Bonjour et bonsoir tout le monde !

Je suis de retour après quelques mois d'absence, quelques chambardements dans ma vie m'ont empêchée d'être présente, désolée…


Chapitre 10

Lundi 14 décembre 2015

Cyrus se sentait un peu seul, sans Samandriel. Les vestiaires se vidaient petit à petit et ça faisait déjà un moment que son ami était sorti pour leur réserver une bonne table au self et Cyrus avait traîné exprès pour que Samandriel soit surpris de voir s'attabler avec eux Krissy et Jo – du moins, il espérait que ça se passerait ainsi.

Torse nu, assis sur un banc, il pouvait offrir au monde ses tétons qui pointaient à cause du froid, le duvet léger qui tentait de devenir masculin sur sa peau et son absence cruelle de muscles, faisant de lui un jeune homme chétif parmi l'ensemble de sportifs de dernière année qui finissaient eux aussi de se rhabiller.

Beaucoup avaient choisi de se dévêtir loin de lui. Pauvres crétins. C'était une homophobie douce, provenant de gens qui seraient les premiers à hurler au scandale si on lapidait un couple gay en place publique et qui ne se rendaient pas compte que dans leurs habitudes de vie, il y avait des comportements insultants.

Cyrus s'en fichait un peu. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait prévu de rester encore au moins deux minutes à moitié nu, les cheveux mouillés, un peu de buée sur les lunettes, le caleçon flottant sur ses cuisses toutes fines, les poils de jambes plaquées sur sa peau. Il contemplait ses pieds avec attention quand un groupe de sportifs arriva dans la place où il se trouvait.

Le leader de ce groupe était Cole Trenton, l'une des grosses stars du lycée, le genre beau gosse sportif et populaire aux yeux clairs qui font craquer toutes les filles. Il riait à gorge déployée en entrant puis il s'arrêta net en observant Cyrus qui consultait sa montre en soupirant :

— On peut s'installer ? demanda Cole en désignant ses coéquipiers trempés de sueur.

Cyrus haussa les épaules, lassé. Il se demanda vaguement si le gars lui aurait posé la question s'il ne s'était pas baladé, en septembre, avec le Rainbow-Flag accroché à son sac, ayant oublié de le retirer après une manifestation pour les droits des homosexuels.

Quand ils s'installèrent tout à fait normalement, le jeune homme se demanda s'il n'avait finalement pas mal jugé la question. Peut-être que Cole était simplement soucieux de son intimité et il était vrai que les dernières années étaient bruyants. Ils riaient, se charriaient, se poussaient et se couraient après, sans vraiment se soucier de sa présence et de leur nudité exposée.

Rapidement, Cole s'installa juste à côté de lui pour pouvoir se débarrasser de ses crampons, retirant ensuite son tee-shirt et, en contemplant le torse finement musclé de l'autre, Cyrus croisa les bras, dans l'espoir de faire oublier son corps de lâche. Le footballeur lui jeta un regard de biais :

— T'es pas Cyrus Stein, toi ?

— Si, c'est moi… Pourquoi ?

— C'est vrai, ce qu'on raconte ?

Cole avait cessé de s'occuper de ses affaires et l'ensemble de son équipe semblait faire quelque chose d'un peu incohérent, comme ce joueur qui feignait d'entrer sa clé dans une serrure inexistante, l'oreille tendue dans leur direction. Mal à l'aise, Cyrus s'agita un peu, se déplaçant légèrement pour mettre un peu de distance entre la cuisse de Cole et la sienne.

— Ça dépend, on raconte quoi ?

— Que ton pote Sam a reçu une invitation au concert privé des Hunters, lança un mec derrière lui.

Cole le fixait toujours de ses immenses yeux trop clairs et Cyrus déglutit, s'arrachant à ce regard pour répondre au joueur derrière lui.

— Ouais. Ouais, c'est vrai.

— La chaaaaance, lança celui qui était derrière. J'ai tellement espéré être sur la liste… Tu voudras bien prendre des photos ?

— Ouais, ok, répondit le plus jeune.

— Mieux, s'écria un autre joueur un peu plus loin, on organisera une soirée et ton pote et toi, vous nous raconterez !

— Ça marche, émit vaguement Cyrus en écarquillant les paupières, on aura qu'à convenir d'une date.

Il était soulagé. Pendant quelques instants, il avait cru avoir droit à un passage à tabac dans les règles de l'art. Pourtant, les yeux de quelques-uns des onze joueurs s'éclairèrent et à côté de lui, Cole se mordit la lèvre.

— Mon frère était au lycée avec Dean Winchester, confessa-t-il. Je l'ai vu en vrai, une fois, quand il n'était pas encore célèbre.

— Vraiment ?

Il n'en fallut pas plus pour que Cyrus concentre absolument toute son attention sur Cole. L'autre sourit, épongeant la sueur qui roulait sur ses muscles.

— Vraiment. J'étais pas vieux, mon frère est plus âgé, donc je ne me souviens plus trop. Il était venu chez moi, une fois, pour un travail de groupe et au lieu de bosser, il avait passé l'après-midi à regarder ma mère faire une tarte. Je m'en souviens, elle était à la pomme.

