AN : Bonjour à tous !

Nous y voilà… je parviens avec ce chapitre au niveau de la fic originale.

Et après ? me direz-vous, pour ceux qui ne l'auraient pas encore demandé. Eh bien, je ne sais pas. Bien qu'avec Fred et George nous avions discuté des grandes lignes de la suite, je ne souhaite rien poster sans leur autorisation pleine et entière :p

Ce sera donc la surprise… Est-ce une fin, n'en est-ce pas une ?

Quoi qu'il en soit, merci à tous et toutes de votre soutien continu. Je vous adore !

24 – Du ciel en enfer en trois petites leçons, par Remus J. Lupin

Remus dormit comme un bébé et se leva comme une fleur, posant le pied au sol à la première sonnerie de son réveil. Avec une grande inspiration satisfaite, il prit sa baguette, se posta au milieu du dortoir et sourit comme, l'un après l'autre, les réveils de ses amis se déclenchaient.

En chef d'orchestre, il leva sa baguette pour accompagner la fanfare. Les rideaux des quatre lits s'ouvrirent à la volée, s'attachant avec élégance aux colonnes, puis ce fut le tour des rideaux aux fenêtres (plus pour le style que pour la luminosité, car en cette heure matinale de décembre, le soleil n'était pas encore levé). Ensuite, ce furent les couettes et draps qui s'envolèrent et retombèrent sagement pliés au pied de leurs lits, découvrant les amis de Remus, étalé en travers du lit pour Peter, roulé en chien de fusil pour Sirius et déjà en train de se redresser sur ses coudes pour James.

- Encore cinq minutes, marmonna Sirius dans son oreiller.

Lequel oreiller échappa à son étreinte pour se réinstaller à sa place en tête de lit, à près d'un mètre de distance. Sirius grogna de plus belle mais ne bougea pas.

- Si vous ne vous levez pas, je viens vous faire un câlin, prévint Remus.

- Chiche…

La réponse, bien que murmurée, ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Aussitôt, Remus prit deux foulées d'élan vers le lit de Sirius, sauta et tâcha de retomber de tout son poids derrière Sirius. Le rebond du matelas projeta l'(ancien) dormeur dans les airs avec un cri étouffé sous le rire de James. Les membres du jeune Black se détendirent pour tenter de reprendre contact avec un élément ferme, mais Remus l'intercepta avant qu'il ne retombe, enroulant ses bras autour du torse de son ami, et trouvant automatiquement des points particulièrement sensibles entre ses côtes.

- Ah ! Non ! Remus ! Arrê… Arrête ! Hahaha… arrête !

La voix de Sirius monta dans les aigus tout en réussissant l'exploit de rester rauque, tandis que son propriétaire se débattait comme un beau diable. Remus dut passer une jambe autour de ses cuisses sans cesser de le chatouiller sans pitié. De coups de rein en coups de hanche spasmodiques, Black les amena au bord du lit, d'où ils basculèrent et roulèrent jusqu'au milieu du dortoir.

- Par pitié, Remus… Arrête !

Tout sourire, Remus libéra enfin son ami et se releva. S'il suppliait, c'était qu'il avait eu son compte. En effet, il resta un instant sur le plancher, à bout de souffle, pouffant encore un peu. Comme il peinait à se remettre, Remus eut l'indulgence de le soulever par un bras et par une jambe et de le remettre dans son lit… en l'y lançant.

- Ca y est, tu es réveillé ? demanda-t-il. Ou te faut-il un autre câlin ?

- Remus, tu n'y connais absolument rien en câlin… fit la voix rauque de Sirius (il avait toujours la voix rauque le matin).

- Oh ?

La tête ébouriffée de Sirius apparut pour la première fois à la verticale et dans le bon sens ce matin-là.

- Fais-moi penser à te donner des cours de câlins avant que tu ne décides d'en faire à Kyana… ou la pauvre enfant risque d'avoir des surprises… de taille.

James et Peter riaient à gorge déployée en se levant.

- Voyons, Sirius, les câlins que je te réserve sont uniques. Loin de moi l'idée de trahir notre amitié en serrant ainsi contre moi d'autres personnes.

- Tu m'en vois fort honoré, mon cher Lunard…

Ils continuèrent à deviser ainsi tout en se préparant à descendre. Une fois habillés, sac sur l'épaule, ils se mirent à descendre les escaliers en colimaçon.

- Par ailleurs, mon cher Monsieur Black, il me semble bien que Monsieur Lupin ait commencé à prendre ce genre de cours sans votre aide…

- Oh vraiment ? lança Sirius à James par-dessus son épaule.

- Certes. Pas plus tard qu'hier soir, Damoiselle Wald lui en faisait une brillante démonstration…

- Hahaha, fit semblant de rire Remus avant de leur tirer la langue.

Mais cette remarque avait eu le don de ramener un sourire permanent sur son visage.

Ils retrouvèrent les Serdaigle qui semblaient bien s'amuser – sauf deux – en sortant de la Grande Salle.

- Alors, vous avez passé une soirée amusante ? demanda Edward de but en blanc.

- Euh… ben… une soirée normale, pourquoi ? fit Sirius, un brin désarçonné.

- Nous avons récupéré une Kyana toute radieuse, hier soir. Ne vous méprenez pas, nous sommes ravis pour elle, mais on se demandait ce qui avait bien pu l'émerveiller à ce point.

Kyana, ayant pris sa place habituelle aux côtés de Remus, leur fit un faux regard irrité, démenti par un sourire aussi inamovible que celui de Remus.

- C'est peut-être simplement d'avoir été en bonne compagnie ! protesta-t-elle. J'en connais d'autres qui feraient bien de ne pas harceler leurs amis pour le moindre air rêveur…

Cela déclencha les rires des Serdaigle – sauf deux.

- Non, je ne vois pas, dit Peter. La soirée a été très studieuse, nous avons même étudié pour les BUSEs.

Ce à quoi les Serdaigle parurent impressionnés – sauf deux, qui restèrent sceptiques.

- A moins que… commença Remus

Kyana lui jeta un regard effaré. Que pensait-elle qu'il allait dire ? Croyait-elle qu'il allait évoquer leur douillet cocon ? Jamais de la vie !

- A moins qu'elle n'ait été tellement soulagée d'avoir craché son venin…

- T'es bête, lui dit Kyana en rougissant.

Après avoir éclaté de rire, les Gryffondor se firent une joie de rapporter aux amis de la jeune fille l'opinion qu'elle se faisait de ses petits camarades – du moins en Runes.

- Incroyable, s'exclama Bridget après l'évocation de la fille qui dessinait sur son vernis à ongles. Tu veux dire que tu n'as jamais trouvé nos papotages sur le maquillage intéressants ?

- Ca peut se comprendre, intervint Jasper pour sa défense.

- Ca explique pourquoi elle baillait ostensiblement tout au long de ces conversations, dit Faith avant qu'ils ne se remettent à rire.

Remus se mit à regretter d'avoir taquiné Kyana lorsqu'ils évoquèrent les pouffantes Poufsouffles.

- Ouibenc'estpasvraimentmafautesiellesmeregardentcommeça, grommela-t-il.

Il eut une fugitive pensée pour le visage sévère de McGonagall lorsqu'elle lui conseillait de mettre un terme aux agissements des filles galopantes ou nues. Les Poufsouffle avaient-elles fait partie du troupeau qui l'avait coursé ? Peut-être. Nul doute que, s'il se montrait mal aimable une ou deux fois, elles l'apprécieraient beaucoup moins.

Heureusement pour lui, le mystère du bonheur de Kyana étant « résolu », la conversation changea de sujet. Ils étaient arrivé au cours de Botanique.

Remus trouvait Kyana distraite… heureuse, mais distraite. Il exagéra sa défiance des Poufsouffle et du Serpentard en cours des Runes pour l'amuser mais Kyana ne parut guère s'en apercevoir. Il en conçut d'une part une vague impression d'être transparent, et d'autre part une véritable inquiétude en s'apercevant que le Serpentard était aimable – sinon affable – envers lui.

Même l'après-midi, lorsque Kyana le rejoignit sur le chemin du QG pour leur session hebdomadaire de révision des BUSEs, elle était un peu ailleurs – bien que radieuse. Remus n'était pas doué (pas autant que ses amis en tout cas) pour tenir une conversation unilatérale, mais il fit un effort. Après tout, lui aussi était de bonne humeur.

- Kyana ?

- Oui ?

- Comment tu as… euh… qu'est-ce qui te fait dire que le Serpentard de Runes a un œil sur moi ?

- Oh… ça !

Elle eut un léger rire.

- Des choses et d'autres… tu es le seul à qui il dit bonjour, par exemple…

- Il m'avait bien semblé… souffla Remus.

- Dis donc, c'est l'information principale que tu as tiré de notre conversation d'hier ?

- Tu veux dire, à part ton immense modestie ? Contrattaqua-t-il aussitôt, tâchant de ne pas rougir et de ne pas réfléchir à quoi elle faisait allusion exactement.

Elle rosit délicieusement avant de lui tirer la langue.

- Ca t'interpelle tant que ça ? insista-t-elle.

- … qu'un garçon puisse avoir… euh… des vues sur moi ? Qui cela laisserait-il de marbre ?

- Voyons… un garçon contre… un troupeau de filles. Arithmétiquement, tu préfèrerais vraiment être confronté à ces dernières ? Oh, mais attends ! Ca t'est déjà arrivé… Elles t'ont même couru après, toutes ensemble !

- Oui, bon. Le problème n'est pas le même…

- Ah, sous quel rapport ?

- Le rapport de mon malaise face à la situation !

- T'avais l'air tellement à ton aise en courant devant toutes ces greluches !

Remus lui glissa un regard en coin. L'exaspération qu'elle ait toujours le dernier mot le combattait à l'étrange satisfaction qu'il ressentait face à la virulence de Kyana.

Ils finirent le chemin en silence, la Serdaigle retournée à ses propres préoccupations et le Gryffondor s'interrogeant sur les relations entre personnes du même sexe. Aurait-il pu s'éprendre d'un garçon ? L'idée ne lui serait sans doute jamais venue… mais il n'aurait jamais imaginé tomber amoureux d'une fille non plus, avant que Kyana ne surgisse dans sa vie.

Lorsqu'ils furent arrivés au QG, confortablement installés et prêts à travailler, Remus commença à s'inquiéter. La jeune fille n'avait pas décroché un mot si ce n'était pour lui répondre.

- Kyana, est-ce que ça va ?

