Dimanche 24 Aout 2014 :

« Dr Swan, on vous attend dans le box 3. Il n'a pas voulu dire pourquoi il est là »

La voie rude de l'infirmière Mallory retenti dans mes oreilles et me fait sursauter. Mais quoi, merde, pourquoi est-ce qu'elle a besoin de se glisser juste derrière moi pour me hurler dans l'oreille ! Je ne suis pas sourde que je sache, et un bonjour, un s'il vous plait ou un merci n'a jamais tué personne non ?

Ok, je suis la bleue. Le jeune médecin fraichement diplômé nouvellement engagé dans le petit service d'urgence de l'hôpital général de Tacoma, au Sud de Seattle. Mais je suis médecin merde ! Docteur. Dix ans d'étude ça mérite un minimum de respect non ? Et le respect moi, j'en porte à tout le monde, aux infirmières, aux aides-soignants, au personnel du ménage et aux autres médecins, spécialistes, chirurgien etc, etc.… Je suis la première à admettre que tout le monde à sa place dans un bon service et j'ai toujours fait gaffe à être polie quitte à me laisser marcher sur les pieds par certains ou certaines. Par des infirmières de la trempe de Lauren Mallory : probablement compétente, quoique cela reste à prouver, mais insupportablement insupportable. Imbu d'elle-même, vaniteuse et paresseuse. A ordonner à gauche et à droite, sous prétexte que l'infirmière en chef et absente et qu'elle est la plus ancienne…

Bref, une fin d'après-midi normale. Et comme la bonne poire que je suis, je me redresse, plaque un large sourire sur mon maigre visage et accours au box 3 sous le regard lourd de reproche de Lauren (mais qu'est-ce que j'ai bien pu lui faire à celle-là, vivement 19h et la relève, les équipes de nuit sont toujours tellement plus cool !)

Je frappe et entre en me présentant. Comme d'habitude. L'homme à l'air grand, plutôt massif, il est toujours vêtu de ses habits de ville, une capuche sur la tête. Je ne voie pas sa tête, il semble admirer le linoleum gris terne qui recouvre le sol et ne me répond que par un murmure à peine audible. Super. Normalement, le patient est censé être installé, en blouse, constantes prise et tout et tout. Satanée Mallory. J'espère que ce n'est un psy ! Je sais que tout le staff accourra au moindre effleurement de ma part sur le bouton d'alerte, amis les psys m'ont toujours fait flipper.

Grâce aux nouvelles technologies, plus de papier alors je m'approche de l'écran situé dans un coin de la pièce et jette un coup d'œil au dossier qui est ouvert à la bonne page. Dieu merci.

Je m'approche de l'homme tout en restant sur mes gardes, il se redresse et me regarde. Il a des yeux étranges, brun clair, couleur ambre, presque jaune comme ceux d'un chat. Déstabilisant, mais pas désagréable. Son regard semble net, pas de trace de folie lisible au fond de ses prunelles. Attendons qu'il parle pour en avoir le cœur net.

« Monsieur Masen bonjour. Comme je vous l'ai dit je suis le Dr Swann, que puis-je faire pour vous aujourd'hui ? »

Un sourire. Crispé, mais un sourire quand même. Il me regarde curieusement, comme s'il cherchait quelque chose dans mon regard puis il soupire.

« Pouvez-vous me promettre quelque chose docteur ? »

« Je ne sais pas Mr Masen. Il faudrait déjà que je sache quel est votre problème »

Il baisse les yeux et rougit. Il a un beau visage, symétrique, le nez droit, une mâchoire bien dessinée, masquée par une barbe naissante. En regardant de plus près, je remarque des poches sous ses yeux, il a l'air crevé.

« J'ai besoin de discrétion. »

« De discrétion. Ok. Vous savez que dans cet hôpital, comme dans tout établissement hospitalier américain, nous sommes sensé garantir le secret médical. »

« Vous ne semblez pas si sûr de vous. »

« Ecoutez Mr Masen, je suis Médecin, et comme tous mes collègues, j'ai prêté le serment d'Hippocrate. Je vous garantis que ce que vous allez me dire restera entre nous. »

Il commence à me fatiguer. Je n'ai pas que ça à faire. Il faut que je retourne voir le patient du 5 pour voir si l'aérosol a été efficace, que je récupère les résultats de la dame du 2 et harcèle le pneumologue pour qu'il vienne ausculter son patient qui est arrivé tout à l'heure. Bref, j'ai du boulot.

