Disclaimer : L'univers est tiré de la saga de J.K. Rowling, Harry Potter. Il s'agit d'une suite, celle de la FF Invisible, disponible sur mon profil. Je vous conseille vivement de lire la première partie avant de vous lancer dans cette histoire, des passages risqueraient d'être incompréhensibles du fait des explications moins complètes que celles données dans la première partie de cette histoire.
Chapitre I
6 mai 2031 – Chemin de Traverse
J'étais réveillée depuis exactement sept minutes, j'avais pris le temps de les calculer, et dans trois minutes, mon réveil sonnerait, comme chaque matin où je devais aller travailler. Je savais déjà que la musique stridente et répétitive, propre aux réveils, me percerait les tympans et que j'allais me maudire une fois encore d'avoir acheté ce modèle, au même titre que j'allais me bénir d'avoir l'occasion de l'entendre. J'aurais pu l'éteindre par avance, évidemment, mais certaines habitudes ont la vie dure, et j'aime entendre mon réveil sonner. J'avais retrouvé cette habitude, et je ne voulais plus jamais la perdre. J'avais failli perdre bien trop de choses dans le passé, et maintenant que j'avais l'occasion de les retrouver, de les vivre, je n'allais pas me priver de ces petits plaisirs quotidiens, y compris si cela devait passer par le bruit du réveil déchirant de façon discordante le silence d'une chambre, ce silence qu'on ne retrouve que quelques précieuses minutes avant que la journée ne débute, ce silence empli des promesses et des surprises que nous réservaient les heures à venir, les heures les plus mouvementées de nos vingt-quatre heures quotidiennes. Alors oui, je détestais ce son. Mais il était aussi un de ceux qui étaient rassurants, et qui me prouvaient que ma vie avait retrouvé une certaine logique, une logique et un sens dont je n'avais pas à avoir honte parce qu'ils étaient universels, parce qu'ils étaient normaux, parce qu'ils entraient dans la norme. Alors, oui, j'allais laisser mon réveil sonner, n'en déplaise à celui qui partageait mon lit et détestait ce bruit. C'est comme ça qu'une journée devrait commencer : avec un réveil faisant retentir sa sonnerie dans une chambre remplie. C'était comme ça que je voulais que mes journées commencent, à partir de maintenant. Je ne voulais plus les commencer en ayant l'impression que je devais me battre pour survivre, me battre pour aider les sorciers, me battre dans l'ombre. Je n'avais plus le droit de me battre, j'avais perdu ce droit des années auparavant.
Je tournai la tête vers le réveil. Plus que deux minutes. Je reportai mon regard sur le plafond, souriant doucement en voyant les rais lumineux qui se croisaient, s'entrecroisaient, se déplaçaient lentement en changeant de couleurs, ces dernières s'estompant peu à peu à mesure que la lumière prenait ses droits dans la chambre. Mélina Wilson était définitivement un génie avec des crayons entre les mains, et il me tardait que l'ensemble de la communauté sorcière l'apprenne. Dans moins d'un mois, son magasin ouvrirait. Après des semaines de discussions, elle avait réalisé que nous ne disions pas qu'elle était un génie simplement parce que nous étions ses amis – même si, pour ma part, j'avais quelque peu perdu cette appellation – sinon parce que c'était la vérité. Nous comptions tous sur Fred Weasley pour la pousser à ne pas renoncer au dernier moment. Rien n'était jamais moins sûr avec elle, elle manquait tellement de confiance en elle que c'en était maladif. Je glissai lentement un bras sous ma nuque, me rappelant que lorsque j'avais connu Mélina, je possédais le même manque de confiance en moi qu'elle. Je rougissais, bafouillais, croyais que je n'étais pas assez bien pour ce que je voulais. Je me persuadais que les autres valaient mieux, qu'ils avaient raison de me rabaisser, ou de me prendre de haut, parce qu'après tout, s'ils le disaient, c'est qu'ils avaient forcément raison, alors que moi, si je n'avais pas d'arguments pour leur prouver leurs torts, je n'étais certainement pas en mesure d'élever la voix. Oui, c'était comme ça que je me voyais, dix ans auparavant. Aujourd'hui, je sais que je vaux mieux que ce que les autres m'ont dit. Je sais aussi que j'ai appris cela sur moi-même en prenant le risque de tout perdre. Et, en réalité, j'avais même tout perdu, jusqu'à ce qu'un hasard bienheureux me permette de revenir sur ma décision, et me fasse sortir de cette bulle de danger dans laquelle j'avais construit ma vie. Malheureusement, les décisions ont toujours des conséquences. Celles qui m'avaient frappée avaient eu pour but de me faire comprendre que les nombreux amis que j'avais pu avoir, lors de mon adolescence, n'étaient plus mes amis. Je les avais trahis de la pire des manières possibles : je leur avais menti, je leur avais tourné le dos, j'avais été égoïste. Je le savais et je l'acceptais, mais la solitude partielle que je vivais à présent n'était pas pour autant plus facile à supporter en admettant la mériter.
Plus qu'une minute. Je résistai à la tentation de me tourner vers la personne étendue à ma droite. Si je le faisais, il sentirait mon mouvement, et se réveillerait. Déjà qu'il ne tarderait pas à râler parce que le réveil sonnerait, je n'avais aucune envie d'aggraver sa mauvaise humeur en le privant d'une précieuse minute de sommeil supplémentaire. Je résistai du mieux que je pouvais, en me disant que je l'entendrais bien assez tôt, que je saurais bien assez tôt qu'il était toujours là pour moi, malgré tout. Malgré moi, justement. Parce que j'étais celle qui l'avait fait souffrir, celle qui avait su le faire sortir de son puits permanent de douleur, celle qui avait une telle emprise sur lui que ça nous donnait à nous deux le tournis, nous demandant si nous étions réellement assez mûrs pour supporter que l'autre était capable de nous élever autant qu'il était capable de nous détruire. Comme à chaque fois que j'y pensais, mon cœur rata un battement, s'affolant dangereusement dans ma poitrine en se souvenant que j'avais bien moins souffert que lui, alors que j'étais celle ayant déclenché la pire période de sa vie. La période où il me pensait morte, la période où il avait essayé tant bien que mal de sortir de son puits de souffrance, sans jamais réussir à faire autre chose qu'à se blesser plus douloureusement chaque fois qu'il tentait d'atteindre la lumière, avant de retomber violemment, creusant un peu plus le trou qui élargissait son cœur.
Bip, bip, bi…
Je tendis brutalement le bras droit vers le réveil, mon bras gauche se dressant pour saisir le bras de l'autre personne dormant dans ce lit. Une routine qui m'avait effrayée dix ans auparavant, et que je savourais à présent avec délectation, me demandant à quel niveau d'idiotie j'avais pu être pour croire que j'avais tort de vouloir de lui pour le restant de mes jours, pour penser un seul instant qu'il n'était pas normal que je sois effrayée, qu'il était indécent de ma part de vouloir un peu plus de bonheur que mon entourage, sous prétexte que ma tante n'avait pas pu finir sa vie avec quelqu'un, ou que mes parents n'étaient certainement pas des parents recommandables. À la simple pensée d'eux, mon cœur se fit plus lourd, et mes yeux papillonnèrent, comme pour chasser les larmes que je refusais de laisser couler pour eux. Ils n'avaient pas le droit à ces moments de faiblesse, plus maintenant que je connaissais la vérité à leur sujet, pas alors que je savais ce qu'ils étaient, et pourquoi ils avaient voulu de moi. Je n'étais rien de plus qu'une couverture, qu'un moyen de détourner les soupçons. Heureusement pour moi, je ne m'attardai pas plus longtemps sur eux. À ma gauche, quelqu'un exigeait déjà mon attention.
- Grmbl, Astrid, pourquoi est-ce que tu te lèves si tôt ? grogna-t-il avec une délicatesse totalement absente, comme chaque matin, comme chaque fois qu'il aurait voulu prolonger son sommeil et que mon réveil l'en empêchait.
J'étouffai un rire au même instant où je reprogrammais le réveil pour le lendemain. Le bras de James, que j'avais stoppé dans sa course, retomba, rebondissant légèrement sur la couverture, au niveau de ma poitrine. Je m'en dégageais vivement, en roulant, jusqu'à faire face à l'autre personne de ce lit, un sourire sincère aux lèvres. Régulièrement, cette question revenait, et régulièrement, j'y répondais de la même façon.
- Parce que, James, je travaille dans un musée Moldu et que, tous les jours, mes collègues parlent des problèmes qu'ils ont eus dans les transports, ou des articles qu'ils ont lus dans les journaux distribués à l'entrée des bouches de métro. Si je ne sais pas de quoi ils parlent, comment veux-tu que je joue correctement mon rôle ? Celui d'une sorcière infiltrée dans un musée Moldu ? m'enquis-je d'une voix amusée.
- J'sais pas, marmonna James sans ouvrir les yeux.
- Tu ne sais pas ? relevai-je en haussant un sourcil, surprise.
- Aucune idée, confirma-t-il. Ce que je sais, c'est que chaque matin, cette horreur me réveille.
Je levai les yeux au ciel, même s'il ne pouvait pas me voir. Il n'avait pas besoin de me voir pour connaître mes agissements. Il me connaissait mieux que moi-même, et ce qui m'avait effrayée auparavant me plaisait aujourd'hui, et me confortait dans l'idée que j'avais fait un choix stupide et erroné, une erreur que j'avais eu beaucoup de chance de pouvoir réparer par la suite, même si j'étais arrivée à un point où j'avais essayé de me convaincre que jamais je ne pourrais revenir à ma vie d'avant. Pourtant, j'y étais presque arrivée. En tout cas, j'avais pu retrouver James, et j'avais pu retrouver nos moments de complicité, de moquerie.
- Pauvre garçon.
- Et que tu ne m'embrasses même pas pour te faire pardonner ! continua-t-il en ouvrant grand les yeux, totalement réveillé, avant de me voler un baiser.
Baiser qu'il prit grand soin de prolonger, jusqu'à ce que je m'écarte doucement. Si je ne mettais aucune limite à James avant que je ne me lève, il ne s'arrêtait pas, et était totalement capable de me convaincre de rester avec lui jusqu'à ce que ce soit son heure de se lever.
- Je dois vraiment me lever, lui rappelai-je gentiment.
Il se laissa retomber sur son oreiller.