Cette fois, il vit qu'il l'avait vraiment fait réagir. Son histoire de Serpentard l'avait fait interagir avec lui, mais ne l'avait pas interpelée. Elle sursauta, fixa un instant son regard sur le sien, puis baissa à nouveau les yeux sur la table. Et puis…

- La ferme… assena-t-elle entre ses dents serrées.

Il éclata de rire, soulagé.

- Oh ! ça faisait un moment tout de même ! Je commençais à craindre qu'Anyka t'ait abandonnée.

- Que non ! Fais-moi confiance, elle est toujours là ! Bon… Tu voulais faire quoi, aujourd'hui ?

- Bah je sais pas… tu veux retenter le schéma ?

Elle haussa les épaules avec un grommellement peu engageant. Apparemment, cette atteinte à la légendaire intelligence des Serdaigle affectait toujours l'ego de la jeune fille. Elle lança plus qu'elle ne posa le livre sur la table, avant de se lever et de se diriger vers la salle de bains. Remus allait la taquiner sur son affection pour cet endroit (qu'elle visitait aussi souvent que possible), mais elle le devança.

- Et je ne veux rien entendre à ce sujet ! lança-t-elle.

Elle devenait drôlement forte…

Remus retrouva dans les deux livres de Runes le schéma et son explication associée (on n'avait pas idée, vraiment, de séparer les choses pour une notion aussi obscure de l'étude des Runes).

Il installa les deux livres face à lui. Ils comprendraient mieux s'ils avaient tous les deux le schéma et le texte sous les yeux. Kyana s'était assise en face de lui, comme d'habitude, mais il ne trouvait pas de meilleur compromis, pour une fois, que de l'installer à ses côtés. A moins de carrément migrer sur la causeuse, par exemple, si ce n'avait pas paru être tout autre chose que du travail scolaire.

Revenue, Kyana ne fit pas de commentaires et se glissa sur la chaise à côté de lui.

- C'est risqué que tu me tapes dessus d'agacement mais je me suis dit que ça irait mieux comme ça, expliqua-t-il.

- Haha, fit-elle sarcastiquement en lui adressant une grimace. Alors, reprenons…

Elle se relança dans la lecture du texte. Qui n'apporta pas beaucoup plus d'éclaircissement que la veille. Ou qui n'en aurait pas davantage apporté s'il l'avait vraiment écouté. Oh, il écouta, mais Kyana avait aussi un langage corporel qui retenait davantage son attention. Ses épaules affaissées trahissaient son exaspération avec ce travail durant sa lecture, une légère torsion de son buste de son côté lui indiquait qu'elle guettait une intervention pertinente (il n'en avait guère) son épaule effleura la sienne plus d'une fois.

- Tu sais, j'en viens à me demander si c'est vraiment le texte qui va avec, soupira-t-elle.

Il se mit à rire.

- Mais si, voyons ! C'est juste… pas très clair.

Il se pencha sur le schéma auquel il ne comprenait toujours rien, plus amusé en tout cas que Kyana.

- Surtout que jamais il ne songe à mentionner à quoi peut bien servir son schéma.

- Il l'ignore peut-être, bougonna-t-elle.

Il se tourna vers elle, s'asseyant en travers de sa chaise, de plus en plus amusé.

- Hey, c'est une éventualité. Faudrait le lui demander !

- Pourquoi pas ! Tu veux qu'on lui écri… Oh… C'est dommage, il est légèrement décédé depuis… 128 ans, selon sa bio…

- Ah ouais, ça sera difficile…

Kyana roula des yeux et abandonna la quatrième de couverture de son livre pour revenir à la page de l'explication épineuse.

- Mais pas impossible ? railla-t-elle.

- A cœur vaillant, rien d'impossible, affirma Remus.

Elle éclata de rire. Enfin, il avait vaincu le bougonnement des Runes incompréhensibles. Alors, rien n'était plus vraiment impossible.

Elle le regarda. Elle était si belle quand ses yeux pétillaient ainsi. Elle était belle tout le temps, en fait. Mais rien ne valait son sourire. Cela faisait une sorte de lumière dans ses yeux, comme si, tout d'un coup, il y avait quelqu'un d'autre que la sage étudiante de Serdaigle... quelqu'un d'autrement plus malicieux, entêté, fier, mais aussi prévenant, gentil, chaleureux… bref, la jeune fille que l'on découvrait si l'on prenait la peine d'apprendre à la connaître. Il ne se lassait pas d'elle et aujourd'hui, particulièrement, il se laissa submerger par Kyana, par ses yeux, par le plaisir de savoir qu'elle tenait à lui. Il ne détourna pas les yeux et ne changea pas de sujet il lui suffisait de la regarder sourire pour être heureux.

Et par-dessus tout… cela lui faisait des petites fossettes aux coins de sa bouche, qu'il avait envie d'embrasser. Les fossettes disparurent lentement avec le sourire, mais il restait les lèvres entrouvertes, toujours invitantes…

Hey ! Oh ! Stop !

Il ne se rendit compte qu'à la dernière seconde qu'il s'approchait d'elle. Il sentait son souffle chaud sur ses lèvres, était submergé par son odeur. Elle avait fermé les yeux. Il s'approcha encore, mais quelque chose le retint. Une désagréable petite sensation venue d'un coin de son esprit, qui lui soufflait que ce n'était pas possible, qu'il ne devait pas faire ça. Il frémit de la pointe des orteils à la racine de ses cheveux de désir et de frustration. Il savait bien qu'il était sur le bord d'une limite infranchissable personne, pas même lui-même, n'avait besoin de le lui rappeler. Pourtant, une fraction de seconde supplémentaire, il resta là, tout près. Puis il prit une longue inspiration douloureuse et se fit violence pour se redresser, pour s'éloigner. Aussitôt le regret le submergea. Il se leva brusquement pour cacher son trouble et s'éloigna vers le frigo, prenant le premier prétexte qui venait et s'émerveillant de l'autonomie de son imagination.

- Tu veux une bièraubeurre ? dit-il simplement, comme si de rien n'était.

Il espérait que Kyana fasse semblant de rien, comme si ce baiser avorté n'avait jamais existé, n'avait pas pu être remarqué. Le pire qui puisse arriver serait qu'elle en ait pris ombrage et l'interroge directement. En fait, il se fourvoyait. Ce fut encore pire.

- Okay ! okay ! J'abandonne !

Le son de la voix de Kyana lui serra le cœur avant qu'il ne comprenne ses paroles. Elle semblait au bord des larmes et pire encore. Il y avait quelque chose de brisé au bout de ses lèvres. Il se retourna vivement, fouetté par une vague d'angoisse et d'adrénaline. Elle avait posé le front sur la table et ses cheveux cachaient son visage. Ce ne pouvait pas être le retour des Runes vengeresses, n'est-ce pas ?

- Quoi ? Tu abandonnes quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

- J'abandonne, confirma-t-elle après un rire qui était tout sauf joyeux. Je ne pense pas pouvoir faire plus. Honnêtement. Je ne pensais même pas arriver à faire tout ça. Je savais bien que ça ne servirait à rien mais je me suis tout de même surprise à espérer…

- Kyana ?

Sa voix parvenait de manière étouffée de derrière le rideau de sa chevelure. Remus était tenté de passer un bras sur ses épaules affaissées. Il ne semblait pas que Kyana parle de leur révisions de Runes. Parlait-elle de… ?

- Mais quand même, Remus… Je sais bien que tu es tout gentil, sensible et délicat mais tu ne penses pas que ça aurait été mieux de ne pas me laisser me rendre si loin ? De ne pas m'obliger à me ridiculiser ? Que ça aurait été nettement plus simple pour tout le monde de me dire que tu n'étais pas intéressé ?

Il déglutit péniblement. Il s'agissait donc bien de ça. Il venait juste de se rendre compte qu'elle… l'appréciait et faisait des pieds et des mains pour lui passer le message… mais alors qu'il commençait à savourer ce savoir tout nouveau sans même réfléchir à ce qu'il devait en faire, elle était au bout du rouleau et de ses efforts. Qu'il était décidément idiot…

Réfléchissant à toute vitesse, il fit un pas vers elle.

- In… intéressé par quoi ?

Elle se redressa de sa position prostrée avec une telle vivacité et une telle indignation dans le regard qu'il recula à nouveau.

Ce n'était pas qu'il était complètement idiot, mais s'il admettait avoir compris qu'elle avait… de l'affection pour lui, il devrait faire un choix, soit répondre à son affection, soit y renoncer et il n'était pas tout à fait prêt pour cela. Le doute qui planait entre eux encore un moment auparavant était un sursis bienvenu, aussi Remus ne voulait pas en faire son deuil si vite.

- Ne fais pas l'idiot ! Tu ne peux pas ne pas avoir compris !

- Compris… compris quoi ?

Il comprit immédiatement, en revanche, qu'il était allé trop loin et le regretta aussitôt.

- Remus Lupin ! aboya-t-elle en ponctuant sa colère d'un coup de poing sur la table. Je t'interdis de dire que tu n'as pas compris ! Je refuse que tu n'aies pas compris !

A son coup, il avait sursauté et avait entrepris de reculer, mais elle le suivit aussitôt, venant évacuer sa colère à quelques centimètres de lui. Elle continua, sa voix montant en vitesse et en puissance à chaque phrase.

- C'est inadmissible que tu n'aies pas compris ! Tu as forcément compris et tu fais semblant de ne pas avoir compris pour ne pas avoir à t'expliquer ! Tu as compris, Remus !

Certes, il avait mis son temps, mais oui, il avait compris. Et c'était là, sous le regard accusateur de Kyana, qu'il comprit soudain pourquoi cela lui avait pris autant de temps et pourquoi il faisait l'idiot depuis cinq minutes. Parce que cette situation, à laquelle ils étaient parvenus malgré tout, lui était insupportable.

Que dire, maintenant ? « Oui, j'ai compris, mais ce ne serait pas raisonnable de continuer cela plus avant » ? Plus simple ? « Oui, mais désolé, c'est non » ? « Allons, ça ne peut pas être sérieux ! » ? Quelle réponse ne briserait pas irrévocablement le cœur de Kyana, en plus du sien ? Tout en s'affranchissant de toute explication ?

Tandis qu'il cherchait une échappatoire, et désespérait de n'en trouver aucune, et se détestait pour s'être laissé entraîner jusque là, et souffrait mille tourments, le regard offensé de Kyana ne faisait qu'accroître ses affres, le faisant se dandiner comme un enfant pris en faute. Il regarda par la fenêtre un instant, mais il retourna bien vite aux yeux de la jeune fille, ne voulant pas plus l'éviter qu'il ne voulait la confronter.

