Chapitre 1 - Crashing the weeding

" Tu vas mourir, ouais ! "

Les mots étaient peut-être un poil disproportionné. Elle ne s'attendait pas à le voir mourir, elle souhaitait actuellement juste qu'il perde connaissance. C'était que la position commençait à devenir un peu inconfortable. Coincée dans une stalle des toilettes des hommes avec un gorille de deux mètres qu'elle tentait tant bien que mal de noyer dans la cuvette jusqu'à ce qu'il tombe dans les pommes. Finalement, il arrêta de se débattre et elle tira sur ses cheveux pour lui redresser la tête hors de l'eau. Mauvaise idée. L'autre reprenait déjà une bouffée d'air et tenta de la frapper, mais elle le calma en abattant le couvercle sur son crâne, le laissant bien enfoncé pour le bloquer. Au vu du craquement qu'il y avait eu, un panneau hors-service serait bien utile pour cette cabine lorsqu'elle en aurait fini.

" Allez, rend pas ça plus difficile. J'ai pas envie de bousiller ma robe en te cassant la gueule."

Lorsque monsieur gorille s'affaissa, elle prit un peu plus de précaution cette fois. Elle garda un genou fermement enfoncé dans son dos et relâcha doucement la pression sur le couvercle des toilettes. Pas de réaction. Elle se redressa donc et le tira par le col jusqu'à s'assurer qu'il ait une position dans laquelle il pourrait respirer. Il ne resterait pas là longtemps de toute façon. Un soupir de lassitude s'échappa lorsqu'elle sortit enfin de la stalle et la referma soigneusement. Elle chercha un miroir pour s'assurer qu'elle était présentable, mais les toilettes des hommes ne semblaient pas être dotées de ce type d'accessoire. Elle se lava donc simplement les mains, redressa sa robe et se tamponna le visage avec un papier pour vérifier que ni sang, ni maquillage ne s'étaient mélangés aux fines perles de sueur qui couvraient sa peau. Un dernier passage d'une main dans ses cheveux pour leur redonner du volume et elle était finalement prête à retourner au cœur de la fête. Au moment où elle s'éclipsa, elle croisa deux hommes qui la fixèrent avec étonnement, l'un d'eux vérifiant même le signe sur la porte pour s'assurer qu'ils ne s'étaient pas trompés. Elle leur adressa un sourire complice, les yeux pétillants d'amusement.

" Messieurs." Le rapide salut fut suivi d'un hochement de tête. " Je vous déconseille la cabine du fond, il y a eu un petit accident là-bas."

Avant même qu'ils n'aient pu réagir, elle se glissa dans le couloir et marcha rapidement jusqu'à se retrouver hors de portée d'oreille. Seulement à ce moment là, elle porta son poignet orné d'un très joli bracelet à sa bouche.

" La cible est neutralisée, mais que la team d'extraction se dépêche."

" Bien reçu."

Nerveusement, elle se retrouva à arranger encore ses cheveux. La salle des fêtes n'était plus très loin et l'idée de s'y rendre l'effrayait cent fois plus que celle d'affronter un gorille comme celui qui gisait dans les toilettes. Mille fois même.

" Hé, Woods ?"

La voix de Costia avait repris dans la minuscule oreillette qu'elle portait.

" Tout ira bien. Tu n'es partie qu'une heure. "

" C'est déjà trop."

" Elle comprendra. "

" Elle ne devrait pas avoir à le faire."

C'était une conversation qu'elles avaient déjà eu des dizaines de fois. Agent et handler étaient devenus proches par la force des choses et la séparation entre le boulot et la vie privée était désormais inexistante. Parfois, elle aurait pourtant espéré que cette proximité n'existe pas car elle n'aurait pas à avoir ce genre de discussions avec Costia. Une conversation stérile car, quelque part, elles avaient toutes les deux raisons.

" Respire Lexa, je sens ton cœur qui s'affole. "

" Arrête de me surveiller, je ne suis plus en mission. "

" Pour moi, tu seras toujours une mission, babe. "

" Ouais, c'est ça, c'est ça. Bon, j'y retourne avant de prendre mes jambes à mon cou."

L'occasion ne lui fut même pas donnée. Lexa n'eut même pas le temps de combler les derniers mètres qui les séparaient de la porte lorsqu'une main attrapa son coude. Son premier réflexe aurait normalement été de se débarrasser de cette menace potentielle, mais elle avait entendu venir Octavia, toute essoufflée, et l'avait reconnue au froissement si caractéristique de sa robe. Elle le connaissait bien pour porter exactement la même qu'elle depuis plusieurs heures déjà.

