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Chapitre 1 : Awkward Conversations
Note de l'auteur : Je voulais écrire un OS. Mais vous savez ce que c'est, les idées s'enchaînent, se superposent et s'emboîtent et vous vous retrouvez avec un récit de 20 pages qui est loin d'être terminé. Vous vous dîtes alors qu'il est peut-être temps de songer à le découper en chapitres pour enfin partager le fruit de votre labeur et que les lecteurs arrêtent d'imaginer que vous êtes probablement mort.
Je voulais aborder des sujets rarement évoqués dans Star Trek, et finalement, pas tant que ça dans les fanfictions. L'identité sexuelle, son orientation, la remise en question qui en découle, l'éthique, la découverte de soi, et d'autres choses encore qui viendront par la suite. J'ai voulu le faire sur le ton de l'humour, sans rien enlever pour autant au sérieux de la chose. J'espère avoir respecté cet équilibre. J'ai également choisi Spock et McCoy, car ils sont pour moi des antipodes qui ont peut-être du mal à se comprendre, mais qui sont également d'une loyauté sans limites l'un envers l'autre.
L'histoire prend place après Beyond et après leur départ de Yorktown, il traîne donc quelques références au film que l'on pourrait qualifier de petits spoilers par-ci par-là. Je précise simplement pour avertir ceux qui ne l'auraient pas encore vu.
Comme toujours, les caractères des personnages collent au maximum à l'image que je me fais d'eux. Ce point de vue est totalement personnel, comme à chaque fois, j'espère donc que vous y trouverez votre compte. Je travaille également beaucoup plus mon écriture, je prends le temps, je réécris et corrige beaucoup plus qu'avant, ce qui explique que je publie moins. Je crois que je me fais vieille et plus exigeante. Évidemment, ce texte est également corrigé par ma relectrice, mais si vous trouvez des fautes qui auraient échappé à notre vigilance, faites-le-moi savoir.
Bonne lecture et donnez-moi votre avis sur ce nouveau style, que vous aimiez ou non.
Disclaimers : Star Trek et son univers ne m'appartiennent pas et je ne touche aucune rémunération pour mes écrits.
Quand Leonard aperçut Spock entrer dans l'infirmerie, un frisson d'appréhension parcourut son échine dorsale. Le docteur se plaignait souvent de Jim, mais le patient qu'il voyait le moins était en réalité Spock. Le Vulcain ne ratait jamais son examen semestriel et se laissait volontiers soigner quand il était blessé en mission, ce n'était pas un patient difficile, mais le reste du temps il désertait l'aile médicale.
C'est pour cette raison que le voir débarquer à l'improviste étonna Leonard, même s'il surprenait le Vulcain en train d'errer dans le coin plus que nécessaire depuis leur départ de Yorktown dans un Enterprise flambant neuf. Il avait toujours une bonne excuse, sa présence était requise au laboratoire, il avait des conseils à demander au docteur M'Benga à propos de sa biologie demi-vulcaine totalement imprévisible, etc. Ce jour-là cependant, il souhaitait le voir personnellement.
L'officier scientifique chercha son regard, puis s'avança vers lui. En le regardant approcher, un drôle de pressentiment remua l'estomac du docteur. Ce n'était pas une visite de courtoisie, pourtant son collègue semblait aller parfaitement bien physiquement.
« Docteur McCoy, » le salua-t-il.
« Spock. Que puis-je faire pour vous ? » Demanda Bones directement. Il ne souhaitait pas tourner autour du pot.
Spock étant une personne logique et pragmatique, il suivit le mouvement.
« Pouvons-nous nous entretenir en privé ? »
« Bien sûr, allons dans mon bureau. »
Ils entrèrent dans la pièce et la porte se referma derrière eux. Puis un long silence s'étira alors que Bones s'asseyait et que le Vulcain restait obstinément debout.
« Prenez un siège, Spock, mettez-vous à l'aise, vous me stressez à rester figé au milieu de la pièce. »
« Pardonnez-moi, » répondit-il, en acceptant de s'asseoir.
L'ambiance ne s'allégea pas pour autant. Bones n'avait pas le moindre indice, mais il sentait que Spock n'allait pas se confier facilement.
« Si vous me disiez ce qui vous amène ici, maintenant que nous sommes à l'abri des oreilles indiscrètes, » l'encouragea-t-il.
Spock ouvrit la bouche, une fois, deux fois, puis la referma finalement. Leonard n'aimait pas jouer aux devinettes avec ses patients, mais il connaissait suffisamment le Vulcain pour savoir que le brusquer ne mènerait nulle part.
« Est-ce une question d'ordre personnel ? » tenta-t-il, car si cela était professionnel, Spock n'irait pas par quatre chemins.
« En effet. »
C'était déjà un début.
« Très personnel ? »
Spock hocha la tête.
« Intime ? »
Nouveau hochement de tête.
« Est-ce en rapport avec le Lieutenant Uhura ? »
Bones aurait juré que les joues et les oreilles de Spock étaient plus vertes que d'habitude.
« Spock, si vous ne parlez pas, je ne peux pas vous aider. »
Le Vulcain tenta de nouveau de trouver ses mots, sans succès. Leonard eut presque pitié de lui.
« Désolé d'être aussi cru, mais sommes-nous en train de parler d'un problème d'ordre sexuel ? »
La teinte verdâtre du visage du scientifique s'accentua, même si ses traits restèrent inchangés et neutres, et le docteur sut qu'il était sur la bonne piste.
« En effet. »
« La machinerie ne fonctionne pas correctement ? »
« La… machinerie, docteur ? »
« Vous savez… » Leonard soupira. « Si vous êtes là, j'imagine que c'est parce que le problème vient de vous et non d'elle. Je me demandais donc si vous… aviez un souci mécanique. Physiologique. Peut-être l'acte se termine-t-il… trop rapidement ? »
« Plutôt le contraire. »
« Il dure trop longtemps ? »
« Non… Il ne débute pas. »
« Il ne… Vous voulez dire que le drapeau ne se lève pas ? »
Spock leva un sourcil interrogateur dans sa direction.
« Je devine que c'est encore un de vos idiomes imagés. »
« Euh… Oui. En d'autres termes… »
« Je pense avoir saisi le sens global. »
« Bien. »
Un long silence s'étira de nouveau.
« Et donc ? » le relança Bones.
« Le… drapeau ne se lève pas, » répéta finalement Spock.
