The Longest Nights.

Une collection de quelques moments partagés entre Noctis et Prompto, entre la tombée et le lever du jour.

I : Coernix Station d'Alstor

Un bruissement alentours empêchait ses yeux de se fermer. Il n'arrivait pas à s'y faire – les bruits et le danger permanent – mais il valait sans doute mieux demeurer vigilant. Il avait vu ce qui rampait dans les ombres, et il ne désirait pas être surpris en plein sommeil par une quelconque créature. Ses lèvres gercées laissèrent échapper un profond soupir. Il n'imaginait pas qu'une telle chose serait un jour possible, mais dormir lui manquait. Il se tortilla dans son sac de couchage, impressionné par les ronflements bruyants qu'émettait Gladiolus – un peu jaloux, aussi. Dans l'obscurité, il parvenait tout juste à distinguer le visage serein de Prompto, un léger sourire collé à ses lèvres, et le Prince se demanda comment il pouvait encore réussir à rêver après tout ce qu'ils avaient traversé. Secrètement, il enviait cet optimisme impérissable.

Avec un nouveau soupir, il abandonna définitivement l'idée d'une nuit reposante. Trop de pensées s'agitaient sous son crâne, et la peur était bien trop forte. N'y avait-il donc pas quelque chose, dehors, qui les épiait, attendant le bon moment pour frapper ? En silence, il se leva, prenant garde à ne pas réveiller les autres, et se glissa hors de la tente. Dehors, une brise portant l'odeur distincte d'herbe et de terre humides l'accueillit. Les étoiles brillaient avec ferveur dans le ciel, et la Lune était vraiment magnifique ce soir. Duscae était un endroit magique, presque assez pour lui faire oublier la réalité – la chute d'Insomnia, la mort de son père le Roi Régis, la trahison de Niflheim, la disparition de Lunafreya, les guerres à venir et le poids du Monde sur ses épaules trop jeunes.

Quelques minutes plus tard, Noctis réalisa qu'il n'y avait rien dans l'ombre. Pas de monstre, de daemon ou de créature prête à le mettre en pièces, lui et ses compagnons.

« Nous sommes en sécurité. » murmura-t-il à l'herbe dansant sous la brise, mais la peur était toujours là. Elle ne partait plus. Ses yeux sombres se posèrent un instant sur ses mains, tremblantes à cause du froid, et la vision le frappa comme une preuve de faiblesse. Noctis inspira profondément avant de s'allonger sur le sol, le regard levé vers la voûte céleste. Des particules lumineuses au loin teintaient l'horizon, y disséminant de longs rubans aux nuances d'indigo et de bleu pâle, d'or et d'argent. Apaisé par les douces caresses du vent sur ses joues, le Prince laissa ses paupières se fermer.


« Hey, belle endormie, c'est l'heure de se réveiller !

—Mais qu'est-ce qu'il fait dehors ? Attends, ne me dis pas que tu as dormi ici… Noctis ! »

Alors que Gladiolus et Prompto redoublaient d'efforts pour ne pas exploser de rire et s'attirer les foudres d'un Ignis déjà passablement énervé, le Prince marmonnait vaguement, tentant de s'extirper des bras du sommeil. Cette tâche fut facilitée par deux mains qui vinrent le secouer fermement, sans aucune considération, et le projetèrent dans le monde réel. Il se frotta les yeux, l'air revêche.

« Ça va, j'me suis endormi, c'est tout. » se justifia-t-il, appréciant peu la manière dont Ignis fronçait les sourcils. Il lui fallait trouver un moyen de s'enfuir. Noctis n'avait jamais apprécié qu'on lui donne de leçon, et ce n'était certainement pas le meilleur moment de la journée pour en recevoir.

« Est-ce que tu te rends compte de tout ce qui aurait pu t'arriver si…

—Ouais, ouais. Je sais. » Il agita la main avec dédain pour accompagner sa déclaration, évitant de croiser le regard de son mentor. Ignis secoua simplement la tête et retourna à la préparation du petit déjeuner, se plaignant avec force de l'attitude princière, Gladiolus – discrètement hilare – sur ses talons.

