Bonsoir !
Me revoilà pour le nouveau chapitre, après un peu moins longtemps que pour le précédent... Désolée pour le délai entre les chapitres, je fais de mon mieux.
Du coup j'en profite pour vous souhaiter de bonnes fêtes !
Merci à ceux qui suivent cette histoire, je ne sais pas trop combien vous êtes encore, mais merci à vous. Et merci à PKClarine toujours fidèle au poste de bêta ^^
Bonne lecture.
Chapitre 7 - L'ordre des choses
Une ambiance étrange régnait autour de la sortie de la galerie. Comme un moment de flottement alors que tous regardaient la silhouette qui se détachait de la lumière du crépuscule. Cela dura tout au plus quelques secondes, mais sembla bien plus long. Les trois paladins, armes au clair, semblaient méfiants. Ils voulaient probablement évaluer si l'individu était une menace ou non, décontenancés par sa posture détendue et assurée et par sa présence presque écrasante.
Théo, tout comme ses compagnons, n'avait pas de problème pour l'identifier malgré la fine pluie et la relative pénombre, son questionnement était tout autre.
« Énoch ?! Qu'est-ce que vous foutez ici ? »
Dans son exclamation perçaient colère et lassitude, en plus de son dégoût pour le diable face à lui. En quelques années il l'avait vu suffisamment pour au moins deux vies. À part si c'était pour lui passer son épée au travers du corps, mais ils étaient tous affaiblis. Alors qu'il lâchait le poignet du mage pour saisir la poignée de son épée, il pouvait toujours deviner la tension de ce dernier qui se redressait difficilement, gardant un appui sur les épaules du paladin pour ne pas vaciller.
Théo était toujours concentré sur Énoch, essayant de deviner ses intentions et pas très rassuré de savoir Shin et Grunlek à sa portée, mais son attention fut distraite par un son métallique à sa droite ; une sorte de cliquetis. Tournant la tête, il réalisa que cela venait du paladin le plus proche de lui. Son langage corporel avait changé du tout au tout. Les mains crispées sur la poignée de son espadon, qu'il pointait vers le démon, il tremblait littéralement de peur, probablement mêlée de rage. Ses lèvres bougeaient légèrement et en tendant l'oreille Théo parvint à reconnaître des bribes de versets de la Lumière. Les deux autres pointaient également leurs armes vers Énoch, semblant hésiter entre attaquer ou fuir. Ils n'en menaient clairement pas large.
C'est là que Théo remarqua un détail qui ne l'avait pas frappé au premier abord sur les paladins qui étaient venus à leur rencontre : c'étaient des bleus. Il donnait dix-sept ou dix-huit ans à celui qu'il voyait le mieux, et les deux autres semblaient à peine entrés dans la vingtaine. Ils faisaient probablement partie des renforts et avaient été envoyés ici juste après leurs classes. Ils n'auraient certainement jamais pensé se retrouver devant un diable, surtout sans gradé à leurs côtés.
L'inquisiteur regrettait d'avoir appelé le démon par son nom, effrayant ainsi ceux qui auraient pu les aider. Il allait interpeller le paladin le plus proche de lui pour le calmer, mais fut coupé par Énoch. Ce dernier émit un petit rire avant de déclarer :
« Nous n'avons pas besoin de spectateurs. »
À peine sa phrase achevée, il claqua des doigts avec un sourire malicieux, et des hurlements de douleur s'élevèrent alors que les trois bleus étaient transformés en torches humaines. Théo eut un mouvement de recul face à la lumière et à la chaleur des flammes à un ou deux mètres de lui, manquant de faire perdre son équilibre à Bob. Il vit ce dernier tendre la main vers le paladin à présent au sol, tentant probablement de maîtriser le feu pour l'éteindre, mais sans succès. Les hurlements, qui s'étaient mués en faibles gémissements, se turent rapidement alors que le corps continuait à se consumer.