Leonard se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire. C'était une réaction nerveuse, il ne voulait pas réellement se moquer de son collègue. La situation était juste très cocasse. Ce n'était pas la première fois qu'un membre d'équipage le consultait pour ce problème, mais venant de Spock, cela semblait juste surréaliste.
« Étant également psychologue, je sais d'expérience que ce genre de blocages est plus souvent psychique que physiologique. Vous êtes jeune et en bonne santé, je ne vois donc aucune raison évidente à cela. Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, Spock, mais il va falloir m'expliquer ce qui se passe quand vous tentez d'engager un rapport intime ensemble. Vous n'avez pas besoin d'entrer dans les détails ni d'utiliser un vocabulaire spécifique. Vous pouvez même rester totalement scientifique et prosaïque si c'est plus simple pour vous. »
Spock réfléchit, chercha ses mots, mais Bones ne comptait pas le laisser repartir sans avoir le fin mot de cette histoire de toute façon.
« Les Vulcains ont une vision différente du couple, » débuta finalement Spock. « Nous ne nous engageons pas dans des relations éphémères ou uniquement physiques. La relation doit se construire, se consolider, et quand nous choisissons un partenaire, c'est généralement pour la vie. Nyota savait cela avant que nous décidions de débuter notre liaison. Elle a toujours pris en compte mon aversion des contacts physiques en public, n'a jamais poussé mes limites, mais après trois ans à nous fréquenter, elle m'a finalement fait part de son désir de… »
« Attendez, attendez ! » l'interrompit brusquement Leonard. « Vous voulez dire qu'en trois ans de relation, vous n'avez jamais… ? »
« En effet. »
Bones le fixa, bouche bée.
« Je n'ai jamais minimisé le sacrifice que cela lui demandait. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai accédé à sa demande. »
« Je comprends mieux pourquoi ça ne fonctionne pas. »
« C'est-à-dire ? »
« Ces choses-là ne se forcent pas, Spock. Ça doit être une véritable volonté de la part de la totalité des partis, pas quelque chose qu'on accepte pour faire plaisir. »
« Je ne suis pas inexpérimenté au point d'ignorer ce fait, docteur McCoy. J'éprouvais réellement le désir de franchir ce pas. »
La voix de Spock aurait pu congeler un désert à ce moment-là, Bones entreprit donc pour un repli stratégique.
« Dans ce cas, expliquez-moi où ça bloque. Je suis votre ami, Spock. Je ne suis pas là pour me moquer de vous ni pour vous juger. Je suis médecin et croyez-moi quand je vous dis que j'ai déjà vécu des consultations beaucoup plus bizarres. »
Ce qui était vrai. Sauf que ces patients n'étaient pas Spock.
« Je pense que le problème vient de ma nature vulcaine. »
« Vous pensez ? Spock, nous sommes ici pour établir des certitudes et vous aider, pas pour encourager les conneries que vous vous racontez pour vous déculpabiliser. »
« Je vous demande pardon ? »
« Votre nature vulcaine, c'est votre putain d'excuse pour tout justifier. Ce n'est pas une première. »
Cette fois, les deux sourcils de Spock disparurent derrière sa frange.
« Ce que je veux dire c'est que, soit vous désirez quelqu'un, soit vous ne le ou la désirez pas. Il n'y a pas d'intermédiaire dans ce domaine. Votre "nature" ne vous immunise pas contre ça, » précisa-t-il en crochetant ses doigts en l'air pour mimer les guillemets. « Peut-être avez-vous peur de ne pas être à la hauteur ? Il arrive souvent que les hommes qui se mettent trop la pression… »
« Je n'ai pas d'expectations particulières, docteur McCoy. J'ai suffisamment lu sur le sujet pour savoir que les choses se passent rarement comme on l'imagine. »
« Dans ce cas… » Bones soupira. Il avait bien une idée, mais ne savait absolument pas comment aborder le sujet avec le Vulcain.
« Oui ? » l'encouragea-t-il.
« Je devine que vous avez dû essayer plusieurs fois avant de venir me consulter. »
« Affirmatif. »
« Comment ça se passe ? Vous vous déshabillez tout de suite ? Combien de temps durent les préliminaires ? »
Spock verdit un peu plus, visiblement mal à l'aise.
« Que cherchez-vous à savoir exactement ? »
La question prit Bones au dépourvu. Il pensait être plus subtil que ça. Il décida alors de jouer cartes sur table. Prendre des chemins de traverse ne fonctionnerait pas avec l'esprit trop analytique de Spock.
« Est-ce que ce que vous voyez vous plaît quand elle est nue devant vous ? »
« Me plaît ? »
Le gobelin commençait sérieusement à l'énerver avec sa manie de répondre à ses questions par d'autres questions.
« Est-ce que vous la trouvez attirante ? Est-ce que cela émoustille le Petit Spock ? Est-ce que vous frémissez rien qu'à l'idée de la toucher ? Ou est-ce que cela vous rebute ou vous effraie d'une manière ou d'une autre ? » précisa-t-il en tentant de ne pas élever le ton.
Spock ouvrit la bouche, avant de la refermer de nouveau en regardant ailleurs.
« Je pense que nous touchons le cœur du problème. Je vais vous demander quelque chose, Spock. Pas parce que ça me fait plaisir, ni pour vous choquer, mais avez-vous déjà initié un quelconque rapprochement avec un homme ou songé à l'idée de le faire ? »
« Je vous demande pardon ? » répéta Spock, sa voix montant d'une octave.
« Vous m'avez très bien compris. »
« Non, je… La réponse est non. »
« La vérité, Spock. C'est la seule chose que j'exige entre les quatre murs de ce bureau. Ça ne sortira jamais d'ici. »
« Je… ne sais pas. »
« C'est déjà plus honnête. Je peux imaginer que vous ne vous soyez jamais réellement posé la question. »
« Comment avez-vous su que vous préfériez les femmes ? »
Encore une fois, la question prit Leonard par surprise.
« Qui vous a dit que c'était le cas ? »
« Vous avez été marié à une femme. »
« C'est vrai, mais ce n'est pas la seule personne que j'ai eue dans ma vie. Vous savez, chez les Humains il n'est pas rare que l'orientation sexuelle soit fluctuante. Rien n'est vraiment gravé dans le marbre. Jim est pansexuel, Sulu est homosexuel, moi-même, il m'est arrivé de tester certaines choses quand j'étais plus jeune, avant de rencontrer Jocelyn. » Le regard de Spock se teinta de curiosité. « Je pense que vous êtes trop terre à terre. Il est inutile de vouloir absolument rentrer dans une case. »
« Dans une case ? »
« Un cadre défini, Spock. » Un soupir d'exaspération lui échappa. Il avait l'impression de devoir tout expliquer à un enfant particulièrement mature et beaucoup trop littéral.