Prompto se risqua à approcher le Prince, un sourire encore plus éclatant que la lumière de l'aube accroché à ses lèvres. C'était tout aussi irritant que merveilleux, selon Noctis, et il ne parvint pas vraiment à se décider. Des yeux clairs, un rien contrits, cherchaient les siens avec acharnement.

« Alors, on a du mal à trouver le sommeil ? »

Le Prince aurait pu se demander comment son ami pouvait être au courant, mais il ne chercha pas plus loin. Gladiolus, Ignis et Prompto avaient une sorte de don qui leur permettait de toujours savoir ce qui se tramait dans sa tête, quelles que soient les circonstances. Noctis esquivait précautionneusement le regard de son ami, supportant mal de le voir si désolé et inquiet. « On peut dire ça. T'inquiète pas, va. » lâcha-t-il finalement avec un sourire qui sonnait faux.

« Donne-moi une raison de ne pas le faire, alors. » fut l'inévitable réponse de Prompto, qui, s'il avait opté pour un ton léger, semblait réellement préoccupé par l'état du Prince. Noctis haussa les épaules, s'attirant un soupir contrarié qui demeura sans suite. Prompto le connaissait assez pour savoir qu'il n'était pas coutumier de discussions sérieuses, encore moins quand celles-ci avaient pour sujet sa propre personne, et aucun des deux ne pouvaient être qualifiés d'être assez mature ou responsable pour mener à bien une telle entreprise. Pas maintenant, en tous cas.

Remarquant la tristesse sur les traits de son compagnon, Noctis le gratifia d'une tape amicale derrière la tête. « Hey » commença-t-il avec douceur, comme pour compenser son attitude. « Je vais bien, d'accord ? Allez, on a une longue journée devant nous, on devrait aller se préparer. » conclut-il en se levant. Il s'étira longuement et offrit un clin d'œil à Prompto – ce qui était assez inhabituel pour faire revenir son sourire, et le jeune homme l'imita prestement. « J'suis d'accord ! Je m'demande ce qu'Ignis nous a préparé ce matin ! »

Ce jour-là, les quatre fugitifs avaient décidé d'éliminer les monstres qui terrifiaient les locaux, espérant que l'argent serait suffisant pour leur payer une nuit dans un véritable établissement – Prompto passait son temps à se plaindre du camping, et Noctis soupçonnait que cela avait un rapport avec les récents évènements. Il observa d'un œil amusé le manège de l'infatigable garçon, même s'il doutait qu'avoir un toit au-dessus de sa tête faciliterait son sommeil. La chasse lui permettait, au moins, de lutter contre ses démons, et il se battit avec une férocité remarquable – quoique déconcertante aux yeux des plus âgés. Quand Noctis s'élança, seul, à l'assaut d'un gigantesque crapaud, manquant de se tuer à plusieurs reprises et mettant ses amis en danger, Ignis décida qu'il était temps de réagir. Le combat dut être abandonné, car le Prince n'était de toute évidence pas en état de continuer, et ils prirent la fuite, Gladiolus portant le jeune Héritier sur ses épaules tandis qu'Ignis et Prompto s'occupaient de maintenir leur ennemi à distance.

Ils trouvèrent refuge plus loin, à l'abri d'une colline et Gladiolus se débarrassa de son fardeau, jetant presque Noctis au sol. Prompto poussa un long cri de fatigue avant de s'étaler de tout son long dans l'herbe, puis un cri de douleur quand il se souvint des écorchures dans son dos. Le visage du Prince était maculé de boue et de sang, chaque parcelle de chair à nue recouverte d'ecchymoses. Les déchirures de ses vêtements laissaient apercevoir d'autres blessures. Il semblait ne pas y prêter attention, cependant, le regard perdu dans le vague – dans la direction de là où ils avaient abandonné le monstre, en vérité. Ignis se racla la gorge et se pencha à hauteur du Prince, procédant à un examen minutieux de ses lésions. Noctis se laissa faire sans mot dire, les sourcils froncés.