L'un des trois paladins s'en tirait mieux que les autres. Il avait retiré une partie de son équipement et la majorité des flammes sur lui s'étaient éteintes. Il ne prit pas le temps de jeter un dernier regard à son camarade qui n'avait pas autant de chance, encore agité de spasmes non loin de lui, et se précipita vers son cheval. Énoch l'observa, amusé, alors qu'il faisait son possible pour calmer sa monture et tenir en selle malgré ses brûlures. Les vêtements qui lui restaient ruisselaient d'eau, et en semblaient complètement imbibés. Shin, avec l'aide du léger crachin, avait visiblement eu plus de succès que le mage, mais semblait accuser le coup.
Énoch regarda le fuyard s'éloigner, mais ne bougea toujours pas le petit doigt pour l'arrêter. Il n'était visiblement pas inquiet le moins du monde à l'idée qu'il appelle du renfort.
Ils étaient à présent seuls, et le diable se tourna à nouveau vers eux. Regardant par-dessus Grunlek, il portait clairement son attention sur son fils. Les quelques mètres les séparant et la pénombre ne permettaient pas à Théo de lire son expression, mais il ne se départait pas d'un léger sourire en coin.
« C'est vous qui êtes derrière tout ça ? » lança Shin, l'air incrédule.
Le démon sembla trouver cette accusation parfaitement ridicule et pouffa, ce qui irrita encore plus Théo.
« Bien-sûr que non, répondit Énoch, c'était voué à l'échec. Avec cette méthode, au plus il aurait un peu ravagé la région, mais rien de bien important. Et franchement, moi, déléguer à un humain, et puis quoi encore ? »
Après une courte pause, il se fit plus sérieux, croisant les bras et toisant les aventuriers.
« Non, c'est vous qui m'avez guidé jusqu'ici. Après notre dernière, disons, querelle… j'étais un peu vexé. Je ne vais pas le nier. J'ai songé à vous tuer tous. Ça m'aurait certainement beaucoup plu, mais je me suis dit que ce n'était pas très productif. Alors en attendant de me décider, et pendant que je regagnais mes forces, j'ai gardé un œil sur vous.»
La pensée que ce démon les ait observés sans qu'ils le remarquent pendant des mois emplissait Théo de dégoût et de rage.
« Et comme il faut toujours que vous vous mêliez de toutes les affaires louches qui se présentent à vous… Enfin je dois admettre que cette onde de psyché m'a donné un coup de fouet, je suis en pleine forme. »
A ces mots, Énoch commença à s'avancer, passant entre Grunlek et Shin sans leur accorder un regard. Théo vit la dague briller dans la main du demi-élémentaire, mais ce dernier n'osa pas intervenir.
« Toi aussi tu l'as sentie, n'est-ce pas, fils ? Cet humain incapable aura finalement servi à quelque chose. »
Alors que le diable s'approchait d'eux, Théo dégaina son arme. Cela ne lui valut pas plus qu'un regard amusé et plutôt dédaigneux de la part d'Énoch. Bob posa une main sur son bras, pour lui demander de ne pas intervenir.
« Si tu l'attaques il va te tuer. »
Le ton du mage était péremptoire, mais l'expression sur son visage montrait bien qu'il n'avait pas pour autant d'autre plan, et qu'il appréhendait ce que son père projetait de faire. Le paladin avait bien conscience de ne pas faire le poids. Ce qu'Énoch avait fait aux nouvelles recrues, il pouvait le lui faire sans aucun problème. Mais en tant que bras armé de la Lumière, comment se contenter de regarder sans rien faire ?
L'ignorant royalement alors qu'il le menaçait de sa lame, le démon saisit son fils par les épaules. D'où il était Théo pouvait maintenant voir l'expression sur son visage. Il lisait malice et enthousiasme, et une douceur inattendue dans son sourire. Bob, quant à lui, avait une expression dure et fermée, et ne semblait pas à l'aise avec cette proximité physique.
« Allons, fils, commença le diable, sur un ton presque tendre, c'est l'occasion ou jamais. Je le sens, tu es enfin prêt à arrêter ta crise d'ado et à obéir à ton père. Il serait temps, tout de même…
-Tu connais déjà ma réponse. Je ne t'appartiens pas.
