Avertissement! Contenu (fortement) susceptible de choquer. Âmes sensibles s'abstenir ~
L'amour n'est pas un remède miracle.
Voici le dernier chapitre de 67 Days par CaptainoftheRirenShip.
"Je n'ai pas toujours été un commandant du SWAT."
Eren fixa l'écran, incrédule, ce qui arracha un petit rire à Levi. "Bah, personne ne passe toute sa vie dans une carrière," dit le brun. Levi leva les yeux au ciel.
"T'es pas si con que ça en fait," rétorqua-t-il sans réel venin. "Ça ne fait que quelques mois que je travaille avec le LAPD. Avant ça, j'étais militaire."
Levi s'attendait à un certain impact venant de ses mots. Stupéfaction, intrigue - des réactions raisonnables pour une personne qui découvre que, surprise, quelqu'un qu'elle connait appartenait aux forces armées. Eren eut une réaction notable, pour sûr, ses sourcils se froncèrent de confusion. Levi imita l'expression. Etait-ce vraiment si déroutant? À quoi pouvait-il bien penser?
"Quelques mois?" répéta enfin Eren, les yeux grands ouverts, curieux. Levi hocha lentement la tête, incertain de la suite des événements. Le brun secoua la tête. "Pourtant Hanji avait dit . . . "
Il ne termina pas sa phrase, observant Levi comme s'il tentait de décoder quelque chose, peut-être dans son expression. "Hanji?" questionna Levi. C'était logique, plus ou moins. Evidemment qu'elle avait dit quelque chose. Elle disait toujours des choses à tout le monde. Il n'était pas fan de ce comportement, mais elle n'allait jamais dans les détails et restait sur des informations déjà assez connues de son entourage. Mais quand même . . . "Qu'est-ce qu'elle t'a dit, exactement?"
Eren prit un air incertain, comme s'il avait dit ou fait quelque chose de mal. Evidemment, ce n'était pas tout à fait honorable qu'Hanji lui aie parlé du corbeau dans son dos, mais ce n'était pas la faute du brun.
"Elle a dit que. . . " Eren hésita, détourna le regard, et serra son coussin contre lui. Levi attendit patiemment, ne voulant pas lui mettre la pression. "Il y a un an? Quelque chose comme ça, tu es allé dans le Nevada avec ta vieille escouade, et qu'ils sont tous morts. Mais ça ne fait que quelques mois que tu es dans le LAPD."
Soudainement, Levi devint éternellement redevable envers Hanji. Elle avait peut-être laissé fuiter des informations importantes, mais elle avait gardé le reste de la vérité assez flou. Il n'aurait pas dû douter de son amie. Il laissa s'échapper un léger soupir, se demandant s'il était réellement prêt à partager son histoire. Il pouvait simplement dire à Eren que c'était tout, et passer à autre chose sans le déranger avec les détails inutiles et pénibles de son passé.
Non, ce n'était pas une bonne idée. Eren était un livre ouvert pour le corbeau. Maintenant qu'ils étaient… peu importe le terme… il devait lui rendre la pareille.
"Ce n'est pas toute la vérité," dit Levi, brisant le long silence qui s'était installé pendant sa réflexion, et Eren sursauta, presque imperceptiblement, surpris par le son soudain. "Il y a un an, j'ai perdu mon escouade, Mais pas dans le Nevada. Même pas aux Etats-Unis."
"Ton escouade," répéta Eren. "Vous étiez dans quelle branche? Les marines?"
Levi offrit un petit sourire. "Bingo. Pas une escouade au sens technique du terme; juste une petite équipe d'opérations spéciales, et on se battait dans le Moyen Orient. Je sais, grosse surprise."
Eren rit malgré l'atmosphère sérieuse, et Levi s'accorda un court moment d'amusement, lui aussi. Ça ne devait probablement pas tourner en dépression, pleurs et pitié. Ça faisait déjà un an, après tout.
"Où est-ce que vous étiez?" demanda Eren.