- Embrassez-la comme si elle était la plus belle chose qui vous soit jamais arrivé, et elle vous parle de se lever… Va ! Je sais bien que tu ne veux pas passer ta journée avec moi. Je t'ennuie trop, soupira-t-il, faussement affligé.
J'éclatai de rire, mais ne rentrai pas dans son jeu. La dernière fois que je l'avais fait, j'avais pris tellement de retard que je n'avais pas eu d'autres choix que de transplaner. Dommage pour moi, c'était aussi le jour où la ligne de bus que je prenais avait eu du retard à cause d'un accident. Allez donc expliquer à vos collègues Moldus que vous êtes à l'heure malgré les énormes embouteillages causés par votre bus… Ce n'était vraiment pas facile, et je n'avais dû mon salut qu'à l'arrivée inattendue d'un message urgent d'une école de Magie des États-Unis qui demandait une entrevue en urgence. Depuis, je savais que je ne devais jamais rater mon bus. C'était vraiment une mauvaise idée.
Je me hâtai de sortir du lit, et enfilai une robe de chambre au passage. En passant devant le bureau, je vis la chouette de James qui, derrière la fenêtre, attendait son repas, son bec tapotant doucement sur le carreau. Elle ne frappait jamais trop fort contre le verre, afin de ne pas nous réveiller. Elle se contentait d'un petit bruit, pour que nous ne l'entendions qu'une fois réveillés. J'étais persuadée qu'elle était un animal plus prévenant que la majorité, mais James disait simplement qu'elle était silencieuse comme ça parce qu'elle était convaincue que nous l'entendrions dans tous les cas. Qu'est-ce qu'il pouvait être terre-à-terre, lorsqu'il le voulait… Je me dirigeai vers la chouette, et ouvris la fenêtre. Aussitôt, le volatile entra dans la pièce, et se jucha sur mon épaule, en me faisant partager sa joie de me retrouver en se frottant contre ma joue.
- Salut, ma jolie, lui dis-je. Moi aussi, je suis contente de te voir.
Je n'avais jamais eu de grandes affinités avec les animaux, magiques ou non. À vrai dire, moins je les voyais, et mieux je me portais. Cependant, j'avais révisé mon jugement lorsque j'étais revenue à une vie normale. Une vie qui n'incluait pas un secret permanent, pas plus qu'il ne nécessitait de mettre ma vie en danger. Une vie normale. Une vie que j'avais abandonnée… en faisant croire à ma mort. Après ce retour à la normalité, je m'étais dit que finalement, les animaux, ce n'était pas aussi terrible que ce que je pouvais croire. Je pouvais tout à fait les accepter dans ma vie.
Comme à chaque fois que j'y pensais, je frissonnai légèrement. La chouette de James le sentit, et se serra un peu plus contre moi. Lorsque j'étais revenue dans la vie de James, et alors que toute sa famille me regardait avec haine, me détestant pour tout le mal que j'avais causé en osant quitter James sans hésiter, sa chouette m'avait adoptée. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce que j'avais fait, mais elle avait décidé que cela ne pouvait pas être si terrible, et que je méritais bien un peu de soutien. Le sien, en l'occurrence. C'était un drôle de soutien, mais c'en était un tout de même. Après toutes les épreuves que j'avais traversées, je savais que le soutien devait toujours être accepté, parce qu'il n'était pas souvent facile à trouver, et qu'il était loin d'être sincère.
Je ressortis du bureau, la chouette sur mon épaule, et en passant devant le vestibule, je pris le paquet de Miamhibou pour pouvoir la nourrir une fois qu'elle serait installée sur son perchoir, dans la cuisine, où devait déjà m'attendre Fléreur.
Je ne savais pas comment Fléreur m'avait retrouvée. C'était un fléreur, comme son prénom l'indiquait, qui avait élu domicile dans l'immeuble où je vivais, lorsque je ne faisais plus partie de ce monde pour la communauté sorcière – lorsque j'étais une Invisible. Seuls ceux qui étaient comme moi y vivaient. Et Fléreur. Personne ne savait quand ni comment il était entré dans l'immeuble, mais une chose était sûre : il s'y plaisait suffisamment pour y rester, et les plus anciens de mes collègues disaient qu'il était déjà présent lorsqu'ils s'étaient installés ici. Sa compagnie était la seule que j'avais, ou, tout du moins, la seule vivante, lorsque je rentrais le soir. Quand je rentrais, évidemment. C'était toujours plaisant de sentir que l'appartement n'était pas entièrement vide, qu'une autre présence s'y trouvait déjà, et c'était comme ça que j'avais accepté que Fléreur reste chez moi autant qu'il le voulait, dès qu'il le souhaitait. Il était le premier animal que j'avais considéré comme le mien. Et puis, il n'était pas désagréable à vivre, ce que j'exigeais d'un animal. Déjà que je n'avais pas l'habitude des animaux, s'ils devaient en plus être compliqués à vivre, je ne pouvais pas les supporter. J'étais donc bien chanceuse, entre le fléreur et la chouette.
La chouette de James quitta mon épaule à l'instant où j'entrai dans la cuisine, et je versai rapidement des graines dans sa mangeoire, avant de nourrir Fléreur. D'un coup de baguette magique, j'ouvris un placard, et le paquet de nourriture pour fléreurs alla jusqu'à la gamelle de celui qui attendait patiemment, assis dans la cuisine, en me regardant de ses grands yeux jaunes, aux pupilles étrécies.
- Brave bête, ne pus-je m'empêcher de dire en le voyant se diriger lentement et dignement vers sa nourriture, plutôt que de se précipiter vers celle-ci.
Évidemment, il ne me répondit pas. Mais ça, je pouvais le supporter. Le silence n'était pas le plus dérangeant, lorsque je vivais seule. C'était l'absence d'un autre être vivant. Et, à dire vrai, le silence n'était pas si présent que cela, dans mon ancien appartement.
- Et moi, tu m'ignores ? grogna l'horloge.
L'horloge avait vécu avec moi dès lors que j'avais changé de vie. Je ne voulais pas être dans un appartement silencieux, et le premier objet que j'avais vu était cette horloge, sur mon mur. À défaut de pouvoir, et vouloir, lui donner la vie, j'avais pu lui offrir la parole. Je n'aurais jamais cru qu'elle serait aussi bruyante, mais je ne m'en plaignais pas souvent. Après tout, j'avais voulu du bruit, et j'en avais.
- Tu es toujours aussi agréable, ne pus-je m'empêcher de faire remarquer, avec un fin sourire aux lèvres.
- Tu m'as créée à ton image, me rappela l'objet. Je suis donc aussi agréable que tu l'étais lorsque tu étais une Invisible, et franchement, ça ne s'élevait pas bien haut.
Je feignis la nonchalance. Une Invisible. Oui, c'était ce que j'avais été, durant trois ans et demi. Et depuis maintenant plus de cinq ans, je n'en étais plus une. J'essayai de ne pas trop y repenser, même si occulter ce pan de ma vie n'était pas une bonne idée, selon les différentes personnes que l'on m'avait poussée à consulter pour réussir à passer au-delà de certains traumatismes. Heureusement pour moi, l'horloge reprit la parole, m'empêchant de plonger dans des pensées trop sombres.
- Tu as des visites, aujourd'hui ? demanda l'horloge.
- Une, lui appris-je. D'une école d'Histoire de la Magie d'Argentine. Ils sont trois élèves et leur professeur, et devraient arriver vers quinze heures.
- Tu vas rentrer tôt, donc.
- En principe. C'est Richard qui va me remplacer pour la fermeture.
Richard travaillait avec moi au British Museum de Londres. En tant que sorciers, nous devions nous occuper des objets magiques du musée, en nous assurant entre autres qu'aucun Moldu ne s'en approchait trop, ou qu'aucun ne se mettait à bouger alors que c'était l'heure d'ouverture au public. Et puis, de temps à autre, nous accueillions des élèves sorciers, qui souhaitaient étudier les pièces de notre collection. Aujourd'hui, il s'agissait de trois élèves qui voulaient voir la momie de Katebet. L'avantage, lorsqu'une visite avait lieu pour une momie, c'est que nous la sortions de son lieu d'exposition en disant qu'elle était en restauration, ou en prêt, et nous pouvions nous permettre de faire la visite à n'importe quelle heure de la journée. Ce n'était pas le cas de toutes les pièces du musée. La dernière fois que j'avais dû présenter la pierre de Rosette à une école d'Historiens, j'avais dû les faire venir entre deux heures et cinq heures du matin. Je n'avais pas trop apprécié que Richard me laisse me débrouiller toute seule, ce jour-là… ou, plutôt, cette nuit-là. Certes, j'avais dit que cela ne me dérangeait pas, mais j'avais tout de même espéré qu'il resterait un moment avec moi, plutôt que de me laisser seule dans le musée, en pleine nuit. Mes vieux démons m'avaient hantée jusqu'à ce que l'école arrive, et je n'avais su m'en débarrasser qu'au prix d'un effort colossal et d'une concentration extrême, pour me rappeler que j'étais dans le présent, dans un musée, et non pas dans le passé, dans une ruelle sombre en train de réfléchir au meilleur stratagème pour m'en sortir la vie sauve.
- Tu n'as plus que vingt minutes pour te préparer, me rappela flegmatiquement l'horloge.
Je chassai mes pensées de mon esprit, et me dépêchai de retourner aussi silencieusement que possible dans la chambre. Je savais que James ne dormait pas, il avait toujours beaucoup de mal à se rendormir, mais je ne voulais pas pour autant faire trop de bruit et le pousser à se lever. Il avait d'ailleurs passé la couette au-dessus de sa tête, signe qu'il ne voulait pas se lever dès à présent, ce que je pouvais comprendre. Il avait toujours été un lève-tard, et moi-même, à une très ancienne période de ma vie, j'avais apprécié les moments de fainéantise. C'était à une époque où je n'étais pas nerveuse, ni systématiquement prête à réagir au moindre danger, mais si cette époque était révolue, je ne l'oubliais pas pour autant.
Une fois ma tenue choisie et enfilée, je terminai de me préparer dans notre salle de bains, et jetai un rapide œil à ma montre. J'avais encore dix minutes devant moi. L'avantage de ne pas prendre de petit-déjeuner, c'est qu'on ne perdait pas son temps à une table, de bon matin. Je retournai donc dans notre chambre, et malgré ma répugnance à faire ça, je m'assis sur le lit, et secouai doucement James, jusqu'à ce qu'il fasse un bruit m'indiquant qu'il m'écoutait. Il ne délogea cependant pas sa tête de sous la couverture. J'allais donc devoir commencer cette discussion en prononçant immédiatement des mots qui l'intéresseraient.