-Tu ne comprends pas bien, je pense, répondit Énoch, dont le sourire se faisait menaçant et qui commençait à planter ses ongles dans les épaules de son fils. Ce n'est pas une question. Après tant d'années à me résister, après avoir eu le culot de te dresser contre moi, en allant jusqu'à m'attaquer physiquement… C'est ta dernière chance de faire amende honorable. »
Bob essayait de reculer pour qu'il le lâche, sans succès. Énoch allait-il tuer son fils s'il ne pliait pas ? À en juger par ses actions la dernière fois qu'ils l'avaient vu, c'était parfaitement envisageable.
Théo envisageait d'attaquer le démon. Peut-être était-il trop sûr de lui et absorbé par sa progéniture et qu'il pourrait bénéficier de l'effet surprise ? Il jeta un œil à Shin et Grunlek, qui s'étaient rapprochés, inquiets. Les trois amis n'eurent pas le temps d'échanger plus qu'un regard empli d'indécision avant que le démon ne poursuive ce qu'il était venu faire.
D'un geste brusque, il rapprocha Bob de lui, le prenant dans une étreinte forcée et clairement pas au goût du pyromancien. Il sembla à Théo qu'il lui disait quelque chose à l'oreille, mais il n'entendit pas quoi. Bob se figea, arrêtant d'essayer de s'extraire de l'emprise de son père. Ce dernier le lâcha et se recula de quelques pas. Le mage regardait dans le vide, une expression indéchiffrable sur le visage, puis tomba en avant, se rattrapant comme il pouvait. Sa respiration se fit saccadée alors que la panique le gagnait, et rapidement il commença à se tordre de douleur. Au sol, la tête dans les mains, il gémissant à travers ses dents serrées et semblait faire tout son possible pour se contrôler.
Énoch soupira et leva les yeux au ciel. Théo l'entendit marmonner quelque chose qui ressemblait à « sale gosse ».
Bob ne s'attendait pas à se retrouver dans les bras de son père, même si le geste était presqu'entièrement dénué d'affection. Il s'agissait plus de l'immobiliser et de lui montrer sa supériorité. Comme souvent lors de leurs échanges, à vrai dire. Malgré sa blessure toujours douloureuse et le fait qu'il peinait à se tenir seul sur ses jambes, Balthazar fit de son mieux pour lutter contre cette étreinte. Cependant, le diable avait une force sans commune mesure avec la sienne. Un étau de métal n'aurait pas été plus difficile à faire céder.
« Je préfère te prévenir. Si tu résistes, ça risque d'être très douloureux. »
Les paroles d'Énoch, murmurées à son oreille sur un ton glacial, le stoppèrent dans sa lutte. Il n'eut pas le temps de se demander ce qu'il comptait faire ou de rétorquer avant de sentir une vague d'énergie se propager en lui, partant de la main qui était plaquée contre son dos.
Ce n'était pas une simple onde de psyché démoniaque, c'était comme si elle portait la signature de son père. Comme si elle vibrait à une fréquence qui lui était propre. Fréquence qui, bien-sûr, entrait en résonance avec sa part démoniaque.
Son démon, qui était déjà difficile à gérer depuis l'effondrement de la brèche causée par Lazare –la sensation lui rappelait certains de ses pires souvenirs d'enfance, quand il n'avait pas encore mis en place toutes ses barrières mentales– était devenu extatique à la vue de leur géniteur. Galvanisé par la psyché envoyée par ce dernier, il l'assaillait maintenant avec une force que le mage avait rarement connue. Bob se concentra pour le contenir, ne prêtant plus vraiment attention à ce qui se passait hors des frontières de son esprit. Mais l'Autre gagnait du terrain, il le sentait, et son rythme cardiaque s'accélérait de plus en plus.
Il sentit ses genoux heurter le sol et eut tout juste le temps d'avancer ses mains pour ne pas se retrouver face contre terre. Le souffle court, il ferma les yeux et redoubla d'efforts pour résister à l'emprise de son démon. Il avait un mal de tête horrible, mais essaya de passer outre.
Les choses ne firent cependant qu'empirer, d'une façon qu'il n'avait pas prévue mais qui donnait tout leur sens aux paroles de son père.