— Dean adore les tartes, approuva Cyrus, C'est son péché mignon, c'est bien connu dans la Spn-family. Il paraît même que les conventions sont toujours remplies de stands de tartes et qu'il met un point d'honneur à goûter la cuisine de chacun d'entre eux. Il élit ensuite le meilleur qui gagne quelque chose. Je suis fan de Dean Winchester, précisa-t-il à l'attention de tous les joueurs. J'ai… J'ai même eu une dédicace de sa part pour mon anniversaire.

Il était tellement content de pouvoir le dire à quelqu'un qu'il fut vraiment heureux de voir que ça signifiait quelque chose aux yeux des quelques qui pouvaient se rendre compte. L'un d'entre eux émit un sifflement jaloux et la cloche résonna dans le vestiaire, mettant fin à l'intermède.

Cole se jeta sous la douche, abandonnant son boxer et le reste de ses affaires sur le banc, une main ou deux tapèrent un grand coup le dos de Cyrus, le faisant plonger en avant, et, alors que tous allèrent dans les douches, il se retrouva seul et en profita pour s'habiller et partir. Samandriel devait être en train de mourir sans savoir quoi dire à Jo, il était temps de servir de héros providentiel.


Samandriel avait pu prendre des places sur sa table fétiche au self, et, posant son sac en travers, il avait bien signifié à quiconque s'en approchait que la place était prise, répandant sa boîte à déjeuner sur la table, ouvrant minutieusement chacun des compartiments. Il grogna un peu quand il constata qu'il avait encore une salade végétarienne à avaler et releva la tête quand une ombre le surplomba, bien décidé à envoyer paître ceux qui avaient décidé de l'embêter.

Il ravala ses paroles quand il constata qu'il s'agissait de Jo et Krissy, armées de plateaux chargés en victuailles.

— On peut s'installer avec toi ? demanda Krissy. Tu attends Cy' ?

— Oui, oui, allez-y, répondit-il en haussant un sourcil en entendant le surnom de son ami.

— Ton dessin était tellement génial, annonça Jo, que toute ma famille était envieuse. Ma mère va le fait mettre sous cadre pour que je ne l'abîme pas.

Samandriel rosit un peu et sourit, hochant la tête.

— Je t'en ferai un mieux, si tu veux le garder. J'ai… Enfin, travailler avec un simple crayon, ce n'est pas ce qui se fait de mieux, j'avais vraiment pas tout mon matériel.

Les yeux de Jo s'éclairèrent :

— Tu pourrais m'en faire un pendant les vacances ?

Samandriel grimaça.

— Non, pas vraiment, tu sais, ma famille est… On part en vacances dans notre résidence secondaire, donc je ne pourrais pas transporter mon matériel de dessin. Par contre, rectifia-t-il en voyant un air déçu se peindre sur le visage de la fille qu'il aimait, je pourrais essayer de le faire en revenant, pour que tu l'aies à la rentrée !

De nouveau, cette joie sur son visage qui la rendait si jolie qu'il déglutit un peu, baissant les yeux sur sa salade. Pour se donner une contenance, il attrapa sa fourchette et l'enfonça dans son repas. Krissy donna un coup de coude à son amie :

— Regarde qui s'amène…

— Oh non, grogna Samandriel, pas lui…

Adam Milligan était déjà sur eux, les contraignant à sourire tous en chœur, de façon plus ou moins forcée.

— Bonjour Jo, je passais seulement te saluer. Krissy, Samandriel… Tu salueras Michael pour moi ?

— Évidemment, commenta le jeune Milton, dès qu'il sera de retour.

— Oui, la campagne est rude, difficile d'être le bras droit du Gouverneur… À bientôt, Johanna. Krissy, Samandriel.

— Adam, répondirent-ils en chœur puis Samandriel se tourna vers les deux filles.

Il allait poser une question, puis quelque chose dans l'attitude de Jo, peut-être trop détachée pour être honnête, acheva de lui briser le cœur. Sa main trembla sur sa fourchette, alors qu'il sentait son rythme cardiaque s'emballer. Son souffle s'enraya, il papillonna des cils puis il dévisagea Krissy qui lui adressa un regard d'excuses. Jo s'était retournée pour suivre le mouvement d'Adam qui s'éloignait pour retrouver ses amis.

Krissy était véritablement désolée pour Samandriel. Si c'était elle qui choisissait, elle l'aurait plutôt pris, lui. Il était évident qu'entre Jo et Adam, ça n'allait pas durer plus que ça et les remakes de Roméo et Juliette, c'était éculé. Pourtant, quelque chose s'était passé lors de cette soirée chez Cyrus, après le départ de Sam.

Peut-être que Jo était d'humeur plus affable grâce au magnifique dessin que lui avait fait le jeune homme, peut-être que Milligan s'était présenté sous un jour meilleur. Toujours était-il que depuis, lui et Jo échangeaient une quantité phénoménale de SMS et que sa meilleure amie semblait avoir le même QI que les idiotes qui gloussaient sur le passage des sportifs aux gros bras, comme si elle avait oublié qu'elle avait un jour étalé Adam parce qu'il avait tenu le propos sexiste de trop.

Ils n'étaient pas encore ensemble, mais c'était bien parti. Adam avait rencardé Jo pendant les vacances, après-midi patinoire et chocolat chaud. C'était à pleurer.