- Tu devrais manger avec ta sœur, aujourd'hui.
Il grogna, sans que je ne sache si c'était de consentement ou de dépit. Il devait se douter que je finirais par lui en parler, mais il avait dû croire que ce moment serait plus tardif. Comme si c'était mon genre de faire attendre ce type de conversation. J'avais trop souvent attendu pour savoir que ce n'était pas une bonne chose à faire. Il fallait agir dès qu'on le pouvait, et dans le cas présent, on pouvait agir dès à présent.
- James…, insistai-je.
Quelque chose dans le ton de ma voix dut lui paraître assez sérieux pour qu'il se décide enfin à sortir sa tête de sous la couette, et à se redresser. Il s'assit sur le lit, et s'étira rapidement, en ébouriffant ses cheveux avant d'y mettre un peu d'ordre. Des trois enfants Potter, il était le seul à pouvoir discipliner sa chevelure. Je tentai de ne pas m'attendrir sur le geste, et le regardai sévèrement, pour lui faire comprendre que j'étais sérieuse.
- Elle ne veut pas nous parler, me dit-il alors que j'attendais une réponse. On a essayé, avec Al, hier soir, mais impossible de lui tirer un mot.
Je soupirai. Les membres de cette famille étaient trop têtus pour leur propre bien. Cela ne m'étonnait cependant pas. La veille au soir, j'avais bien compris que Lily avait besoin de parler, mais qu'elle refuserait de le faire tant que la situation ne serait pas propice à la discussion, ou qu'elle ne serait dans l'humeur parfaite pour partager ce qui pesait sur son cœur, et l'empêchait de réussir à esquisser le moindre sourire.
- On ne sait pas si ça a un lien avec le travail ou avec Jay, ou si c'est encore autre chose. Elle s'est tue toute la soirée, comme attendant que ça passe, avant de finalement dire qu'elle rentrait.
Je hochai la tête, m'empêchant de justesse de lui reprocher de ne pas avoir plus essayé de savoir ce qui arrivait à sa sœur. Je pouvais voir à son air sérieux et contrarié qu'il aurait voulu connaître plus en détails les raisons qui avaient poussé sa sœur à se présenter seule à un dîner où les trois enfants Potter devaient venir avec leurs conjoints. Voir Lily sans Jason était tellement improbable que Faith comme moi n'avions pas su comment réagir, avant de décider que nous devions laisser les trois frères et sœur ensemble, sans que les compagnes des deux garçons n'interfèrent dans le moment fraternel qui devait avoir lieu. Savoir que James, qui avait toujours su parler à sa sœur et la faire parler, n'avait pas pu lui arracher le moindre mot était surprenant, mais insister sur son incapacité à comprendre les troubles qui agitaient sa sœur n'était pas malin, et certainement pas utile.
- Essaie de manger avec elle, ajoutai-je toutefois. Elle pourrait avoir envie de parler, aujourd'hui. Elle m'a presque fait peur, hier. J'ai vraiment cru qu'elle allait pleurer, avant que Faith et moi ne vous laissions.
James hocha la tête, de plus en plus soucieux, et je décidai d'arrêter de le tourmenter pour aujourd'hui. Lily n'était pas une insensible, elle n'était pas incapable de pleurer, mais elle gardait cela pour sa famille proche. Jamais plus elle ne se permettait aucun moment de faiblesse devant moi, depuis que j'étais revenue dans la vie de son frère. Qu'elle m'adresse la parole sans paraître vouloir me tuer en même temps était certainement le plus grand progrès qu'elle puisse faire, et je devais m'en contenter – je m'en contentais d'ailleurs largement. Il fallait donc comprendre que j'aie été perturbée, la veille au soir, lorsqu'elle avait manqué s'effondrer en larmes en face de moi. Avec Faith, la femme d'Albus, nous avions choisi de laisser les trois frères et sœur ensemble, en ne s'immisçant pas dans la discussion qu'ils n'avaient finalement pas eue, selon les dires de James. La soirée avait été pesante pour moi comme pour Faith. Nous savions quoi nous dire, mais tous les sujets que nous pouvions aborder nous semblaient trop surfaits ou légers pour être discutés alors que nous avions la nette impression que quelque chose de grave était arrivé à Lily. Finalement, incapables de manger quoi que ce soit, et sans aucune envie d'aller boire ne serait-ce qu'un verre, j'avais dit à Faith qu'elle ferait bien de rentrer attendre Albus chez eux, et que j'allais de mon côté attendre le retour de James dans notre appartement. J'avais tourné en rond, me doutant que Faith en faisait de même, mais incapable de me rassurer avec cette pensée, certainement parce qu'elle n'avait rien de réconfortant. J'avais attendu James en me rongeant les ongles, alors que je ne réservais cet accès de nervosité qu'aux cas les plus extrêmes. J'avais regardé les heures défiler, un nœud à l'estomac, me demandant comment je pouvais être aussi anxieuse pour Lily alors qu'elle n'avait plus aucune compassion pour moi. J'avais songé aux pires scénarios, me demandant ce qui pouvait mettre Lily dans de tels états, et me demandant à quel point la situation pouvait être grave pour que James ne soit toujours pas revenu me voir pour me dire ce qui s'était passé. Plus l'heure tournait, et plus je me sentais nerveuse, ne cessant de me demander si James reviendrait avec de bonnes nouvelles ou non. Lorsqu'il était finalement rentré, sans sa sœur et tard, je n'avais pas posé de questions. Il avait les traits tirés, fatigués, et j'avais cru que c'était dû à une longue discussion épuisante avec sa sœur. J'aurais voulu connaître tous les détails la veille au soir, mais apparemment, il n'y avait aucun détail à demander, puisque Lily n'avait pas décroché le moindre mot. Elle avait certainement ses raisons, et James devait les comprendre, mais je ne pouvais pas le laisser se tourmenter indéfiniment. Or, s'il ne parlait pas à sa sœur, il allait se tourmenter, et être incapable de se tranquilliser. C'est pour cela que j'insistais, aujourd'hui, pour qu'il aille parler à sa sœur.
Je serrai un peu plus l'épaule de James pour l'empêcher de se dérober à mon exigence, et pour qu'il sache que je n'avais pas oublié ce que je lui avais demandé quelques instants plus tôt.
- Je ferai ça, m'assura James. Même si je ne suis pas sûr d'obtenir quoi que soit, soupira-t-il en étirant ses bras avant de les croiser derrière sa nuque.
Je hochai la tête, compréhensive, avant de regarder rapidement ma montre. Elle m'avait été offerte par ma tante, décédée, pour mes dix-sept ans, comme il était de coutume chez les sorciers. Elle comptait parmi mes biens les plus précieux, et si jamais je devais la perdre, ou la briser, j'en serais malade. J'avais réussi à la préserver, durant mes années chez les Invisibles, et j'en prenais soin comme de la prunelle de mes yeux, à présent, évitant de la porter chaque fois que je savais qu'il y avait un risque qu'elle soit amochée. C'était un des rares souvenirs matériels que j'avais de Jill.
La main de James glissa sur mon poignet, comme cherchant à m'apporter un soutien dont je n'avais pas conscience avoir besoin. James me connaissait trop bien, même après tous les changements que j'avais opérés sur moi-même. C'était effrayant, mais aujourd'hui, je comprenais que c'était normal. C'était ainsi que ça devait fonctionner. Je ne pouvais pas fuir. Je relevai les yeux, et souris, rassérénée quand je ne savais même pas que j'avais besoin de l'être.
- Je vais être en retard.
- Tu vas être en retard, confirma-t-il avec un sourire moqueur. Dépêche-toi.
Je me levai après l'avoir rapidement embrassé.
- Je reviens ce soir, c'est promis, dis-je.
Il hocha la tête, l'air grave, comme comprenant l'importance de ces mots et les appréciant à leur juste valeur.
- Je sais. Mais ça fait du bien de l'entendre.
Ma gorge se serra momentanément, mais je chassai rapidement mon malaise avant de sortir de la pièce en me saisissant de mon foulard et d'une veste.
- Eh ! me rappela James. Tu rentres tard, ce soir ?
Évidemment. C'était tout lui de me poser une telle question juste avant mon départ pour le travail. Comme si je n'avais pas mieux à faire, comme s'il devait absolument me poser une telle question au dernier moment, quand cela risquait de me mettre encore plus en retard qu'auparavant.
- Non, lui dis-je en m'arrêtant sur le pas de la chambre. Pourquoi ?
- Eh bien… C'est une rare soirée où nous ne sommes que tous les deux. Ni mon frère, ni ma sœur, ni nos amis, ni personne de ma famille ne doit venir…, m'expliqua-t-il.
- Et ? relevai-je, me demandant pourquoi il me faisait part de ce que je savais déjà.
Il haussa un sourcil suggestif.
- Rien que tous les deux. Ce soir. Et pour toute la nuit…
Il plaisantait, pas vrai ?
Vu son air amusé, pas du tout, non. J'éclatai de rire.
- Très bien, je suis d'accord avec ce programme ! m'esclaffai-je. On se voit ce soir. Ne rentre pas trop tard ! lui conseillai-je.
- Promis. Je t'aime ! cria-t-il avant que je ne sorte de l'appartement.
- Tout pareil ! répondis-je avant de claquer la porte derrière moi, sans réussir à m'empêcher de sourire.
Je dévalai rapidement les escaliers extérieurs, et arrivai dans une rue parallèle à celle du Chemin de Traverse, à l'arrière de la boutique d'apothicaire de James. Je fus agréablement surprise de la douceur de l'air, et j'en profitai pour ôter mon châle et le poser sur mon épaule, avant d'aller en direction du Chaudron Baveur et de le traverser en saluant quelques connaissances, et en évitant les regards peu agréables que je recevais. Beaucoup savaient qui j'étais, et pour cela, j'étais quotidiennement jugée. Les autorités sorcières ne m'avaient pas punie, mais ce n'était qu'une faible consolation. La communauté sorcière dans son ensemble ne cessait de me juger, de me mépriser, pour ce que j'avais été.