« Il n'y a pas de règles établies pour ces choses-là. On ne choisit pas ce qu'on aime ni qui on aime et j'encourage toujours la curiosité et la découverte, pas la restriction qui engendre la frustration. Je ne sais pas exactement comment votre société perçoit les différentes orientations, mais vous vivez sur ce vaisseau maintenant, parmi un équipage en majorité composé d'Humains. Je vous assure que personne n'accueillera mal que vous décidiez de changer de bord. À part Uhura, bien entendu. Mais il va vraiment falloir lui en parler. Vous devez être honnête avec elle. »
« Comment être honnête si je ne suis moi-même sûr de rien ? Je ne suis peut-être pas encore familier avec tous les aspects d'une relation romantique, mais je ne pense pas me tromper en disant que Nyota ne sera pas satisfaite si je lui fais part de mon besoin d'aller "tester des choses" ailleurs, » répliqua Spock, imitant McCoy en mimant les guillemets d'une manière sarcastique.
Bones se pinça l'arête du nez. Cette conversation tournait en rond.
« Spock, ouvrez grand vos oreilles pointues, parce que c'est très important. Quoi que vous fassiez, même si vous trouvez un partenaire masculin et que l'expérience est un échec total, cela ne vous fera pas désirer une femme comme par magie. Ce que j'essaye de vous dire, c'est qu'il n'y a pas que deux choix possibles ici, c'est une vision bien trop manichéenne. Vous pouvez très bien être asexuel, par exemple, ou uniquement attiré par les membres de votre espèce, les possibilités sont multiples, mais d'après ce que vous m'avez raconté, nous pouvons être à peu près certains que les femmes ne sont pas votre truc. Cela peut changer, évidemment, mais pas du jour au lendemain, et quoiqu'il advienne, Uhura ne sera visiblement jamais votre genre. Si cela ne fonctionne pas aujourd'hui, ce ne sera probablement jamais le cas. Une autre femme, peut-être, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, nous devons déterminer ce qui vous convient pour que vous soyez épanoui. Et cela peut très bien être l'absence de relations sexuelles, c'est tout à fait acceptable, Spock. »
« Tout cela ne répond pas à ma question. Comment fait-on pour savoir ? »
« Il n'y a pas de méthode miracle. Parfois, il vous suffit de voir un plat pour savoir que vous n'allez pas l'aimer, et parfois vous n'êtes pas sûr, alors vous goûtez. Par exemple, je n'ai vraiment pas besoin d'essayer de sauter Keenser pour savoir que ce n'est pas mon truc. »
L'expression quelque peu choquée de Spock valait carrément la peine, pensa Bones.
« Je vois. »
« Ressentez-vous le besoin de "tester des choses", Spock ? »
« Comme j'ai tenté de vous l'expliquer, les Vulcains ont besoin d'établir une relation de confiance avant de s'engager sur ce genre de terrain. Je ne vais pas me donner au premier venu pour satisfaire ma curiosité. »
« Personne n'a dit que ça devait se passer comme ça ! Tout le monde ne s'appelle pas James Tiberius Kirk ! Mais je ne vous cache pas que si vous vous obstinez à raisonner ainsi, vous êtes un peu dans une impasse. Visiblement, votre côté humain vous expose à certaines remises en question qui ne touchent habituellement pas votre espèce. Soit vous vivez avec, soit vous apprenez à laisser ledit côté humain s'exprimer à sa façon. »
« De quelle manière procéderiez-vous ? »
« Si je devais essayer quelque chose que je ne connais pas ? J'irai probablement demander à Jim. »
« Vous et le Capitaine… »
« Non, Spock, nous sommes juste de très bons amis. Mais c'est à mon point de vue le meilleur choix possible qui se présenterait à moi. J'ai totalement confiance en lui et je sais que, quoi que j'aie en tête, il y a de fortes chances qu'il ait lui-même déjà essayé. »
« Un choix très logique, en effet. Cela m'étonne presque de vous. »
« Il n'y a pas que pour les Vulcains que la confiance est importante. La plupart des Humains n'iraient pas s'aventurer avec de parfaits étrangers. Mais nous en revenons toujours au même point, Spock. Que voulez-vous faire ? »
« Pensez-vous que je devrais moi aussi aller demander l'assistance du Capitaine ? »
« Quoi ? Non ! » hurla Leonard, avant de se reprendre face au regard curieux de Spock. « Enfin… sauf si c'est ce que vous voulez, et connaissant l'animal je ne pense pas trop m'avancer en disant qu'il ne vous rejettera pas. »
Un silence un peu moins lourd s'éternisa quelques instants.
« En fait, ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée, vous savez. »
« La régulation n'encourage pas la fraternisation entre officiers supérieurs… »
« Spock, nous sommes au fin fond de l'espace inexploré, qui se préoccupe de la régulation à part vous ? Vous avez besoin de vivre une expérience avec quelqu'un en qui vous avez confiance, qui d'autre que Jim pourrait remplir ce rôle si Nyota ne le peut pas... »
Sa voix fana jusqu'à s'éteindre totalement sous le poids du regard appuyé de Spock.
« Non ! C'est hors de question ! Vous me parlez de régulation ? Moi je vous parle d'éthique ! Et ça, même dans le trou du cul de l'univers, on ne s'en fout pas ! Je ne m'envoie pas en l'air avec mes patients ! »
« En prenant en compte le fait que techniquement chaque membre d'équipage à bord est votre patient, cela ne vous laisse aucun autre choix que l'abstinence, docteur. Vivez-vous bien la situation en tant qu'individu apparemment très actif sexuellement par le passé ? »
« Allez vous faire foutre, damné gobelin ! »
« Je pense que nous allons en rester là. Merci pour votre aide précieuse, » dit Spock rapidement, avant de se lever.
« Attendez, Spock, » le retint Leonard à la dernière seconde. « C'est ridicule, » soupira-t-il. « Réglez avant tout votre problème avec Uhura, puis revenez me voir. Nous déciderons d'un plan d'action à ce moment-là. »
« Très bien. Merci encore de m'avoir accordé votre temps. »
« Quand vous voulez, c'est mon job. »
Spock hocha la tête, puis la porte se referma sur lui et Leonard se retrouva seul dans son bureau à se demander ce qui venait exactement de se passer.
