« Non »
Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas ! Ils sont à Hiromu Arakawa, qui a eu le bon goût de les créer :p
Base : FMA (manga)
Rating : T
Genre : Hurt/Comfort – Romance – Shônen-ai (Edvy) – OS
Résumé : Tout était parti d'un « non ». Un simple, petit, tout petit « non ». S'était alors abattue l'apocalypse.
Musiques : Spanish Sahara, Mountains, The Sense of Me, Timeless, Mt. Washington, Golden Hour (Life Is Strange OST)
Note : Je ne sais pas trop pourquoi cette fic m'est venue. Peut-être parce qu'elle m'apparaît comme une étape nécessaire de la relation qu'entretiennent Edward et Envy ? Je pense que c'est un passage important qu'il leur faudrait franchir, à un moment. Ou « surmonter », plutôt. Ce moment où ils se tiendraient résolument tête, l'un à l'autre, et où Envy devrait apprendre à porter son regard plus loin que lui-même pour espérer pouvoir goûter, un jour, à une relation normale avec quelqu'un.
BAM !
Edward sursauta. Un exploit, compte tenu de la raideur de ses membres.
SCRASH !
Il tremblait. De tout son corps.
À vrai dire, il n'osait même plus respirer.
CLANG !
Le fracas de la tringle à rideaux qui rencontrait l'étagère résonna autour de lui comme un coup de tonnerre, se répercuta dans la moindre de ses cellules. L'impact fut si puissant que pendant quelques secondes, sa tête lui parut vibrer de l'intérieur. On eut dit que la chambre entière était secouée par un véritable tremblement de terre. Edward en était presque assourdi. Mais même ainsi, impossible pour lui de manquer les hurlements qui saturaient la pièce.
Dieu merci, depuis peu, Alphonse et lui avaient déménagé dans un pavillon. Avec un tel ramdam dans un immeuble, lui et son frère se seraient retrouvés assaillis par les plaintes des voisins en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire – ou pire, avec l'armée à leur porte. Après, le blond ne se leurrait pas non plus : vu le vacarme, s'il mettait les pieds dehors le lendemain, il était sûr de s'attirer les regards réprobateurs du voisinage. Sans doute, non plus, ne manquerait-il pas d'être au cœur de leurs commérages. Mais bon. Ça, il aurait tout lieu d'y penser quand la crise serait passée.
Quelle crise ?
Celle d'Envy.
Et il lui fallait la gérer. Vite.
« RAAAAAH ! »
L'homonculus balaya d'un revers de sa queue reptilienne tout ce qui se trouvait sur le bureau du jeune alchimiste. L'adolescent accusa le coup, mais intériorisa la perte de son mieux. Cela n'était pas une mince affaire alors qu'il voyait ses dernières recherches en date voler dans les airs, emportées par le tourbillon de colère de l'androgyne, quand elles n'avaient pas été tout bonnement mises en pièces par les griffes de ce dernier ou tachées d'encre, une fois au sol, par l'encrier qui s'était renversé dans la foulée. Avec elles, c'étaient autant d'heures de travail qui partaient en fumée. Mais Edward n'allait certainement pas prendre le risque de s'approcher pour les récupérer et tenter de sauver ce qui pouvait l'être encore. Il n'était pas fou : vu la situation, s'il s'avançait, il risquait de se prendre un coup perdu qui l'emmènerait direct à l'hôpital – voire la morgue. Or, il ne tenait pas à finir en confettis. Ce n'était d'ailleurs pas pour rien qu'il s'était empressé de congédier Alphonse lorsque celui-ci avait pointé le bout de son nez, alerté par ce tumulte en plein milieu de la nuit.
Edward ferma douloureusement les yeux à cette pensée. Il n'avait obtenu qu'avec peine que son cadet le laissât gérer seul la situation, mais il savait qu'il ne couperait pas à des explications sitôt que le calme serait revenu. Un, sur la présence d'Envy chez eux ; deux, sur la raison de sa colère ; trois, sur celle qui l'avait poussé, lui, à rejeter l'aide proposée par son frère pour maîtriser l'homonculus en furie.
Mais non. Edward ne pouvait pas laisser Alphonse se mêler de ça.
Cette histoire, ça ne concernait qu'Envy et lui.
Ou, plus précisément, que son partenaire et lui.
BAM !
Un livre fusa à hauteur de la tête du jeune garçon, dont les cheveux volèrent en tous sens, emportés par le souffle généré par le projectile. L'ouvrage manqua de s'encastrer dans le mur mais, à la place, explosa en une volée de feuilles. Edward, pétrifié, attendit qu'elles fussent toutes retombées pour aviser du coin de l'œil les dégâts. Le pauvre livre gisait au sol, la reliure déchirée, sa couverture coupée en deux. Net. Encore une perte à ajouter à la liste qu'Envy était en train d'allonger à force de coups et de rage déversés aveuglément. Toutefois, Edward pressentait que ce n'était là que le début.