Il soupire, détourne le regard et se lance.

« J'ai des brûlures en urinant. »

Ah ! Voilà ! Nous y sommes ! Encore un branleur incapable de se l'emballer !

Bon, ne t'enflamme pas Bella. Ne juge pas avant de savoir…

« Depuis quand ? »

« Quelques jours. »

« De la fièvre ? »

« Je ne crois pas. »

« Un écoulement en dehors des mictions ? »

« Oui. »

Il ne me regarde toujours pas. Je sais qu'il sait et il sait que je sais…

« Avez-vous eu des rapports non protégés récemment ? »

Il se redresse, me regarde, il a l'air paniqué. A quoi est-ce qu'il s'attendait au juste ? Il vient de me décrire tous les symptômes d'une Gonorrhée. Et il ne faut pas être Dr House pour reconnaitre une MST* quand on en voit une.

Il semble réfléchir. Super… Un homme à femme… Un coureur surement. Etre obligé de réfléchir si longtemps avant de se souvenir de son dernier rapport non protégé ça doit vouloir dire qu'on doit en avoir des rapports. Dégoutant…

Il doit lire l'antipathie sur mon visage car tout d'un coup, il semble furieux.

« Non… » Il tranche. « Non je n'ai pas eu de rapport à risque depuis quatre putains d'années. J'ai eu des rapports non protégés avec ma femme depuis 4 putains d'années. »

Je le regarde éberluée. Il n'a pas crié, mais il semble furieux, dévasté, paniqué. Tout ça en même temps. Ses étranges yeux clairs sont maintenant ombrageux, mais toujours aucune trace de folie, ou de mensonge.

Je ne suis pas une fille naïve, et j'ai appris il y a des années à me méfier de mon instinct, mais je ne peux m'empêcher de le croire sur parole. A quoi bon mentir, ce n'est pas comme si c'était important pour nous. Nous ne nous connaissons pas.

Ça t'apprendra à juger avant de savoir cocotte…

« Je suis désolé Mr Masen. Je n'impliquais rien, je devais juste poser la question. » Je tente de me rattraper comme je peux hein !

Il ne dit rien alors je continu.

« Les symptômes que vous décrivez font penser à une infection sexuellement transmissible, il est possible que je me trompe et les résultats du prélèvement permettront de nous en assurer. »

Au mot prélèvement, il se redresse et me regarde.

« C'est obligatoire ? »

« C'est fortement conseillé. Cela permet de déterminer avec certitude quel est le germe responsable de l'infection et d'adapter ensuite au mieux le traitement. Habituellement, nous réalisons le prélèvement puis prescrivons un traitement probabiliste à prendre d'emblée. En fonction des résultats, nous vous rappellerons et adapterons le traitement si nécessaire. Il serait tout de même souhaitable d'envisager, si effectivement le diagnostic d'urétrite se confirmait, la recherche systématique des autres MST par un prélèvement sanguin. »

Je le vois qui m'écoute. Il semble triste maintenant. Je le comprends. Si ce qu'il me dit est vrai, il a de quoi être triste.

« Je vais tout de même vous examiner puis réaliserais le prélèvement. »

« Vous réalisez le prélèvement ? »

Il semble gêné.

« Vous préférez peut-être que j'appelle l'infirmière en charge ? »

Il me regarde affolé.

C'est bien ce que je pensais. Mallory est très compétente, sans doute, mais loin d'être professionnelle à mon sens et même moi je refuserais de me déshabiller devant elle. Si ça avait été Angela Weber, j'aurai probablement délégué le geste, mais Angela n'est pas là.

« Je vous laisse vous changer », lui dis-je en désignant la blouse de papier plié posé sur meuble à côté de l'évier. « Je vais chercher de quoi faire le prélèvement et je reviens. »

Je sors et me dirige rapidement vers la salle de stockage. Je trouve rapidement ce que je cherche. Franchement, je ne suis pas emballée non plus par le fait de placer un coton tige dans l'orifice urétral de mon patient, mais bon, c'est les exigences du métier !

En sortant, Mallory est sur mes talons, elle me parle de tous mes autres cas en même temps et me presse comme un citron pour savoir pour qu'elle raison le canon de la 3 est là.