…
Spock revint deux jours plus tard. Vous pouviez compter sur un Vulcain pour ne pas laisser trainer les choses plus que nécessaire. Sans attendre, Leonard entra dans son bureau et le Vulcain répondit à l'invitation silencieuse de le suivre. Ils se retrouvèrent face à face, dans la même position, et Bones se racla la gorge. Il avait beaucoup réfléchi. À vrai dire, leur dernière conversation n'était pas sortie de sa tête durant tout ce temps. Il y avait indubitablement quelque chose d'attrayant chez Spock et sa manière de voir le monde.
« Comment ça s'est passé ? » demanda-t-il en guise de préambule. Inutile de passer par les banalités d'usages.
« Nous avons décidé d'un commun accord de prendre des chemins différents. C'est une femme très intelligente, elle ne semblait pas surprise. Attristée, certainement, mais digne. »
« Pas de cris et d'effusions de larmes, si je comprends bien. »
« Pour reprendre ses mots, elle en était déjà venue aux conclusions évidentes et s'était fait une raison. »
« Je suppose que vous êtes soulagé de ne pas l'avoir blessée outre mesure. »
Spock lui lança son regard "les-Vulcains-n'éprouvent-pas-d'émotions" et Leonard sentit déjà un début de migraine pointer le bout de son nez.
« Je suis satisfait de la tournure des événements, si c'est ce que vous voulez dire. »
« Bien, dans ce cas, reprenons. Avez-vous réfléchi à ce que vous vouliez faire et ne pas faire ? »
« Je suis certain de ce que je ne veux pas. »
« Parfait, c'est le plus important. Je sais que votre nature rend tout plus compliqué. Vous êtes en partie Vulcain et en partie Humain, vous êtes toujours trop ceci ou pas assez cela, et j'imagine que ça doit être une source inépuisable de frustration et de déception. » Spock hocha simplement la tête. « Ceci étant dit, et puisque tous les goûts sont dans la nature, je suis sûr qu'il existe chaussure à votre pied. » Le Vulcain haussa un sourcil. « Une personne faite pour vous, Spock. Je ne vais pas vous sortir toutes ces conneries sur les âmes sœurs, ce n'est pas ce que j'entends par là, mais… »
« Les Vulcains ont un concept ressemblant de celui des âmes sœurs. »
« Vraiment ? » s'étonna Bones. « Ce n'est pas très rationnel. »
« Cela date des temps anciens, bien avant Surak. La légende dit que les T'hy'lara se trouvent depuis le commencement. »
« T'hy'lara, c'est votre mot pour dire âmes sœurs ? »
« Il n'existe pas de traduction littérale en Standard. T'hy'la, ou T'hy'lara au pluriel, signifie à la fois ami, frère et amant. Il désigne la personne qui représente votre tout. Nous ne parlons pas ici d'une chimère, mais bien d'un phénomène physique et psychique réel. Les Vulcains sont des télépathes tactiles, les esprits des T'hy'lara, leurs Katra, sont supposément si compatibles, qu'un lien psychique indestructible se créera s'ils fusionnent mentalement. »
« Wouah ! Et vous recherchez cette personne toute votre vie, ou quelque chose du genre ? »
« Non. Les T'hy'lara sont connus pour être très rares. Et après la destruction de ma planète et de la plupart de ses habitants… »
« Vous voulez dire que cette personne doit forcément être vulcaine ? »
« Les données sur le sujet sont, pour ainsi dire, inexistantes. Mais, il n'y a, en effet, aucun antécédent de T'hy'lara appartenant à deux espèces différentes. »
« Pas même vos parents ? »
Leonard ne voulait pas raviver des douleurs encore vives, la question était sortie toute seule. Heureusement, Spock resta aussi stoïque que d'habitude.
« Mes parents s'aimaient, docteur, mais ils ne partageaient pas ce type de lien. Ils étaient mariés selon nos traditions, et disposaient donc d'une connexion psychique, mais celle-ci ne différait en rien des autres. »
« Les T'hy'lara partagent donc une connexion plus puissante ? »
« Infiniment plus puissante. »
« Je peux voir que l'idée vous fascine. Est-ce cette personne que vous recherchez, Spock ? »
Bones en venait enfin où il voulait.
« Poursuivre cette utopie serait illogique. »
« Mais les émotions ne sont pas logiques, Spock. Je ne pense pas me tromper en disant que c'est votre versant humain qui prend le pas en ce qui concerne vos aspirations amoureuses, et apparemment, vous avez mis la barre très haut. Le concept des âmes sœurs fait rêver l'humanité depuis la nuit des temps, alors même qu'aujourd'hui encore nous sommes incapables de définir ce qu'est l'âme. Mais vous, vous tenez quelque chose de tangible, un phénomène que vous pouvez expliquer scientifiquement. Cela ne tient pas du conte de fées à l'eau de rose. L'idée ferait fantasmer n'importe qui. »
« Cela n'en reste pas moins irrationnel et contreproductif. »
« Mais nous ne choisissons pas réellement nos ambitions. Le fait est que nous aspirons tous à un idéal plus ou moins réaliste. Certains ne l'atteignent jamais, d'autres si, mais on ne peut pas revoir un idéal à la baisse, Spock, c'est quelque chose d'ancré en nous. Et apparemment, vous désirez trouver la personne qui se rapprochera le plus de cet imago. Reste à savoir où vous êtes prêt à faire des compromis et là où vous ne l'êtes pas. J'imagine que nous partons déjà sur une relation exclusive, avec un seul individu et basée sur le très long terme. »
« En effet. »
« Très bien, c'est important d'avoir une base solide. Il vous faut également choisir la ou les espèces qui pourraient vous convenir. »
« Ce détail est-il primordial ? »
« Capital, Spock. Tous les peuples ont leurs mœurs et ils ne sont pas forcément compatibles. »
« Je n'ai jamais eu à me poser la question. J'ai toujours pensé que je m'unirai à T'Pring le moment venu et que c'était ainsi que les choses devaient être. »
« Qui est T'Pring ? »
« C'est un sujet que nous n'abordons pas, même entre nous, je vous saurais donc gré de ne pas demander de détails, mais les Vulcains s'unissent traditionnellement à l'âge de sept ans – l'équivalent de vos fiançailles terriennes – dans le but de consolider cette union une fois adulte. T'Pring était ma fiancée. »
L'emploi du passé ne laissa pas de doute dans l'esprit de Leonard quant au destin tragique de la jeune femme.