Astrid Geneviève Smith, ancienne élève de Poudlard, connue pour avoir permis à son équipe de Quidditch d'avoir gagné la Coupe de Quidditch de Poudlard après presque trente ans sans que les Serdaigle ne la remportent, petite amie de James Sirius Potter, décédée lors d'une randonnée dans une zone dangereuse, revenue miraculeusement à la vie trois ans et demi plus tard, lorsque l'organisation secrète qu'elle avait rejointe avait été dissolue quand l'arrestation de l'homme contre lequel elle se battait avait été actée et confirmée suite à un sacré revirement de situation, qui incluait rien de moins que sa mort, et mon passage à tabac la nuit précédente.
Autant dire que ce n'était pas un portrait de moi qui me montrait sous mon meilleur jour. Loin de là. Autant dire que mes anciens amis n'étaient pas tous ravis de me revoir en vie. Enfin… Disons qu'ils étaient contents que je ne sois pas morte. Mais qu'ils étaient déçus de savoir que j'avais décidé de m'enfuir de la jolie vie, qui était toute tracée pour moi, pour aller combattre dans l'ombre. Nous nous appelions les Invisibles, et c'était parce que nous étions invisibles à la vue des sorciers de la communauté sorcière. Personne ne savait que nous existions, à part une poignée de sorciers importants. Dont le père de James, même s'il ne connaissait pas le nom des personnes qui rejoignaient les rangs des Invisibles – et heureusement pour moi. La situation, en y repensant, était réellement étrange, et me mettait systématiquement mal à l'aise, mais ce n'était qu'un faible prix à payer pour tout ce que j'avais fait subir aux personnes qui m'aimaient – et que j'aimais.
J'essayai de ne pas penser à cela en me dirigeant vers la foule de travailleurs pressés, pour me mêler à ceux qui prenaient le même transport que moi. Je fouillai dans mon sac et en sortis mon téléphone portable. Je ne pouvais pas l'allumer du côté sorcier, sinon, j'étais certaine qu'il allait se détraquer et qu'il serait fichu. Mais je devais tout de même en avoir un lorsque j'étais du côté Moldu, au cas où le travail m'appelle. Pour une fois, je n'avais aucun message. C'était une bonne chose, je n'allais pas arriver au travail en ayant déjà des dizaines de choses à régler.
Lorsque j'avais quitté les Invisibles, il m'avait clairement été dit que je ne pourrais jamais être une force de l'autorité sorcière. Mes ambitions d'Auror, qui venaient de quand j'étais étudiante à Poudlard, n'étaient plus qu'un rêve. De toute façon, après avoir été une Invisible où tous les coups étaient permis et où j'avais appris à mépriser les Aurors, rejoindre ces derniers n'était plus dans mes intentions. Je n'aurais jamais pu dépendre d'une autre personne, être sous les ordres d'un Chef qui appliquait des directives qui devaient plaire à tout le monde. En tant qu'Invisible, je n'étais pas entièrement libre, mais j'avais carte blanche dans la totalité de mes missions. Devoir rendre des comptes en tant qu'Auror aurait été bien trop difficile. Alors, j'avais dû trouver autre chose. J'avais de l'argent de côté. En tant qu'Invisible, nous étions payés bien plus que nécessaire, surtout vu le peu de dépenses que nous avions. Tout ce que nous dépensions, c'était dans les préparatifs nécessaires au bon déroulement de nos missions. De ce fait, j'avais une certaine fortune personnelle lorsque les Invisibles avaient été dissous. J'avais pu me trouver un appartement, et commencer à chercher du travail. J'avais toujours adoré l'Histoire de la Magie, et plusieurs possibilités s'offraient à moi. J'avais un temps songé à rejoindre une équipe de chercheurs, avant de réaliser que cela me forcerait à bouger énormément, et à quitter le pays fréquemment. Dans les premiers mois suivant ma libération d'Azkaban, je n'en avais pas le droit, alors j'avais réfléchi à un autre travail. Je savais que des sorciers travaillaient dans des musées Moldus où étaient entreposés des objets magiques, et je m'étais dit que cela faisait partie des emplois où j'aurais ma place. J'avais postulé à une offre au British Museum, et eu le travail. Après réflexion, cela me convenait bien mieux que les déplacements en continu. J'avais besoin de retrouver un semblant de stabilité. J'avais fini par la trouver, cette stabilité qui me faisait tant défaut.
Le bus fit un nouvel arrêt, et un flot de personnes y monta. Je cédai ma place à une personne âgée, avant de m'approcher de la porte. Mon arrêt était le prochain, et vu le monde qu'il y avait, je ferais mieux de jouer des coudes dès maintenant, plutôt que de devoir me précipiter au dernier moment. Les situations oppressantes m'angoissaient, et j'évitais autant que possible les situations de stress. Les rares fois où je n'avais pas pu les éviter auraient pu devenir un véritable carnage. Les Invisibles m'ont laissée des cicatrices peut-être plus profondes que celles d'autres de mes collègues, et je n'étais pas toujours à même de les contrôler lorsque les plaies se rouvraient. Autant faire en sorte de ne pas avoir à les soigner.
Sans encombre, je descendis, et repris mon chemin vers le travail. Le temps était réellement clément, aujourd'hui. Il fut une époque où j'aurais dit qu'il faisait encore trop froid pour moi, mais depuis que j'avais vécu chez les Invisibles, j'avais pris l'habitude de vivre avec des températures plus glaciales qu'à l'habituelle. J'avais perdu mon côté frileux.
Je contournai le musée pour entrer par la porte réservée aux employés. Ou, plutôt, par la porte réservée aux employés sorciers. Richard était déjà dans les vestiaires. La petite pièce exiguë ne nous permettait pas de rester trop longtemps à l'intérieur, surtout si nous souffrions de claustrophobie, ce qui était mon cas. Il n'y avait que sept casiers : un pour moi, un pour Richard et un pour les personnes qui travaillaient seulement à temps partiel au British Museum, et qui avaient chacune une spécialité. Je me dirigeai vers le casier le plus à gauche, le mien, juste à côté de celui de Richard.
- Bonjour, Astrid, me salua-t-il poliment de sa voix profonde.
Ses yeux ne quittèrent pas les profondeurs de son casier, m'empêchant d'évaluer son niveau de fatigue du jour. Or, je savais qu'il devait être fatigué.
- Bonjour, Richard. Bonne soirée, hier ?
Il haussa les épaules. Il avait dû rester plus tard pour discuter avec un musée d'Égypte qui souhaitait récupérer une de nos momies pour une exposition. Le problème, c'est que cette momie ne voulait pas retourner dans son pays d'origine, et que les négociations duraient depuis déjà plusieurs semaines.
- On a fini par trouver un terrain d'entente. La momie de Cléopâtre ne comprenait pas qu'elle reviendrait ensuite ici. Enfin, c'était un véritable bazar, mais ça s'est arrangé. C'est qu'elle est têtue, celle-ci. Tu m'étonnes qu'on en parle encore de nos jours.
J'acquiesçai. Je savais que Richard était tout à fait capable de se charger des négociations de ce genre. Il le faisait toujours, c'était une seconde nature chez lui.
- Oh, pendant que j'y pense, Astrid… Pourrais-tu aller faire un tour au secteur de la Grèce Antique pour t'assurer que les bijoux de Circée sont toujours en place ? Je ne voudrais pas que l'un des Moldus d'ici essaie de les remettre en place et soit ensorcelé…
Je grimaçai. Cela nous était déjà arrivé, et c'était toujours très compliqué de s'occuper ensuite du Moldu qui avait été touché par un sortilège. Il essayait de savoir ce qui s'était passé, et n'osait plus s'approcher des objets qu'il avait touchés, sans pour autant réussir à comprendre pourquoi il était aussi mal à l'aise à l'idée de s'approcher de la zone où il avait été frappé d'un sortilège.
- Je vais y aller dès maintenant, lui dis-je en épinglant mon badge d'employée. Tu as le temps de manger avec moi, ce midi ? proposai-je. J'ai une visite cette après-midi, et ils viennent de l'école d'Argentine. Je sais que tu as déjà travaillé avec eux, si tu pouvais me donner un ou deux conseils pour bien les recevoir, afin qu'on évite un accident diplomatique, comme la dernière fois, ça serait vraiment bien…
J'avais manqué déclencher une guerre lorsque j'avais oublié de saluer quatre fois le professeur de l'école japonaise, cinq mois plus tôt. L'homme était atteint d'un certain nombre de tocs, dont celui d'avoir besoin de répéter quatre fois certains gestes et de voir la personne en face répéter ces mêmes gestes, ce que je ne savais pas.
- Pas de problème. J'ai une réunion avec le chef du département à onze heures, mais ça ne devrait pas durer plus de deux heures, donc si tu peux attendre que j'aie terminé…
- C'est parfait. On se retrouve tout à l'heure !
J'arrivais toujours après Richard, mais j'étais tout de même toujours prête avant lui. Et certaines personnes disaient que les femmes mettaient beaucoup de temps à se préparer…
Une journée au musée se déroulait généralement de la même manière. Avec Richard, nous nous partagions le musée en deux pour vérifier que les différentes pièces de nos collections, et qui étaient sorcières, étaient bien à leur place et qu'elles n'avaient subi aucun dommage au cours de la nuit. Ensuite, nous étions chargés de circuler dans le musée, pour nous assurer qu'il n'y avait aucun problème avec ces pièces en particulier. C'était toujours délicat, parce qu'il y avait beaucoup de visiteurs, mais rester discret pour ne pas gêner les touristes ou les groupes était une de mes capacités les plus développées. Après tout, j'avais dû me faire passer pour morte pendant trois ans et demi. C'était bien la preuve que j'étais capable de me fondre dans la masse sans aucun souci.
Le seul incident majeur de la journée fut à déplorer lorsque je renversai le café de Richard. Ne jamais renverser son café. Jamais. C'était la pire chose à faire. Heureusement pour moi, je le fis alors qu'il se trouvait aux toilettes, ce qui me permit de remplacer son gobelet avant qu'il ne s'en rende compte. Une catastrophe évitée. La visite avec les Argentins se passa à merveille, à tel point que j'aurais presque voulu qu'elle dure plus longtemps. Ils étaient réellement intéressants, et les questions qu'ils posaient à notre momie étaient une première. J'en apprenais chaque jour davantage sur les pensionnaires de notre musée.
- On se voit demain ! dis-je à Richard dans les vestiaires.