" Lexa, enfin, tu es là ! Clarke n'est pas avec toi ? "
" Clarke ? "
" Oui, Clarke. Ta meilleure amie. La mariée. Ma belle-sœur désormais. "

Il y avait chez Octavia une tension qui n'était définitivement pas là la dernière fois qu'elle l'avait croisée. Comment avait-elle pu passer de cette fille qui dansait en riant avec Lincoln à cette boule de stress pleine de sarcasme et d'agressivité. Le tout en une heure ? Lexa avait définitivement loupé un épisode.

" Zen. Elle ne doit pas être bien loin. Tu l'as dit toi-même, c'est la mariée. "

" Justement, une mariée, ça ne disparaît pas. Surtout pas sans son mari. Et puis, où est-ce que tu étais passée ?"

" Moi ? Au téléphone. Une affaire dont je devais prendre soin au plus vite. "
" C'est toujours pareil avec toi. Pas étonnant que Clarke soit..."

" Que Clarke soit quoi ? "

" Elle était énervée. C'est pour ça que je pensais qu'elle devait être avec toi. Tu t'es absentée au pire moment, Lexa. "

La situation s'éclaircissait enfin. Elle ne savait peut-être pas ce qu'elle avait manqué, mais Lexa savait au moins ce qu'il se passait. Et probablement aussi où Clarke se trouvait en ce moment même. On pouvait être adulte et désormais mariée, certaines habitudes ne changeaient pas.

" T'inquiète pas O, je vais m'occuper de ça."

Le coup d'œil sceptique d'Octavia n'était vraiment pas encourageant, mais Lexa passa au-dessus. Elle pouvait comprendre le ressenti de ses proches. C'était difficile à encaisser car son but n'était absolument pas de les mettre dans ce type de position, mais il y avait des secrets qu'il valait mieux garder pour soi même si cela signifiait hériter d'une mauvaise réputation.


La suite nuptiale était particulièrement facile à trouver. Il fut par contre moins aisé de pénétrer à l'intérieur. La porte n'était en aucun cas un problème – aucune porte n'était jamais un problème pour elle –, mais elle se sentait comme un intrus ici. Ce n'était pas sa place. L'endroit était réservé pour un moment spécial et venir était comme fouler du pied une terre sacrée alors qu'elle n'était qu'une simple mortelle. Peut-être qu'elle pensait ici trop loin, une nuit de noce n'avait plus le même symbolisme que par le passé, mais le traditionalisme de son éducation la poursuivait encore parfois. Il l'aidait aussi ici à donner un sens à cette boule qu'elle avait dans le ventre. Depuis le temps qu'elle opérait dans des milieux dangereux, elle s'était accoutumée au stress, mais jamais elle ne pourrait s'habituer à être confrontée à Clarke dans ces moments là. Elle était trop importante et le lien qui les unissait bien trop fragile pour qu'elle puisse se présenter devant elle en confiance. A chaque fois, elle se sentait prise en plein milieu d'une partie de roulette russe où trop de coups auraient déjà été tirés. Une chance sur deux. Pile ou face. Voilà comment elle visualisait cette conversation. Pourtant, toujours Clarke l'avait pardonné, mais Lexa savait au fond d'elle qu'il y aurait le moment de trop. Que la chance manquerait un jour. Le sourire qu'elle se força à étirer en s'allongeant à côté du lit ridiculement décoré de pétales de roses rouges était donc nerveux. Elle se tourna sur le côté et observa avec minutie la blonde cachée sous le sommier qui n'avait pas fait l'effort de lui adresser un regard. Ses yeux étaient clos, mais Lexa pouvait dire qu'elle ne dormait pas car sa poitrine se soulevait bien trop vite et que ses poings ne cessaient de pomper dans le vide comme si elle cherchait à recouvrer son calme sans jamais réussir complètement.

" Je ne comprends pas comment tu as fait pour rentrer là-dessous avec ta meringue. "

Elle avait tenté une pointe d'humour en désespoir de cause et quand Clarke craqua un sourire malgré elle, Lexa sentit le nœud dans son ventre se desserrer un peu. A l'aveuglette, une main sortit du lit pour lui donner une tape légère qui lui atterrit sur le nez. Elle rit, profitant de l'occasion pour saisir le poignet de la mariée. Sur son pouls, elle frotta de petits cercles apaisants avant d'oser finalement piquer un peu le fauve.

" Parle-moi."

Le sang se mit à pulser bien plus vite sous son pouce. Les traits de Clarke s'étaient durcis et elle ouvrit finalement les yeux. Le regard qu'elle tourna vers Lexa était d'un bleu orageux, moucheté d'un acier qui n'annonçait rien de bon. Elle déglutit, gardant difficilement ce contact visuel qui faisait naître un sillon de sueur froide le long de sa colonne vertébrale.