« Je suis désolé, Spock, je ne savais pas. Mais dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi vous vous êtes engagé avec le Lieutenant Uhura. »
« Comme vous l'avez soulevé plus tôt, il semblerait que mon versant humain ait d'autres souhaits que de suivre les traditions de mon peuple. »
« En d'autres termes, T'Pring était le choix de vos parents et vous n'éprouviez rien pour elle. Ce n'est pas comme si l'histoire humaine n'était pas peuplée d'histoires de mariages arrangés contre lesquels les fiancés se rebellent finalement parce qu'ils aiment quelqu'un d'autre. C'est presque trop romantique venant de vous, Spock. »
« Pour autant, cette relation est également un échec. »
« Peut-être, mais à ce moment-là, vous avez décidé par vous-même. Comme quand vous avez intégré Starfleet plutôt que d'embrasser l'avenir que, j'en suis certain, votre père avait déjà tracé pour vous. Sur Terre, nous avons un proverbe qui dit que ce n'est pas la destination qui compte, mais le voyage. Le Lieutenant Uhura n'est pas l'amour de votre vie, comme vous l'espériez sûrement, mais vous avez tout de même grandi en défiant les règles établies pour vous investir dans cette relation. »
Spock médita les paroles du médecin durant quelques secondes, s'avouant qu'il avait raison, puis son esprit revint au sujet qui l'avait amené à consulter initialement.
« Tout ceci ne règle pas mon problème. »
« Commencez par cesser d'appeler ça un problème. Tout le monde passe par là, du moins tous les Humains, et à tous les âges. Certains même, plusieurs fois dans leur vie… »
« Allez-vous continuer à faire comme si je n'avais pas évoqué l'idée que vous soyez un partenaire potentiel ? » le coupa soudainement Spock.
Dans un excès de paranoïa, Leonard se demanda si tout ceci n'était pas une mascarade élaborée par Spock dans le seul but d'en venir où il voulait. Dans son lit, en l'occurrence. À peine traversa-t-elle son esprit, que l'idée lui sembla ridicule.
« Cela me pose un problème d'éthique, Spock, nous en avons déjà parlé. Je suis là pour vous aider… »
« Alors, faites-le… »
« En tant que médecin, » précisa Bones.
« Est-ce uniquement cela ? Ou bien ne vous-voulez simplement pas avouer que l'intérêt n'est pas réciproque ? »
« Ce n'est pas ça… »
« Donc il l'est ? »
« Arch ! Vous m'énervez avec vos questions ! »
L'ombre d'un sourire flotta sur les lèvres de Spock face à l'emportement soudain de Leonard qui se dit qu'il n'était finalement pas si paranoïaque que ça. Le Vulcain prenait un certain plaisir à le rendre chèvre.
« Je ferais peut-être bien de reconsidérer l'idée d'aller voir le Capitaine. »
La mâchoire de Bones se décrocha. Cette fois, il en était sûr, Spock le provoquait délibérément. Mais il refusait d'entrer dans son jeu.
« Si c'est ce que vous voulez. »
Même à ses propres oreilles, sa voix ne sonna avec aucune conviction.
« Cela ne vous plaît pas. »
Et pour cause. Leonard n'était pas aveugle, plutôt le contraire. Il voyait sans peine l'alchimie entre ces deux-là et s'était souvent fait la réflexion qu'ils allaient bien ensemble. Spock était possiblement la personne pour laquelle Jim se rangerait dans les rangs et arrêterait de batifoler aux quatre vents. Et qu'adviendrait-il alors de lui, si son meilleur ami et le gobelin filaient le parfait amour ? Il serait à coup sûr mis de côté, ou pire, il deviendrait l'oreille attentive dans laquelle Jim viendrait déverser tous ses problèmes de couple, ou pire encore, les détails croustillants de leurs copulations effrénées.
Il arrivait toujours un moment dans la vie, où vous deviez ravaler votre fierté pour être le premier à mettre le grappin sur le gros lot.
« Disons que j'accepte d'y réfléchir. »
« De combien de temps avez-vous besoin ? »
« Je ne sais pas, le temps d'oublier que vous êtes initialement venu me voir avec un problème d'érection, convaincu que je suis le remède à vos maux… » ironisa-t-il. « Étrangement, le dire à voix haute me fait prendre conscience à quel point c'est absurde et totalement hors caractère venant de vous. »
« Les Vulcains ne mentent pas. »
« Non, mais ils omettent quand cela les arrange. Je ne doute pas une seule seconde que vous avez réellement mis fin à votre relation avec le Lieutenant Uhura ni que votre manque de désir en était probablement la raison principale, mais Spock, vous êtes suffisamment intelligent pour en venir aux bonnes conclusions par vous-même. Vous n'avez pas besoin d'un vieux médecin de campagne pour vous exposer les choix qui s'offrent à vous. Venir volontairement me mettre ce genre d'informations sous le nez ressemble beaucoup plus à Jim. Ce qui me fait me demander si ce n'est pas sur ses conseils que vous êtes là, même si je ne cerne pas très bien pourquoi. »
Spock ne répondit pas tout de suite, ce qui conforta Leonard dans ses conclusions.
« Pourquoi êtes-vous là, Spock ? » demanda-t-il finalement après un long silence.
« Sur Altamid, j'ai pris conscience que vous aviez une vision erronée de mon opinion de vous. Rétrospectivement, cela m'a… contrarié, même si à ce moment-là je n'étais pas vraiment en état d'y réfléchir de manière parfaitement logique et cohérente. Ce n'est que par la suite que j'ai finalement compris que je désirais que vous sachiez tout l'intérêt et le respect que je vous porte. Je ne savais simplement pas comment l'exprimer sans que vous le portiez en dérisions, comme à chaque fois que vous souhaitez fuir une conversation. Je m'en suis donc ouvert au Capitaine, lors d'une de nos parties d'échecs. »
« Je vois. Et comment Jim en est-il venu à penser que cette mascarade aurait un effet bénéfique sur nos rapports et me ferait prendre conscience de votre "respect" pour moi ? »
« Je dois admettre que cette partie de son raisonnement m'échappe toujours, mais le Capitaine a manifestement vu quelque chose dans ma façon de parler de vous qui lui a fait dire que mon intérêt allait au-delà de la simple camaraderie, » avoua finalement Spock, en fixant un point imaginaire derrière l'épaule de Leonard.