La succession des évènements quand sa part démoniaque prenait le dessus était en fait assez fixée. Il ouvrait les vannes et lâchait prise assez pour le laisser s'engouffrer vers la surface puis, une fois son état de conscience altéré, des changements physiques avaient lieu. Cependant, dans le cas présent, le démon avait assez de puissance pour s'affranchir de toute autorisation et pour entamer la transformation alors que sa partie humaine parvenait à ne pas perdre pied. À sa grande horreur, Bob commença à ressentir des douleurs terribles dans les os de son dos, dans sa mâchoire et dans son crâne.
Il connaissait la transformation, il savait quels changements physiques elle impliquait. Mais il les avait toujours vécus détaché de son propre corps. Sentant les os bouger, se déformer ou se créer sans que cela ne lui cause aucune souffrance. Hélas, Il était bien trop conscient pour ce qui était sur le point de se passer. Cependant, il savait que s'il cédait le moindre terrain au démon qui s'agitait avec fureur dans son esprit, il perdrait totalement le contrôle et n'était pas sûr de pouvoir revenir. Il ne comptait faire ce plaisir ni à son père ni à son alter ego.
La tâche n'était cependant pas aisée. Très vite, ses os et ses muscles furent tous en proie à une douleur aiguë. Il sentit des griffes remplacer ses ongles, arrachant une partie de sa peau au passage. Ce fut ensuite le tour de ses dents qui se déchaussèrent, remplacées par des crocs, qui déformaient sa mâchoire. Son mal de tête fut bien vite éclipsé par la sensation que quelque chose déformait sa boîte crânienne. D'une main, il put sentir ses cornes commencer à percer son cuir chevelu. Sa peau le démangeait d'une manière très particulière, alors que peu à peu les écailles gagnaient du terrain.
Il lui semblait que sa meilleure chance était d'utiliser toutes ces sensations pour garder un lien avec la réalité, et ainsi empêcher l'Autre de le déloger. Même si son sens du toucher était clairement le seul qui fonctionnait encore correctement –et le goût, peut-être, il avait sans aucun doute du sang dans la bouche. Sa vision était trouble, et il entendait des bourdonnements qui devaient être des voix, mais impossible de distinguer des paroles. Il était aussi plus ou moins conscient d'être en train de crier, mais ne s'entendait pas.
Dans son esprit se succédaient des images plus horribles les unes que les autres. Plus réalistes, plus prenantes que d'habitude. Et cet enfoiré ne faisait pas vraiment dans la subtilité pour le déstabiliser. Depuis qu'il avait mis en place de puissantes barrières mentales, les cadavres mutilés que l'Autre aimait lui montrer n'avaient plus vraiment de visage ou d'identité –le démon s'était donc rabattu sur la quantité pour rendre ces visions marquantes. Ceux qu'il voyait à présent étaient peu nombreux, mais étaient ceux de sa famille, de ses amis…
Il n'y avait plus aucun doute, le mage était en train de se transformer. Pourtant, cela ne semblait pas se dérouler « normalement » –et le paladin se retint de questionner le fait qu'il ait pu y trouver une normalité. Théo l'avait déjà vu prendre sa forme démoniaque ou perdre légèrement le contrôle, mais ça n'avait rien à voir. Il ne l'avait jamais vu changer physiquement alors qu'il luttait, ni exprimer de souffrance due à ces transformations.
Or, il était clairement en train de se tordre de douleur et de se concentrer pour garder le contrôle, alors même que ses attributs démoniaques se faisaient de plus en plus visibles. Énoch, le regardait d'un air impatient, les bras croisés, plus déçu qu'inquiet par ce qui se passait.
Théo lança un regard à ses amis, dont l'attention était également tournée vers le mage. Leurs expressions ne mentaient pas, ils savaient. Le paladin n'avait plus le choix. Il se demandait seulement comment agir en présence du diable.
Comme s'il avait senti sa décision, Énoch lança un regard par-dessus son épaule. Théo resserra sa prise sur la poignée de son épée et reprit son bouclier, qu'il avait attaché dans son dos pour pouvoir se déplacer avec Bob. Le démon sembla amusé de ce geste. Il était vrai que cette protection de bois et de métal, déjà endommagée pas les précédents combats, semblait assez dérisoire et servait surtout à lui donner de la contenance.