Jamais il n'avait vu Envy dans cet état.
Jamais il n'aurait cru voir qui que ce fût, un jour, dans un tel état, du reste. A fortiori pour un motif aussi stupide ; pour une raison aussi insignifiante. Mais pouvait-il la qualifier ainsi quand elle se soldait par la destruction du peu d'affaires qu'il avait jamais eues ? Somme toute, par celle de tout ce à quoi il tenait un tant soit peu depuis que son frère et lui s'étaient établis dans ce nouveau pied-à-terre ? Edward commençait à se le demander.
Alors oui, une grande partie de cette casse ne serait bientôt plus qu'un souvenir. Son alchimie pouvait réparer. Son alchimie pouvait effacer.
Le blond savait que s'il s'y mettait sérieusement dès le lendemain, la plupart des traces du saccage auraient disparu en quelques heures. Ce serait un jeu d'enfant de tout remettre en état. Après tout, ses possessions étaient limitées et sa chambre, peu décorée. Une chance pour lui, il avait appris dès son plus jeune âge à vivre simplement, sans trop d'attaches, comme en témoignait son intérieur. Mais le problème, ici, dépassait de loin la simple considération matérielle.
Au fond de lui, Edward savait qu'il aurait beau user de tous les tours de passe-passe qu'il souhaitait, cela n'équivaudrait qu'à appliquer un pansement sur une jambe de bois.
Certes, en quelques éclairs à peine, tous les stigmates de cette soirée abominable s'évanouiraient comme un mauvais rêve. Certes, sa chambre redeviendrait comme avant. Intacte. Plus rutilante, encore, peut-être. Mais son cœur, lui, ne s'en remettrait pas aussi facilement. Car il aurait beau maquiller la chose… il aurait beau tout effacer d'un claquement de mains, quelque chose, en lui, demeurerait profondément meurtri.
Peut-être à jamais.
Son cœur se serra.
Il porta la main à son torse, agrippa son haut de pyjama. Se mordit la lèvre pour contenir sa peine.
Avait-il, vraiment, dépassé les bornes ?
Avait-il, réellement, commis une erreur impardonnable qui justifiât ce carnage ?
Avait-il, malgré lui, blessé son amant ?
Aurait-il pu, ou dû, réagir autrement que comme il l'avait fait ? Ou tout ceci n'était-il qu'une fatalité ? Un passage obligé dans leur relation tempétueuse ?
Un point de rupture inévitable ?
Difficile d'y réfléchir posément alors qu'Envy lui beuglait dessus depuis au moins quinze minutes. Parce que niveau décibels, ça y allait. À tel point qu'Edward avait beau essayer, il ne s'entendait même plus penser. Ses oreilles bourdonnaient, assourdies par les reproches qu'aboyait l'homonculus sans discontinuer.
« Ça fait plus d'une semaine, putain ! Tu penses vraiment qu'à ta gueule ! »
« C'est peut-être nos dernières nuits ensemble ! Tu t'en fous ?! Tu veux pas profiter un peu ?
Tu seras crevé, après ! Alors pourquoi je devrais attendre ?! »
« Pourquoi ce serait à moi de céder ?! »
Edward s'était posé la même question, quand Envy avait commencé à l'invectiver alors que jusque-là, tout se passait si bien.
Après ce simple mot.
Après ce simple « non ».
Après ce « non » de trop.
« C'est un truc d'humain ? Tu veux mettre ma patience à l'épreuve, c'est ça ?!
Ben t'es mal barré, parce que j'en ai pas ! »
« C'étaient les petites lettres en bas du contrat, t'avais pas lu ?! »
Alors, soudain, la foudre s'était abattue ; les reproches étaient tombés ; les coups avaient plu. Pas sur lui, mais il s'en était fallu de peu. Parce qu'après une dizaine de refus, à raison d'un par soir au moins, Envy avait refusé d'en endurer un de plus. Il avait fini par entrer dans une rage folle, incontrôlable, que l'adolescent avait pressentie, mais qu'il n'avait pas su prévenir.
Tout à coup, d'une seconde sur l'autre, l'homonculus avait tombé le masque, dévoilant à Edward une facette qu'il aurait préféré ne jamais lui voir. Ou plutôt, si le jeune garçon devait être tout à fait honnête… une facette qu'il n'avait jamais voulu lui voir. Parce qu'il avait trop peur de ce qu'elle impliquait. Parce qu'il redoutait trop de devoir y faire face, surtout à l'aube du jour promis, dont la venue se profilait irrémédiablement.