« Vous ne semblez pas très convaincu vous-même par cette théorie. »
« Je traite encore cette question. »
« Vous traitez… Spock, » soupira Bones en se pinçant l'arête du nez. « Vous avez décidé de suivre ce plan sans même être certain que c'était ce que vous vouliez ? Et si j'avais simplement dit oui ? »
« Je vous connais suffisamment pour savoir que cette ligne de conduite ne vous ressemble pas. J'étais simplement curieux de découvrir votre réaction. J'avoue être quelque peu surpris que vous ne soyez pas totalement réfractaire à la chose. »
« Pas totalement… Écoutez, satané gobelin, n'importe qui d'un minimum sensé ne serait pas totalement réfractaire à la chose ! Vous êtes beau, dans tous les sens que ce terme peut avoir et cela va bien au-delà de votre apparence physique. Vous êtes un être unique dans votre genre et seul un idiot vous dirait non sans même considérer la question. » La bouche de Spock s'entrouvrit légèrement, comme s'il ne pouvait pas croire ce qu'il entendait. « Ceci étant dit, la priorité reste votre bien-être à mes yeux. Ma curiosité – mal placée, soit dit en passant – ainsi que celle de tout autre humanoïde qui saurait susciter votre intérêt, ne doit pas entrer en ligne de compte. Vous n'êtes pas une bizarrerie tout droit sortie d'un cirque que l'on exhibe pour satisfaire un public voyeuriste à la recherche de frissons. Le sexe… Le sexe est compliqué, Spock. Les gens pensent qu'il suffit de trouver un partenaire compatible, consentant, et que tout va aller comme sur des roulettes, parce que c'est un instinct que nous avons tous en nous. Mais la vérité, c'est que nous avons surtout des arrière-pensées, des désirs inavoués, des penchants inassumés et des intentions pas toujours bonnes. Vous n'avez pas à faire beaucoup d'efforts pour susciter l'intérêt, Spock. Votre existence est déjà un miracle en soi. Ce dont vous devez vous méfier, c'est de ce que les gens veulent de vous. C'est une leçon que Jim a apprise à ses dépens et la raison pour laquelle il a décidé qu'il serait toujours celui qui prend et qui jette ensuite, pour ne pas souffrir, pour garder le contrôle. C'est une chose que vous avez en commun lui et vous, cette obsession du contrôle. Mais mon intention n'est pas de profiter de votre curiosité pour potentiellement tirer le coup de ma vie. Si vous vous découvrez une soudaine inclinaison pour le genre masculin, Spock, vous allez devoir faire un peu plus qu'appâter des hommes avec votre exotisme et votre fausse innocence. En tout cas, en ce qui me concerne, ce n'est pas suffisant. J'ai un peu trop d'expérience pour répondre encore à ce genre d'appels primaires, je ne pense pas avec une seule partie de mon anatomie. Donc, pour vous répondre, une part de moi pourrait très bien vous prendre sur ce bureau, à l'instant, alors que n'importe qui risquerait d'entrer à tout moment, mais une autre part de moi, celle qui réfléchit, sait que ce n'est pas ce que vous recherchez. »
« Éclairez-moi, Docteur. Qu'est-ce que je recherche d'après vous ? »
« Un amant. Pour peu que ce terme ait encore son sens premier dans les esprits. Une relation qui n'est pas vide de sens, mais pas inéluctable non plus, à la croisée de vos deux cultures. Quelque chose de reposant, de simple, une personne avec qui vous pourriez être vous-même sans que cela soit une source de débats ou de conflits. Mais parce que vous êtes un être contradictoire et tout en nuances, constamment le cul entre deux chaises à cause de votre héritage biologique, impossible à cerner et mystérieux, cette personne vous semble hors de portée, utopique, chimérique. Je vais vous apprendre une chose importante, Spock. Vous êtes comme tout le monde. Vous imaginez que l'idéal serait un être comme vous. Mais cet être n'existe pas, n'est-ce pas ? Chanceux que nous sommes, nous autres, progénitures d'un seul monde, membres d'une seule espèce, nous ne pouvons pas comprendre la solitude que ressent le seul représentant de son genre. Il y a une autre chose que vous devez savoir, Spock. Tout ça, c'est des conneries ! Nous sommes tous seuls, nous courons tous après une image qui n'existe pas, avant de comprendre qu'en réalité c'est nous-mêmes que nous recherchons chez les autres. La reconnaissance, l'appartenance. Vous appartenez à cet équipage, à ce vaisseau, à cette famille, et au genre humain, même si cela vous déplaît. En cela, vous n'êtes pas exceptionnel. Vous traversez juste une putain de crise existentielle. Tout le monde passe par là, remettez-vous. »
Leonard ponctua sa tirade sur un ton presque agressif, mais le Vulcain avait le don de l'énerver profondément parfois.
« Jim pense que c'est cela, précisément, qui m'attire chez vous, » dit brusquement Spock.
« Quoi donc ? Mon sale caractère ? »
« Cette capacité que vous avez de me jeter des vérités crues au visage sans vous soucier de heurter mes sentiments. Pas parce que vous pensez que je n'en ai pas, mais parce que vous croyez que je peux parfaitement y faire face. Vous êtes le seul à ne pas me traiter de manière différente. Je n'ai pas le droit à plus d'égard que les autres ni plus de sollicitude, même si vous vous souciez peut-être plus de moi que d'autres. »
Bones soupira, baissa les yeux et fixa les mains de Spock posées sur le bureau. Elles étaient belles ces mains, élégantes, gracieuses, avec de longs doigts qu'il savait extrêmement sensibles. L'officier Vulcain mettait rarement ses mains en évidence de cette manière, à la portée d'un autre individu. McCoy prit ce geste comme une marque de confiance, à l'image d'un ami qui s'autorise à se déchausser dans votre salon. Spock se mettait volontairement dans une posture vulnérable, Bones pourrait très bien agripper ces mains-là, les serrer dans les siennes pour essayer de faire entrer un peu de plomb dans cette tête trop remplie et un peu trop symétrique. Il avait lu quelque part que la symétrie faciale était l'un des critères de sélection inconscients les plus marquants chez l'Humain. Et il y avait quelque chose de fascinant dans le visage de Spock, de non naturel, probablement la partie de son corps où son hybridité était la plus visible. Les éléments s'assemblaient d'une manière totalement harmonieuse alors que l'idée même semblait impossible. Ses yeux étaient trop humains pour ses sourcils vulcains, son nez trop épais pour les fines pointes de ses oreilles, sa frange trop droite pour les courbes de ses lèvres charnues, et pourtant, vous ne pouviez détacher vos yeux de ce faciès.