"Je dois garder ça sous silence," dit Levi en secouant la tête. "Je peux pas divulguer ce genre d'informations. Honnêtement, je devrais même pas t'avoir dit quoi que ce soit," ajouta-t-il en baissant la voix, "mais, bon . . . Je suppose que tu as le droit de savoir."
"Tu n'as pas besoin de m'en parler si tu n'es pas sûr," lui dit immédiatement le brun, et même si Levi ne se souciait guère de l'aspect émotionnel de la chose, il appréciait le sentiment. Il offrit ce qui lui semblait être un sourire rassurant et se laissa retomber contre son siège.
"Ce n'est pas un problème," répondit-il honnêtement. "Je veux te le dire."
Eren se relaxa un peu et se mit dans une position plus confortable. Le regard de Levi dévia de l'écran pour se poser sur son clavier, puis sur ses doigts entrelacés sur ses genoux. Comment raconter une telle chose? Où devrait-il commencer? Il se frotta les poignets inconsciemment et prit une grande inspiration. Peu importe où il commençait, il n'allait pas rester là à rien dire.
"On était en mission spéciale," commença-t-il, choisissant ses mots avec soin, soucieux de son serment, "pour éliminer ce qui semblait être un leader de l'opposition."
"Ce qui semblait être?" Il avait déjà toute l'attention d'Eren, qui serrait son coussin contre lui et dont les yeux pétillaient d'intrigue. C'était assez mignon, comme un enfant écoutant une histoire pour s'endormir. Levi aurait voulu que ce soit une histoire si insouciante.
"On n'a jamais su si l'info était correcte. Si ce n'était rien qu'un piège, ou si il était réellement là. Notre cible aurait pu être dans ce bâtiment, ou à des milliers de kilomètres. Ça n'aurait fait aucune différence. C'était un coup monté." Eren n'eut rien à répondre à cela. "Peu importe, il a été trouvé et exécuté plus tard, donc ça n'a pas d'importance."
Il pouvait voir le brun déglutir, et se demanda s'il le mettait mal à l'aise. Il se débarrassa de cette pensée. Si son histoire dérangeait Eren, il le lui dirait, directement ou pas, ou pourrait même trouver une raison de l'interrompre pour de bon - bien qu'Eren n'était pas du genre à utiliser la dernière méthode. Levi enleva de nouveau ses yeux de l'écran quand Eren ne réagit pas. Il ne dirait probablement plus rien sans demande directe du corbeau.
"Ils étaient ma famille. Mon oncle - il avait été sergent, avant. Il m'a entraîné moi, mon frère et ma soeur. Ils étaient présents, ce jour là. On n'avait pas de liens biologiques, ils ne nous auraient pas mis ensemble si ça avait été le cas, mais on a grandi ensemble. Ils étaient importants pour moi."
Levi réalisa que son histoire devenait trop personnelle et se racla la gorge, retournant à la partie principale.
"On s'est infiltrés dans le bâtiment." Il pouvait le voir, dans son esprit; sa mission la plus récente s'y mélangeait, mais il voyait les terres désolées autour de lui, les silhouettes de ses coéquipiers. "Tout se passait plutôt bien. Pour peu que l'on garde notre allure, on allait réussir."
"On entre, on en élimine quelques-uns, et on reprend la route vers le groupe d'Hanji." Eren semblait surpris par ce détail, comme s'il n'avait pas pensé qu'Hanji aussi avait été de la partie. "C'était tellement vide. Après les quelques premières victimes, il n'y avait rien. Pas de son, aucune vie. On savait que quelque chose n'allait pas, mais on ne pouvait pas faire demi-tour et laisser les autres seuls. Ils auraient été tués, et on aurait été exécutés pour trahison."
Levi laissa s'échapper un soupir. Il soupirait plus que d'habitude, aujourd'hui. Il s'attendait à remplir son quota de soupirs pour les quelques années à venir d'ici la fin de son récit.