Peut-être était-ce pour cela qu'ils étaient tous deux à fleur de peau, ce soir ; qu'il avait répondu un peu plus sèchement que d'habitude et qu'Envy l'avait pris d'autant plus mal.
Peut-être, oui.
Mais cela ne justifiait rien. N'excusait rien.
Et surtout pas cette violence aveugle dont il était la cible.
Parce qu'il avait choisi.
Parce qu'il avait dit « non ».
« D'où tu crois pouvoir me refuser quoi que ce soit ?!
Va pas croire que ton statut de sacrifice te donne tous les droits ! »
« Tu n'es qu'un humain ! Je pourrais te tuer d'une pichenette, si je voulais !
Pour nous, vous n'êtes que des proies, alors ta place, c'est sous moi ! »
Ces mots avaient été les plus durs à attendre. Déjà, du fait de leur violence. Ensuite, du fait de leur absurdité, tant la différence qu'ils revendiquaient entre humains et homonculus paraissait inepte au plus jeune. Toutefois, et Edward l'avait bien compris, pour Envy, ces mots avaient leur utilité. Ils étaient, pour ce dernier, un moyen de se complaire dans un rôle de prédateur afin de justifier ses actes, dont les plus innommables : sous couvert de ce titre, il pouvait prouver que quoi qu'il fît, il était dans son bon droit, face à la proie fragile qui n'avait qu'à courber l'échine ; lui, en l'occurrence. Toute son « espèce », par extension.
Enfin, parce qu'Edward savait qu'Alphonse n'avait pas dû manquer une miette de cet échange, pour le moins édifiant. Il connaissait trop bien son cadet pour ne pas se douter que malgré ses recommandations, il avait dû se poster non loin – près de la porte, cela allait sans dire – afin d'être prêt à intervenir si la situation tournait au vinaigre et que la vie de son aîné s'en trouvait menacée. Or, futé comme il l'était, Alphonse aurait tôt fait de relier les points entre eux et d'en conclure ce qu'il fallait au sujet d'Envy et lui. Une perspective peu réjouissante pour le blond, qui voyait la honte s'ajouter au chaos d'émotions qui le submergeait déjà.
Pourtant, Edward n'était pas dupe : malgré tout le mal qu'ils souhaitaient lui faire, il savait ce que ces mots représentaient. Et, plus que tout, il savait à qui ils appartenaient.
Mais Envy, lui, ne le savait pas.
CLANG !
La chaise de bureau passa par la fenêtre. Quelques secondes s'écoulèrent avant que le bruit de l'impact ne parvienne au blond. Cependant, plus que le heurt du bois sur les pavés, ce fut celui du verre qui éclatait qui rappela au jeune garçon quelque souvenir enfoui.
Un bris de verre soudain, sur fond de jazz paresseux, dont les notes traînaient autour de lui, comme une litanie. Une odeur d'alcool fort qui s'était répandue d'un coup. Le son des gouttes qui coulaient le long d'un comptoir en bois et s'écrasaient, une à une, sur le parquet usé par les allées et venues. Un regard réprobateur auquel il essayait de se soustraire.
« Putain, mais qu'est-ce qui t'as pris, de lui dire ''oui'' ?! Je t'avais prévenu, pourtant ! Mais faut croire que t'as pas envie de vivre vieux, toi ! Ou alors, t'as pas les neurones correctement branchés, peut-être ? Ça m'étonnerait même pas. Mais ouvre les yeux, enfin ! Envy, c'est pas un enfant de chœur – j'en sais quelque chose, je l'ai quand même côtoyé pas mal d'années. Il est pas facile à vivre, encore moins quand tu te l'imposes au pieux, apparemment. Il est dangereux, je te l'ai dit ! C'est pas un animal que tu pourras dompter, gamin. T'as pas les épaules pour t'occuper d'une âme sur pattes et d'un sociopathe en même temps. Tu crois faire quoi, là, sérieux, avec ta bienveillance à deux balles ? Tu veux jouer les héros ? Genre tu lui tends la main et, ébloui par ta naïveté, il arrêtera de jouer au con ? Alors écoute-moi bien, parce que je vais te dire cash ce que j'en pense : il va te bouffer, oui. T'as pas l'air de capter dans quoi tu t'es engagé, en lui donnant ta main. Pour lui, c'est un passe-droit pour obtenir ton bras ! Et maintenant qu'il t'a dans le collimateur, c'est mort. Il te lâchera plus. Tu serais pas le premier qu'il… Bordel. T'as vraiment un grain. Et puis tu sais quoi ? Si t'en as tellement rien à battre de mes conseils, fais comme tu veux, je m'en fous. Mais faudra pas venir pleurer après. »
La diatribe de Greed tournait en boucle dans la tête de l'adolescent, ravivée par le fracas de chaque objet qu'Envy s'échinait à exploser par terre. Mais non, Edward n'allait pas pleurer sur son propre sort. C'eût été trop facile. Il avait été prévenu, après tout, et pas qu'une fois. Il savait dans quoi il s'était engagé, en accueillant Envy dans sa chambre et dans son cœur. Maintenant, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Pour son manque de discernement, à propos de son amant et pour avoir cru, à tort, pouvoir maîtriser sa violence si, d'aventure, elle se manifestait entre les quatre murs de la chambre.