Mon collègue m'adressa un signe vague de la main. Il devait encore rester ce soir pour essayer de régler d'autres problèmes, avec un musée du Cameroun, cette fois-ci. Si James ne m'avait rien dit ce matin, j'aurais certainement proposé à Richard de le remplacer, mais étant donné le programme que James avait concocté pour ce soir, je refusais tout simplement de prendre le risque de rester plus tard au travail. Richard ferait deux fermetures de suite, ce n'était pas très sympa pour lui, mais lorsque le planning avait été fait la semaine précédente, il n'avait pas rechigné, alors je n'allais pas faire un excès de gentillesse en lui proposant un échange.
Je me replongeai dans la foule dense londonienne, grimaçant en entendant toutes ces langues étrangères que je ne maîtrisais pas du tout. Chez les Invisibles, j'avais deux collègues particulièrement doués en langues étrangères. L'un était spécialisé dans les langues sorcières, et l'autre dans les langues Moldues. En parlant du second, lui et moi nous détestions. Il faisait partie des Invisibles à être restés, lorsque l'organisation était tombée, pour empêcher les Aurors d'attraper trop rapidement et facilement ceux d'entre nous qui souhaitaient fuir. Camille et moi, c'était une grande histoire de haine réciproque.
Je m'engouffrai dans le bus sur le point de partir. Pour une fois qu'il était presque vide, j'allais en profiter pour ne pas le rater. Avec cette douceur qui laissait présager un été agréable, tous les Londoniens préféraient marcher. Tant mieux pour moi, j'avais ainsi plus de place dans les transports, comme tous les autres travailleurs qui m'entouraient.
Je fus la seule à descendre à mon arrêt, comme je fus la seule à me diriger vers le Chaudron Baveur, invisible des Moldus. J'éteignis mon téléphone portable avant de pénétrer à l'intérieur du pub. Selon les jours, je m'arrêtais pour boire un verre, mais aujourd'hui, je n'en avais pas envie.
Et dire qu'il y avait encore dix ans, je n'avais pas touché à la moindre goutte d'alcool… Les Invisibles m'avaient bien changée.
Je me mis à louvoyer entre les clients. Le pub était bien rempli, ce soir. Heureusement que je ne m'arrêtais pas boire un verre. Je n'aimais pas lorsqu'il y avait trop de monde. Cela voulait dire qu'il y avait trop de monde susceptible de me reconnaître en tant qu'ancienne Invisible, et donc de me dévisager et de chuchoter dans mon dos. Ce n'est pas tant que cela me dérangeait, mais c'était une sensation qui n'était pas agréable.
- Et merde ! jurai-je lorsque je ne parvins pas à éviter une commande en lévitation en traversant le pub.
Ça aussi, ça avait changé, me rappelai-je alors que j'aidais le serveur à tout ramasser. Avant, je ne jurais pas.
- Ne vous inquiétez pas, vous pouvez y aller, me dit le serveur d'une voix lasse. Pour une fois que ce n'est pas de ma faute…
Je levai les yeux vers son regard noir, désespéré de sa maladresse. Je ne l'avais encore jamais vu. Il devait s'agir de ses premières semaines en tant que serveur, et il devait encore être maladroit. Je lui souris pour le rassurer, et me redressai en même temps que lui. Et là, il me fixa droit dans les yeux. Son regard se figea, ses traits s'affaissèrent.
Il venait certainement de se rappeler de moi comme d'une ancienne Invisible. Ma photo, et celle d'autres Invisibles, avait été apposée dans tous les journaux des semaines, des mois durant. Forcément, mon visage marquait. Et la cicatrice qui me barrait la joue droite était reconnaissable.
- Désolée pour tout ça, et bonne journée, dis-je rapidement pour éviter un moment de gêne inutile.
Le serveur ne me répondit même pas. Je ne m'attendais pas à ce qu'il le fasse. J'avais l'habitude, à présent, de ce genre de réactions. Elles faisaient toujours aussi mal, et je les trouvais toujours aussi peu appropriées, mais j'en avais l'habitude. Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même, finalement. Je quittai rapidement l'établissement, appréciant le peu de personnes présentes sur le Chemin de Traverse. Beaucoup de sorciers étaient rassemblés dans une librairie, en attente de l'auteur d'un livre qui paraissait bientôt. Chuck Barrow, mon meilleur ami de l'époque de Poudlard, était devenu un auteur reconnu, et son dernier livre était à l'heure actuelle en promotion. Il devait passer le lendemain à l'appartement pour nous laisser un exemplaire. Je n'aimais pas lire les livres qui n'étaient pas historiques, mais pour ceux de Chuck, j'essayais de faire des efforts.
Je vérifiai qu'il n'y avait rien à acheter dans une boutique quelconque. J'avais fait toutes mes courses, et n'avais normalement besoin de rien. Ni de plantes ni d'autres ingrédients pour des potions. Au risque de me mettre à dos mon petit ami vendeur de plantes, je n'en achetais jamais chez lui, au cas où il réalise que ce que j'achetais n'était pas pour concocter de simples tisanes pour mieux dormir. C'était un des rares secrets que j'avais toujours pour James : le fait que je continuais à préparer des potions aux réglementations strictes. Je devais normalement demander une autorisation spéciale pour les préparer, étant donné que j'étais une ancienne Invisible et que nos méthodes étaient connues pour être controversées. Je n'avais en principe aucun droit de préparer du Polynectar, du Veritaserum ou des poisons. Seulement, les habitudes avaient la vie dure, et je n'avais pas perdu celle de préparer des potions pour une mission quelconque, alors je m'octroyais certains droits.
- Eh, Smith ! m'interpella alors une voix que j'avais longuement côtoyée.
Je réussis étonnamment à ne pas grincer des dents en entendant mon nom de famille, que j'avais tout d'abord eu du mal à apprécier parce qu'il était horriblement banal, avant de totalement le détester parce qu'il me rattachait à mes parents, qui étaient loin d'être des personnes fréquentables, et encore plus loin d'être des personnes auxquelles je voulais être rattachée.
Je m'arrêtai et me tournai vers la direction d'où provenait la voix.
- Salut ! dis-je à Murray McGonagall qui s'approchait tranquillement, en sortant de la boutique des jumeaux Weasley, Fred et Roxanne. Qu'est-ce que tu fais par ici ?
Il haussa les épaules, les mains enfoncées dans ses poches. Murray n'avait toujours pas abandonné sa démarche nonchalante et ses airs inconscients. J'avais détesté cela, à Poudlard. Aujourd'hui, finalement, j'appréciais presque son caractère. C'était le plus insouciant de toutes mes anciennes connaissances de Poudlard, et donc celui qui avait le mieux accepté mon retour.
- Je devais faire mon inspection chez les jumeaux, vérifier qu'il n'y avait pas de problèmes, ce genre de choses. Et j'ai essayé de draguer Roxanne, mais va savoir pourquoi, elle n'a pas du tout apprécié, une fois de plus…
Je haussai un sourcil, étonnée.
- Roxanne a quelqu'un, lui rappelai-je. Elle est mariée, même.
- Et alors ? Je peux toujours tenter ma chance ! répliqua-t-il en s'esclaffant.
Et ce qui m'aurait énervée des années plus tôt me fit rire aujourd'hui.
- McGonagall, trouve-toi quelqu'un, cela devient urgent.
- Toutes les jolies filles sont prises, soupira-t-il, affligé. C'est horrible. Je n'ai aucune fille à la hauteur de ma beauté pour partager ma vie…
- Pauvre gars…, ricanai-je. Mélina non plus, n'est pas disponible ?
Il avait eu longtemps un petit faible pour ma camarade de dortoir, lui tournant autour sans réellement se déclarer, ce qui nous amusait, Mélina la première. Tous, nous savions qu'ils ne pourraient pas sortir ensemble. Ils étaient incompatibles. Murray était trop sûr de lui, Mélina était trop patiente. Ils auraient tenu deux jours, ensemble. Dans le meilleur des cas.
- Impossible à savoir, se lamenta-t-il. C'est mon plus grand désespoir. Cette fille est parfaite pour moi, tu ne trouves pas ?
- Comme à l'époque de Poudlard… Non, je ne trouve pas, ris-je.
Murray s'appuya contre la vitrine d'un magasin, moqueur. Il était celui ayant le moins changé après Poudlard. Je savais qu'il s'était énormément éloigné de James après Poudlard, parce qu'il avait été incapable de l'aider à faire mon deuil. Il s'était rapproché de lui une fois que James était redevenu plus joyeux, plus normal. Lorsque j'étais revenue, en somme.
Murray souriait toujours.
- Dire qu'à une époque, tu étais trop timide pour dire franchement ce que tu pensais… Comme cette époque ne me manque pas. Bon. Il semblerait que j'aie encore un ou deux magasins à visiter avant la fin de la journée. On se voit un autre jour ! dit-il tranquillement en se redressant lentement et en reprenant sa route, après m'avoir adressé un signe de la main.
Je fis de même, et je me glissai dans une rue parallèle pour arriver à l'arrière de la boutique de James, et pouvoir monter les escaliers qui menaient à notre appartement. Enfin, celui de James, où il avait fini par me demander d'emménager.
J'étais en train de me demander ce que j'allais nous préparer à manger pour ce soir quand j'ouvris la porte de notre appartement. James avait toujours quelque chose dans le garde-manger. C'était à lui de vérifier l'état de nos réserves. Moi, j'étais plutôt du genre à oublier de remplir nos placards, jusqu'au moment où il fallait vraiment faire des courses, si nous ne voulions pas avoir pour simple repas des croûtons de pain dur. Si mes souvenirs étaient exacts, il devait y avoir quelques légumes. J'étais incapable de préparer correctement les plats que James aimait bien, mais avec un peu d'aide, je devrais m'en sortir.
Je n'avais pas encore refermé la porte de l'appartement quand j'entendis du bruit. Aussitôt, ma main glissa vers ma baguette magique, glissée dans mon pantalon. Ma respiration se fit plus lente, mon esprit s'exacerba à ma demande, et j'oubliai instantanément mes plans pour le repas de ce soir. Plus rien n'avait d'importance si un intrus était dans l'appartement. J'eus soudainement envie de maudire James. C'était à cause de lui et sa trop grande confiance dans le monde dans lequel nous vivions qu'il avait refusé que je pose des sortilèges de protection sur l'appartement. Selon ses dires, j'étais paranoïaque. Ah ! Qui était le plus paranoïaque de nous deux, à présent que quelqu'un était entré chez nous ? D'accord, c'était la première fois depuis que je m'étais installée, mais j'estimais que c'était déjà une fois de trop.