« Tu veux mener à bien ta mission ? Tu crois que c'est la chose à faire ? Éliminer l'hérésie ? Tu suis aveuglément la Lumière… Mais tu sais, j'en ai toujours en moi ! Alors pourquoi ne pas me rejoindre toi aussi ? Tu as déjà refusé mais qui sait, tu es peut-être moins borné que mon imbécile de fils. »
Le visage du diable s'était fendu d'un sourire moqueur. Théo sentit ses tempes battre et sa peau frémir de dégoût à ses mots. Ne réfléchissant plus à la situation globale, il fonça sur Énoch, porté par sa rage. Il entendit vaguement Grunlek lui crier d'arrêter, mais il était trop tard. Il allait mettre toute sa force pour le frapper en pleine poitrine.
Alors qu'il n'avait plus qu'un pas à faire et se préparait à porter le coup, il vit le démon nonchalamment lever une main devant lui. Ce geste sembla le rappeler à la réalité. Dans un réflexe de survie, il leva son bouclier juste à temps. Une violente onde de choc l'envoya en arrière, son écu volant en éclats et le heurtant au passage. Il atterrit lourdement sur le dos, roula et se retrouva à quatre pattes, totalement désorienté.
Son poignet gauche lui faisait mal, ainsi que son visage. Il se demanda s'il avait le nez cassé, mais en dehors de ça il n'était pas blessé. Énoch s'était clairement contenté de le repousser sans faire l'effort de l'attaquer réellement.
À présent un peu à l'écart de la scène, il avait le démon face à lui, Bob à la hauteur de ce dernier, quelques mètres vers la gauche, et Grunlek et Shin de l'autre côté. L'archer commença à venir vers lui mais Théo lui fit signe qu'il allait bien et il s'arrêta.
Le diable reportait son attention sur le nain, qui semblait chercher quoi faire pour mettre fin à tout cela. La transformation du mage se poursuivait, deux ailes squelettiques et pas totalement formées lui arrachèrent la peau du dos et un hurlement de douleur. Cela ne lui valut pas un regard de son père.
L'épée de Théo lui avait échappé et était entre lui et Énoch, presque aux pieds de celui-ci. Il aurait du mal à la récupérer, mais si Grunlek et Shin faisaient diversion, il pourrait peut-être atteindre le demi-diable et utiliser un de ses couteaux…
Alors que le diable se tournait à présent vers Grunlek, la transformation du mage semblait s'intensifier et ce dernier hurlait de douleur. Il essayait visiblement de lutter, mais à en juger par son apparence physique, il était en train de perdre ce combat. C'était difficile pour le nain de le voir souffrir ainsi. Et encore plus que la seule solution qu'ils aient à leur disposition soit celle qu'il redoutait depuis des années.
Bob avait toujours été clair sur la question, et Théo encore plus. Bien que l'un et l'autre aient régulièrement fait des écarts à cette ligne de conduite, elle était claire. Si le mage perdait le contrôle de son démon, le paladin le tuerait. Ils avaient tous espéré ne jamais en arriver là –même Théo, il en était sûr, bien qu'il dise le contraire– mais le moment semblait venu.
Shin était près de l'épée que Théo avait laissé tomber. Il la regardait, n'ayant semble-t-il pas le cœur à faire le geste qui permettrait à l'un de ses amis d'en tuer un autre.
Grunlek aussi aurait voulu aider le mage à contenir sa part démoniaque, lui parler peut-être. Il aurait voulu revenir en arrière et ne pas insister pour déjouer les plans de Lazare. Mais il était trop tard pour ça, ils ne pouvaient plus reculer. Et ils devaient prendre Énoch de court. Il avait malheureusement l'impression que quoiqu'ils fassent, ils allaient le regretter.
Ne détournant pas le regard face au démon qui le regardait de haut, il afficha une expression déterminée. Il faisait tout son possible pour ignorer la boule qui se formait dans sa gorge.