Jo touillait le contenu de son assiette d'un air rêveur quand Cyrus arriva, offrant une belle distraction à Samandriel qui nota tout de suite que quelque chose n'allait pas. Son ami avait à peine eu le temps de s'installer que l'équipe de soccer suivit, menée par Cole Trenton, comme toujours. Cyrus engloutit la moitié de son yaourt – il mangeait toujours son dessert en premier – avant d'éponger la goutte qui avait coulé sur son menton pour dire :

— Il m'est arrivé un truc…

— C'est en rapport avec Trenton qui te mange des yeux là-bas au fond ?

La voix taquine de Jo arracha un frisson à Samandriel qui se força à repousser la sensation. Elle n'était pas pour lui. Elle préférait Adam Milligan, bon sang, si l'Enfer existait vraiment, il était actuellement à la place de Dean, une vieille chaîne rouillée dans l'épaule.

— Hein ? réagit Cyrus. Non, non, c'est pas moi qu'il mange des yeux, c'est notre invitation au concert privé des Hunters, c'était ce que j'allais raconter. J'étais dans le vestiaire quand l'équipe de soccer m'est tombée dessus en me demandant si c'était vrai qu'on allait voir les Hunters en comité privé.

Samandriel grogna.

— Ouais, bah, vends pas la peau de l'ours, je sais toujours pas comment me sortir de chez moi.

Krissy et Jo échangèrent un regard complice.

— Faites comme nous. Généralement, quand on veut sortir tranquilles, je dis que je suis chez Krissy et elle dit qu'elle est chez moi. Ça passe crème. En plus, un concert privé des Hunters, pour des fans comme vous, ça ne se rate pas…

Les gars se consultèrent des yeux, pesant le pour et le contre. C'était une bonne idée. Le 7 janvier étant un jeudi, il y avait peu de chance que Castiel l'apprenne – avec un peu de chance, Samandriel serait même rentré avant lui – et c'était une méthode qui semblait avoir fait ses preuves. Sam hocha la tête, imité par Cyrus. Les filles semblèrent rayonner.


En l'espace d'une journée, c'était comme s'ils s'étaient toujours fréquentés avec autant d'assiduité. Samandriel parvenait à être naturel avec Jo, oubliant souvent qu'il était amoureux d'elle, jusqu'à ce qu'elle le frôle, envoyant le long de sa colonne vertébrale des décharges étranges et foutrement agréables.

C'était amusant de constater comment un groupe pouvait se souder en quelques heures, quand ils avaient passé des années à naviguer près les uns des autres sans daigner s'adresser le moindre mot.

Pourtant, chacun sortant de son cours, d'un commun accord très tacite, ils s'étaient retrouvés devant la bibliothèque pour sortir ensemble du lycée. Krissy allait rentrer chez elle avec le bus et Jo s'impatientait à propos de son entraînement, qui aurait lieu un peu plus tard dans le gymnase du lycée. Samandriel s'était arrêté à son casier pour troquer ses Converse contre des mocassins, rituel qui lui avait attiré de drôles de regards mais qu'il n'avait pas justifié auprès des filles, ne voulant pas les faire fuir immédiatement. Dans son casier, en plus de quelques cahiers, il y avait tout le matériel de dessin qu'il avait réussi à accumuler au fil des années, surtout grâce à Cyrus qui s'était longtemps fait sponsor de la passion de son ami. Samandriel referma bien vite la porte quand Jo essaya de regarder les dessins qui étaient fixés à sa porte. Elle n'avait pas vraiment besoin de savoir qu'elle avait été son sujet préféré toute l'année précédente.

Ils avaient franchi la porte de l'établissement d'un air complice, Cyrus faisant encore le pitre à propos de sa famille, parodiant ses frères pour amuser Krissy et Jo. Il y arrivait plutôt bien, puisqu'elles riaient à gorge déployée et Samandriel se délectait du son qui franchissait les lèvres de Jo, se gardant bien de la contempler, de peur qu'elle se rende compte de tous les sentiments qu'il lui portait, en dépit de son rapprochement bien trop grand avec Adam Milligan.

Il allait partir sur la gauche, pour rejoindre le bus qui le ramènerait chez lui quand une voix l'interpela.

Quand il se tourna, ce fut pour découvrir Meg, emmitouflée dans un long manteau. La casquette gavroche qu'elle portait sur la tête lui donnait un air bizarre et les cernes sous ses yeux accentuaient encore l'impression d'animal pris dans les phares d'une voiture. Krissy et Jo interrogèrent Samandriel du regard et lui échangea une œillade avec Cyrus, pleine d'un message qu'eux seuls comprirent.

— On se voit demain, affirma-t-il.

En deux pas, il était près de Meg, incapable de savoir comment il devait la saluer. Elle ne sembla pas s'en formaliser et d'un mouvement de tête, elle l'incita à le suivre jusqu'à sa voiture. Il monta côté passager, se demandant vaguement combien de fois Castiel s'était installé à cette place et ses yeux dérivèrent vers le chapelet de perle qui pendait au rétroviseur.