"En y repensant, on aurait dû prendre la fuite. L'alternative n'était pas meilleure. Ils sont tombés comme des mouches. Quelqu'un nous a pris en embuscade, quelqu'un qui nous attendait. Notre source nous avait piégés. Le mec nous a assommés, et je me suis réveillé dans une cellule."
Eren lâcha un son de détresse. Cela semblait étrange pour Levi, quand il posa son regard sur l'écran et vit la façon dont Eren se rapetissait, les poings fermés sur son oreiller. Étrange à quel point le brun était émotionnel par rapport au vide que Levi ressentait. Il avait vécu cette réalité des dizaines de fois, l'avait vu de ses yeux chaque nuit pendant des mois. Il supposa que son manque de réaction était dû à l'usure.
Levi réalisa qu'il avait été silencieux un moment, quand Eren demanda d'une voix tremblante, "Et après?"
Et après? Qu'est-ce qui arrivait chaque fois que des militaires de haut rang se faisaient capturer par l'ennemi? Il se retint de faire jouer son sarcasme dans un tel moment. Eren n'avait pas besoin de connaître tous les détails sanglants. Il n'avait pas besoin de savoir de quelle façon Levi avait été suspendu, parfois par les poignets, attaché au plafond, parfois enchaîné contre le mur, sans jamais pouvoir récupérer.
Il n'avait pas besoin de savoir que le cadavre de Kenny avait été traîné jusque dans sa cellule, ne lui laissant aucune bouffée d'air frais. Il avait dû regarder le connard pourrir, se gonfler, changer de couleur et tomber en morceaux, regarder et entendre les rats se faufiler à l'intérieur et consommer les restes.
Il n'avait pas besoin de savoir que Farlan était dans la cellule en face de la sienne, au début. Que Levi l'avait vu battu jusqu'au sang, des doigts tranchés, membres brisés. Comment Farlan n'avait pas cédé une fois, pas même quand une barre de fer se fracassa sur son corps encore et encore et encore dans leur recherche d'informations, jusqu'à ce qu'il cesse de bouger.
Il n'avait pas besoin de savoir qu'après Farlan, Isabel avait habité cette cellule. Que Levi avait été forcé à la regarder se faire prendre par des dizaines de terroristes semaine après semaine, utilisée et abusée, chacun attendant son tour, perdant de vue leur objectif. Qu'il l'avait regardée, alors que les larmes dévalaient sur son visage, lutter et hurler et, quand ils eurent brisé son esprit, appeler ses frères à l'aide. Qu'après qu'elle ne soit plus qu'une coquille vide, un jouet, il avait regardé sa gorge être tranchée comme celle de bétail à l'abattoir.
Il n'avait pas besoin de savoir que lorsqu'ils s'étaient occupés de sa famille, ils passèrent à Levi. Il n'avait pas besoin de savoir qu'ils l'avaient battu, brisé, utilisé, marqué. Pas seulement en le tabassant, mais en le privant de ses sens, en l'affamant, avec le waterboarding, les mains sur son corps -
"Levi."
Un son pathétique et embarrassant sortit de la gorge du corbeau quand la voix d'Eren le ramena dans le présent, et il se frotta immédiatement le visage, empêchant ses émotions de faire surface. Cela faisait un an, et il avait reçu le meilleur suivi que les US avaient à offrir. Levi laissa doucement s'échapper un soupir tremblant et éloigna les mains de son visage. C'était naturel de pleurer, se rappela-t-il, mais ça ne voulait pas dire qu'il souhaitait le faire en face d'Eren.
Ce dernier l'observait avec un regard plein d'inquiétude, l'air presque effrayé. Levi se racla la gorge. "Isabel et Farlan sont morts en captivité. L'escouade Zoe nous a déclarés disparus et est revenue le plus vite possible pour nous récupérer, mais malheureusement 'vite' voulait dire des semaines plus tard.
"Evidemment, je… n'était pas dans un très bon état. C'est Erwin qui m'a trouvé. Oh - tu ne connais pas Erwin. Il a démissionné peu après cette mission, sûrement par culpabilité. J'ai été congédié et on m'a envoyé en suivi psychologique et en thérapie."