Mais à ce moment précis, Leonard étudiait ses mains. Ses deux organes qu'il ne s'était jamais hasardé à toucher d'une quelconque façon, même durant les examens médicaux. Elles reposaient là, à quelques centimètres des siennes qui lui démangèrent soudainement à l'idée de tendre vers elles. Mais Leonard McCoy était un professionnel et se devait de le rester. Qu'est-ce que Spock aurait à gagner à s'enticher d'un homme tel que lui, sur le déclin, aigri, cassant ?
« Je sais que le manque de franchise et d'honnêteté dont sont capables les Humains vous déçoivent, mais mon franc-parler est rarement vu comme une qualité, y compris par moi-même. »
« Ce n'est pas votre franc-parler que j'apprécie, mais votre manière de ne pas me ménager si vous pensez que c'est pour mon bien. J'ai constaté que plus vous aimiez une personne, plus ce comportement était fréquent. Il est évident que vous tenez beaucoup à Jim, par exemple. J'ai également remarqué une constante augmentation de cette conduite envers moi depuis que nous nous connaissons. Dites-moi, que dois-je en déduire, Docteur ? »
« En suivant votre logique ? Que je vous apprécie beaucoup. Ce qui est vrai, sinon je ne serais pas là, à me prendre la tête pour vous expliquer que je suis bien la dernière personne vers qui vous devriez vous tourner. »
« Vous ne m'avez toujours pas expliqué pourquoi. L'éthique n'est apparemment que le sommet de l'iceberg. Le problème est manifestement plus en rapport avec ce que vous imaginez être et ce que vous imaginez que je suis. Pour quelle raison pensez-vous qu'une relation entre nous serait néfaste à mon bien-être ? »
Leonard médita longtemps cette question en étudiant de nouveau le visage de Spock. Il n'y décela aucune trace de peur, d'appréhension ou de regret, simplement de la curiosité dans son regard et un sincère intérêt. Il réalisa alors une chose.
« Vous êtes vraiment sérieux, n'est-ce pas ? »
« Je le suis toujours, Leonard. »
L'emploi de son prénom dans la bouche de Spock lui fit un drôle d'effet, comme si une part de lui s'était résignée à ne jamais l'entendre.
« Dans ce cas, pourquoi ne m'avez-vous tout simplement pas demandé de dîner avec vous ou de prendre un verre ? Vous savez, comme les gens normaux. À moins que tous les Vulcains aient pour habitude de monter des complots sordides pour d'abord évaluer l'intérêt de la partie adverse ? »
« Les Vulcains ont leur manière de séduire, comme toutes les espèces. C'est un sujet que j'aborderai peut-être un jour avec vous, mais pas aujourd'hui. Je peux néanmoins vous assurer que cette technique d'approche n'y ressemble en rien, de près ou de loin. »
« Si vos intentions envers moi sont très claires pour vous et que vous souhaitez réellement me convaincre que sortir avec vous est une bonne idée, il va falloir faire un peu plus d'efforts que ça, Spock. »
« Je ne sais pas comment les Humains séduisent. »
« Vous avez un cerveau, démerdez-vous. Je ne vais pas en plus vous mâcher le travail. Et par pitié, n'allez pas demander conseil à Jim. »
« Dois-je prendre cela comme un défi ? Préfèreriez-vous que je le relève ou que j'échoue ? »
« Dans l'immédiat, je préfèrerais que vous disparaissiez de mon bureau. J'ai un vrai travail, vous savez, et de vrais patients qui m'attendent, pas des malades imaginaires. »
« Je vous prie de m'excuser si les idées du Capitaine m'ont mené à vous mettre dans une situation embarrassante. »
« Embarrassant est un faible mot, Spock. Honnêtement, j'aimerais oublier tout ça. »
« Dans ce cas, je n'y ferai plus allusion. »
Sur cette promesse, le Vulcain quitta le bureau et McCoy se retrouva seul avec ses réflexions.
…
Une semaine passa, une mission diplomatique de routine manqua de tourner au fiasco total et Jim se retrouva une fois de plus à l'infirmerie. Bones n'avait pas encore trouvé le temps de questionner Kirk à propos de Spock. En toute honnêteté, il n'en avait pas très envie. Simplement parce que le gosse était trop intelligent pour son propre bien et qu'il n'aurait jamais envoyé son premier officier au casse-pipe. Il devait savoir que Bones ne l'enverrait pas tout bonnement sur les roses. Et ça, il n'avait absolument pas le désir d'en discuter pour l'instant.
« Alors quoi ? Pas de sermon sur le fait que je ne dois pas manger ou boire tout ce que l'on m'offre, parce que la génétique a décidé que je serais allergique à tout l'univers ? » le taquina Jim, quand Leonard entra dans sa chambre et commença ses examens de routine sans lui adresser la parole.
« Hum, » répondit vaguement Bones en vérifiant que ses pupilles étaient bien réactives.
« Tu boudes encore à cause de Spock ? »
« Je ne boude pas ! » se défendit le docteur. « Je suis juste très en colère contre toi, Jim ! »
« Parce que je t'ai mis en face de la vérité ? »
« Parce que tu as convaincu un Vulcain – un Vulcain, Jim, bon sang ! – que me faire ouvertement des avances serait une bonne idée ! » résuma-t-il en plantant sadiquement un hypospray dans la nuque de Kirk qui protesta vertement.
« Pas n'importe quel Vulcain, Bones, mais Spock. Parce que j'en ai marre de vous voir vous tourner autour sans que jamais rien ne se passe. »
« À quel moment se tourne-t-on autour exactement ? Nous passons notre temps à argumenter et nous disputer… »
« Tu sais ce qu'on dit, qui aime bien châtie bien, » répliqua Jim avec un sourire moqueur, en frottant son cou endolori.