Mais sans l'avoir éprouvée pour de vrai, comment aurait-il pu se figurer l'ampleur que cette violence était capable de prendre ? C'était impossible. Il fallait s'y heurter, pour le comprendre. Faire l'expérience, soi-même, de ce qu'impliquait le fait de partager son quotidien avec une personnalité comme celle d'Envy.
D'aussi loin qu'Edward se souvienne, il avait toujours fonctionné comme ça : il fonçait tête baissée, quitte à se prendre des murs, puis avisait après. C'était son leitmotiv. Alors il avait voulu essayer. Histoire de faire sa propre idée de « l'animal », avant de le condamner sans autre forme de procès.
Sauf qu'à présent, il en payait le prix fort.
Seulement, était-il prêt, pour autant, à tirer une croix sur toutes les belles choses que ce choix – fait sur un coup de tête, il est vrai – lui avait aussi permis de vivre au cours des derniers mois ?
La réponse était « non ».
Ainsi, malgré les avertissements de Greed et malgré, sans doute, les inquiétudes que ne manquerait pas d'exprimer son frère une fois l'ouragan passé, le lendemain matin… Edward ne voulait pas tout plaquer, simplement parce que la vérité qu'il avait voulu fuir l'avait désormais rattrapé et qu'il allait devoir y faire face. Hors de question, pour lui, de laisser à quiconque le droit de biaiser son regard sur une histoire qu'il avait pris, seul, la décision d'écrire.
C'était à eux de décider quel tournant elle devait prendre et à lui de décider quand y mettre un terme.
BLAM !
À nouveau, quelque chose fondit près de sa tête.
Cette fois-ci, c'était un poing. Celui d'Envy. Planté dans le mur, tout contre sa joue, il tremblait encore sous le coup de l'impact.
Le son, qui s'était réverbéré autour d'eux en une multitude d'échos, ramena Edward à la réalité avec l'efficacité d'un coup de fusil. L'alchimiste était sonné. Il contempla le poing crispé du brun de longues secondes, hypnotisé par la puissance qu'il dégageait, même à l'arrêt. Puis, lentement, très lentement, le jeune garçon laissa son regard glisser le long du bras de son amant, remonter jusqu'à son épaule enveloppée d'éclairs rouges encore crépitants, englober brièvement la pièce où ne subsistait plus aucun objet à briser, puis plonger dans les iris améthyste aux pupilles rétractées, qui semblaient lui crier :
« C'est bon ? J'ai ton attention, là ? »
Assurément.
Mais comment aurait-il pu en être autrement ? L'homonculus, face à lui, écumait, le souffle court. Partiellement transformé, il arborait çà et là des plaques entières des écailles verdâtres propres à sa véritable apparence, auxquelles répondait la queue reptilienne qui prolongeait son dos. Celle-ci, quant à elle, fouettait l'air à l'instar de celle d'un chat, laissant aisément deviner l'humeur de son propriétaire.
Complètement surplombé par Envy, dont l'ombre immense le dévorait, Edward était plaqué contre le mur. Il sentait son souffle brûlant sur son front, mais impossible d'y échapper : le polymorphe s'était positionné de façon à lui couper toute retraite. Il occupait tout son espace visuel. Il était même si proche que l'adolescent sentit une goutte de sueur du brun s'écraser sur sa peau. Sa chaleur l'étouffait.
Le blond comprit sur-le-champ qu'il était dans de beaux draps. Faute de plus d'objets sur lesquels déverser sa colère, le brun se rabattait sur ce qu'il pouvait. Autrement dit, sur lui. Était-ce, donc, qu'il n'était pas si intouchable que ce que les homonculi avaient bien voulu lui faire croire ? Où était-ce, plutôt…
Que la rage de l'homonculus était telle qu'il se permît d'outrepasser les ordres de son père ?
Edward n'eut besoin que d'un regard pour déduire la réponse à cette terrible question.