Parler devenait de nouveau plus facile. Il pouvait respirer correctement, même si ses mains frottaient ses poignets dans un mouvement rassurant. Eren l'avait probablement remarqué, ses yeux allant de haut en bas, mais il n'en dit rien.
"Pendant que j'étais occupé, Erwin a pris une position au LAPD. J'avais beaucoup de mal à trouver du travail. Aucune compétence à part le combat, donc il m'a offert un job là-bas. Beaucoup moins de stress, je faisais toujours ce que je connaissais, et j'étais un soldat de valeur pour le département. Un peu plus tard, Hanji nous a rejoint. Et nous y voilà."
Il y eut un nouveau silence. Levi n'avait rien d'autre à dire, et Eren ne trouvait pas les mots, il ouvrit la bouche quelques fois pour la refermer aussitôt. Enfin, il parla.
"Je suis désolé."
Surpris, Levi demanda directement, "Pour quoi?"
Eren semblait encore plus surpris face à une telle question. "Pour - pour tout ce qui t'est arrivé. Et… et parce que je sais pas quoi dire d'autre... "
"Oh," dit stupidement Levi. Il s'inquiétait vraiment pour ça? Le corbeau ne lui avait pas tout raconté en vue d'être consolé, seulement car il pensait que c'était important que le brun le sache. Il secoua la tête et lui offrit un sourire. "Ne t'en fais pas pour ça, gamin. Ça fait juste du bien de le partager."
Et c'était vrai. Il se sentait un peu tremblant, vulnérable, mais plus léger. Eren était là, il était sain et sauf. C'était de l'histoire ancienne. Tout allait bien se passer.
Eren lui rendit son sourire, une vue précieuse qui fit battre le coeur de Levi. "Alors je suis heureux que tu m'en aies parlé."
Ils passèrent le reste de leur soirée relativement silencieusement, avec quelques bribes de conversation ci et là, jusqu'à ce qu'Eren ne s'endorme. Levi, empli d'affection, se déconnecta et fit de même.
Un compte à rebours. Une voix grave lui donnant des frissons plus que plaisants et des mains abîmées sur son corps. Les yeux couleur miel de sa mère alors qu'elle l'insulte de tous les noms et les lunettes de son père, brillantes à la lumière pendant que le sang s'écoule sur le sol. Une pagaille déroutante d'horreur et de désir, de désespoir et d'envie. Ces mains rugueuses qui quittent sa poitrine et descendent, des yeux argentés perçant jusqu'à son âme.
"Trois. Deux. Un."
Eren s'éveilla en sursaut, avec un gémissement bien trop bruyant comparé au silence de la maison. Sa respiration paniquée se calma petit à petit, et il laissa son coeur faire de même.
Ce rêve était récurrent, pas toutes les nuits, mais la plupart depuis la première fois. Sa mère décédée essayait toujours de le tuer. Levi le sauvait chaque fois. Levi aidait toujours au suicide de son père. Eren se réveillait les lèvres frissonnantes d'un baiser fantomatique et d'une peur au plus profond de lui. Chaque nuit, le Levi de son rêve allait plus loin, ce qui rendait les choses d'autant plus effrayantes et déroutantes que son corps et son esprit réagissaient différemment, mais Eren ne pleurait plus quand ce cauchemar revenait.
Son coeur, cependant, battait toujours la chamade, et la crainte subsistait. Il aurait voulu connaître la signification de ce rêve. Ses parents devraient juste rester morts. Il souhaitait que son esprit arrête d'utiliser son - son crush? Celui qu'il aime? Peu importe ce qu'était Levi - afin de mener à bien ce scénario malsain.
Encore hautement anxieux malgré la disparition de la panique, Eren tâtonna sur sa table de nuit à la recherche de son téléphone, et regarda l'heure. Six heures trente du matin. Il commença à se dire qu'il était bien trop tôt pour appeler Levi, jusqu'à se souvenir du décalage horaire. Sept heures trente était raisonnable pour qu'un officier se réveille, non? Il devait se rendre au travail assez tôt, après tout. Eren n'arrivait pas à se souvenir de quoi que ce soit à propos des horaires de Levi.