Meg grimaça. C'était un cadeau de Castiel et elle n'avait jamais eu le cœur de lui dire qu'elle n'avait absolument aucun penchant pour la religion. La seule chose qui la faisait rester dans la boîte où elle travaillait, c'était clairement le salaire élevé et la cachette parfaite que lui prodiguait l'aspect bondieuserie de cette maison d'édition. Elle n'avait jamais retiré l'objet de son rétroviseur, finalement, parce qu'il lui rappelait Clarence.

Le petit ferma la portière et attacha sa ceinture, alors qu'elle ne prit pas cette peine en tournant la clé pour faire démarrer le véhicule.

— Je te ramène chez toi en faisant un petit détour. J'ai à te parler.

Il hocha la tête et elle maudit l'éducation qu'il avait reçue, conférant toute autorité à l'adulte en charge de lui, qui changeait en fonction de la situation. Elle se rappela qu'à son âge, elle était déjà en train de faire les quatre-cents coups, que son père devait souvent venir la chercher après plusieurs jours d'absence à traîner dans des squats avec des types louches et elle se demanda vaguement s'il était mort en étant fier de ce qu'elle avait mis du temps à devenir.

Elle serra finalement le frein à mains près d'un petit bar à l'ambiance rock'n'roll qu'elle appréciait tout particulièrement. Elle avait une ardoise là-bas et il était temps de la régler. Quand elle poussa la porte, suivie par le gosse, des regards se braquèrent sur eux, durs. Le barman hocha seulement le menton dans leur direction. Elle leva les mains, avec un sourire en coin :

— Relax, Ash, le môme prendra une menthe à l'eau et moi, tu me mets un café maxi sucre, maxi crème, maxi rapide.

Ils eurent à peine le temps de s'installer à une table isolée dans le fond que déjà Ash arrivait avec ce qu'avait commandé Meg. À la dérobée, Samandriel observa l'homme, sa coupe mulet un peu étrange et son corps fin. Il ne ressemblait absolument pas à la population qu'il avait l'habitude de fréquenter et il se trémoussa un peu en voyant Meg lui jeter un regard aseptisé, mis en exergue par un sourcil fin haussé et les lèvres pincées.

À vrai dire, Ash ne semblait même pas avoir assimilé la présence de l'adolescent. Toute sa contrariété était entièrement tournée vers Meg. Son attitude clamait haut et fort que la présence de la jeune femme n'était absolument pas désirée en ces lieux.

— Tu as du culot de revenir nous voir, cracha-t-il. Je te préviens que si tu ne règles pas ton ardoise, je te sors.

Elle se releva, s'appuyant sur la table et son sourire s'accentua, ses yeux frôlant les bras frêles de son vis-à-vis.

— J'aimerais bien voir avec quoi tu comptes me sortir.

Elle tourna les yeux vers Samandriel et se rassit, attrapant son sac et tendant une liasse de billets à Ash qui s'en empara d'un air suspicieux, paupières plissées.

— Garde la monnaie.

C'était clairement une phrase pour congédier le barman et ça sembla fonctionner puisqu'il s'éloigna. Samandriel l'observa se glisser derrière son comptoir, reniflant les billets que lui avait donné Meg, les recomptant et effaçant finalement ses dettes d'un coup de chiffon agressif sur une ardoise vintage.

— Vous vouliez me parler ?

La question était un peu stupide, il était évident que Meg n'était pas vraiment le genre de fille à faire dans la politesse.

— Écoute, petit, je ne vais pas y aller par quatre chemins : je ferai absolument tout ce qu'il y a en mon pouvoir pour que tu ne te plies pas aux conventions imposées par ta famille. Tu as du talent et il faut l'encourager, pas le brider.

Elle sortit de son sac une boîte qu'elle fit glisser jusqu'à Samandriel. Ash contemplait toujours leur table et son attention redoubla quand il vit l'échange. L'adolescent fronça les sourcils et observa l'emballage d'un air circonspect, comme s'il ne savait comment agir.

— C'est ce qu'i l'intérieur qui importe, taquina Meg. Autour, ce n'est qu'une boîte.

Samandriel amena le carton jusqu'à lui, en fit glisser les rabats et sa bouche s'ouvrit si grand que Meg retint un sourire. C'était étrange de voir comme le cadet était plus transparent que son aîné.

— Wouah, c'est une tablette graphique ! C'est pour moi ?

— Ouaip.

— J'peux pas accepter, lança Samandriel d'une voix peinée.

Dans ses yeux, il y avait la joie tout enfantine de découvrir un objet qui lui faisait vraiment envie. C'était du matériel très cher, d'autant plus que celle-ci avait un écran intégré. Ses doigts tremblèrent quand il frôla l'objet.

— Ah si, tu peux, insista Meg. Je la change, j'en prends une plus performante. Celle-ci est complètement inutile donc elle est à toi.

— Je ne sais pas quoi dire, s'étrangla Samandriel en refermant la boîte qu'il glissa dans son sac.

Meg porta ses lèvres sur sa tasse, tentant de garder l'air impassible. Elle essayait d'imaginer de quoi aurait l'air Castiel s'il portait sur elle cet émerveillement enfantin. Elle ne lui avait vu un tel air qu'une fois, quand elle avait proposé qu'ils jouent à un jeu de société. Il avait proposé Twister et elle ne l'avait plus tenu pendant au moins toute la soirée.

— Magnifique, ton dessin de l'ange Castiel, au fait.