Envy haletait bruyamment. Son buste se soulevait à un rythme endiablé sous le coup de la fureur. Des veines saillaient sur sa gorge crispée. L'œil droit complètement obscurci, le regard fou, il avait l'air prêt à planter ses crocs saillants dans sa gorge à tout moment. Face à l'homonculus, qui le dominait de toute sa hauteur, Edward n'aurait pas eu à rougir de trembler de peur.
Pourtant… Il n'en était rien.
Après ce quart d'heure de passivité à rester planté là comme un plot, complètement tétanisé, l'adolescent commençait enfin à y voir plus clair. C'était comme si ce coup de poing, asséné si près de son crâne, y avait instillé une onde de choc suffisante pour lui permettre de recouvrer ses esprits. Ainsi, passées les premières minutes d'ahurissement puis de peur, et une fois la tristesse complètement évacuée… naquit la colère.
Edward contrôla sa respiration pour ne pas la laisser s'emballer. Toisa son aîné, même s'il lui prenait une tête. Puis, le port aussi droit que digne, le regard dur, mais franc, s'enquit, d'un ton détaché :
« C'est bon ? T'as fini ? »
Envy tiqua. Ses yeux se plissèrent un instant, mais il ne cilla pas. Son expression était, pour tout dire, indéchiffrable. Edward eut juste l'impression, l'espace d'un instant, que le métamorphe l'étudiait. Un peu comme s'il n'avait été qu'une bête curieuse qui aurait tenté de singer leur langage, mais dont les propos restaient incompréhensibles. En revanche, ce que l'alchimiste perçut nettement, et qui le renseigna davantage sur l'état d'esprit de son partenaire, fut la contraction de ses mâchoires à l'écoute de cette question à laquelle il ne s'attendait manifestement pas.
Bien que déstabilisé, le jeune garçon n'en laissa rien paraître. De même, il prit soin de ne pas se laisser déconcentrer ni par le champ de bataille qui s'étalait sous ses yeux, juste derrière le brun, ni par l'attitude hostile de celui-ci. La moindre erreur d'inattention, il le savait, pourrait lui coûter cher.
Edward enchaîna donc d'un ton plus sec encore – aussi sec que sa gorge :
« Tu n'es plus un enfant, Envy. »
En réponse, l'homonculus laissa un rictus déformer son visage. Il rigola, brièvement ; un rire rauque et sans joie.
« Et c'est toi, du haut de tes seize ans, qui me sors ça ? Tu te foutrais pas un peu de la gueule du monde ? »
Edward, pour la première fois de sa vie, choisit de ne pas répondre à la provocation. Il se grandit et, tête haute, demanda :
« Et toi, tu crois pas qu'il serait temps de grandir, un peu ? »
Cette fois-ci, Envy accueillit mal le reproche. Plus aucune trace de sourire, même forcé, sur son visage.
La réaction ne se fit pas attendre.
Une impulsion saisit son corps. Elle partit de l'épaule et parcourut son bras. L'homonculus décrocha son poing du mur en un quart de seconde, recula légèrement pour avoir plus d'allonge, leva la main, ferma le poing. Puis, sans la moindre hésitation, il le précipita vers la tête d'Edward.
Le coup fendit l'air, avec une précision redoutable.
Mais Edward ne broncha pas. Ses yeux, même, ne quittèrent pas ceux de son amant.
Et le poing, soudain, s'arrêta.
Figé en l'air tout comme le temps.
Un silence, profond, compact, s'installa.
L'améthyste sonda l'or ; l'or sonda l'améthyste. C'était comme s'ils se rencontraient pour la première fois. Durant de longues secondes, les deux couleurs s'appréhendèrent, se soutinrent, s'éprouvèrent et se heurtèrent jusqu'à ce qu'enfin, l'une d'elles rendit les armes, incapable de supporter l'intensité de l'autre.
L'améthyste ne batailla pas plus. Après un match inégal, elle se retira du combat sans demander son reste. Alors, elle disparut tout à coup dans un tourbillon de cheveux noirs et, portée par le tumulte d'une ultime cavalcade, s'évanouit pour de bon.
Ne subsista plus que l'or, aussi dévasté que seul.
« Nii-san ? »
Edward cligna des yeux quelques fois pour se reconnecter au monde réel. La première image nette qui lui parvint fut, paradoxalement, celle des lignes troubles de son livre. Celui-ci, grand ouvert, reposait négligemment sur sa tête. En se coupant ainsi de la lumière trop éclatante du lustre de sa chambre qu'il n'avait pas eu la force d'éteindre, l'adolescent avait caressé l'espoir que le sommeil finirait par l'emporter.
En vain, bien évidemment. Il cogitait trop pour le trouver.