« Qu'est-ce qu'on fout là ? Notre mission n'est pas terminée.

—Nous avons jugé préférable de battre en retraite. Nous n'étions pas de taille, et je te saurai gré de ne pas risquer ta vie de la sorte quand tout un royaume a besoin de toi.

—Et qu'est-ce que ce royaume espère donc d'un Prince qui s'enfuit devant un crapaud ? »

Ignis soupira bruyamment, résistant autant qu'il pouvait à la tentation d'appuyer un peu plus fort sur les blessures qu'il nettoyait. L'ombre imposante de Gladiolus les surplomba, et Noctis sentit la menace émanant de l'homme et de sa colère.

« Toujours plus que ce qu'on pourrait bien attendre d'un Prince mort. Sauf ton respect, Noct', tu penses quand même pas qu'on est débiles au point de pas avoir vu que y'a un truc qui cloche chez toi ? »

Le Prince émit un sifflement contrarié. « J'ai besoin de me défouler, c'est grave ?

—Eh bien écrase des insectes. Ou si tu as tellement peur de ne pas réussir à dormir, t'as qu'à demander à Prompto de te faire la discussion. Tu verras, tu seras vite fatigué. »

Ignorant l'exclamation outrée du jeune homme en question et sa réponse, sans doute très drôle, Noctis leur en voulut soudain de prendre cela sur le ton de la rigolade. Ce n'était probablement qu'une diversion, une tentative de ne pas dramatiser la situation et de ne pas céder à la panique sous-jacente – mais il leur en voulut. Il écarta les mains d'Ignis et se leva tant bien que mal, sentant chaque muscle gémir de douleur. Celui-ci s'apprêtait à ouvrir la bouche pour signifier son désaccord, mais Noctis le coupa sèchement : « C'est bon, déstresse, je vais juste faire un tour. Pas d'actions inconsidérées, j'ai bien compris, merci. » Il se tourna vers Gladiolus, affrontant sans peine son regard noir, et se dirigea d'un pas déterminé – bien qu'un peu vacillant – vers le haut de la colline.

Tapant du pied, Noctis contemplait le paysage qui s'étalait sous ses yeux. Sous le ciel parsemé de lourds nuages noirs, l'herbe semblait luire de sa propre lumière verdoyante, saturée, et l'étang de Neeglys était comme un large médaillon d'argent abandonné là. Il localisa rapidement la masse sombre du crapaud, à l'ombre de hauts rochers, si insignifiante vue d'ici, et grinça des dents. Il fit apparaître ses dagues et enchaîna quelques mouvements basiques, les lèvres pincées par les élancements dans ses muscles. Quand il fut satisfait, il lança l'une d'elles dans les airs et se téléporta à sa suite. Suspendu dans le vide, il pivota légèrement sur lui-même et envoya la deuxième un peu plus loin. Il eut à peine le temps de la rattraper avant de sentir la fatigue s'emparer de lui. Avec un juron, il se laissa chuter, se recevant maladroitement. Noctis continua ainsi, encore et encore, des gerbes bleues explosant tout autour, au sol et dans les airs, contre les arbres et en haut des pierres.