- Mais… Kyana… croassa-t-il pitoyablement.

Il s'arrêta, pas plus capable de trouver quelque chose à lui dire que de désamorcer la situation. Elle s'avança vers lui, l'air déterminé. Il combattit l'envie de fuir et se tint là, subissant le regard scrutateur de la Serdaigle.

- Tu as compris ! Mais tu ne veux pas l'admettre. Tu sais très exactement ce que je veux dire ! Mais tu ne veux pas y faire face !

Chacune de ses exclamations de colère était comme un coup de couteau pour Remus, qui le laissait dénudé et écorché. Il tremblait tout entier, ne se rappelant pas avoir jamais passé un aussi mauvais quart d'heure, simplement en se faisant disputer. Bien sûr, ses parents lui avaient passé son lot de savons, puis ses professeurs à Poudlard, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Cela ne l'avait jamais affecté ainsi. Peut-être parce que c'était la première personne qu'il avait réellement blessée. La douleur dans ses yeux bleus, mal masquée par sa colère, lui était insupportable, plus encore que ses paroles qui lui écorchaient les oreilles, vraies et aigues.

- Et tu as eu le front de me dire que ce n'était pas bien de jouer à l'autruche ? Eh bien mon cher, je vais te sortir la tête du sable !

Elle sortit sa baguette si vite que Remus eut un mouvement de recul involontaire. Mais elle se tourna vers le tableau noir sur lequel figurait le dernier plan des maraudeurs. Elle le fit tourner, et des lettres d'un blanc éclatant s'étalèrent sur la surface noire. Remus en était encore à déchiffrer le message quand la porte claqua. Il se tourna, encore tremblant. Kyana avait effectivement pris la fuite, le laissant seul avec son message.

Remus Jason Lupin. Veux-tu être mon petit ami ?

Oui Non Peut-être
(Encercle la bonne réponse)

Kyana Wald – Serdaigle – cinquième année

Il le relut plusieurs fois, tomba assis sur une chaise qui passait par là – ses jambes ne le portaient plus – et le relut encore.

Il se mit à trembler, peut-être à cause du contrecoup de la copieuse engueulade que Kyana venait de lui administrer. Jamais il n'aurait imaginé qu'elle puisse se mettre ainsi en colère… Il avait dû sacrément la pousser à bout, se dit-il en se mordant les lèvres.

Il se leva au bout d'un long moment et s'approcha du tableau noir. Il prit un instant l'éponge servant à effacer, puis se dit qu'il en serait bien incapable. Lentement, il fit pivoter le tableau pour révéler la face où s'étalait encore le plan machiavélique qui avait servi aux maraudeurs à préparer l'expédition punitive contre Spite. Il retourna s'asseoir et mécaniquement, rangea son livre de Runes – Kyana avait emmené le sien en partant comme une furie, cela ne servait plus à rien d'essayer de comprendre ce stupide diagramme. Il ouvrit d'autres livres, comprit à peine de quels sujet ils traitaient, les referma, les rangea, ouvrit un parchemin, encra sa plume et la tint un moment au dessus du vélin vierge avant de réaliser que ses actions étaient stupides. Plongé dans une sorte de torpeur, il faisait des gestes sans but, sans le vouloir vraiment. Poussant un soupir, il rangea toutes ses affaires dans son sac, croisa les doigts sous son menton et fixa le tableau noir comme s'il pouvait voir à travers les mots que Kyana y avait inscrits. La… comment qualifier cela ?... la… démarche de Kyana le sidérait encore. Il passa un moment plongé dans les souvenirs de ce début d'année, se demandant soudain depuis combien de temps Kyana… tentait… de… euh… d'attirer son attention.

Au début de l'année, dans le train, elle avait évoqué un garçon qu'elle appréciait. Quand y avait-elle renoncé ? S'était-elle fait éconduire ? Qui aurait pu être assez stupide pour ne pas apprécier Kyana ?

Avait-elle commencé à l'apprécier lors de ce fameux regard dans la Grande Salle ? Ou après, lors de leurs nombreuses sessions d'études ?

Quoi qu'il en fut, c'était suffisamment long et il avait été suffisamment aveugle et/ou stupide pour ne rien voir. Jusqu'à ces derniers jours. Ces dernières avances de Kyana étaient-elles donc tellement énormes et tellement désespérées ? Il se demanda soudain de quoi cela aurait eu l'air s'il s'était agi de quelqu'un d'autre. Aurait-il attendu que Lily se mette à masser James pour qu'il s'aperçoive qu'elle en pinçait pour lui ? Ou que Cathy pose la tête sur les genoux de Sirius ? Sans doute pas, puisqu'elles n'avaient jamais tenté d'actions aussi osées et qu'elles étaient éprises des deux amis depuis longtemps.

Cette réflexion sur les relations amoureuses d'autrui le décrispa un peu, mais un instant plus tard, il reporta son regard sur le tableau noir et une vague d'anxiété le submergea. Deux questions le taraudaient particulièrement. Pourquoi Kyana avait-elle précipité les choses ? L'exemple de Lily et Cathy lui revint à l'esprit. Cathy en particulier n'était pas connue pour sa patience, contrairement à Kyana, mais elle n'avait jamais vraiment cherché à approfondir ses rapports avec Sirius. Deuxièmement, pouvaient-ils encore faire marche arrière ? Après l'échec qui venait de se produire, Remus voyait mal comment même leur amitié pourrait encore s'en relever. A cette idée, il avait un pincement à l'estomac et comme un vide dans la poitrine.

Encore mal assuré des évènements récents, il eut l'envie compulsive de revoir le message que lui avait laissé Kyana. Peut-être s'était-il mépris sur sa signification ? se demanda-t-il bêtement. Il essaya de s'en distraire en feuilletant un livre, mais finit par y céder. Il se leva, et alla retourner le tableau noir, sur l'autre face duquel le message luisait toujours. Ses yeux se fixèrent sur le terme « petit ami », cherchant quelle autre signification celui-ci pouvait bien revêtir.

Le son du tableau d'entrée qui s'ouvrait lui fit faire un bond et son cœur s'emballa. Précipitamment, il refit pivoter le tableau noir pour que la face visible soit celle du plan des Maraudeurs. Si bien qu'au moment où celle-ci se mettait en place, il se fit violemment pincer les doigts entre le cadre et le tableau. En jurant et en sautant sur place, essayant de juguler la douleur en fourrant ses doigts blessés dans sa bouche, il regarda entrer les maraudeurs au (presque) grand complet, qui riaient et poursuivaient encore une discussion qu'ils avaient eu en chemin. Seul Sirius s'arrêta pour lui taper sur l'épaule, hilare.

- Tout va bien, Remus ? On t'a connu plus adroit…

Comme tout le monde s'installait et qu'ils finissaient leur discussion, Remus eut le temps de se recomposer. Il retourna prudemment s'asseoir à sa place, loin du tableau noir et fit semblant d'être contrit de sa maladroitesse en regardant ses doigts tourner lentement au rouge vif et enfler. Il était pourtant résistant à la douleur, mais il était aussi terriblement fort et la panique lui avait fait pivoter le tableau très fort.

Malgré toutes ses précautions pour conserver une façade normale, cependant, lorsque la discussion se tarit un peu, les autres en vinrent forcément à lui reporter leur attention.

- Et alors, petit pinson joyeux, lui fit étourdiment Sirius, comment ta session de travail avec la ravissante Kyana s'est-elle déroulée ?

- Uh… bien.

Il avait bien tenté d'y mettre du cœur et de la joie, mais à en croire le silence qui s'écrasa d'un coup sur la pièce, il semblait avoir échoué. James s'éclaircit la voix et croisa ses élégantes guiboles en un geste faussement nonchalant.

- De deux choses l'une, fit-il. Soit il s'est passé quelque chose de grave… soit on nous a changé notre Remus entre ce matin et aujourd'hui.

- Mais non voyons.

Puis il rougit si fort que la chaleur qui émanait de ses joues lui semblait perceptible à plus de cinq mètres. Les airs dubitatifs des autres n'étaient pas pour l'aider. Tout d'un coup, le regard de Serena, initialement fixé sur lui, à l'instar de tous les autres dans cette pièce, sauta vers le tableau noir.

- Je… commença Remus dans un effort désespéré pour détourner son attention. Non, nous… nous avons buté sur un devoir difficile et… vous… vous savez comme Kyana déteste être mise en échec, alors… ça nous a un peu miné le moral, et… NON !

Serena avait bondi si vite que Remus aurait bien été en peine de la rattraper, et il avait à peine renversé sa chaise qu'elle avait fait pivoter le tableau, dévoilant le mot que Kyana avait laissé avant de partir et, comble de l'humiliation, sans dommage à ses doigts, elle. Le silence se fit un peu plus profond tandis que chacun le lisait. Remus aurait voulu se liquéfier sur place et disparaître dans le sol…

Comme un seul homme, au bout d'une longue minute à contempler le tableau noir avec le message de Kyana, tous se retournèrent vers Remus, attendant visiblement une explication, leurs expressions hésitant entre une joyeuse anticipation et une sourde angoisse. Malheureusement, Remus n'avait rien de joyeux à leur raconter, et puisqu'il fallait s'expliquer, il poussa un long soupir, tout en regrettant de ne pas avoir effacé ce message.

- Eh bien, euh… je crois bien que… qu'on a failli s'embrasser…

- Que vous avez failli vous embrasser ? répéta Peter.

- Remus, pitié, dis-moi que ce n'est pas toi qui est responsable de ce « failli », siffla soudain Cathy. Dis-moi que c'est à nouveau l'horloge qui vous a interrompu ou autre chose d'extérieur…

Les exclamations d'enthousiasme qui avaient commencé à fuser stoppèrent net. C'était bien les maraudeurs, ça, de se réjouir avant d'avoir le fin mot de l'histoire. Et c'était tellement typique de Cathy de mettre le doigt sur le détail qui clochait…

- Ben… si, répliqua très brillamment Remus. Et… non… rien d'extérieur.

Finalement, de questions en questions, il dut relater l'ensemble de l'évènement, de sa lamentable défection à la colère de Kyana.

La très délicate Cathy haussa avec nonchalance des épaules musclées par des heures de maniement de batte et assena son verdict.