« Tu crois pouvoir t'opposer à moi, réceptacle ? »
Énoch l'appelait ainsi pour le provoquer, sachant le souvenir du Codex douloureux. Mais il n'était pas aussi impulsif que Théo. Prenant une grande inspiration, il cria.
« Shin ! Fais-le ! »
Alors que le demi-élémentaire ramassait l'arme à contrecœur, le nain envoya son bras métallique de toute ses forces pour frapper le démon, espérant gagner assez de temps.
Sans grande surprise, Énoch ne prit pas le coup. Il se contenta d'attraper le poignet de la prothèse, et se mit à serrer jusqu'à la faire craquer. Mais alors qu'il allait se tourner vers Théo, arrivé auprès du mage, quelque chose se produisit.
Dans l'esprit de Grunlek, des images de chaînes magiques apparurent par flashes, alors que le démon reculait sa main avec une expression de surprise.
« On dirait que tu as gardé quelque chose de ta fusion… » lança le démon, contrarié, alors qu'il regardait la peau de sa paume se reconstituer. Elle semblait avoir été brûlée
Avant qu'ils ne puissent se poser plus de question, l'attention de tous fut attirée vers le paladin et le demi-diable.
Théo se dirigeait vers le demi-diable, encore indécis sur la marche à suivre. Soudain, Grunlek lança une injonction à Shin. Il était décidé, mais sa voix trahissait ses regrets. L'archer, visiblement la mort dans l'âme, lança l'épée en direction du paladin, qui la saisit au vol. Alors que le nain occupait Énoch, Théo se dépêcha de rejoindre Bob.
Le mage était vraiment dans un sale état. Il ressemblait de plus en plus à un démon, avec ses cornes, ses griffes et ses écailles, mais il était recroquevillé, la tête dans ses bras, et gémissait. Il sembla même à Théo entendre des sanglots.
Enjambant l'une de ses ailes fraîchement formées, maintenant couverte d'une fine membrane rougeâtre, le paladin prit son arme à deux mains et la leva, visant entre les omoplates.
Alors qu'il allait frapper, il eut un instant de doute. En observant la transformation incomplète, les cornes de tailles différentes, les ailes flasques et étalées au sol, il était clair que sa résistance avait un effet sur sa transformation. Est-ce qu'il pouvait encore revenir ?
Théo n'avait jamais su bien placer la ligne de l'inacceptable en matière de sortie du démon, et avait déjà laissé Bob ouvrir grand les vannes à condition qu'il puisse revenir. La ligne était largement franchie, mais le voir lutter ainsi le faisait se demander s'il ne restait pas une chance qu'il gagne son duel. Le mage avait beau être une hérésie, il n'avait pas particulièrement envie de le tuer.
Mais il n'avait pas le temps, c'était trop dangereux. Prenant une grande inspiration, il leva à nouveau son épée.
Bob commençait à être épuisé par son combat intérieur. Il faisait tout son possible pour ne pas perdre de terrain, mais ne parvenait pas vraiment à jauger sa performance. Tout tourbillonnait dans sa tête, et s'accrocher à la réalité et au présent était de plus en plus compliqué.
Il ne savait pas depuis combien de temps durait son supplice, mais son corps tout entier n'était plus que douleur. Et son esprit était un champ de bataille. Une bataille qu'il savait devoir mener seul.
L'Autre s'insinuait par toutes les brèches possibles. Ses peurs, ses regrets, ses doutes, ses envies de vengeance, ses pulsions de violence, jusqu'au goût du sang dans sa bouche, qu'il se prenait à apprécier…
Refusant d'abandonner, Balthazar repoussa avec l'énergie du désespoir les griffes de sa part démoniaque qui se refermaient sur son esprit.
Et soudain, le néant.
Un peu de souffrance pour Noël, si c'est pas un beau cadeau... hm.
Désolée pour cette fin en cliffhanger, je vais essayer de sortir le chapitre 8 assez vite !
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, à faire vos pronostics pour la suite, etc. Ça me ferait très plaisir. Ah et celui ou celle qui trouve la référence (interne à l'histoire) du titre du chapitre gagne un cookie virtuel o/
Sur ce, à bientôt !