblement à la porte de sa chambre.
« Dégage !
– Kenneth… Je suis… bredouille sa mère d'une voix penaude. Il faut que tu…
— Fous le camp ! »
D'un geste brusque, il s'empare de sa lampe de chevet et la projette à travers la pièce. Elle s'éclate avec fracas contre le mur qui tremble légèrement. Il ne sait pas vraiment pourquoi mais il n'y a qu'envers sa mère qu'il réussit à s'énerver alors qu'elle, à l'inverse de son père, n'a jamais levé la main sur lui ou sur sa sœur. Peut-être qu'il lui en veut de ne rien faire pour les protéger de cet homme qui n'en est plus un depuis plusieurs années maintenant.
« D'accord, Kenneth… essaie-t-elle de temporiser, mais je te laisse quelques cachets et un verre d'eau derrière la porte… »
Le silence s'installe et son mal de crâne s'est amplifié suite à l'effort. Elle est toujours derrière la porte et semble attendre une réponse qui ne vient pas.
« Ton père est parti, il ne reviendra pas avant plusieurs jours.
— Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Barre-toi et laisse-moi tranquille.
— Essaie de te reposer au moins... »
C'est que son ton inquiet en serait presque convaincant.
Pitoyable.
Des bruits de pas s'éloignent et il se retrouve de nouveau seul avec lui-même. Enfin.
Putain, quelle vie de merde…
Une grimace lui déforme le visage lorsqu'il dépose la tête sur son oreiller. Il se glisse ensuite avec mollesse dans ses draps qu'il remonte à hauteur de son nez, encore tout habillé. Ses doigts effleurent son cou endolori avant qu'il ne récupère le bonnet de Craig coincé sous sa nuque. Avec délicatesse, il y enfouit son visage et inspire cette odeur particulière qui apaise ses nausées. Il se tourne ensuite sur le côté et glisse le bonnet contre sa poitrine qu'il étreint entre ses bras. Ses jambes se recroquevillent et il se met en boule pour faire taire la douleur à l'arrière de sa tête, éreinté. Le pompon jaune du bonnet lui chatouille le menton et il enroule ses doigts autour des cordons.
Heureusement que la présence de Craig, bien qu'indirecte, est là pour le soutenir et que sa sœur soit en sécurité, au chaud chez ce-dernier. L'épisode d'aujourd'hui remet en perspective toutes ses certitudes. Pas sûr que laisser sa sœur évoluer dans cette maison de fou soit la meilleure des solutions même si cela signifie ne plus pouvoir veiller sur elle au quotidien. C'est la première fois que son père va aussi loin et qu'il a réellement craint pour sa vie.
La mort dans l'âme, il presse une dernière fois le vêtement contre sa poitrine avant de sombrer, sans s'en apercevoir, dans un profond sommeil…
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…
Re'
J'espère que tout va bien après cette lecture. Je suis désolée pour le petit ascenseur émotionnel. D'un Kenny en détresse, on passe à un Kenny comblé puis de nouveau en détresse. Vilaine autrice. Le pauvre n'est pourtant pas au bout de ses peines ! 😉
Enfin… Bref ! Je n'en dis pas plus. Mystère et boule de gomme. *Disparition*
*Reviens toute penaude parce qu'elle n'a pas dit au revoir. *
Je vous fais de gros bisous et au prochain chapitre qui, je l'espère, sera publié plus rapidement.
Farouche qui vous aime.
PS : Je sais que les personnages de Stuart et de Carol sont un peu (beaucoup) OOC mais c'est intentionnel. C'est pour alourdir l'ambiance et leur changement de comportement vis-à-vis de leurs enfants sera expliqué plus tard. J'ai aussi volontairement changé la taille de la ville puisque South Park, dans le cartoon, est une petite ville de campagne.
PPS : (note dans le texte signalé par un *) Une expérience aux USA a été réalisée avec un mineur qui a essayé d'acheter plusieurs choses normalement interdites pour leur âge. Si on lui a bien refusé l'accès aux billets de loterie, cigarettes ou encore alcool, il a réussi à se procurer une arme à feu tout à fait légalement. Incroyable, non ?