Si j'avais encore été une Invisible, j'aurais immédiatement lancé l'offensive, et je devais reconnaître que l'envie de le faire n'était qu'à un pas. Les réflexes étaient ancrés en moi. J'avais besoin de me défendre. Cela dit, si je me mettais à attaquer dans notre appartement sans aucune sommation, James n'allait pas être ravi, pas plus que mon beau-père, qui n'avait cessé de me rappeler que je devais calmer mes pulsions offensives.
Je refermai doucement la porte de l'appartement, me forçant au calme, avant de me diriger doucement vers la provenance du bruit, dans notre salon. La main toujours serrée fermement sur ma baguette magique, je glissai sur le plancher, faisant le moins de bruit possible, tandis que celui qui avait pénétré chez nous ne se gênait pas pour fouiller nos étagères. Je m'arrêtai lorsque j'arrivai à la porte du salon. Je fermai brièvement les yeux, les rouvris, et entrai dans le salon.
- Qui que ce… Lily ?! m'exclamai-je en abaissant ma baguette que j'avais levée en guise d'arme.
La sœur de James se retourna lentement, surprise de mon ton, apparemment. Elle portait encore ses vêtements de travail, à savoir la tenue d'assistante de l'entraîneuse des Harpies de Holyhead.
- Mince, Astrid, je t'ai fait peur ? grimaça-t-elle en voyant que j'étais dans une posture défensive.
Elle ne m'avait même pas entendue entrer dans l'appartement, de toute évidence. Elle devait croire que j'allais arriver plus tard.
- Peur, non, mais merde, ton frère ne veut pas qu'on pose de protections sur l'appartement, et comme c'est un moulin, je ne sais jamais si la personne qui est à l'intérieur est un ami ou un ennemi ! pestai-je. Je pensais que c'était…
Je me tus. En fait, je ne savais pas qui ça pouvait bien être. C'était simplement la peur d'être attaquée par surprise qui m'avait fait prendre une attitude défensive. La dernière fois que je ne m'étais pas assez méfiée d'une attaque, j'avais manqué être tuée. Il était donc compréhensible, à mon sens, que je sois légèrement méfiante, non ?
- Ouais, James fait confiance à bien trop de personnes.
J'aurais pu prendre cette phrase pour moi, et en être vexée, si je n'avais pas décelé une pointe de tristesse dans la voix de Lily. De toute évidence, elle ne disait pas cela pour me rappeler que James avait accepté que je revienne dans sa vie, sinon parce que c'était une vérité qu'elle avait déjà constatée chez son frère.
Je rangeai ma baguette, et Lily croisa les bras sur sa poitrine, comme tout à coup gênée d'être là. Elle détourna le regard, et ses yeux lurent avec attention les différents titres des albums qu'elle observait avant mon entrée fracassante dans la pièce. Il n'était pas nécessaire d'être une personne particulièrement observatrice pour comprendre qu'elle fuyait mon regard.
- Euh…, repris-je après un long temps de silence. Tu as mangé avec ton frère ce midi ?
Elle leva ses yeux chocolat vers moi. Elle avait exactement les mêmes que sa mère, c'était parfois extrêmement perturbant à observer, mais aujourd'hui, la chape de mélancolie qui les rendait plus sombres ne laissait la place à aucun doute : les troubles qui agitaient Lily étaient les siens, et non pas ceux de sa mère.
- Tu lui as demandé de déjeuner avec moi, n'est-ce pas ? Il n'a pas arrêté d'essayer de me joindre, m'apprit Lily. J'ai évité ses notes du mieux que j'ai pu, mais ce n'était pas facile…
Je hochai la tête. James savait déployer des trésors d'ingéniosité, lorsqu'il s'agissait de contacter une personne.
- Je pensais que ça te ferait du bien, me justifiai-je.
Elle haussa les épaules avant de faire quelques pas dans la pièce et de s'installer sur la table du salon, qui faisait aussi office de salle à manger. Elle passa une main sur le meuble, avant de sourire légèrement, presque amusée, en constatant qu'elle ne rencontrait aucun objet posé là où il ne devrait pas l'être.
- Je peux dire tout ce que je veux concernant ton retour dans la vie de mon frère, mais je ne peux pas nier le fait que cela lui fait du bien de vivre avec quelqu'un qui le force à ranger ses affaires…
Je souris doucement. James était une personne bordélique, ce n'était pas la peine de se le cacher. Il avait beau tenter de nous faire croire le contraire, nous savions tous que son organisation était inexistante, tout comme il était incapable de se rappeler des prénoms des gens qu'il ne voyait pas tous les jours.
Je pris place en face de Lily.
- Si tu veux voir ton frère, il ne termine pas avant un bon moment. Moi, j'ai pu partir plus tôt, mais…
Lily m'interrompit en secouant la tête.
- Ce n'est pas lui que je suis venue voir, avoua-t-elle du bout des lèvres.
L'aveu parut énormément lui coûter, ce que je comprenais. Si Lily était dans cet appartement, mais qu'elle ne voulait pas voir son frère, cela signifiait qu'elle voulait me voir. Or, Lily évitait autant que possible les contacts avec moi, surtout s'il n'y avait personne d'autre autour de nous pour calmer les tensions qui ne tardaient pas à naître, même si je gardais mon calme du mieux que je le pouvais.
J'essayai de réfléchir à ce qui pourrait la mener jusqu'à moi, et une seule idée me vint.
- D'accord, dis-je calmement. Est-ce que… c'est par rapport à hier soir ?
Je vis Lily prendre une profonde inspiration, et se mordre la lèvre inférieure, comme pour s'empêcher de pleurer, avant de hocher la tête, lentement.
- Il y a eu un problème avec Jay ? demandai-je précautionneusement.
Elle ne répondit pas immédiatement à cela. Elle regarda l'étagère des disques de James, où s'étalait une collection qu'il s'acharnait à remplir dès que l'occasion se présentait. Je ne me souvenais pas qu'il appréciait autant la musique, mais apparemment, c'était une caractéristique s'étant déclenchée après ma fausse mort.
- Je crois… que Jason veut rompre, murmura finalement Lily. Ou qu'il a déjà rompu. Je n'en suis pas certaine. Je n'ai pas tout compris à notre discussion d'hier soir, et, apparemment, c'est parce que je n'ai pas compris où était le problème que je nous ai menés sur la piste de la presque rupture.
Elle m'observa avec des yeux franchement désespérés avant de plonger son visage entre ses mains. Et moi, je la regardai, totalement figée. Je ne savais pas à quoi elle faisait allusion, ni pourquoi elle voulait m'en parler à moi. J'étais loin d'être habituée aux ruptures, ou aux discussions houleuses. Il y en avait eu, avec James, c'était certain, mais de là à dire que j'en avais l'habitude, il y avait une grande différence. J'avais le dos tendu, à attendre que Lily dise autre chose, mais elle gardait le silence, solennelle.
- Quelle était votre discussion, exactement ? demandai-je doucement.
Elle ne bougea pas, gardant son visage caché. J'étais certaine qu'elle appuyait violemment sur ses paupières pour empêcher les larmes de franchir la barrière de ses cils. Voir Lily dans un tel état n'était pas habituel, pour moi. Selon James et Albus, c'était arrivé une fois, après sa rupture avec Basile Martell, son ex petit copain. Elle était légèrement perdue après leur séparation, à cause de la place que prenait Jason Seek dans sa décision de rompre, même si elle n'en avait pas encore conscience. Jason Seek était la seule personne capable de chambouler Lily au point qu'elle ne sache pas ce qu'elle ressentait, ni quoi penser de ce qu'elle avait entendu, ou dit. Jason mettait Lily dans tous ses états, et elle ne savait pas toujours comment gérer ses émotions. Alors, oui, je savais que Jason avait une grande emprise sur l'humeur de Lily. Mais je ne savais pas comment gérer cette emprise.
J'encourageai Lily à me parler d'un léger raclement de gorge.
- Il a reçu une offre d'une équipe australienne, dit-elle d'une voix enrouée, me faisant comprendre que les larmes n'étaient pas loin. Lorsqu'il me l'a dit, j'étais vraiment contente pour lui. Je lui ai demandé quand est-ce qu'il commençait là-bas, et s'il avait déjà commencé à se renseigner pour les logements. Je veux dire, passer des Faucons de Falmouth aux Foudroyeurs de Thundelarra, c'est une chance ! Mais apparemment, ce n'était pas la bonne réponse à lui donner.
Elle secoua la tête, et la dégagea de ses mains, qui tremblaient légèrement. Ses yeux étaient rouges, mais parfaitement secs. Cependant, j'y lisais une grande détresse.
- Il m'a demandé si j'étais contente qu'il parte. Je ne suis pas contente qu'il parte ! s'exclama-t-elle d'une voix drôlement aiguë. Mais c'est une chance ! C'est une équipe reconnue, qui pourrait lui permettre ensuite de rejoindre l'équipe d'Angleterre, ce n'est pas rien ! Les Foudroyeurs sont premiers de la ligue australienne, alors que les Faucons se traînent un peu, depuis que le gardien a changé. On ne prend plus les Faucons au sérieux, maintenant qu'ils sont sixièmes. Je pense au futur, et c'est super pour lui qu'il bouge comme ça ! Mais il était agacé que je le pousse à partir. Et c'est ce que j'essayais de lui faire comprendre, je suis toujours derrière lui, je veux toujours qu'il ait mieux, qu'il fasse mieux, après tout, il a tout juste vingt-quatre ans, il peut encore faire plein de choses, changer d'équipe autant qu'il veut ! Mais apparemment, je le pousse trop. En quoi est-ce que c'est une mauvaise chose ?
Je crois que je commençais à comprendre en quoi c'était une mauvaise chose, même si elle ne le voyait pas encore. J'avais fait de sacrés progrès, en relations amoureuses, depuis mon retour. Maintenant, je comprenais certaines subtilités qui, avant, m'échappaient grossièrement. La situation de Lily était assez semblable à une que James et moi avions traversée. Nous ne nous disions pas clairement certaines choses, et nous ne comprenions pas que certains rituels étaient nécessaires à la solidité de notre couple.