Arrêter de se poser trop de questions demanda beaucoup d'efforts. Après quelques instants d'un débat anxieux, Eren tappa le numéro mémorisé et amena le téléphone à son oreille. Il sonna, et sonna, et sonna, et...
Bip. "Veuillez laisser un message au numéro: Neuf Zéro Neuf Six Quatre - "
Eren raccrocha à la voix robotique et monotone pour se laisser retomber sur son lit. Evidemment, Levi n'était sûrement pas encore réveillé. Ou peut-être qu'il l'était, mais qu'il l'ignorait? C'était une pensée idiote, et il le savait, mais elle persistait. Il devrait juste retourner dormir. Il était stupide.
Un son retentit, lui arrachant un cri de surprise, et il lui fallut un moment bien trop long pour se rendre compte que c'était sa sonnerie. Le coeur battant, il se dépêcha de répondre, ramenant son téléphone à son oreille. "Salut," dit-il à bout de souffle.
"Tout va bien?" demanda la voix inquiète de Levi. "Je viens de sortir de la douche, je t'ai appelé dès que j'ai pu."
Oh. La douche. Bien sûr. Eren se sentit complètement stupide, les joues rouges d'embarras. Une douche, comme les êtres humains normaux avant le travail. Stupide, stupide, stupide.
"Ce- ce n'était rien," balbutia-t-il, la culpabilité envahissant sa poitrine et tentant de lui bloquer la gorge. "Un mauvais rêve. J'ai appelé sur un coup de tête, je suppose."
Ce n'était pas un mensonge, et Eren se sentit encore plus mal. Pourquoi déranger Levi et son horaire chargé? A quoi est-ce qu'il pouvait bien s'attendre? Une longue session de thérapie pour interpréter son cauchemar récurrent? Se faire consoler, sécher ses larmes?
"Est-ce que tu veux en parler?"
La voix de Levi brisa l'enchaînement de ses pensées, tellement impérieux et presque toxique dans ses implications, ce qui l'effrayait. Eren secoua la tête, tentant de se raisonner. Il ne devrait pas penser comme ça. Levi se souciait de lui et voulait l'aider. Eren avait le droit de lui demander cette aide.
"Il n'y a . . . " Pas grand chose à dire? C'était un mensonge. Au lieu de cela, il continua avec, "C'est bizarre. C'est juste que je . . . je sais pas."
L'anxiété revenait. Qu'est-ce qu'il était en train de faire? De dire? Il faisait seulement perdre du temps à tout le monde. Eren combattit un soupir tremblant et secoua de nouveau la tête, essayant en vain d'éclaircir ses pensées. C'était stupide. Levi avait bien trop d'autres choses à faire et Eren ne faisait que se mette sur son chemin avec son indécision intempestive.
"Tout va bien," dit Levi, arrêtant une deuxième fois la rêverie d'Eren. "Je ne suis pas tout à fait sûr de ce quoi faire dans ce cas, mais on peut parler pendant que je me prépare à partir. Enfin, si ça peut aider. Si tu veux."
Surpris, Eren resta silencieux quelques secondes. Levi avait un talent pour contrer toutes les choses horribles que la petite voix dans sa tête lui disait, pour montrer à ce connard qu'il avait tort et pour réchauffer Eren comme personne d'autre ne pouvait le faire.
"J'aimerais bien."
Ça le dépassait. Pourquoi Levi faisait-il tant d'efforts pour aider le brun? C'était un cas désespéré qui faisait pression sur lui avec son affection et dont la vie dépendait de la réciprocité de ces sentiments. Mais étonnamment… étonnamment, ils étaient réciproques, à moins que ce n'était qu'un mensonge en vue de le réconforter. Mais pour quelle raison mentirait-il? Il vivait à des milliers de kilomètres. Si il le voulait, il pouvait cesser totalement leur contact et continuer sa vie sans lui. Sans parler des choses qu'il lui avait confiées et dont il ne parlait sûrement pas à n'importe qui.