- Pas étonnant qu'elle ait crisé. A sa place, ça ferait des mois que j'en aurai fini avec toi à coups de batte. T'as une petite idée de la frustration que peut générer ton aveuglement ?

Sirius et James se mirent à pouffer de rire mais, sans doute pour épargner leur ami, tentèrent de le camoufler derrière des livres sortis à la va-vite. Même Lily, la sensible, la compréhensive, la compatissante Lily eut un petit sourire, ce que Remus encaissa plus mal que tout le reste.

- Tu penses aussi que j'ai… que j'ai été trop loin ?

- Eh bien, Remus… mets-toi un peu à sa place. Je suis sûre qu'elle devait se sentir comblée d'enfin avoir attiré ton attention, elle devait voir des étoiles et entendre des violons et toi, tu mets tout par terre pour elle ne sait quelle obscure raison.

Le fait que Lily fut compatissante, compréhensive et sensible pouvait également lui jouer des tours, finalement, puisqu'elle pouvait l'être aussi… envers autrui. James et Sirius avaient fini par carrément éclater de rire, ce qui l'ennuyait profondément.

- Voir des étoiles et entendre des violons ? répéta Sirius, hilare. Vous, les filles…

Quoi qu'il eut envie de dire après cela, il fut brutalement interrompu par l'impact d'un gros livre d'Arithmancie à l'arrière de sa tête. James redoubla de fou rire tandis que son ami, ayant perdu toute envie de s'esclaffer, se tournait vers Cathy.

- Mais… pourquoi ? demanda-t-il en se massant l'arrière du crâne.

- Elémentaire solidarité féminine, très cher.

- Il est sacrément épais, le volume d'Arithmancie, cette année…

- N'est-ce pas ? fit Cathy en caressant amoureusement la tranche du livre en question.

Pendant que Sirius et Cathy se chamaillaient ainsi, James se retourna vers Remus.

- Eh bien, ce qui est fait ne peut être défait. Nous n'allons pas disserter des heures sur le fait que tu aies été fou, ou cruel – involontairement, s'entend – mais éclaire-nous sur un point…

- Et maintenant ? acheva Sirius.

- Bah, on va s'installer dans une bonne vieille routine, répondit Cathy sur un ton cynique. On va le tanner pendant une semaine ou deux pour qu'il aille présenter ses excuses à Kyana et puis avec un peu de chance, Jasper va lui dessiller les yeux et il va s'excuser platement tout en s'efforçant désespérément de maintenir un statu quo pour que Kyana ne sache pas à quoi s'en tenir.

Le menton dans sa paume, Lily considéra rêveusement la déclaration.

- Ca risque, oui. Mais il ne faut pas.

- Pourquoi pas ? demanda Remus, un peu irrité par la nonchalance de ses amis.

Ils le regardèrent tous comme s'il disait quelque chose d'idiot.

- Tu as franchi, il me semble, un point de non retour, dit gentiment Serena. Kyana ne va plus se contenter d'une z… yentille explication qui n'en est pas une et de rester dans le flou. Elle a vu qu'elle te plaisait, elle t'a fait comprendre – difficilement, d'accord – que tu lui plaisais… Il n'y a que deux solutions : ou tu lui fais confiance, tu lui réponds oui et tu te lances dans une merveilleuse aventure, ou tu la rebutes définitivement et tu lui expliques pourquoi.

- Et si je ne fais ni l'un ni l'autre ?

- Elle t'arrache la tête, fit Serena tranquillement.

- Elle fait une pulpe sanglante de ton joli minois, ajouta Cathy.

- Après tout, les masses sont encore dans les parages. Et puis elle s'assure qu'on ne puisse pas retrouver tous tes morceaux et porte ton scalp à sa ceinture, acheva Lily.

Peter, James et Sirius jetèrent des regards effarés à leurs amies, particulièrement à la douce Lily.

- Où sont les étoiles et les violons ? souffla Sirius.

- Elle m'a pourtant laissé un troisième choix, rembarra Remus en leur remontrant le message, à la fin duquel apparaissait encore le « Peut-être ».

- N'y va pas, c'est un piège ! fit James pendant que son acolyte Black faisait silencieusement des grands « non » des deux mains.

Après avoir affiché des sourires carnassiers, les trois filles se mirent à rire avec les garçons. Au bout d'un moment, ils décidèrent de partir manger. Remus réunit ses affaires et prit son sac, agacé par la réaction de ses amis. Cette nonchalance lui portait sur les nerfs. Comme si, pour eux, tout se déroulait normalement tandis que, à son avis, sa vie avait pris depuis cet après-midi la tournure d'une avalanche. Dangereuse, glissante, inéluctable. Renversant tout semblant de calme sur son passage.

Néanmoins, dans ces moments, n'importe qui avait besoins d'amis, de conseils, de réconfort. Aussi Remus ne put s'empêcher de continuer.

- Ce que je… je ne comprends pas très bien, c'est… pourquoi ?

Ils se tournèrent vers lui avec un air sceptique, si bien que dans d'autres circonstances, il aurait pu trouver comique cette rangée de sourcils levés.

- Pourrais-tu exprimer plus clairement ta pensée ? demanda James.

- Eh bien… pourquoi moi et… pourquoi maintenant ?

- « Pourquoi moi ? » C'est maintenant que tu te poses la question ? Quand tu as compris qu'elle en pinçait pour toi, c'est pourtant pas la question qui t'est venue à l'esprit tout de suite… fit Cathy.

- C'est une réaction entièrement normale face à une situation où les difficultés apparaissent. Le bonheur est apprécié sans questions, mais si des obstacles apparaissent, il est tout à fait naturel de s'interroger, c'est même un moyen d'avancer. « Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi moi ? Que vais-je faire maintenant ? » et tout le tintouin.

Lentement, estomaqué, Remus se tourna vers son ami Black. Ce qu'il disait faisait du sens et justement, il était étonné de sa pertinence.

- Wouah, apprécia-t-il d'une petite voix. Qui nous l'a changé pendant qu'on ne regardait pas ?

- « Depuis que je suis les cours de psychologie élémentaire du Dr Cohen, ma vie a changé », conclut Sirius avec la voix et le sourire publicitaire.

- Quant au « pourquoi maintenant ? », continua James, il est purement le reflet du choc de la transition vers une période délicate, et exprime le regret de voir s'échapper un sentiment heureux.

La moutarde monta au nez de Remus alors que les implications de ce qu'ils disaient faisaient surface dans son esprit.

- Vous avez consulté Jasper ? Il vous a dit comment je risquais de réagir dans cette situation ?

- Ben…

- Quand j'aurais besoin d'une psychothérapie, j'irais consulter moi-même, merci !

- Vraiment ? rétorqua Cathy. Parce que depuis qu'on te répète que Kyana a un œil sur toi et que tu ne sembles écouter que Jasper…

- On s'est dit qu'on avait des leçons à apprendre de lui… finit Sirius avec un air un peu piteux.

La mauvaise humeur de Remus retomba vaguement. Ils arrivaient à la Grande Salle et Remus se fit violence pour ne pas regarder vers la table Serdaigle.

- Bon, il faut maintenant décider d'un plan d'action pour la suite, dit James comme ils s'asseyaient à leur table, tout au bout. Remus, tu vas…

- … laisser les choses se tasser un peu, merci bien…

- Bon, alors dis-nous ce que tu comptes faire samedi… fit Cathy.

- Samedi ?

- La sortie à Pré-au-Lard, rappela gentiment Lily.

- Je pense qu'au vu de sa réaction d'aujourd'hui, lui poser un lapin ne serait pas sans danger pour ta santé.

Sirius ricana à la formulation de James, puis fit une grimace d'excuse au regard offusqué de Remus, qui finit par soupirer.

- Je… j'irais lui dire que je ne vais pas à Pré-au-Lard, en fin de compte.

- Ecoute, y'a peut-être mieux à faire, fit Sirius. Si tu ne laisses pas traîner les choses, si tu lui réponds « oui »…

- Je ne peux pas.

- Tu préfères lui dire non ? s'étonna Peter.

Remus considéra l'option, tandis qu'ils s'asseyaient à leur table. Le "non" n'était pas une réponse diplomatique et, comme il n'envisageait pas une quelconque explication pour adoucir cette brutalité, il ne se voyait pas l'employer.

- J'aimerais mieux pas, marmonna-t-il.

- Ni oui, ni non, alors ? fit un Sirius goguenard. J'ignorais que tu étais doué à ce jeu...

- Je ne le savais que trop bien, fit James avec un soupir.

Remus les regarda se servir des plats disposés sur la table. Il n'avait pas faim ; une bièraubeurre de trop lui avait coupé l'appétit, semblait-il. Puis il songea avec ironie que finalement, il ne se l'était jamais servie, cette fameuse bièraubeurre...

- Tu pourrais lui dire, fit gentiment Peter qui commençait à enfourner son repas.

Il le dévisagea, pas certain de ce qu'il devait comprendre.

- Je suis sûr qu'elle comprendrait, continua-t-il, confirmant les pires craintes du jeune Lupin.

Pendant quelques secondes, il attendit, persuadé que l'un des autres allait lui fournir un argument contre la suggestion de Peter. Mais le silence fut à peine troublé de quelques murmures d'assentiment.

- Non, fit-il d'une voix blanche.

- On sait que ça te paraît impossible, dit James posément, mais si tu y accordes un temps de réflexion, c'est sans doute la meilleure solution.

- Non, répéta-t-il, mal à l'aise d'en parler ainsi publiquement, dans la Grande Salle, même à mots couverts. Je ne l'ai jamais dit, et ce n'est pas demain la veille que je vais commencer.

- Elle est intelliyente, dit Serena.

- Elle ne peut pas mal réagir, appuya Lily.

- Si tu lui dis... commença Sirius...

Remus bondit de la table, incapable d'en entendre davantage. Il tremblait de la tête aux pieds, à s'en faire peur lui-même.

- Vous allez me foutre la paix, oui ?

Il les dévisagea, surpris de sa propre véhémence, s'attendant à voir cette surprise se refléter sur leurs visages. Mais ils restèrent impassibles, ni choqués, ni contrits. Même la mine de Lily, qui se mordait la lèvre inférieure, évoquait plus de la réflexion que de la gêne. Se demandait-elle comment le convaincre ? Plus que probable.

C'est au moment où il fut brisé que Remus se rendit compte du silence qui s'était établi dans la Grande Salle. Un fou rire familier jaillissait, seul, de la table des Serdaigle. Les visages de tous les étudiants se tournèrent brièvement vers Jasper avant de revenir à Remus.