- En quoi est-ce une mauvaise chose que je pousse mon petit ami à faire tout ce qu'il veut ? Si partir en Australie lui fait plaisir, pourquoi est-ce que je l'en empêcherais ?
Je secouais doucement la tête, avant de me lever. Le mieux, pour faire entendre raison à Lily, était une preuve de l'explication que j'allais lui donner.
- Je reviens, la rassurai-je.
J'allai dans notre cuisine, sans attendre de m'assurer qu'elle était d'accord ou non avec mon changement de pièces. Je fis un arrêt devant notre garde-manger, et pris un bout de papier qui y trônait depuis quelques années déjà, avant de retrouver Lily dans le salon. Elle n'avait pas bougé, mais elle me paraissait de plus en plus nerveuse. Je fis glisser le papier que j'avais ôté de son mur, et le lui fis lire.
- « Je reviens ce soir, c'est promis », déchiffra-t-elle. Qu'est-ce que c'est ?
Je me glissai sur la chaise en face d'elle, que je venais à peine de quitter, et lui expliquai.
- Quand ton frère et moi nous sommes remis ensemble, il avait pour habitude de me demander, tous les matins, si je revenais le soir. Au début, je trouvais cela normal. Après tout, j'avais disparu de sa vie, il était inquiet que je le refasse. Alors, tous les jours, je lui disais que je reviendrais, évidemment. Et puis, au bout d'un moment, j'en ai eu marre. J'avais l'impression qu'il me surveillait toujours. Alors, j'ai fini par lui dire merde, tout simplement. Qu'il devait me laisser vivre ma vie, qu'il savait très bien que je reviendrais, puisque je vivais ici ! Ce jour-là, on est partis au travail, tous les deux énervés. Je ne sais pas pour lui, mais pour ma part, je n'étais plus énervée au bout de dix minutes. J'étais mal. J'en étais malade d'être partie sans lui dire que je reviendrais le soir. J'avais peur que parce que je ne lui avais pas dit ces quelques mots, quelque chose d'affreux se produise, et que je ne revienne pas. C'était stupide, mais c'était comme ça. Le soir, je suis rentrée en pleurant, je n'ai pas honte de te le dire. J'étais angoissée, à la limite de la crise de panique. Quand ton frère m'a vue comme ça, il n'a rien dit. Moi, je lui ai dit que j'étais désolée, et que plus jamais je ne partirais sans lui assurer que je reviendrais. Et depuis, c'est ce que je fais. Je lui dis, ou, s'il dort quand je pars, je lui laisse un mot comme celui-ci. J'ai eu besoin de comprendre que cette routine était nécessaire pour réussir à l'accepter.
Je soufflai. Je n'avais jamais raconté cela à personne, et j'étais persuadée que James non plus. C'était notre histoire, notre secret. Aujourd'hui, j'avais décidé d'en parler à Lily, mais je ne savais pas si c'était une bonne chose.
Lily baissa les yeux sur le mot, le relut, puis me le tendit.
- Je ne comprends pas le lien entre ton histoire et entre ce qui nous arrive, à Jason et moi.
- Je m'en doute… Ce que je veux dire, c'est que parfois, il faut une bonne sueur froide dans un couple pour mieux comprendre l'autre. Lily, repris-je avant qu'elle ne m'interrompe, Jay vit en fonction de toi, ou presque. Il est toujours prêt à avoir un geste tendre, toujours un mot doux, il n'a jamais honte ou peur de le dire ou de le montrer. Toi, tu es plus discrète, et ce n'est pas un problème.
J'hésitai un bref instant. Vraiment, je n'étais pas douée pour ce genre de discussions. Qui plus est, durant trois ans, je n'avais eu aucun problème à les éviter. Il n'y avait pas de couples, chez les Invisibles. Chacun vivait pour lui seul. À la rigueur, certains d'entre nous allaient chercher une personne pour ne pas passer la nuit seule, mais ce n'était pas mon cas – pas même mon genre.
- Seulement, à force de pousser Jay à faire ce qu'il veut, et non pas ce que tu veux pour votre couple, il doit se demander si…
Je n'osai pas terminer cette phrase.
- Si je nous considère réellement comme un couple, devina sans mal Lily. Super. J'avais vraiment besoin de ça. Et surtout, j'avais vraiment besoin de ne pas être capable de le voir. Quelle idiote je fais…
Elle remit sa tête entre ses mains.
- Tu es loin d'être idiote, Lily. Je te rappelle que tu n'as pas fui ton couple en te faisant passer pour morte…
J'étais prête à parier qu'elle avait eu du mal à ne pas rire, en m'entendant dire cela, mais comme je n'avais aucune certitude concernant ce fait, je résistai à l'envie de rire. Et puis, la situation n'était pas hilarante.
- Comment est-ce que je répare ça, moi ? Je ne peux pas lui dire que je ne veux pas qu'il parte. Enfin, je ne veux pas qu'il parte, mais je ne peux pas être égoïste en lui demandant de refuser un poste d'attrapeur dans une équipe qui domine largement la ligue d'Australie…
Je me refusai à lui donner des conseils. C'était à elle de trouver la bonne solution pour sauver son couple, et faire comprendre à Jay qu'elle ne voulait pas qu'il parte, mais qu'elle ne voulait pas pour autant le freiner. Parfois, la nonchalance naturelle des Potter avait du bon. Et parfois, elle pouvait passer pour du désintérêt total, et mener à la situation dans laquelle se trouvaient Lily et Jay.
- Tu ne diras rien à James, pas vrai ? Si jamais il apprend cela, il va en parler à Al, et ils vont parler à Jason, et je n'ai aucune envie que mes frères se mêlent à tout ça. Je dois m'en sortir toute seule. C'est à moi de régler ce que j'ai causé.
Je hochai la tête pour lui assurer mon silence. En même temps, comment aurais-je pu tout raconter, alors qu'elle agissait bien plus sérieusement que je ne l'avais fait ? Moi aussi, j'aurais aimé régler mes erreurs sans que des dizaines de personnes ne décident de s'en mêler. Elle soupira de soulagement.
- C'est dingue, comme une situation peut se retourner sans qu'on s'y attende. La semaine dernière, on regardait des appartements ensemble, parce que le sien est quand même un peu petit, et cette semaine, il dort sur le canapé, et moi, j'attends la réponse de Meredith pour qu'elle m'héberge, le temps que la situation évolue…
Elle rit doucement, mais le cœur n'y était pas, je le voyais nettement. Je grimaçai un drôle de sourire, sans réussir à la convaincre que j'étais d'accord avec elle, et son sourire s'affaissa.
- Je vais y aller, dit-elle finalement dans un filet de voix. Merci, pour m'avoir écoutée, Astrid, mais…
- Mais ça ne change rien à ce que tu penses de moi, je sais.
Je me doutais depuis un moment déjà que si Lily me parlait aujourd'hui, ce n'était pas pour autant qu'elle me pardonnait. De toute façon, je ne lui demandais pas de réussir à oublier ce que j'avais fait subir à son frère, au contraire. Si elle avait été capable de me pardonner, si jamais elle avait dit qu'elle était prête à m'offrir l'absolution, j'aurais été déçue. Elle ne serait pas comportée en une véritable Potter, en une Potter qui vous fait amèrement regretter d'avoir fait souffrir une personne qui lui est chère. Personne, dans la famille de James, ne m'avait réellement pardonnée, mais Lily était celle qui était la plus farouchement prête à sortir les griffes si jamais je me comportais mal. Et je l'acceptais, parce que je l'avais mérité.
Elle se leva de sa chaise.
- Bon. Je vais aller réfléchir à tout ça… Et j'ai pris un des disques de James. Il ne s'en rendra certainement pas compte, mais au cas où…
- Je lui dirai que tu l'as pris, c'est compris. Je ne te raccompagne pas, tu connais le chemin.
Elle hocha la tête, et après m'avoir remerciée une nouvelle fois, elle quitta l'appartement. Une fois seule, je regardai autour de moi. James ne devrait plus tarder à rentrer. À moi de tout préparer pour qu'il n'ait rien à faire, et que nous profitions pleinement d'un moment rien qu'entre nous deux.
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10 mai 2031 – Toscane.
Comme à chaque première partie de mois, l'homme faisait l'inventaire de son magasin. Le mois de mai était particulièrement florissant. Les parents venaient acheter des cadeaux pour leurs enfants presque diplômés, pour leur future installation dans un appartement, ou bien pour agrémenter d'un nouvel objet leur appartement personnel. Bien sûr, il n'oubliait pas que la majorité de ses recettes venaient des réparations qu'il effectuait, mais la création d'objets magiques améliorés restait sa spécialité, et il n'était pas peu fier de pouvoir dire qu'il était le meilleur dans son domaine. Il avait tout intérêt à être le meilleur, étant donné la réputation qu'il traînait comme un boulet à sa cheville. Assassin, ancien membre d'une association secrète et tue du grand public pendant trente ans. Ce n'étaient pas des bagages faciles à porter pour quelqu'un qui souhaitait monter sa propre entreprise, il le savait bien. Mais il avait réussi, certainement parce qu'il se moquait totalement de ce qu'il avait pu faire, et qu'il n'avait jamais recherché l'absolution de ses semblables. Il était bien avec lui-même, et c'était encore la seule chose qui comptait. Il n'avait pas besoin des autres pour vivre, il l'avait compris depuis longtemps.
Il regarda son magasin, les différents objets qui s'y trouvaient, et sourit, satisfait de lui et du travail accompli ces dernières années. Difficilement, c'était certain, mais il avait réussi, et c'était de cela dont il était fier. Il n'avait plus à se préoccuper de son passé, à présent. Seulement du présent et de son avenir. Il s'approcha d'une chaise à bascule. La première qu'il avait réparée, et elle restait dans son magasin en exposition, à présent. Elle avait une longue histoire… Il l'effleura du bout des doigts, enlevant la fine pellicule de poussière accumulée. Sur cette chaise, sa femme s'était installée, chaque soir. Seule, d'abord, puis avec leur petite fille. Il se rappelait les avoir vues se balancer, riant aux éclats après s'être échangé un secret qu'il n'avait pas le droit de connaître, se raconter des histoires, ou simplement s'endormir. Et puis, elles avaient quitté sa vie. Il avait rejoint cette organisation, et il avait perdu cette chaise. Quand l'organisation avait été dissoute, il était revenu en Toscane, et s'était mis à la recherche de cette chaise à bascule. À présent, il la gardait. Pour toujours.