— Il l'a eu, alors…

— Bien sûr, s'étonna Meg, il est encadré sur son bureau et il grogne dès que quelqu'un tente d'y toucher. Il ne… Il ne t'a rien dit ?

— Non.

Elle soupira en levant les yeux au ciel.

— Y a pas à dire, il manque de pas mal de compétences sociales indispensables, et crois-moi, si je le dis, ça veut dire que c'est grave.

S'étouffant dans sa menthe à l'eau, Samandriel redressa la tête et éclata finalement de rire, les larmes aux yeux.

— Je crois que je comprends pourquoi il vous aime tant.

Et ce fut au tour de Meg de ne plus savoir où se mettre. Elle fit comme si elle n'avait pas compris. Samandriel copia son sourire en coin.

— Allons, Castiel ne protège que ce qu'il aime par-dessus tout. Et la meilleure façon de protéger un trésor comme vous de notre famille, c'est encore de n'en rien dire.

Elle plongea les yeux dans son café, pour ne plus voir l'acceptation totale du gosse devant elle. C'était beau, cette façon de confesser une telle chose d'un air si détaché, comme s'il suffisait de le dire pour que ça paraisse plus vrai.

Finalement, c'était peut-être héréditaire, cette fâcheuse tendance à énoncer des phrases qui visaient juste et pouvaient faire autant de mal que de bien.

Elle fut absente mentalement le reste de la conversation, pensant à ce qu'elle était en train de faire. Inconsciemment, elle était en train de solder ses dettes et régler ses affaires en cours, transmettre des héritages.

Quand elle déposa le gamin non loin de chez lui, c'est avec un pincement au cœur qu'elle se prit à croire en un monde meilleur, simplement pour pouvoir y être de nouveau avec Castiel.

Cependant, si lui avait tout à fait sa place au Paradis, elle hériterait des flammes de l'Enfer, sans le moindre doute.


Mardi 15 décembre 2015

Il y eut un raclement de gorge et Meg continuait à jouer avec ses mains, dans une tentative malhabile pour masquer son désarroi. Quand elle s'était présentée chez Sam, elle avait espéré qu'il serait seul, au pire qu'il y aurait Dean. Pourtant, elle se retrouvait encerclée par des regards accusateurs. Elle sentait le jugement dans le frétillement de la barbe de Bobby, le plaisir sadique dans le regard du connard écossais qui s'étalait comme un roi sur un fauteuil trop confortable pour son cul, un verre d'alcool dans la main. Et pour finir il y avait Jessica, la licorne de Sam. Les yeux qu'elle lui portait étaient à la fois pleins d'incompréhension et de pitié, putain, elle détestait inspirer de la pitié.

À l'écart du cercle, il y avait deux autres personnes qui ne lui avaient pas été présentées. Une rousse assez jeune, plate comme une limande et plutôt non-conventionnelle. Elle paria momentanément sur le dernier coup de cœur de Dean, mais ça ne collait pas. Il portait à cette fille un regard chargé de l'affection toute fraternelle qu'il éprouvait pour Sam. L'autre était un jeune homme asiatique qui gardait les yeux rivés sur l'écran, faisant complètement abstraction de tout ce qui se passait en dehors de ses pixels. Cette capacité de concentration forçait l'admiration, Meg devait bien l'admettre.

La main serrée sur celle de Jessica, Sam ne la regardait pas tout à fait. Ses yeux la transperçaient sans la voir : il réfléchissait.

— Donc il a repris contact avec toi, sinon tu ne serais pas là.

— Si je dérange, je repasserai, précisa-t-elle en espérant créer là l'occasion parfaite d'échapper à la présence de Crowley.

— Que voulait-il ?

Dean venait de lui bousiller sa seule chance de pouvoir partir tranquillement. Elle leva la manche de son pull, dévoilant un large hématome sur sa peau, là où les hommes de main d'Azazel avaient serré si fort.

— Juste me transmettre ses amitiés, à ton avis, que voulait-il ?

Elle fit dévier son regard sur Sam.

— Il n'était pas seul. Et si je me fie à mon intuition sur ce qu'ils veulent, ça sent pas bon, Sammy…

— C'est Sam, pour toi, Meg. Raconte.

— Il voulait s'assurer que je lui étais toujours fidèle. Et m'assigner une nouvelle mission.

Crowley laissa un ricanement lui échapper et reçut en retour une œillade glacée.

— Un commentaire à faire, peut-être ?

— La ferme, Crowley, devança Bobby. Continue Meg, quelle mission ?

Elle ménagea un silence, pour l'effet de style. Elle avait, malgré toute la frayeur qui l'envahissait, un certain sens du spectacle.

— Transformer la Spn-family en une armée de groupies zombies, sans doute.

Le froid qui s'installa ne dut qu'à Crowley de ne pas s'éterniser, puisqu'il hoqueta de surprise, faisant tinter les glaçons dans son verre :

— Je te demande pardon ?

Elle l'ignora et concentra son regard sur Dean :

— L'autre homme, c'était Alistair, Dean-o. J'ai mis du temps à additionner deux et deux, mais…

— Le Croatoan, grogna l'aîné dans un éclair de compréhension. Ils vont mettre le Croatoan sur le marché.