Jasper... le seul de Poudlard, maraudeurs exclus, qui connaissait tous les tenants et les aboutissants de la situation... et s'en payait une bonne tranche de fou rire.

La colère acheva de submerger Remus. Il traversa la Grande Salle tandis que le rouge montait à ses joues. Pourquoi avait-il fallu qu'ils s'installent aussi loin de l'entrée ? Il sentait tous les regards peser sur lui.

Il allait franchir la porte lorsqu'on l'interpela. Il se tourna pour se retrouver face à Thomas. Entre tous ceux qui pouvaient lui adresser la parole à ce moment-là, Thomas était le pire. Juste devant McGill. Et il prononça exactement les mots qu'il ne fallait pas.

- Je voudrais te parler de Kyana.

Remus pensait avoir atteint des sommets en terme d'énervement, mais une boule enragée bondit dans son ventre. Sans doute Thomas aurait-il un avis tout à fait raisonnable - à son insu - et là résidait le danger. Car pour raisonnables que puissent être ses propos, bien que motivés par d'autres raisons, Remus ne pouvait pas s'y plier. La jalousie irraisonnée qui l'avait pris à la gorge l'en empêcherait formellement.

Il ne répondit rien. Mais Thomas dut lire son expression, car il se déroba bien vite.

- Euh... une autre fois, peut-être.

Avec un hochement de tête rien moins qu'aimable, Remus s'éclipsa.

Aussitôt qu'il fut dans des couloirs peu fréquentés, il se mit à courir et atteignit le QG en un temps record. Paradoxalement, il pensait que ce serait le dernier endroit où ses amis viendraient le chercher.

Il alluma un feu dans la cheminée qui ressembla d'abord à un brasier de l'enfer jusqu'à ce qu'il tente de respirer un coup et le modèle en un foyer plus raisonnable.

Puis il s'assit sur l'appui de fenêtre et regarda dehors. C'était son moyen de prédilection pour réfléchir calmement et particulièrement ce soir-là où le QG regorgeait d'éléments distrayants - le tableau noir toujours marqué du message de Kyana, la causeuse qui était devenue leur coin à eux, le fauteuil où elle s'était assise tout contre lui et lui avait caressé les cheveux...

Dehors, seule la lune, ayant dépassé son premier quartier, évoquait son dilemme et durcissait sa résolution dans le bon sens. Il fallait simplement qu'il réponde "non" à Kyana. Pas parce qu'il le voulait, mais parce que c'était la meilleure chose à faire... pour tout le monde.

La porte-tableau du QG s'ouvrit derrière lui et il se retourna, étonné. Perdu dans ses pensées, il n'avait même pas entendu ses amis arriver.

Lily entra la première et sourit en le voyant.

- Tu pensais que c'était le dernier endroit où nous te chercherions, hein ? C'est ce que je me suis dit...

Il les regarda entrer silencieusement et se tenir tous devant la porte, l'air gêné. Sirius ouvrit les mains en geste d'excuse.

- Ecoute, on ne voulait pas te pousser à bout...

- On aimerait bien t'aider, mais...

- Mais vos idées sont stupides, coupa Remus.

- Peut-être, ou peut-être pas, répondit James du tac au tac. Cette... situation mérite une longue réflexion.

- Kyana t'aime beaucoup, fit Lily d'une voix douce.

- Elle n'est pas prête à te laisser lui fermer la porte au nez sans explications... ajouta Cathy.

- Vous m'avez déjà dit tout ça, dit Remus en croisant les bras.

Il sentait la moutarde recommencer à lui monter au nez. Les autres, sentant que la discussion allait être longue, entrèrent finalement dans le QG et investirent leurs places habituelles. Remus rejoignit sa causeuse, laissant automatiquement la place libre à côté de lui.

- Tu t'obstines à rejeter les deux seules solutions qui s'offrent à toi...

Il jeta un regard contrarié à Sirius, qui n'hésita pourtant pas à continuer.

- Tu n'y accordes même pas un semblant de réflexion...

- Que croyez-vous que je faisais, avant que vous ne veniez me déranger ?

Profitant d'un instant de surprise de ses amis, il laissa libre cours à ce qui l'avait vraiment secoué, ce soir...

- Et de parler de ma... condition en plein milieu de la Grande Salle ! Vous auriez pu vous mettre sur l'estrade pour l'annoncer, pendant qu'on y était ?

Le peu de cas qu'ils avaient fait de son secret, ce soir-là, la désinvolture avec laquelle ils en parlaient l'avaient vraiment mis en colère. Avaient-ils perdu le sens des réalités ? Allaient-ils lui dire que ce n'était qu'un détail ? Ils eurent au moins la décence de paraître gênés.

- Désolée, Remus, fit Lily avec une grimace d'excuse.

Un long silence se fit. Il espérait qu'ils songeaient aux conséquences qu'il aurait pu y avoir.

- C'est que... tu es tellement plus qu'un loup-garou, dit finalement Cathy. Il ne faut pas que ça t'empêche de vivre, on te l'a prouvé plusieurs fois.

- Encore faut-il garder le secret, répondit-il. Il y a déjà beaucoup de monde au courant.

- A part nous, seulement Jasper, protesta Sirius.

- Seulement sept personnes ? ironisa Remus. Je suis sauvé ! Dont presque la moitié l'ont trouvé spontanément...

- Ah bon ? fit Peter.

- Cathy a été la première...

- Pfff, c'était un hasard, répondit modestement celle-ci.

- Serena a, semble-t-il, compris dès qu'elle a posé les yeux sur moi...

- Ca ne compte pas, y'ai un oncle hombre lobo !

- Ainsi que Jasper...

- Mais c'est le plus intelligent de l'école ! Même s'il n'a pas encore rempli la tâche que je lui ai confiée...

Ils levèrent un sourcil en direction de Sirius, qui avait l'air dépité.

- ... te battre aux échecs ! expliqua-t-il.

- Pour te rassurer, fit Lily, il reste encore nous quatre qui n'avons pas été fichu de découvrir la vérité avant que Spite ne nous mette le nez dessus en nous collant un devoir en retenue sur les loups-garous... et on te connaissait depuis presque un an !

Malgré tout, l'énumération n'avait pas remonté le moral de Remus, qui s'enfonça dans la causeuse. Ils parlaient rarement si ouvertement et si sérieusement de sa lycanthropie et cela ne lui plaisait pas du tout. En plaisanter parfois en petit groupe, oui. Evoquer ses problèmes avec l'un d'entre eux pour trouver une oreille attentive, c'était un soulagement. En faire une discussion ouverte ainsi, non, vraiment, il n'en avait pas envie. Pour mettre un terme à cela, il tenta d'achever la discussion.

- Quoi qu'il en soit, dit-il, je vais dire non à Kyana et ça s'arrêtera là.

Un froid retomba sur la pièce. Remus s'y était attendu et comprenait qu'ils désapprouvaient sa décision mais ils ne renoncèrent pas moins à l'exprimer.

- Je ne pense pas que ce soit la bonne décision, dit Cathy.

- Peut-être pas, mais c'est la mienne.

- On te l'a déjà dit, elle ne te laissera pas faire sans que tu lui donnes une explication.

- Elle sera peut-être... assez triste pour ne pas y penser.

Voilà, c'était fait. Il avait admis qu'il comptait sur sa... déception pour qu'elle n'y revienne pas.

- N'y compte pas, Remus, fit très sérieusement Lily. Même si tu lui brises le cœur...

- Tu verras, prophétisa Cathy.

Il haussa les épaules et croisa les bras. Au bout d'un moment de silence, le sujet parut clos et ils vaquèrent à d'autres occupations. Comme personne ne semblait d'humeur à s'amuser ce soir-là, cela semblait être un soir tout indiqué pour travailler.

Remus sortit un livre qu'il feuilleta, mais c'est à peine s'il savait de quoi traitait le livre. Ses devoirs étaient fait et il n'arrivait pas à se concentrer pour étudier ses BUSEs.

Un moment plus tard, Cathy fit le service des bièraubeurres. Cela en soit était étrange, mais Remus était tellement distrait qu'il ne fit pas attention. Il cherchait encore à comprendre comment il avait bien pu faire pour attirer l'attention de Kyana. Il n'aurait pas osé l'admettre à nouveau, puisque cela mettait ses amis en rogne, mais cette question - pourquoi lui ? - lui tournait toujours dans la tête.

Quelque chose l'alerta alors qu'il portait sa bièraubeurre à ses lèvres pour la première fois. Il la baissa et jeta un coup d'oeil à ses amis - qui l'observaient à la dérobée et s'empressèrent de regarder ailleurs. Cathy eut l'air contrariée un bref instant, puis lui sourit brièvement et se retourna vers son devoir. Les sourcils froncés, Remus porta à nouveau la bouteille à sa bouche... et quelque chose le gêna encore. Il regarda la bouteille - la même que d'habitude, pourtant, la meilleure cuvée des Trois Balais - puis renifla le goulot. Attentivement.

- Cathy ?

- Oui ? demanda-t-elle innocemment.

- Qu'est-ce que tu as mis dans ma bièraubeurre ?

- Mais rien, voyons.

Les airs angéliques de tous ses amis réunis acheva de le convaincre.

- Qu'est-ce que c'est ? insista-t-il.

- Peut-être que Mlle Rosmerta a changé sa recette, je n'ai rien mis...

Il renifla à nouveau.

- Ah oui ? Avec des ailes de Billywig ?

- Sérieusement ? s'écria Cathy, sincérement surprise. Ca a une odeur ? Moi qui ai fait tant d'efforts pour la rendre inodore !

Elle n'eut pas l'air gênée de se trahir ainsi. Sans doute savait-elle qu'il n'y avait de toute façon pas d'échappatoire.

- C'est une potion somnifère ?

Elle haussa les épaules, vaincue.

- Tu sais que je déteste ça...

- Ah oui ? rétorqua-t-elle. Et tu vas bien dormir cette nuit, peut-être ? Je ne l'ai fait que pour t'aider...

- Combien de tes tentatives pour me glisser une potion en douce ont réussi ?

- Aucune, admit-elle, dépitée.

- Les potions sentent systématiquement, assena Remus. Et le plus souvent, elles sentent mauvais. C'est pour ça que je n'aime pas ce cours.

- Par simple curiosité scientifique, je testerai bien le Veritaserum sur toi. Il est réputé inodore.

- Par simple curiosité, hein ?

- Bah, on pourrait en profiter pour te poser quelques questions. D'une pierre deux coups, fit Sirius.