- Demain, j'ôterai toute cette poussière…, murmura-t-il en s'éloignant du fauteuil et en se dirigeant vers la sortie.
Il huma une dernière fois l'odeur du bois verni, une odeur qu'il affectionnait particulièrement, avant de refermer précautionneusement son atelier, pour se diriger tranquillement vers la maisonnette de l'autre côté de la rue. Il vérifia que ses sortilèges de protection n'avaient pas bougé, et qu'aucun intrus n'avait essayé de forcer ses barrages au cours de la journée, avant de finalement entrer chez lui. Il remit alors sa baguette dans la manche de son pull, s'étonnant une fois de plus de la fraîcheur du jour, alors que de grosses chaleurs avaient accablé la région les dernières semaines.
Sa journée était à présent terminée. Quand beaucoup se seraient demandés quoi faire, et auraient désespéré du peu qu'ils avaient à faire au cours de la soirée, lui ne s'en plaignait pas. La Toscane était une jolie région, et certains en auraient profité pour la visiter. Lui n'avait plus rien envie de visiter depuis des années. Il avait déjà tout vu. Il avait déjà trop vu. Il voulait simplement terminer sa vie, aussi vite que possible.
Il se servit un verre de vin de sureau, puis un deuxième, en restant debout dans sa cuisine. Certains auraient dit qu'il attendait quelque chose, ou quelqu'un. En réalité, il n'attendait rien d'autre que le temps. Le temps qui passe.
Il reposa son verre brutalement, et tendit l'oreille. Il attendait que le temps passe. Pas qu'un bruit se fasse entendre à l'arrière de sa maison. Quand d'autres moins attentifs que lui n'auraient pas bougé d'un centimètre, lui savait que quelque chose n'allait pas. C'était le moment où toutes ses perceptions devaient être en éveils.
Les sens en alerte, il fit glisser sa baguette du manche de son pull pour bien l'avoir en main. Se rappelant de toutes les précautions qui lui avaient permis de rester en vie lorsqu'il était un Invisible et confronté à des dangers parfois pires que ce que l'être humain est capable d'imaginer, il traversa prestement sa maison, glissant contre les murs comme en se fondant dans la matière, évitant d'être proche des fenêtres pour ne pas devenir une cible découverte, jusqu'à arriver vers la porte à l'arrière, qui ne donnait sur aucune rue, rien que sur une petite courette. Il était surprenant que le bruit provienne de là, pourtant, il était certain de ne pas se tromper. Un faible bruit derrière sa porte lui confirma ce qu'il soupçonnait : quelqu'un était là.
Il décida d'agir vite. Il ouvrit brutalement la porte, prêt à se battre. Au lieu de quoi, un poids mort lui tomba dans les bras, manquant lui faire perdre l'équilibre, jusqu'à ce qu'il le retrouve. Les réflexes d'un homme rompu aux situations étranges étaient toujours présents, et le seraient certainement toujours.
- Qu'est-ce que…, commença-t-il en italien, avant de se reprendre, une fois remis de la surprise.
Il reconnaissait la personne dans ses bras. C'était inattendu. Cette personne était en fuite depuis cinq ans, et avant cela, elle était en fuite depuis la fin de la seconde guerre des sorciers. Il n'aurait jamais dû revoir cette personne, jamais dû l'accueillir chez lui. Elle n'aurait jamais dû lui tomber dans les bras, preuve d'une faiblesse intense que cette personne ne connaissait presque pas. Quelque chose n'allait définitivement pas. Sans ménagement, il la jeta dans sa maison, et referma vivement la porte, la scellant magiquement, avant de se retourner en se préparant au pire.
Le pire n'était rien face à la vision qu'il avait sous les yeux.
Le visage émacié par les années de fuite, les haillons troués par les difficultés de la vie de fugitif, la malnutrition et la maladie apparentes étaient des phénomènes qu'il pouvait voir et comprendre, maintenant qu'il savait qui il avait sous les yeux. Mais en revanche, il ne comprenait pas les blessures d'où jaillissaient le sang, les plaies purulentes, et les marques visibles des sortilèges Doloris. Les Aurors recherchaient cet homme. Pas des mercenaires. Pourtant, face à lui, on ressemblait à la proie ayant échappé au chasseur après avoir été malmenée par lui.
- Merde…, jura-t-il entre ses dents. Mobilicorpus, enchaîna-t-il en pointant sa baguette sur l'intrus.
Il dirigea le corps de l'homme qui venait d'apparaître chez lui dans un petit salon, et l'installa sur le sofa. Les pieds dépassaient de l'accoudoir, étant donné la grande taille de l'homme, mais c'était bien la dernière chose qui importait à l'hôte infortuné. Le nouveau venu n'allait pas tarder à mourir, vu ses blessures et son état de santé, et il devait comprendre pourquoi. L'installer bien n'allait pas donner des réponses à ses questions, alors que le questionner, si. Il s'approcha donc de sa tête, et s'agenouilla à côté de lui, sachant qu'il ne lui restait que peu de temps pour mener son interrogatoire.
- Darren, mon vieux, qu'est-ce qui s'est passé ?
Durant une minute qui parut insoutenable à celui qui accueillait contre son gré, son invité ne bougea pas. Il aurait pu le croire mort s'il n'avait pas vu sa poitrine se soulever faiblement et irrégulièrement, signe qu'il était dans un mauvais état… mais toujours en vie.
- Camille…, murmura-t-il finalement.
- Ouais, c'est bien moi, marmonna Camille d'une voix éraillée. Tu m'as trouvé. Maintenant, dis-moi ce qui t'est arrivé.
- Trouve… Astrid, souffla Darren. Et… Cassy. Et… ceux… de l'aff… affaire de Cole, souffla-t-il.
- Quoi ? grogna Camille. Darren, t'as un coup dans le nez, ou quoi ? Je ne vais pas faire ça ! Ils sont presque tous en fuite, ou à Azkaban ! Pourquoi est-ce que j'irais les chercher ?! C'est de la folie !
Darren poussa un râle alarmant, sans que Camille ne s'en étonne réellement. Il savait que les personnes sur le point de mourir étaient loin d'être aussi silencieuses qu'on pouvait le croire.
- Fais-le. Ils… les cher…chent, dit-il faiblement. Tous… Trouve…les. Vite. Et… fais… pas… le… con…, marmonna-t-il.
Camille n'entendait presque plus la voix de son ancien collègue. Il se pencha vers lui, frottant sa chemise contre le torse de Darren, se moquant de savoir que son vêtement serait bientôt imbibé de sang. Il avait vu bien pire. Il avait déjà imbibé ses propres vêtements de son propre sang.
- Fais pas… comme moi. Crève pas.
Camille attendit encore quelque secondes, tout en sachant que cela ne servirait à rien. Darren était mort. Il le savait, parce qu'il était à présent étrangement silencieux, et il ne reviendrait pas. Sa poitrine ne se soulevait plus. Rien de ce que Camille n'aurait pu faire ne l'aurait sauvé. Tout au plus aurait-il pu atténuer la douleur de Darren mais, dans ce cas-là, il n'aurait jamais pu savoir ce qui lui était arrivé.
Cependant, savait-il réellement ce qui était arrivé à Darren ?
Camille déglutit, n'arrivant pas à s'éloigner du corps de Darren. Darren était une légende, chez les Invisibles. Il avait été Mangemort, avait regardé Voldemort dans les yeux et s'était sorti vivant de la guerre, avait évité les Procès, et avait œuvré avec une ferveur inégalée au sein des Invisibles. La seule faiblesse que Camille lui connaissait, c'était Astrid, cette petite sainte-nitouche qu'il n'avait jamais pu supporter, et que Darren appréciait beaucoup.
Et qu'il devait à présent retrouver.
- Putain, Princesse, t'as intérêt à être facile à trouver…, gronda-t-il entre ses dents en se redressant finalement.
Il regarda les taches de sang de sa chemise, et hésita à les enlever. Au même moment, la porte arrière de sa maison vola dans un grand fracas.
Ceux qui avaient mutilé Darren, jusqu'à le mener à sa mort, n'avaient pas perdu leur temps.
À Camille, maintenant, de ne pas perdre le sien.
Lumos
Mais qui voilà ? Serait-ce moi ? MAIS OUI ! BONNE ANNÉE ! Me voilà de retour avec une nouvelle histoire et, vous le remarquerez (ou pas), la date n'a pas été choisie par hasard ; en effet, il y a deux ans de cela, je lançais la publication d'Invisible... Que vous dire de plus ? Déjà, j'espère que vous avez passé de bonnes fêtes, autant que faire se peut. Ensuite, j'ose espérer que vous êtes contents de retrouver tout ce petit monde, même Camille, oui, oui. Pour tout vous avouer, je me suis éclatée à écrire la suite. Elle n'est pas entièrement finie, et les chapitres sont longs ; de ce fait, les publications se feront toutes les deux semaines pour l'instant (comme pour le début d'Invisible), avant un rythme plus poussé, lorsque les chapitres auront bien avancé. Concernant le nombre de chapitres, il y en aura moins de 20, mais vu la taille, je pense que vous pouvez vous consoler en pensant à la lecture que vous aurez à chaque publication ^^ (On est à plus de 10 000 mots par chapitre, on reprend les bonnes habitudes !)
J'ai eu l'occasion de bien avancer durant le NaNoWriMo, où un certain nombre de personnes ont pu m'entendre me plaindre au cours du mois. 50 000 mots à écrire, ce n'était pas rien. Mais au moins, je sais que j'en suis capable, et, qui plus est, cela m'a permis de bien avancer les chapitres ! Bon, que vous dire de plus ? Oh, la, la, je ne sais plus rédiger des notes d'auteur, rien ne va.
On peut remercier à nouveau DelfineNotPadfoot pour ses corrections, et son enthousiasme à se relancer dans la correction de mes chapitres, car je ne suis pas toujours un cadeau, il faut dire ce qui est ! Et merci aussi aussi à LittlePlume pour m'avoir supportée durant le NaNo, ainsi qu'à mon ancienne coloc, toujours à me demander si j'avançais, si bientôt, elle aurait le droit de lire la suite... Vous voyez, j'avais une bonne équipe derrière moi pour me motiver correctement ;)
Sur ce, j'espère avoir su vous donner envie de lire cette suite, et j'espère qu'elle sera à la hauteur de vos espérances :)
Nox