Edward soupira, attrapa l'ouvrage puis l'écarta de son visage pour découvrir Alphonse à son chevet. Son cadet détourna un instant le regard, comme s'il hésitait à s'en aller, puis se risqua enfin à demander :
« Est-ce que… tu veux manger ? Il est déjà tard… Tu veux que je te cuisine quelque chose ? »
Le blond se redressa et prit appui contre la tête de lit. Il prit un air pensif comme s'il considérait réellement la question, mais cet air n'était que feint. Car, comme trop souvent depuis de trop nombreux jours, la réponse resterait la même :
« Non merci, c'est bon. J'ai pas très faim. » Il laissa ses doigts courir pensivement sur les pages de son livre avant de le refermer, puis l'abandonna sur la table de nuit où il se rouvrit aussitôt. Il fallait croire qu'à force de l'ouvrir chaque jour à la même page, ce fichu bouquin avait définitivement pris le pli. « Je vais pas tarder à aller me coucher, de toute façon. »
Alphonse ne put s'empêcher d'afficher un air peiné. Insupportable pour Edward, qui se sentit obligé de détourner les yeux. Malgré tout, il aperçut du coin de l'œil la main de son petit frère tressauter. Il devina sans mal que celui-ci hésitait à lui offrir un geste réconfortant, mais qu'il préférait s'en garder. Tant mieux, en fait. Lui-même n'aurait pas su comment réagir, face à cet élan d'affection.
Pour l'instant, il ne voulait plus de contact avec personne. Pas même avec Alphonse.
« Comme tu veux… » céda le plus jeune, dont l'inquiétude était malgré tout palpable rien qu'à son ton. « En tout cas, fais-moi signe si jamais tu as envie de quelque chose. Je… Je vais retourner dans ma chambre. Pour… lire. » Edward sentit qu'il cherchait ses mots, sans savoir comment les amener. Manque de bol, ce n'était pas lui qui allait pouvoir l'aider, sur ce coup. « Mais si tu as besoin de moi ou… ou de quelque chose à manger de particulier… », rajouta précipitamment son cadet, craignant de le braquer. « Je suis là. À côté. »
Devant les efforts déployés par son frère pour engager la conversation et tenter de le tirer du marasme émotionnel dans lequel il avait sombré depuis déjà deux semaines, Edward sentit une douce chaleur se répandre dans sa poitrine en dépit de sa mauvaise humeur. Il avait beau aller mal, savoir qu'il y avait quelqu'un, sous ce toit, pour se soucier de lui, lui mettait un peu de baume au cœur. Mais bon. Cela ne suffirait pas à combler le fossé qui s'y était creusé.
« O.K. », répondit sobrement l'alchimiste. Un silence gênant s'installa, sans qu'Alphonse ne cherchât pour autant à le rompre. Edward sentit qu'il était de son devoir de grand frère de le meubler et se fit violence : « C'est compris. Si j'ai besoin de toi, je t'appelle. Ou je viendrai te voir.
- D'accord… »
Mais tous deux savaient que c'était faux.
Car ce n'était pas d'Alphonse, dont Edward avait besoin.
« Du coup… Je… Je vais te laisser.
- Ouais. »
Cet échange était d'une platitude à pleurer. Il était même si lamentable qu'Edward en retrouva presque l'envie de rire.
Presque.
Alphonse devait partager son avis, puisqu'il ne chercha pas à s'attarder davantage. Le regard vissé sur ses pieds, les mains nouées, il hocha plusieurs fois la tête, plus pour lui-même que pour son frère, puis pivota sur ses talons. Visiblement, il avait compris qu'il n'obtiendrait rien de plus de son aîné ce soir.
Comme tous ceux qui avaient précédé.
En le voyant ainsi, avec le moral dans les chaussettes – peut-être même plus encore que lui –, Edward se décida toutefois à faire un geste. Il rassembla les maigres forces dont il disposait après plusieurs jours de jeun et se laissa tomber au pied du lit pour raccompagner son cadet. Une prévenance louable… avec laquelle sa fatigue fit malheureusement mauvais ménage. Car, tandis qu'Alphonse s'éclipsait à regret, Edward lui souhaita :
« Bonne nuit, Al. »
À l'instant même où il prononçait ces mots et que la porte se refermait sur le visage interloqué d'Alphonse, Edward réalisa sa bêtise. Sitôt seul, il laissa tomber sa tête en avant jusqu'à ce que son front heurte le bois de la porte dans un bruit mat. Le son lui donna l'étrange satisfaction de s'être envoyé la claque qu'il n'avait pas la force de s'administrer.
Parce que franchement, il en aurait même mérité plus d'une.