Remus sourit. Bien sûr, ce fut bref, et il retourna vite à ses affres, mais là était le pouvoir de ses amis. Le détendre, ne serait-ce qu'un instant, valait plus que tous les somnifères du monde.

Le lendemain, cependant, commença moins bien.

Bien qu'il fut fort de sa résolution de rebuter Kyana, si douloureux que ce soit, Remus n'en avait pas pour autant bien dormi. Contrairement à ses amis qui semblaient avoir apprécié l'initiative de Kyana la veille, et étaient d'une humeur joviale. Par ailleurs, ils avaient décidé de le faire changer d'avis et leurs incessants commentaires et allusions, au petit déjeuner, entre les cours, et généralement à tout moment où ils pouvaient lui parler, contribuèrent à le rendre d'une humeur massacrante.

Alors qu'il cherchait justement à leur échapper en pressant l'allure, grondant et tentant de les occulter de ses sens, il entra en collision avec quelqu'un d'autre qui semblait très pressé. Bien sûr, la subtile fragrance le renseigna immédiatement sur l'identité du quelqu'un en question, et sa colère se mua aussitôt en culpabilité intense lorsque la jeune fille fut projetée au sol. Paralysé, il vit Kyana lui jeter un coup d'oeil et laisser retomber sa tête sur le sol sans chercher à se relever. Elle paraissait... désespérée, tandis que tous les autres se tordaient de rire et qu'elle marmonnait quelque chose à propos des chances que ça arrive et du ridicule de la situation. James et Sirius finirent par l'aider à se relever, et elle sourit tristement à Remus.

- Fais pas cette tête, Remus. C'est pas ta faute. J'avais atteint le fond, fallait bien que je commence à creuser.

Elle lui tapota légèrement la poitrine et s'en alla avec ses amis vers la Grande Salle pour le petit déjeuner. Il la suivit des yeux, atterré. Qui lui avait changé Kyana pendant la nuit ? La veille encore, elle était encore toute pétillante de joie, avec son grand sourire.

Et puis le souvenir lui revint de sa réaction après qu'il ait échappé à son attraction, la veille ; sa voix brisée, avant que la colère ne prenne le dessus. Il avait toujours considéré Kyana comme une personne forte. Il n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse être aussi triste, mais à cause de lui ? Les maraudeurs le regardaient avec des expressions à mi-chemin entre le reproche et la compassion.

Des fissures commencèrent à entamer sa résolution. Malgré tout, il fallait en finir le jour-même, en tout cas impérativement avant la sortie à Pré-au-Lard.

L'Etude des Runes était peut-être une bonne occasion. Ils n'étaient pas entièrement en tête à tête, mais au moins relativement tranquilles, sans leurs amis respectifs.

Kyana était déjà arrivée et assise seule à leur place, elle s'était remise à grommeler. Son air malheureux fit un étrange pincement au cœur de Remus.

- ... peut pas être pire, marmonnait-elle comme il arrivait à sa hauteur.

- Kyana, est-ce que ça va ?

Elle sursauta, le regarda et eut un sourire cynique et douloureux.

- Ah ben oui... Salut Remus. Ca va, Remus ?

- Euh... oui. Euh... toi ?

- Super ! Pourquoi ça n'irait pas ? Tout va pour le mieux. Je n'ai rien de cassé. Je n'ai même pas de commotion cérébrale, rien. Je vois bien mes doigts, dit-elle en levant son pouce et son index devant son visage. Y'en a deux. Un, deux. Y'en a bien deux, hein ?

Décontenancé, incapable de savoir quoi répondre à cette tirade pleine d'amertume, Remus resta à nouveau paralysé. Elle lui en voulait de l'avoir fait tomber... et il s'en voulait aussi. Et puis Kyana poussa un soupir et redevint un peu plus elle-même.

- Oui, ça va, Remus. J'ai simplement mal à mon orgueil. Faut toujours que je fasse des trucs ridicules.

Il se tendit. Allait-elle lui parler de ce qu'il s'était passé la veille ? Le seul dans cette affaire qui avait été ridicule à son sens, c'était lui. Allait-elle exiger une réponse tout de suite ? Il se sentait incapable d'assumer ça à ce moment-là, pas devant son air malheureux.

Elle dut sentir sa gêne...

- Il n'y a bien que moi pour m'étaler devant tout le monde deux fois avant même que la moitié de l'année soit passée. Faudrait que j'apprenne à regarder où je marche.

- Ce matin je veux bien, commença Remus, indigné, mais ce n'est quand même pas ta faute si une ****** de ********* a décidé d'emmêler tes lacets !

Pour la première fois ce jour-là, elle le regarda bien en face, bouche bée.

- Remus ! s'écria-t-elle.

Cela lui allait bien de faire la choquée, quand elle s'était vengée de manière si... si... maraudeuresque ! Oui, bon, ce n'était pas un vrai mot...

- Quoi ? fit-il tout haut. Tu ne vas quand même pas...

- Tu viens de jurer !

Il rougit.

- Ce... ce n'est pas la première fois, quand même.

- Peut-être, mais la première fois, Sirius et Cathy t'avaient lancé un Jambencoton et la seconde fois, l'horloge a failli te faire faire une crise cardiaque. Alors ça ne comptait pas.

Les joues de Remus le brûlèrent. Pour la seconde fois, ce n'était pas tant la crise cardiaque que l'interruption du délicieux massage de Kyana qui l'avait mis en colère à ce point. Et le souvenir le mit mal à l'aise. Mais puisque Kyana semblait aller mieux, il fit un effort et tira la chaise pour s'asseoir.

- N'empêche, murmura-t-il. C'est quand même ce qu'elle est.

Elle se mit à rire. Ravi, il lui sourit en retour.

- Je suis désolé pour ce matin, finit-il par placer.

- Oh mais ce n'était vraiment pas ta faute. Je filais devant sans faire attention.

- Ouais, moi aussi...

Il grimaça en songeant aux harcèlements de ses prétendus amis et cela le ramena à la Question de Kyana. Gêné, il n'osa plus rien dire jusqu'à l'arrivée du professeur.

Après le cours, cependant, il fit un effort. Il l'accompagna comme d'habitude à son cours d'Arithmancie, discutant un peu de choses neutres. Ce n'était plus les échanges naturels qu'ils avaient avant. Elle semblait regretter quelque chose, même si elle avait l'air moins malheureux que le matin.

Il fallait qu'il lui parle et c'était peut-être le bon moment, puisqu'ils étaient seuls. Il tenta de se lancer à de nombreuses reprises, mais n'en eut jamais le courage et finissait par lui dire quelque chose de stupide, comme "Tu as remarqué que Berry a accordé son cordon de lunettes à ses chaussettes, aujourd'hui ?", à quoi Kyana se contentait de répondre gentiment, mais de manière un peu absente.

Le reste de la journée fut une torture. Quand Remus avait du temps libre, il ne cessait de se demander comment annoncer la chose. Quand il voyait Kyana, il ne cessait de se demander comment lui parler seul à seul. Le temps s'écoulait trop vite, dans une lente torture. Il venait de décider de lui parler le lendemain lorsqu'ils quittèrent la Grande Salle pour rejoindre le QG. Sirius était passé à la table des Serdaigle pour proposer à Kyana de les accompagner, à quoi elle avait dit qu'elle les rejoindrait après ses devoirs.

- Elle ne viendra pas, dit-il lugubrement en se laissant tomber dans la causeuse.

- Je crois que si, dit doucement Lily, qui lui pressa l'épaule au passage. Elle avait l'air d'aller beaucoup mieux cet après-midi, non ?

- Oui, je crois qu'elle reprend espoir, dit Cathy. Vous avez parlé en Runes ?

- Pas vraiment, dit Remus.

Et il leur relata tout de même les quelques mots échangés.

- Tu lui as remonté le moral, c'est bien, dit James en faisant référence aux propos peu élogieux contre la fille caméléon.

- Pour ce que je vais en faire demain, c'est bien peu de chose...

- Tu n'as touyours pas chanyé d'avis ? s'étonna Serena.

- Non...

- Pourtant, tu as vu comme elle était mal ce matin...

- Elle s'en remettra, fit-il en s'efforçant de paraître confiant.

Au cours de la soirée, ils essayèrent mollement de le faire changer d'avis mais, après tout, c'était son choix et il pensait qu'ils le respecteraient (un immense progrès depuis la veille).

Kyana vint, finalement, mais elle paraissait aussi présente que l'après-midi. Les maraudeurs firent l'animation et, pour ce qu'ils y participèrent, ils auraient aussi bien pu ne pas avoir été là. Remus en conçut le sentiment d'une grande morosité.

Le lendemain au réveil, Remus avait l'impression de ne pas avoir davantage dormi que la veille, mais la journée l'angoissait si terriblement qu'il resta tétanisé, immobile dans son lit, quelques instants après la sonnerie du réveil.

Une tête apparut entre les rideaux du lit à sa gauche.

- Ca va ? s'inquiéta James.

- Ouioui. J'arrive.

Mais ce ne fut que lorsque la tête de Sirius apparut à sa droite et celle de Peter au pied du lit qu'il arriva à se décider.

- Quand il faut y aller...

Regardant le réveil, il eut un sourire vaguement amusé.

- Même en restant au lit, j'arrive à vous lever en temps et en heure. Je devrais le faire plus souvent...

- En nous faisant faire un sang d'encre ? se plaignit Sirius. Merci bien !

Les Maraudeurs se montrèrent remarquablement délicats, ce matin-là. A croire que Remus avait rêvé ce qu'il s'était passé ces deux derniers jours. En Potions, ils retrouvèrent leur cible préférée - Rogue - qui ne semblait d'ailleurs pas avoir regretté leur précédente discrétion.

Lorsque son chaudron se mit à cracher d'épais nuages de fumée qui contraignirent tout le monde à évacuer le cachot de cours, Remus remarqua que le sourire satisfait de Sirius était particulièrement révélateur. Pourtant, c'est vers Cathy qu'il se tourna pour râler.

- Quand tu as dit à Sirius de ne surtout pas mettre la bave d'Horklump avant les yeux de triton sous peine d'un effet dévastateur, c'était entièrement calculé, hein ?

Elle ouvrit de grands yeux innocents.

- Tu savais, précisa Remus, qu'il passerait devant Rogue pour aller nettoyer ses outils un instant après.

- Tout à fait, fit-elle enfin avec un large sourire.