« À cause de toi, je me retrouve avec un Vulcain en pleine crise identitaire sur les bras, Jim ! »
« Spock est un grand garçon, il sait ce qu'il veut. »
« Les Vulcains vivent plus longtemps que nous, ce qui signifie que leurs cycles sont plus longs que les nôtres. Si notre société le considère comme un adulte à part entière, aux yeux de ses pairs, il sort à peine de l'adolescence. Toute sa vie, on lui a reproché d'être né, sa relation avec son père est tendue depuis qu'il a intégré Starfleet, puis il a perdu sa mère et sa planète dans la même journée. Je suis étonné qu'il n'ait pas plus de problèmes. Qu'est-ce qui a bien pu te faire penser que quelqu'un comme moi puisse convenir à quelqu'un comme lui ? Je ne ferais que le blesser. »
« Ce que je me demande, moi, c'est ce qui peut bien te faire avoir une si basse opinion de toi-même. »
Bones soupira, il se faisait trop vieux pour ça.
« Jim, je sais que ton souhait le plus cher est de voir les personnes que tu aimes heureuses, mais il ne suffit pas de nous pousser dans les bras l'un de l'autre pour qu'un miracle se produise. Je ne saurais pas quoi faire avec Spock. Il est si… »
« Attrayant ? Mystérieux ? Sexy ?... »
« Énervant, impossible, têtu… »
« Que de points communs ! »
« Va chier, Jim ! »
Leonard rangea brusquement son tricordeur et s'éloigna vers la sortie, alors que Kirk éclatait de rire.
« Tu t'en remettras, » ajouta le docteur en parlant de son état de santé. « Je te garde en observation cette nuit, tu reprendras du service demain matin. »
« J'espérais rentrer dans mes quartiers. »
« Tu peux toujours rêver, Jimbo ! Un conseil pour la prochaine fois : évite de prendre pour un con le seul gars qui a le droit de te démettre de tes fonctions, » répondit Bones en sortant de la chambre.
Il retourna ensuite dans son bureau et fut surpris, en s'asseyant, d'y trouver une petite boîte métallique. Le cube en lui-même n'avait rien de particulier et il le soupesa dans sa main, avant de le secouer près de son oreille et de finalement l'ouvrir quand il n'entendit aucun bruit. Ce qui se trouvait à l'intérieur lui fit lâcher l'objet qui tinta bruyamment contre la surface du bureau.
L'écrin ouvert contenait une bague. Et pas n'importe laquelle. Un anneau de Claddagh. Leonard ne s'appelait pas McCoy pour rien. Même s'il venait du Old South, les traditions irlandaises étaient toujours très présentes dans sa famille. La bague était une véritable relique des temps anciens, mais il savait ce qu'elle signifiait. Elle était offerte en signe d'amitié, pour des fiançailles ou portée comme une alliance, selon les intentions de l'expéditeur.
Remis de sa surprise initiale, il reprit la boîte en main et en extirpa délicatement de bijou. Il ne savait pas où Spock avait déniché cette merveille – il n'imaginait pas que cela puisse être quelqu'un d'autre – mais ce n'était pas une reproduction, ni même synthétisé, de légers défauts traduisaient un travail fait main et Bones prit alors conscience qu'elle était probablement en or. Le métal doré avait depuis longtemps perdu sa valeur d'antan, pour finalement pratiquement disparaître. Le cœur central, maintenu par les deux mains qui formaient l'anneau et surmonté d'une couronne, était, quant à lui, taillé dans une pierre. Ce détail était inhabituel, les Claddagh traditionnelles étaient faites d'un même métal. Il l'examina de plus près, louchant presque sur le caillou d'un bleu turquoise intense, avant de finalement se souvenir où il l'avait déjà vu. Spock avait dû se donner beaucoup de mal pour obtenir un fragment de vokaya pour le faire tailler, alors que le minéral avait presque totalement disparu lors de la destruction de Vulcain. L'effort fourni pour créer cette bague fit quasiment oublier à Leonard que l'officier scientifique lui offrait un mouchard capable de localiser sa position à tout moment. L'idée le fit néanmoins sourire plus qu'elle ne l'énerva.
McCoy se retrouva cependant face à un dilemme. Il ne savait pas comment porter cette bague. Refusant de s'attarder sur le fait qu'il n'envisageait pas de la rendre, il se doutait que si Spock avait fait les recherches adéquates pour se procurer ce bijou, il devait également connaître toutes les significations qui l'entouraient. Célibataire ou simplement ami avec la personne, il devrait la porter à la main droite, le cœur vers l'extérieur. En couple, avec le cœur vers l'intérieur. Fiancé ou marié, à l'annulaire de la main gauche. Il l'essaya donc à sa main droite et constata qu'elle était à la bonne taille pour son majeur. Étonnamment, la finesse de l'objet n'enlevait rien à la masculinité de ses doigts. Si l'anneau de Claddagh était un ornement mixte, ceux destinés aux hommes étaient souvent de facture plus grossière. Il tenta de le mettre dans les deux sens, tour à tour, plusieurs fois, jouant de l'éclairage sous plusieurs angles, mais de qui se moquait-il ? Ce n'était pas le genre de cadeau que l'on prenait à la légère chez ses ancêtres et le porter vers l'extérieur serait pris comme une insulte.
Aucun mot n'accompagnait le présent, mais la pierre était un indice suffisant et par les symboliques de la bague, Spock lui laissait le choix. Il observa longuement le bijou à son doigt. Depuis son divorce, il n'était plus habitué à porter de bague, son collier Carpe Diem étant la seule fantaisie qu'il s'accordait. Quand il avait dit au Vulcain de faire un effort, il ne s'attendait pas à ça. Spock ne savait peut-être pas comment les Humains courtisaient, mais il était tout à fait capable de faire les recherches appropriées et de s'adapter en toutes circonstances. Il aurait pu lui offrir des chocolats ou demander des fleurs rares à Sulu, ou simplement l'inviter à sortir comme Bones l'avait suggéré. Mais l'officier scientifique n'avait pas pour habitude de faire les choses à moitié, Leonard aurait dû le savoir. Mais on ne donnait pas ce genre de cadeau à quelqu'un dans un intérêt purement sexuel et il ne sut plus trop quoi penser des intentions de Spock. Les Vulcains ne faisaient pas dans les relations sans lendemain, Bones l'avait bien compris, mais son ami souhaitait également découvrir des facettes de lui-même qu'il ne connaissait pas encore. Le docteur savait qu'il devait discuter, pourtant il préféra remettre cette conversation à plus tard et décida de simplement porter cette bague en signe d'intérêt profond pour la personne qui lui avait offert.