Je lui demande si les résultats de la dame du 2 sont arrivés, elle ne sait pas, si le pneumologue est passé, elle ne sait pas, comment est le patient du 5. Ah là, elle me répond. Il va mieux. Il va pouvoir sortir. Si elle le dit, c'est que ça doit être vrai. Je lui dis que j'en ai pour dix minutes et que je le verrai après.

Je frappe et je rentre.

Et après moins de 8 minutes je ressors. Le patient a bien une urétrite non compliquée. Je l'ai examiné, lui ai fait son prélèvement, son injection de CEFTRIAXONE* et donné ses 4 comprimés d'AZYTHROMYCINE*. Il peut sortir. Il préfère attendre les résultats du prélèvement avant de faire la prise de sang. Comme il veut. Il a encore espoir. Grand bien lui face.

Sa femme l'a trompé. Et il ne l'a pas appris de la plus sympa des façons, si vraiment il y a une façon sympa d'apprendre un adultère.

Edward Masen. Ce nom me dit vaguement quelque-chose. Il n'avait pas d'autre dossier chez nous, première fois. Je l'ai peut-être croisé avant, dans un autre service d'urgence…

Quoique, des yeux pareils, je crois que je m'en serais souvenu.

La journée se termine et j'enchaîne sur la nuit. Lauren est partie, tant mieux.

Les urgences se suivent et ne se ressemblent pas. Nous sommes un petit service et nous n'accueillons pas de polytraumatisés ou de traumatisme grave, mais nous avons tout de même notre lot d'adrénaline et d'histoires difficiles. Nous avons un bon service de cardiologie interventionnelle et deux bonnes équipes de chirurgie générale et orthopédique pour assurer le relais au cas où. Mais cette nuit est relativement calme. Tant mieux.

Le Dr Black est avec moi. Il est arrivé à 19 heures avec la relève. Moi je travaille en 24 heures, privilège de la dernière venue? mais ça m'arrange, pour mon organisation. Deux à trois gardes par semaine c'est parfait. Le Dr Black est grand, brun, plus âgé que moi et trop familier. Vraiment trop familier. Il va falloir que je sois claire encore une fois, sans être impolie, histoire de maintenir l'ambiance cordiale du service. J'ai l'habitude mais c'est ennuyeux. Certains hommes ne comprennent pas qu'on ne veuille pas « fraterniser » avec eux.

« Appelle-moi Jacob. Ou non, mieux, appelle moi Jake Isabella. »

« Veux-tu un café Isabella ? Je peux aller t'en chercher un. »

« Tu sais, on devrait se tutoyer non ? C'est plus sympa entre collègue.»

Le tout avec son grand sourire étincelant. Je me demande comment il est possible d'avoir des dents aussi blanches. Cela ne semble pas naturel. Quand il se trouve sous un des néons du couloir et qu'il sourit, je suis obligée de plisser mes yeux. Il a dû prendre ça pour une tentative de lui faire du charme. Mince. Il est encore plus collant maintenant.

Je ne flirte pas, je ne sors pas. Je suis asexuée je pense. Hé, je suis médecin, je ne suis pas stupide, je sais qu'anatomiquement, je suis une fille. Et je ne suis pas vierge. Mais j'ai laissé tomber les relations mixtes depuis longtemps. Je ne suis pas lesbienne non plus. Dommage peut-être. Non, même pas. Je suis vraiment asexuée. C'est comme cela depuis presque toujours, et je ne pense pas que cela change de sitôt.

Le Dr Black n'a pas l'air de prendre ma froideur et mon indifférence pour ce qu'elles sont. Il croit peut-être que je suis timide. Je ne suis pas timide. Enfin, pas vraiment. J'aime juste les relations simples, sans ambiguïté. La relation médecin/ patient me convient. On vient me voir en attendant quelque chose de précis de moi. Ça je sais faire. Ça j'aime le faire. J'ai toujours plus de mal avec les relations amicales. Je n'ai d'ailleurs pas beaucoup d'amis. J'aime ma famille loyalement et je ferais tout pour elle.


*MST: Maladie Sexuellement Transmissible

* Ceftriaxone et Azithromycine: Deux antibiotiques que l'on prescrit entre autre pour traiter les MST (mais aussi pour plein d'autres infections)

Bienvenue pour cette toute nouvelle fiction! J'espère qu'elle vous plaira!

Toujours pas de Beta, donc, probablement des fautes et quelques maladresses bien à moi!

Pas d'agenda régulier pour les post (je me méfie maintenant, je préfère ne pas avoir de délais à respecter!)

A bientôt pour la suite.