Lupin soupira et pendant un instant, ses pensées se tournèrent vers Kyana. Il avait remarqué, ces derniers temps, que lorsque ses amis le fatiguaient, il pensait aussitôt à elle, préférant sans doute la compagnie de la sage Serdaigle à ses diables d'amis. Mais ce jour-là, ce réflexe ne lui fut d'aucune utilité, au contraire. C'est l'estomac à nouveau rempli de plomb qu'il retourna dans le donjon.

Le cours suivant, Métamorphoses, fut plus pénible encore, puisque Kyana y était. Heureusement, il y avait mise en pratique, ce jour-là, ce qui permettait de distraire son attention.

- Métamorphose d'une souris en théière, annonça McGonagall en passant dans les rangs et en posant une souris devant chaque élève. Oh, je vous en prie, Mlle Dipval, ce n'est qu'une souris.

La pauvre Véronique resta cependant à bonne distance de son rongeur, coulant de temps à autre un regard vers James - peut-être en quête d'une rescousse ?

- Ce genre d'exercice est typiquement demandé durant les BUSEs, alors appliquez-vous.

Ils se répartirent en groupe de deux sur les tables. Remus s'approcha de Peter qui remontait déjà ses manches.

- Tu veux commencer, ou je commence ? lui demanda-t-il gentiment.

- Comme tu veux, répondit-il, morose.

En moins de deux, Peter transforma sa souris en une théière parfaite. C'était une théière en porcelaine grise, certes, mais il n'y restait pas d'autres traces de sa précédente vie de souris. Lorsque Remus s'y essaya, l'anse de la théière ressemblait encore à une queue de souris, des moustaches s'agitait de chaque côté du bec verseur, et le couvercle ne se soulevait pas.

- C'est un beau travail, M. Lupin, dit McGonagall en s'emparant de la théière de Peter, mais j'en attends mieux de vous... Pourquoi ne pas avoir essayé quelques motifs ?

- Euh, professeur... c'est celle de Peter.

- Oh ?

L'expression de surprise de la sévère enseignante fit rougir Peter, mais ce ne fut rien à côté de la betterave qu'il devint lorsqu'elle lui adressa un de ses rares sourires.

- Excellent travail, vous progressez à une vitesse phénoménale. Allez-y, essayez donc quelques motifs et des finitions un peu plus élégantes, dit-elle en transformant la théière en sa forme originelle de souris.

Elle se saisit ensuite de la théière de Remus avec un soupir de déception.

- Concentrez-vous donc, ou votre note s'en ressentira.

Peter lui fit une grimace de compassion.

A côté, James et Sirius n'avançaient guère. Ils n'avaient, après tout, même pas commencé. Sirius s'était saisi de sa souris par la queue et l'inspectait sous toutes les coutures.

- Tu crois que si tu la regardes assez longtemps, elle va se transformer toute seule ? demandait James.

- Non, je cherche des traces de coups de griffe. Je veux savoir si, oui ou non, elle les chasse elle-même dans le château.

James commença à éclater de rire, attirant l'attention de toute la classe, puis s'arrêta net. McGonagall venait d'apparaître derrière l'épaule de Sirius.

- Je les élève, fit-elle d'un ton acerbe. Une retenue chacun, ce soir, dans mon bureau, et ce sera plus si vous ne vous mettez pas au travail immédiatement. Par ailleurs, je crois plus sage de vous séparer. Potter, vous montrez à Pettigrew comment s'améliorer. Les fioritures, c'est votre spécialité, n'est-ce pas ? Black, avec Lupin.

Ni la menace de la retenue ni la séparation ne calma les terribles James et Sirius et ils continuèrent de s'en donner à cœur joie. Bien sûr, ces as de la métamorphoses ne se contentèrent pas de faire des théières magnifiques, ils leur donnèrent des tas d'autres attributs. Celle qui remporta les suffrages de la classe fut la théière-dragon de Sirius, dont les ailes lui permettaient de voler et le bec verseur crachait des flammes. James, dépité, repoussa tristement sa théière à facettes de cristal, qui lançaient des éclairs de couleurs dans tous les sens, à la manière d'une boule à facettes, dès que le professeur avait le dos tourné.

A la fin du cours, chacun avait écopé d'une retenue supplémentaire et McGonagall fulminait.

La fin du cours ayant sonné, James et Sirius se précipitèrent vers elle. Remus les écouta distraitement tandis qu'il sortait de la salle avec les autres.

- ... avoir nos retenues plutôt la semaine prochaine, s'il-vous-plaît ? demandait James.

- C'est que, demain, il y a la sortie à Pré-au-Lard, alors...

- Et puis, coupa James, plus diplomate, nous avions promis d'aider Remus ce soir.

- Il n'est pas très en forme en ce moment, vous savez...

- Très bien, fit-elle avec un soupir. Lundi, Potter, vous serez dans mon bureau à huit heure, et Black, chez M. Rusard. Mardi, dans l'autre sens. Jeudi et vendredi de même.

- Quoi ?

- Mais, professeur, vous ne nous avez donné que deux détentions chacun, alors...

- Vous les voulez ce soir, ou la semaine prochaine ?

- Eh bien...

- Alors déguerpissez avant que je n'en rajoute samedi, dimanche et mercredi soir en prime. Et ça vous apprendra à vous servir de Lupin comme excuse.

- Oui, professeur, firent-ils en choeur avant de se précipiter dehors.

Bien sûr, quand ils rejoignirent leurs amis, ils avaient des sourires triomphants en annonçant que leurs retenues avaient été reportées.

- Voulez-vous bien me dire comment vous avez fait pour la convaincre ? s'exclama Cathy, soufflée.

- Ah, ma belle, c'est l'expérience, dit Sirius.

- Tout est dans l'art de manipuler les esprits, renchérit James.

Remus, dont l'ouïe fine avait capté toutes les subtilités de l'échange, décida de jouer au devin.

- Elle a doublé la peine, hein ?

- La ferme, Remus, répondirent-ils en choeur, leur superbe aussitôt dégonflée.

Les autres éclatèrent de rire.

Comme la journée continuait ainsi, un sentiment d'urgence s'empara de Remus. Il fallait que ce soit fait le soir même, et pas la moindre occasion de parler seul à seul avec Kyana ne s'était présentée. Aussi, sur le chemin de l'Etude des Runes, demanda-t-il à ses amis de lui ménager cette intimité à un moment donné.

Fut-ce leur humeur du jour ? L'envie de se venger pour l'affaire des retenues ? Ils firent leur travail à la sortie du cours, mais aux dépens d'un Serpentard qui passait par là et qui se retrouva affublé d'oreilles de lapin. Ils s'éclipsèrent aussitôt , laissant Kyana et Remus seuls.

Pestant un peu contre eux, le jeune Lupin se servit d'un prétexte fallacieux et un peu éculé, l'Etude des Runes, pour donner rendez-vous à Kyana le soir même, dans leur local.

Et ils se séparèrent.

Sachant cela, ses amis repartirent à l'assaut et ne lui laissèrent aucun répit, ni pendant le repas, ni pendant qu'il attendait l'heure pour rejoindre Kyana. Peine perdue. Désormais, plus aucune parole ne traversait le cocon de stress qui s'était tissé autour de lui. Malgré tout, sa résolution s'était fendillée et, s'il n'en laissait rien paraître, il savait qu'il allait tenter la stratégie de la troisième voie, celle qui lui permettrait de maintenir un statu quo, plutôt qu'un "non" brut et cruel.

Finalement exaspéré par les discussions de ses amis auxquelles il ne comprenait quasiment rien, de toute façon, il partit et arriva en avance au local. Tandis qu'il se figeait face à la fenêtre pour l'attente la plus stressante qu'il ait connu, il enregistra à peine qu'il n'avait pas pris son sac. Comme si Kyana avait été dupe, de toute façon, pour la session de révision.

Elle finit par arriver, refermant doucement la porte derrière elle, ce qui le fit pourtant tressaillir.

Puis, comme il s'agissait de Kyana, avec toutes ses délicieuses qualités contradictoires - douce mais machiavélique, gentille mais pleine de caractère - elle annonça son arrivée d'un "La Ferme !" bien senti. Il ricana... un peu, puis ils se saluèrent, mais Kyana avait dû sentir que son humeur était particulièrement... sombre. (D'ailleurs, il aurait sans doute fallu être aveugle ET totalement insensible pour ne pas s'en rendre compte.)

- Est-ce que ça va, Remus ? s'inquiéta-t-elle.

- Ca va... répondit-il en se tournant lentement vers elle, ... mais je crois qu'on devrait discuter.

Kyana renvoyait, elle aussi, l'expression d'une détresse importante et Remus en ressentit une énorme culpabilité mais à ses paroles, une détermination farouche s'inscrivit sur son visage.

- Oui, si tu veux, fit-elle, presque nonchalamment. Ceci dit, ce sera plus un monologue de ta part parce que je crois que de mon côté, j'ai été assez claire. Qui plus est, je crois qu'une discussion est superflue, considérant que les arguments ne sont pas vraiment nécessaires. Tout ce que tu as à faire, c'est répondre. Bien que j'aie une préférence pour le choix de la réponse, je ne vais pas insister si tu ne prends pas l'option que je voudrais. Ca ne changera ni mon opinion sur toi, ni notre amitié.

Remus pâlit au fur et à mesure de son monologue. Une autre des qualités de Kyana, qu'il avait appréciée lors de leurs révisions, était sa capacité à aller droit au but, à identifier le nœud d'un problème et à s'attacher à sa résolution. Aujourd'hui que Remus se trouvait être le nœud en question, il appréciait bien moins.

Il avait la sensation d'avoir envisagé toutes les situations. De la rétractation - qui l'aurait bien arrangé - à l'indécision, il s'était préparé à tout. Il avait même répété, sans s'en rendre compte, un discours où il l'assurait qu'il l'appréciait, tout en évitant de répondre à la question. Aussi, devant cette attaque frontale du problème par Kyana, il se trouva quelques minutes sans voix.

- En ce qui me concerne, continua-t-elle au bout d'un long silence, je crois que je n'ai vraiment plus rien à ajouter. C'est donc à ton tour.

Elle s'assit sur un bureau et croisa les bras pour attendre sa réponse. Remus paniqua et chercha à réfléchir à toute allure, mais le stress embrumait ses pensées, il ne s'y retrouvait plus. Il décida finalement de se retrancher derrière ce qui lui semblait être son meilleur argument : il ne la méritait tout simplement pas.

- Kyana... Ecoute... Je... ne... dis pas que tu aies... tort. Mais... à... à propos de... de... du tableau. Je... je ne...