C'était un dérivé de la drogue Krokodil, ignoble produit qui putréfiait les chairs à l'endroit des injections. Les médecins estimaient à deux ans la durée de vie des personnes droguées à ce stupéfiant. Alistair et sa bande de dégénérés, estimant que deux ans n'était pas un délai assez juteux pour faire du profit, avaient essayé de l'allonger. Et s'ils n'y étaient pas parvenus, ils avaient réussi à créer le Croatoan, une substance nocive qui pourrait tout aussi bien s'appeler le Marche-mort. Elle transformait ses consommateurs en zombies tout juste bons à penser à se procurer leur dose, nécrosant leurs chairs et finissant par les tuer, tout aussi vite, mais en ayant consommé plus.

Dean avait réussi à éviter à une de ses ex de tomber dans ce piège. Grâce à ça, le marché d'Alistair avait été divisé par trois dans un état et le chimiste taré en gardait une profonde rancœur envers l'aîné Winchester. Il déglutit difficilement et son regard était mortellement sérieux quand il se posa sur Meg :

— Quand ?

La voix était blanche, elle vibrait de crainte et de colère. Meg ferma les paupières, si fort qu'elle en vit des petits points colorés.

— Le 7 janvier. Je crois qu'ils veulent le diffuser pendant le premier concert de votre tournée.

— On doit contacter Henricksen, s'alarma Sam. Au plus vite. Il faut empêcher ça !

— Il faut annuler, intervint Jess. On ne peut pas prendre le risque. Charlie ?

La rousse au fond de la pièce leva la tête, trop vite pour pouvoir feindre ne pas écouter la conversation en cours. Meg jappa. Elle détestait tellement avoir un public.

— Tu as envoyé le SMS à combien de personnes ?

— Une centaine, grimaça-t-elle. Il faut qu'on trouve une solution plus viable que l'annulation, tu ne peux pas faire ça.

Elle jeta un regard à la ronde en sentant sur elle l'incompréhension de ses amis. Haussant les épaules, elle finit par délaisser son laptop pour entrer dans le cercle du jugement de Meg.

— Ne soyons pas stupide. Surtout toi, Sam, j'ai perdu espoir pour Dean.

— Salope, grogna le susnommé d'un air outré.

Elle l'ignora :

— Annuler le début de la tournée ne changera absolument rien au projet d'Alistair et Azazel qui est, visiblement, de se venger de vous. S'ils ne le font pas pendant un concert privé, ils trouveront un moyen de le faire pendant votre seconde tournée. D'ici-là, ils auront peut-être trouvé comment diffuser la drogue autrement qu'en intraveineuse, ce qui ne ferait qu'augmenter le nombre de victimes potentielles.

Jess et Bobby hochèrent la tête, Crowley roula des yeux, passablement agacé que des dealers sans classe tentent de leur ravir leur public. Dean et Sam grimacèrent.

— En plus, continua Charlie, ça mettrait Meg en danger. Pourquoi toi, d'ailleurs ? ajouta-t-elle en se tournant vers l'intruse.

Celle-ci eut un sursaut et un mouvement de tête équivoque, mordillant sa lèvre, ignorant le « Oh bon sang, je vais vomir » de Dean.

— Ok, enchaîna la geekette. Si j'aimais les hommes, je n'aurais pas choisi celui-là mais… Enfin, ce n'est plus une histoire qui roule entre vous, n'est-ce pas ?

— Seigneur, non, commenta Meg alors que Sam toussait dans sa main quelque chose qui ressemblait à « Clarence », la ferme, Sam. Il venait pour essayer de recoller les morceaux, mais je sais que… Il est rancunier.

— Et ? pressa Crowley.

— Et c'est moi qui l'ai balancé aux flics. C'est à cause de mon témoignage qu'il est tombé. J'ai le droit à un traitement de faveur, il m'accorde une deuxième chance, mais Linux a raison, je suis sur la sellette. Si vous annulez, je suis morte.

— Et ? itéra Crowley. Je ne vois pas à quel moment on est censés prendre ta survie comme un paramètre important.

— Je peux te jurer que si j'accepte de l'aider, tu seras le premier à qui j'injecterai cette merde, quitte à y laisser la vie.

— Là n'est pas la question, trancha Bobby en voyant que Crowley s'apprêta à répliquer.

Pourtant il ne put empêcher ces deux-là de se disputer de façon sanglante et ce fut Sam et Dean qui les séparèrent, Sam conduisant Meg jusqu'à la porte pour qu'elle rentre chez elle.

Sur le pallier, elle inspira à fond.

— Sam, je n'accepterai pas de bosser pour lui. Tu sais ce que ça veut dire.

Il inclina le menton. Elle shoota dans un caillou.

— Vous aurez intérêt à vous donner à fond le 7 janvier. Ce sera peut-être le dernier concert de ma vie, je veux que ce soit le meilleur.

Et Sam n'eut pas le temps de lui jurer qu'ils feraient tout pour la protéger, jusqu'au bout, qu'ils allaient parvenir à une solution qui ne mettrait pas sa vie en danger. Il n'eut pas plus le temps de lui mentir en disant que Crowley plaisantait – c'était évident que non, malheureusement – et qu'elle ne serait pas une victime de plus dans cette guerre stupide. Elle était déjà partie, la démarche raide, comme un condamné dans le couloir de la mort, et ce fut seulement quand elle disparut au coin de la rue qu'il se souvint qu'elle ne croyait de toute façon à aucune sorte de promesse, même les plus sincères.