Je suis vraiment le dernier des abrutis. Je viens sérieusement de souhaiter une « bonne nuit » à Al ? Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond, chez moi, bon sang ?
Il serra les dents, yeux clos.
Il était effectivement peut-être temps de se pencher sur cette question lancée au vide de son esprit. Cela dit, Edward avait eu plus que le temps d'y réfléchir, au cours de ces deux dernières semaines – entre deux autres questionnements tels que « Un silence radio équivaut-il à une rupture ? » ou encore « Envy plaisantait-il vraiment quand il disait préférer me tuer que me perdre ? ». Contrairement à ces dernières interrogations, pour ce qui était de la première, Edward avait bien fini par trouver une réponse. En même temps, elle coulait de source. Ce qui ne tournait plus rond, c'était sa tête ; ses pensées et son cœur. Ou, plus exactement, le problème était que chacun d'entre eux, justement, tournaient en rond. Depuis deux semaines, ils gravitaient, tous ensemble, autour d'un seul et même être.
Envy.
À l'instant même où Edward s'autorisait à formuler mentalement ce nom dont il s'était interdit la mention depuis l'incident, un curieux bruit se fit entendre à la fenêtre.
TOC, TOC, TOC.
L'alchimiste sursauta, surpris, et fit volte-face. À chacun de ces coups, son cœur bondit, répondant à l'appel par un puissant battement. C'était comme si l'organe, jusque-là pétrifié dans sa poitrine, aussi lourd qu'immobile, s'était soudain remis à battre. Brusquement, laborieusement… mais indubitablement.
« … ! »
Edward ne réalisa qu'il courrait qu'au moment où ses mains attrapaient déjà les rideaux tirés sur la fenêtre. Sans même s'en rendre compte, il s'était précipité à celle-ci, le cœur battant, la tête en feu.
Il n'eut même pas besoin d'y penser que ses mains écartèrent d'un coup ce qui lui obstruait la vue. La toute nouvelle tringle à rideaux grinça sous l'assaut tant le geste était brusque, mais peu lui importait. Les rideaux volèrent de part et d'autre de sa frêle silhouette, emportés par une force encore plus puissante que le vent. Alors, un ciel noir d'encre, parsemé d'étoiles, s'offrit au jeune garçon. Sous sa lueur timide, un modeste paquet, posé sur le rebord de la fenêtre, se détacha de l'obscurité qui régnait dans le jardin.
Edward resta un instant à fixer cet objet incongru. Sa présence le laissait certes interdit, mais ne laissait supposer qu'une chose.
Les yeux du blondinet bondirent au-dehors, de toits en toits et de branches en branches.
Mais rien.
Dans la capitale endormie, bercée par la nuit, seul le petit paquet témoignait de cette venue qu'Edward n'espérait plus.
L'adolescent s'empressa d'ouvrir la fenêtre pour récupérer le colis. Empaqueté dans un beau papier rouge, il était décoré d'un joli nœud doré qui témoignait de l'attention qui lui avait été apportée. Le blond le saisit avec précaution, le soupesa. Son poids, ainsi que la forme que sa main gauche devina au travers du papier, le renseigna immédiatement sur sa nature.
C'était un livre.
Après un dernier regard éperdu jeté à la nuit silencieuse, suffisamment long pour que son nez rougisse sous l'effet du froid, Edward referma la fenêtre. Il ramena contre lui le paquet encore chaud. Malgré les températures négatives qui sévissaient à cette heure, le présent portait encore la chaleur des mains qui l'avaient déposé.
Sans doute l'avaient-elles tenu un long moment, avant de se résoudre à s'en séparer.
Le jeune garçon s'installa sur son lit, les yeux rivés sur l'objet. Il le posa sur ses cuisses puis, avec une infinie précaution, entreprit de le déballer. À chacun de ses gestes, un nouveau détail captait son attention : là, la découpe précise du papier ; ici, les nombreuses pliures qui trahissaient des tentatives avortées de pliage, dans l'espoir de trouver le plus juste. Edward n'eut aucun mal à se figurer le temps qui avait été consacré à l'aspect de ce cadeau. Et cela, plus que le présent lui-même, réchauffa son cœur glacé par la morsure du froid.
« … »
Son cœur palpita plus fort encore lorsqu'il découvrit sous l'emballage, comme pressenti, un ouvrage de bonne taille. L'œil averti du petit alchimiste ne s'y trompa pas. À en juger par sa couverture en cuir pyrogravé, sa reliure inhabituelle ainsi que par les écritures manuscrites qui ornaient les pages, il s'agissait là d'une pièce rare. Possiblement un original et non une simple copie. Afin de s'en assurer, Edward survola quelques chapitres. La conclusion ne tarda pas : bien qu'il tentât de se faire passer pour un banal recueil de poèmes, ce livre recelait un compte rendu des recherches menées sur l'elixirologie par un illustre inconnu, alchimiste tout comme lui. Restait à décrypter le code qu'il avait établi de manière à en dissimuler les résultats aux yeux des profanes, mais cela, Edward n'en doutait pas un seul instant, était à sa portée.