" Tu es partie. C'est mon mariage et tu es partie. Je ne te demandais qu'une seule journée. Une seule journée sans absence, sans excuse, sans tout ce qui fait de toi, toi. J'ai toujours accepté que tu avais des responsabilités et que tu ne pouvais pas être là tout le temps parce que je savais que si j'avais vraiment besoin de toi, tu accourais. Mais aujourd'hui... Tu m'avais promis Lexa. Tu avais dit que tu serais là du début à la fin, que tu attraperais ce foutu bouquet, que tu m'accompagnerais durant chaque moment important, mais t'étais pas là. Tu ne m'as même pas prévenue, tu as juste disparue. Notre chanson est passée et je t'ai cherchée comme une conne avant que finalement Raven et Octavia me traînent sur la piste. Mais ce n'était pas pareil. On était que trois alors qu'on devait être quatre."

Elle avait gardé le silence, consciente qu'elle méritait ce speech, mais trop était trop. Chaque reproche resserrait un étau qui devenait insupportable. La douleur était trop forte. Le stress avait des allures de mort lente.

" Clarke, je-" La voix tranchante de la blonde l'arrêta. " Ne t'excuse pas. Je ne veux pas d'excuse."

C'était pire. A chaque fois que Lexa avait imaginé ce moment, il semblait déjà tragique, mais le vivre était infiniment pire. Elle se sentait torturée par cette situation pour laquelle elle ne pouvait rien faire. Elle avait merdé, elle le savait. Elle avait laissé la goutte d'eau tomber et maintenant elle faisait déborder le vase. C'était la réalisation de sa plus grande peur. Le moment où le fil se sectionnait car Clarke était arrivée au bout de la patience qu'elle avait à lui offrir.

" Je ne peux plus faire ça, Lexa. Je voudrais pouvoir, mais c'est trop. Je suis fatiguée. Notre amitié me fatigue. Je sais bien que tout n'est jamais rose, mais ici... J'ai besoin que tu t'éloignes."

Les larmes voilant ses yeux étaient un crève-cœur. Le tremblement de sa main quand elle la tira de la poigne de la brune aussi. Lexa n'eut pas la force de la retenir. Elle était trop sonnée, fracassée par la vérité dans ses mots et la douleur qu'elle avait causé sans le vouloir. Blesser Clarke était la dernière chose qu'elle voulait faire. Et pendant ce temps-là, les promesses échangées au cours des années, les projets faits, les moments partagés défilaient comme une mauvaise blague dans son esprit. Elle ne pouvait pas en vouloir à Clarke de briser les siennes. Elle ne pouvait pas lui reprocher de ne pas être la seule personne qui ne partirait jamais parce que tout ça était de sa faute. Elle avait elle-même forgée la lame qui avait eu raison de leur lien. Alors qu'elle était pourtant la dernière à partir sans se battre, Lexa se releva et quitta lentement la chambre, lançant un dernier regard vers ce morceau de tulle dépassant de sous le lit. Le blanc éclatant fut d'un contraste saisissant face au noir qui l'engloba par la suite.


Du temps. Elle avait cru que c'était ce qu'il fallait à Clarke. Lexa s'était enveloppée dans une épaisse couverture d'espoir pour continuer à avancer après ce qu'il s'était passée. Le travail qui prenait déjà trop de son temps était devenu le centre de son univers. Les voyages avaient été multipliés, les missions plus dangereuses les une que les autres acceptées. Les jours avaient passés, puis les semaines, l'espoir restant encouragé par les amis et la famille. Ils étaient nombreux à penser qu'il ne s'agissait que d'une passade. Octavia et Raven n'avaient pas voulu imaginer une finalité, ne désirant égoïstement pas se retrouver entre deux amies incapables de se parler et pouvant les forcer à choisir – quelque chose qui n'arriverait pourtant jamais –. Jake lui avait soufflé lorsqu'il l'avait croisée après le moment fatidique que sa fille comprendrait un jour. Il avait par la suite dû se mordre la langue plus d'une fois face à Clarke pour ne pas lui dire. Lui avouer que Lexa n'était pas ce qu'elle prétendait être, comme lui-même. Seulement, le code existait pour une raison et il ne voulait pas mettre sa progéniture en danger même si cela signifiait la sentir malheureuse et voir cet éclat dans les yeux de Lexa disparaître peu à peu. Même Bellamy s'était montré encourageant. Au début. Quand le sujet Lexa était devenu une source d'explosion au sein de son couple, il avait progressivement lâché l'affaire, cessant aussi les prises de contact avec cette dernière. Les semaines étaient alors devenues des mois et l'espoir, un concept bien stupide que Lexa regretta amèrement le jour où elle remarqua un panneau à vendre devant la maison acquise par les jeunes mariés. Chaque membre de leur petit groupe avec cru qu'un autre s'était chargé de la prévenir, mais l'information n'était définitivement pas passée. Clarke avait déménagé à dix milles kilomètres de là et c'est une Abby désolée qui le lui confirma des semaines plus tard.

Clarke était partie sans même lui dire. C'était la fin de l'espoir. Et le début d'une nouvelle vie.