Mercredi 23 décembre 2015, non loin de Lewistone, Montana

La maison secondaire des Milton n'était pas aussi grande que celle qu'ils se partageaient dans le Kansas. Composée d'uniquement trois chambres, d'une pièce à vivre toujours dans le style des années soixante-dix, date du dernier ravalement de la demeure, elle effleurait le flanc d'une colline, la masquant ainsi aux yeux des habitants avoisinant.

Malheureusement, Samandriel se retrouvait contraint de partager sa chambre avec Castiel. Hannah avait la sienne, en tant que femme – celle avec la salle de bains attenante – et Michael et Raphael cohabitaient dans la dernière. Ce n'était pas que Castiel était de désagréable compagnie. À vrai dire, il se révélait être un colocataire plutôt charmant : il avait laissé à son cadet la place la plus chaude, prenant le lit près de la fenêtre mal isolée, inconfortable au possible et lui ruinant probablement le dos à jamais.

Cependant, Samandriel aurait aimé pouvoir avoir une chambre seul. Le soir, il aurait pu commencer à réfléchir au dessin qu'il allait faire à Jo. Il avait emporté la tablette graphique mais n'osait pas vraiment la sortir, de peur de devoir se justifier sur sa provenance. Il était évident que si on apprenait qu'une inconnue la lui avait donnée, elle serait au fond d'une benne avant même qu'il eût eu le temps de la prendre en main.

Le jour s'était levé depuis peu. Il n'était de toute façon pas friand des grasses matinées. Dans une famille comme la sienne, il était plutôt rare qu'on pût dormir, même les jours de repos. Il était actuellement installé dans le canapé, écoutant le feu qui crépitait dans la cheminée, feignant de ne pas entendre les doigts de Castiel pianoter avec ferveur sur le clavier de son téléphone.

Quelque part, c'était un peu frustrant de se rendre compte que son frère aîné, vieux comme le monde, avait une vie sociale plus riche que la sienne. Cependant, il savait que Cyrus était en famille et il n'osait pas envoyer de messages à Jo ou Krissy, comme si la distance lui avait permis de se réaliser qu'en fait, cela ne faisait pas si longtemps que tous se fréquentaient et qu'ils n'étaient par conséquent pas encore amis, quoiqu'en dît Facebook.

Comme à chaque séjour dans le Montana, le petit-déjeuner avait été mille fois trop copieux. Samandriel avait eu son lot de pancakes, de gaufres et d'œufs à avaler, ignorant volontairement les fruits en dépit du regard sévère qui pesait sur lui et émanait de sa sœur. Elle aurait bien voulu composer un petit-déjeuner bien moins lourd en calories et en protéines animales. Michael et Raphael n'adhérant pas à son végétarisme, elle n'avait pas eu d'autre choix que de fouler au pied ses convictions pour les servir et ni Castiel ni Samandriel n'avait cherché à lui faire plaisir en conservant les traditionnelles habitudes.

Quand leur aîné avait demandé comment ils avaient l'intention d'occuper leur journée, Castiel avait répondu pour eux :

— Hannah, Samandriel et moi allons partir faire le tour de la propriété. J'ai entendu des habitants dire qu'il y avait eu une crue, il y a peu. J'aimerais vérifier que tout est intact. Cela permettra également à Samandriel de se familiariser avec les lieux, nous n'y venons plus si souvent, à présent que vos responsabilités ne vous permettent pas de vous absenter.

Internet et le Wi-Fi avaient été installés peu de temps avant leur arrivée, afin que les deux frères politiciens pussent rester en contact avec le reste du monde lors des vacances de Noël. Castiel doutait que le gouverneur eût grand besoin d'eux pendant cette période festive, toutefois, il avait haussé les épaules. Ce genre de décisions ne reposait pas sur ses épaules.

Raphael avait opiné avant de lécher un peu de beurre sur ses lèvres et de porter sa tasse à sa bouche pour avaler une grande lampée de café.

— Il faudrait également faire du tri au grenier, ce matin. Il y a des cartons à jeter, j'en suis persuadé. Vous vous en occuperez quand Hannah aura fini la vaisselle.

Samandriel s'était retenu de lever les yeux au ciel. L'aspect absolument dégueulasse de cette phrase n'avait pas fait tiquer que lui, mais Castiel avait seulement acquiescé. Le plus jeune se demanda vaguement si son aîné faisait parfois les corvées chez Meg. Il tenta de l'imaginer, les manches de sa chemise roulées sur les avant-bras, l'air concentré qu'il arborait toujours, en manipulant le manche du balai comme si c'était un acte de dévotion pure.

Hannah ne devrait plus tarder mais le temps semblait long. Une fois, il avait tenté de se lever pour aller l'aider et Castiel l'avait retenu « Que fais-tu ? », « Je vais aider Hannah. » et l'éditeur avait soupiré.

— Assieds-toi, Samandriel.

Par réflexe conditionné, l'adolescent avait obéi.