Il respira un grand coup, se détestant de bégayer ainsi et de ne pouvoir être plus clair, et la suite vint un peu mieux.

- Je ne comprends pas...

L'expression de Kyana changea soudain, interrompant Remus dans sa laborieuse explication, et il comprit que s'il ne finissait pas très vite, l'issue serait encore plus douloureuse qu'il ne l'avait escompté.

- Non non ! s'écria-t-il en levant les mains en signe de reddition. J'ai compris... compris la question ! C'est juste... je ne comprends pas pourquoi tu me demandes ça... à moi.

L'expression de Kyana s'adoucit pour la première fois ce soir-là. Remus se demanda à quel point elle lui en voulait et si elle risquait de croire qu'il tentait de l'attendrir.

- Et pourquoi pas à toi ?

Il haussa imperceptiblement les épaules, incapable de répondre. N'était-ce pas parfaitement clair qu'il ne valait pas grand chose, en plus d'être un danger ? En tout cas, ça l'était dans son esprit. Mais il avait l'étrange impression que toute explication qui sortirait de sa bouche sonnerait faux. Peut-être justement parce que ça lui semblait aussi évident.

- Sérieusement, Remus, tu ne l'as pas vu venir ? Ca ne t'a jamais traversé l'esprit ? J'admets que tu n'aies pas capté pour la fille dans ta cabine de douche et que j'ai quand même été moins... directe mais... Tu n'as vraiment pas vu mes pathétiques tentatives de flirt ?

L'incrédulité et le reproche sous-jacent aux propos de Kyana étaient blessants, mais ce qui heurta encore davantage Remus, c'étaient la défaite et le manque d'estime qui transparaissaient dans sa voix. S'il n'avait pas été si mal, il aurait souri à l'ironie de la situation, deux tels bras cassés face à face...

Elle se laissa glisser de son perchoir et fit un pas vers lui, provoquant presque automatiquement son recul. Honteux de s'enfuir, il baissa la tête et, en guise d'excuse, lui dit la première chose qui lui vint à l'esprit - ce qu'il avait envie de dire depuis ses dernières paroles.

- Il n'y a rien de pathétique chez toi, Kyana.

Il lui lança un coup d'oeil et la trouva belle, tandis qu'elle attendait qu'il en dise plus.

- Je... j'ai vu, je crois... souffla-t-il, lui répondant enfin. Mais je n'ai jamais cru que... ça puisse être possible.

Ni souhaitable, pensa-t-il en secouant la tête. Mais ce genre de remarque n'amènerait que des questions qui n'amèneraient que d'autres douleurs... Il se tut, non sans continuer à chercher comment couper court à tout cela.

- Remus, écou...

- Et... et l'autre ? coupa-t-il. L'autre type ?

Il avait eu du mal à cracher ce dernier mot, car la familière petite boule de jalousie était revenue se nicher au creux de sa gorge, d'autant plus brûlante et douloureuse qu'il ne l'avait jamais évoqué directement avec Kyana.

- Quel autre type ? fit-elle en clignant des yeux, visiblement très étonnée.

- Celui dont tu parlais dans le train... Celui avec qui Anyka n'arrête pas de t'embêter ! Celui dont tu ne voulais pas admettre que... que...

De plus en plus contrarié, il se tut, fronçant les sourcils. Comment pouvait-il être jaloux, alors que, quotidiennement, il se rappelait que Kyana était pour lui au delà d'une infranchissable frontière ? En face de lui, l'expression de la jeune fille s'adoucit encore et elle eut un sourire qui lui fit détourner les yeux. Sa simple évocation la faisait sourire, et, quel que fut ce garçon, Remus le détestait cordialement...

- Ah... Oui... Tu parles du type qui n'avait jamais dit mon nom ?

Il hocha sèchement la tête tout en s'efforçant de garder les yeux sur le coin supérieur de la salle de classe, là où une araignée tissait patiemment sa toile.

- Du type dont je n'avais jamais dit le nom… Remus ? Le type qui ne m'avait jamais regardé dans les yeux… ?

De quoi parlait-elle donc ? Il la regarda, cherchant à comprendre...

- ... et qui maintenant, le fait ?

Non... ce n'était pas possible. Il se crispa. Cela faisait donc si longtemps ? Si longtemps qu'elle s'acharnait sur un espoir aussi stupide qu'inutile ?

- Tu... tu parlais... de moi ? demanda-t-il stupidement.

- Évidemment que je parlais de toi. Et puis, sois logique, Remus. Depuis un mois et demi, je suis pratiquement toujours avec toi. Comment voudrais-tu que je sois tombée amoureuse de quelqu'un d'autre ?

Le souffle lui manqua un instant. Amoureuse ? Elle se disait amoureuse de lui ? Décidément, il avait vu juste. Il détestait cordialement ce "type", même - surtout - depuis qu'il savait qu'il s'agissait de lui-même.

- Remus, je te l'ai dit, ce n'est pas grave. Tout ce que tu as à faire, c'est répondre à la question. On va laisser tomber le « peut-être »… Oui ou non ?

Il la regarda. Il paraissait évident qu'elle s'attendait à la deuxième réponse, et cela aurait été si simple pour eux deux. Il ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois. Mais, outre qu'il ait le mensonge en sainte horreur (la plupart du temps), il voyait si bien à quel point il pouvait la blesser avec cette réponse qu'il ne put s'y résoudre.

- Ce n'est pas... si simple, Kyana.

Une partie de son esprit hurla tandis qu'il renonçait au choix simple de dire "non". C'aurait pourtant été le choix le plus sage, et cette petite partie savait déjà, secrètement, où se rendait toute cette conversation. Après tout, les filles l'avaient prévenu. Il ne s'en tirerait pas sur cette voie sans donner une explication...

- Bien sûr que ça l'est ! Tu veux ou tu ne veux pas.

- Ça n'a rien à voir avec ce que je veux et ce que je ne veux pas ! Tu ne peux pas me demander ça… à moi.

- Ah ? Et pourquoi ?

Bien que ça lui semblait évident qu'il ne méritait pas Kyana, elle haussa un sourcil incompréhensif. Pourtant, tout était sous les yeux de Remus. Elle était si belle, si gentille, si intelligente...

- Kyana, n'as-tu pas conscience de qui tu es ? Tu... es... Enfin, ne perds pas ton temps avec moi. Tu peux avoir le type que tu veux, Kyana.

- Visiblement non, parce que moi, c'est toi que je veux. Et tu ne sembles pas d'acc…

- Je te l'ai dit, ce que moi je veux n'a aucune importance ! s'écria-t-il, au bord de l'énervement. La question c'est…

- …de savoir si toi tu me veux !

Kyana avait l'air de s'énerver aussi, mais de là à user de formules aussi crues... elle dut s'en rendre compte, car elle se hâta de reformuler.

- Ce que je veux dire, c'est que pour moi, tout ce qui a de l'importance, justement, c'est de savoir ce que toi tu penses.

Ce qu'il en pensait ? S'il la voulait ? insista son esprit qui, inexplicablement, s'était arrêté sur cette expression. Il croisa les bras, car ses mains commençaient à trembler. A chaque instant, il ne désirait que la prendre dans ses bras, bien sûr, mais cela ne ferait qu'empirer les choses de lui dire ça, car il ne pouvait pas, tout simplement, c'était impossible... Il tenta de lui faire envisager les choses autrement.

- Un type comme McGill ou… je sais pas, moi ! Il y en a plein ! Et tu n'as qu'à battre des cils pour les attirer. Il faudr…

- Arrête d'essayer de me vendre à quelqu'un d'autre !

- Vendre ?!

Le mot le fit quasiment s'étouffer. Qu'est-ce que... ?

- Tu pourras bien dire ce que tu voudras, fit-elle, le coupant dans ses pensées, moi je veux savoir ce que TOI tu veux !

- Ça n'a aucune importance ! Je…

- Est-ce que tu es gay ?

- … crois que… Quoi ?! Non !

Il s'était sans doute indigné un peu trop fort, étant donné leur conversation de l'autre jour, mais ça lui semblait une raison tellement ridicule par rapport à ce qu'il en était réellement.

- Eunuque ? enchaîna-t-elle.

- Eun… ?! Non !

- Castrat ? Je ne t'ai jamais entendu chanter…

- Kyana ! s'écria-t-il, tentant de l'arrêter.

- Albinos ? Quoi que ça n'a aucun rapport… et ça se verrait…

- Écoute, ça n'a rien…

- Tu es impotent ?

- Arrête, s'il te plait, Kyana, arrête !

Si seulement elle le laissait s'expliquer...

- Alors réponds-moi !

- Ça n'a rien à voir avec ce que moi je veux ! dit-il, sautant sur l'occasion. J'essaie de te faire comprendre que tu ne peux pas être avec moi !

Mais cela semblait ne pas être suffisant et Kyana s'énerva de plus belle.

- Et pourquoi pas ? T'as des verrues mal placées ? T'as un truc en trop ou en moins ?

- Non ! Ça n'a rien à voir avec… ça !

- Hémorroïdes ?

- Merlin ! s'écria-t-il en fermant les yeux, à bout.

Quelque part, malgré son désarroi, il se disait que, s'il ne s'agissait que de bêtes hémorroïdes ou autres verrues et malformations quelconque, il aurait depuis longtemps jeté aux orties toute dignité pour la prendre dans ses bras et l'embrasser passionnément. Mais ce qu'il en était réellement...

- Tu pourras bien me dire tout ce que tu veux, Remus, insista Kyana, mais on en reviendra toujours à la question initiale.

Sans rouvrir les yeux, il enfouit son visage dans ses mains et lui tourna le dos. Comment faire face à autant d'entêtement, comment lui faire comprendre autrement ? Un étrange lâcher prise s'empara de lui, submergeant le désespoir.

- Remus, je veux savoir si tu veux être mon petit…

- Je suis un loup-garou…

- …-ami. C'est tout ce que j'ai bes… Ah ? Je n'y aurais jamais pensé…

Cette petite phrase anodine surprit tant Remus qu'il se laissa aller à se retourner au moment où la réalisation se peignait sur le joli visage de la jeune fille. Devant sa stupéfaction, il paniqua, réalisant à son tour ce qu'il venait de faire, et prit la fuite, renversant une ou deux chaises sur son passage.

Il ne voulait simplement pas voir quoi, de l'horreur, du dégoût ou de la pitié, succéderait à la surprise dans les yeux de Kyana.