L'alchimiste contempla un moment, incrédule, ce véritable trésor de savoir, dont l'existence seule relevait du miracle. D'où venait donc ce livre ? De quand datait-il ? Qui l'avait rédigé ? Dans quel but ? Dans quelles mains était-il passé, depuis ? Et desquelles, à présent, le recevait-il ?
Edward avait sa petite idée sur la question, que le livre ne tarda pas à confirmer. Alors que l'adolescent tournait une énième page, il découvrit, coincé entre deux d'entre elles, un papier grossièrement plié en quatre. La surprise retint un instant sa main, avant qu'il ne le saisisse entre ses doigts tremblants. Enfin, il le déplia, la gorge nouée.
Dessus, juste quelques lignes.
« La trahison a toujours un coût, il paraît. Tu as payé ta part, je paie la mienne.
Mais garde ce livre secret. Avec lui, c'est ma vie que tu tiens entre tes mains. »
Ces quelques mots confirmèrent ce qu'Edward savait déjà.
Ce livre, c'était un cadeau.
Un cadeau de la part de celui qui ne lui en avait jamais fait, en une année entière et qui, à sa connaissance, n'en avait jamais fait à quiconque. Alors, pour sa première fois, il n'avait pas fait dans la demi-mesure. Ce qu'il lui offrait là, ce qu'il lui confiait là, ce n'était rien d'autre que sa propre vie. Mais pas seulement l'une d'elle. Non. C'était la vraie, la seule, l'unique… et celle qui pourrait lui être ravie si le véritable propriétaire de l'ouvrage avait vent de sa disparition.
En somme, une confiance absolue.
Un « pardon » à mi-mots.
Soudain, au travers du métal de sa main droite, Edward eut l'impression de sentir à nouveau la chaleur du cuir. Il ramena l'ouvrage tout contre lui, le blottit contre son torse. Puis, lentement, il se tourna vers la fenêtre.
Il se leva, revint sur ses pas. Rouvrit celle-ci, un sourire timide aux lèvres, puis invita :
« Et si tu rentrais, maintenant ? On a beaucoup à se dire, tu ne crois pas ? »
Le vent s'engouffra dans la pièce. Et avec lui, une couleur bien connue.
FIN
Cette fic était étonnamment très agréable à écrire. Difficile au premier abord (en même temps, on commence sur du lourd), puis plaisante, sur la fin. Malgré le thème peu évident qu'elle aborde (le consentement, la violence au sein du couple), j'étais impatiente de la retrouver chaque soir pour l'avancer un peu plus. Je dois dire que ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps ! En tout cas, elle a égayé ma semaine et, je dois dire, s'est révélée un excellent exercice d'écriture. Comme depuis quelques fics, j'essaie de m'attacher aux comportements et aux gestes des personnages plutôt qu'à la stricte description de leurs émotions. Je ne suis pas trop insatisfaite du résultat, honnêtement :p Et vous ? Est-ce que vous l'avez ressenti ? Quoi qu'il en soit, je pense que je favoriserai cette approche dorénavant ;3
Bien sûr, le rappel indispensable (roulements de tambour pour la minute « morale ») : dans quelque relation que ce soit, ce qu'a vécu Ed ici n'est pas normal. De plus, ayez bien en tête que c'est son choix, à lui, de laisser Envy revenir et d'accepter ses excuses, mais ce n'est en aucun cas une obligation pas plus qu'une décision anodine. Si quelqu'un vous blesse ou vous fait du mal, que ce soit psychologiquement ou physiquement, et a fortiori dans une relation de couple, vous êtes en droit de le tenir à l'écart et vous, de rester à l'écart (c'est peut-être même mieux, j'ai envie de dire ^^'). Et, est-il besoin de le préciser ? Vous êtes aussi en droit de dire « non », quelle que soit la situation ; dans un tel cas, c'est à l'autre de s'adapter, pas à vous (Envy : C'est ce que j'arrête pas de lui dire ! Ed : *lui file une tape derrière la tête* T'es irrécupérable. Ce soir, c'est canapé. Envy : Maieuh !). Prenez soin de vous ;p
Sur ces bonnes paroles, je vous dis à bientôt pour la suite de Life ! :3 (Merci d'avance pour vos commentaires ~)
Rédaction et édition : White Assassin
Correction : Couw-Chan