— Ça me déplaît mais… – Castiel baissa la voix, forçant Sam à se pencher vers lui – le père de Cyrus m'a alerté quant à ta possible homosexualité. T'impliquer dans une corvée destinée aux femmes – il avait dit ça d'un ton tellement acide que le cœur de Samandriel avait fait looping de contentement – risquerait de donner du crédit à ces allégations. Et crois-moi, tu ne veux en rien connaître la punition infligée aux homosexuels dans cette famille. Reste assis.

Samandriel n'avait plus bougé, méditant en silence sur le sens que pouvait bien prendre cette phrase.

Hannah arriva enfin et Castiel empocha son téléphone, essayant de faire disparaître le petit sourire qui avait ourlé son visage tout le temps que leur sœur était dans la cuisine. Finalement, il se leva du fauteuil, faisant signe aux deux autres de le suivre.

— Peut-être devrais-tu te changer ? suggéra Samandriel. Tu risques de salir tes vêtements…

Les deux aînés échangèrent un regard entendu et Castiel secoua la tête, désignant sans un mot la pièce où s'étaient enfermés les deux frères. Sans rien ajouter, ils montèrent tous trois au grenier.

L'endroit était humide, froid et poussiéreux. Par réflexe, Samandriel recouvrit sa bouche de sa main, étonné de voir Castiel et Hannah faire de même, dans un mimétisme presque amusant. Puis, transfigurée, Hannah s'avança, les yeux brillants d'excitation, ne regardant pas où elle mettait les pieds. Elle fixait un carton du regard, bien déterminée à l'atteindre.

Quand elle le posa délicatement au sol, de la poussière s'envola, les faisant tousser tous ensemble et Samandriel se permit un sourire. L'odeur vieillie, la poussière, le déterrement de vieux souvenirs, c'était encore l'activité qui ressemblait le plus à l'image qu'il se faisait d'une famille.

Hannah écarta les rabats du carton et ce fut au tour de Castiel d'aller s'agenouiller près d'elle avec un gazouillis qui indiquait un souvenir heureux.

S'approchant le plus jeune eut la surprise de découvrir entre les mains de sa sœur un appareil photo Polaroid et elle leva vers lui un regard humide.

— C'est mon dernier appareil-photo instantané. Je me demande s'il fonctionne encore…

Elle le fit passer à Castiel qui sourit.

— Vu l'humidité de la pièce, c'est improbable. Si tu le souhaites, je le conduirai chez un spécialiste, pour qu'il voie ce qu'il peut faire pour le remettre en fonction.

Samandriel la vit hésiter. La flamme dans ses yeux s'éteignit brusquement, puis elle le lui retira des mains, pour le remettre dans le carton. Baissant la tête, le cadet aperçut un autre appareil-photo, un Leica.

— C'était une passade d'adolescent, la photographie, récita-t-elle. À présent, j'ai des responsabilités et je n'ai plus le temps de m'amuser à ce genre de choses, Castiel. Tu devrais le savoir.

— Mais, intervint Samandriel, c'est dommage. Nous n'avons pratiquement aucune photo de famille. Dans mon lycée, tout le monde a des photos de sa famille dans son casier et je suis le seul à n'en avoir aucune. Tu ne trouves pas ça triste ?

Son discours, associé à des yeux de chien perdu, eurent raison des réticences d'Hannah qui concéda cette vérité à son cadet. Elle tenta une nouvelle esquive.

— Ces appareils sont probablement hors d'usage… Et je n'y connais rien en numérique.

— Tu apprendras, affirma Castiel.

— Et les photos n'ont pas besoin d'être parfaites, renchérit Samandriel. J'aimerais juste, enfin, montrer qu'on est une famille comme les autres.

Visiblement touchée par le discours du cadet, Hannah finit par replonger la main dans le carton, pour récupérer les deux appareils photo, alors que Castiel hochait la tête d'un air approbateur.

Samandriel resta dans un coin de la pièce pour le reste de la matinée, regardant avec bien plus d'affection qu'il pensait en éprouver ses aînés qui triaient leurs affaires. Ils ponctuaient parfois l'épais silence par des bribes de souvenirs qui tissaient dans l'esprit du cadet qui n'avait rien vécu de tout ça des images qu'il inventait.

Vers onze heures et demie, quand le temps d'aller préparer le déjeuner sonna pour Hannah, elle soupira et referma le carton qu'elle était en train de trier. Elle descendit sans un mot alors que Castiel attrapait Samandriel par le bras, pour l'empêcher d'emboîter le pas à sa sœur. Le plus jeune interrogea son frère du regard.

— Cet après-midi, on devra faire le tour de la propriété.

— C'est ce que j'avais cru comprendre, en effet.

Castiel ignora cette phrase.

— Il y a un endroit, derrière la colline, que j'aimerais te montrer. Cependant, je ne veux le montrer qu'à toi, est-ce que tu comprends ?

Il pencha légèrement la tête, son regard si bleu ne cillant pas et transperçant son cadet qui papillonna des cils. Il semblait à Samandriel que son frère était en train de lui dire que personne ne devait être au courant que cet endroit derrière la colline existait. L'impatience le saisit au ventre alors qu'il hochait la tête et il se sentit comme un enfant.


Voilà, j'espère que ça vous a plu et je vous dis à bientôt, pour un Noël mouvementé du côté des Winchester !