Un Prince qui s'enfuit devant un crapaud. Non. Un Prince qui ne peut même pas fuir seul. Il était arrogant, nonchalant, paresseux, froid – mais faible ? C'était inacceptable. Il avait passé tellement de temps à s'exercer, il avait la magie de ses ancêtres – alors pourquoi, une fois lâché à l'extérieur, devenait-il si faible ? Inacceptable et incompréhensible. L'Empire ne ferait qu'une bouchée de sa frêle personne, s'il continuait ainsi. Dans ses cauchemars, les milliers de vies qu'il n'arrivait pas à préserver l'appelaient à l'aide, s'agrippaient à ses jambes et à ses bras de toute la force de leurs mains décharnées, et elles hurlaient, hurlaient à travers les flammes et les ombres. Il voyait les lumières, si fortes, aveuglantes, toujours plus nombreuses. Noctis sentit les larmes lui venir aux yeux, fractionnant encore un peu plus les éclats bleus qui jaillissaient de nulle part à chaque nouveau saut. Il chassa rageusement ces manifestations fragiles, et décida d'en arrêter là.

Le crépuscule avait allumé un incendie flamboyant au-dessus de la plaine. Il est si tard, déjà ? Ignis et les autres n'allaient pas tarder à venir le chercher, pour le soustraire aux dangers de la nuit. Cette pensée ne l'aidait pas à retrouver son calme. Quelques courtes minutes s'écoulèrent avant que la voix de Prompto ne se fasse effectivement entendre, criant son nom. Il aperçut la crinière blonde de son ami et prit quelques longues inspirations pour se préparer à affronter la réalité.

« Ah ! Tu es là ! » Prompto trottina dans sa direction et vint s'asseoir à ses côtés, passant négligemment son bras autour des épaules du Prince. « Tout va comme tu veux ? Finalement, on a décidé qu'on allait encore camper cette nuit. Ignis a peur qu'on rentre pas à temps au relais et qu'on soit surpris par la nuit, et tu sais comment il est quand il a peur d'un truc ! » Il pencha la tête, intrigué par le regard de Noctis, complètement absorbé dans la contemplation de son visage, recouvert par la lumière du couchant comme par une poussière d'or rouge. « Bah, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu te souviens de moi, quand même ? Prompto, ton ami du lycée ?

—Hein ? Oui, désolé. La lumière est superbe. »

Cette réponse incongrue arracha un petit rire à Prompto, qui se gratta l'arrière de la nuque, le rouge de ses joues masqué par les flammes du coucher de soleil. « Ouais, t'es pas mal non plus. » plaisanta-t-il en adressant un clin d'œil mutin au Prince, dont l'air passablement choqué ne fit qu'augmenter l'euphorie de son ami. « La lumière est superbe, non mais je rêve ! Dis pas ce genre de choses en me regardant comme ça, c'est très perturbant, Noct' ! »

Le Prince leva les yeux au ciel avec un fin sourire. Un silence agréable s'installa entre les deux jeunes gens, et à mesure que la lumière décroissait, Noctis semblait retrouver une meilleure humeur. Prompto lui faisait cet effet-là, souvent.

« Tiens, d'ailleurs, j'me disais. Si tu as du mal à dormir à cause des cauchemars et tout, tu pourrais dormir avec moi ! »

Noctis manqua de s'étouffer avec sa propre respiration : « Quoi ?

—On faisait bien ça quand on était plus jeunes ! »

Le Prince aurait pu évoquer une bonne centaine de raisons pour détourner Prompto de cette idée, mais celui-ci le regardait avec un visage tellement naïf, ses grands yeux clairs rayonnant d'excitation et d'envie de bien faire, qu'il se trouva bien incapable – encore et comme toujours – de refuser.

« C'est que… T'es comme une espèce de grosse bouillotte. Sauf qu'à ton échelle, ça devient carrément invivable !

—Eh ben, je savais que je devais me trouver quelque chose de particulier pour espérer entrer en compétition avec Lady Lunafreya, alors…

—Rah, tais-toi, idiot. »

En voyant Noctis de plus en plus gêné, Prompto ne put s'empêcher de partir d'un grand éclat de rire. Il ébouriffa les cheveux du Prince, qui fit mine de se renfrogner, et bondit sur ses pieds, tendant ensuite la main pour aider son ami à se relever. « Allez, on y va ! J'ai pas envie de me faire gronder par les parents !

—C'est qui maman ?

—Ignis, évidemment ! »