"Levi?"
Il n'avait pas réalisé que Levi était en train de parler et sentit une pointe de culpabilité en l'interrompant, mais le corbeau ne répondit qu'avec un son neutre, "Hm?"
"Qu'est-ce qu'on est?"
Il y eut une pause, et Eren commença à s'agiter, passant une main dans ses cheveux et tirant sur une mèche au passage.
"Je sais pas. Quelque chose. On s'aime tous les deux, non?" Il y avait une certaine douceur dans sa voix qui réchauffa la poitrine d'Eren. "Un couple, si ça te convient."
Si ça lui convenait? Bon dieu, il adorerait. "Ça fait de toi mon petit ami?" demanda Eren sans réfléchir, puis couvrit sa bouche de sa paume comme si il pouvait ravaler ces mots. Levi laissa s'échapper un petit rire à l'autre bout du fil, on pouvait entendre du mouvement pendant qu'il se préparait à partir.
"J'aimerais beaucoup," dit Levi sur un ton tendre qu'Eren n'avait jamais entendu, et qui le fit fondre. "Ça me rappelle mes années de lycée, mais ce n'est pas un problème."
Eren se mit à rire, un son coincé entre nervosité et satisfaction. Petits amis. Des lycéens, en effet. Levi était son petit ami. Bordel, que c'était mignon.
"Je dois y aller. Envoie moi un message si tu as besoin de quelque chose, d'accord?"
Ces quelques mots si simples amenèrent le désespoir. Eren le combattit du mieux qu'il le pouvait, fermant les yeux et se forçant à sourire alors que sa poitrine se serrait et que sa voix tentait de se briser. Heureusement, c'était inaudible lorsqu'il répondit. "Ça ira. Passe une bonne journée au travail."
Levi rit brièvement. "Un jour de paperasse, oui. Mon préféré." Un silence, puis un ton hésitant. "Je . . . " Il semblait ne pas trouver les mots, et Eren savait ce qu'il essayait de dire - ce qu'il n'avait pas envie de dire. Finalement, Levi répondit, "Reste sain et sauf, Eren," et avec ces mots, le coeur d'Eren se stoppa.
"Ouais," dit-il simplement, la bouche sèche, "toi aussi."
Levi tapotait distraitement un dossier de son stylo, assis à son bureau, fixant l'écran de son ordinateur. C'était un dossier important, il en avait conscience, mais il s'en foutait complètement. Il n'arrivait absolument pas à se concentrer. Eren prenait trop de place dans ses pensées, dans son esprit, son nom provoquait à la fois affection et inquiétude.
Ce serait tellement plus simple si le brun était là. Avec lui, en Californie, à portée de main, facile à protéger, là où Levi le garderait en sécurité. Il savait cependant qu'Eren refuserait. Il devait garder la maison et attendre le retour de ses amis.
Des amis. Levi n'essaya pas de cacher son incrédulité. Ce n'étaient que des conneries. Quel genre d'amis l'auraient laissé souffrir comme ça, surtout quelqu'un d'aussi tourmenté au départ, sans le contacter tant que ça? N'importe qui souffrirait dans la position d'Eren. Même Levi ne pensait pas pouvoir le supporter - les ténèbres n'apportaient que de mauvaises choses, de pensées malsaines que le corbeau aurait du mal à combattre dans un tel environnement. Et ils forçaient Eren dans une telle situation . . .
Son téléphone se mit à vibrer.
Eren: levh
Eren: levu*
Eren: brdel
Eren faisait rarement des fautes à moins que quelque chose n'aille pas. Une crise? Possible. Son estomac se serra. Levi répondit rapidement, les sourcils froncés d'inquiétude.
Moi: Qu'est-ce qui ne va pas?
Il vit la bulle de discussion apparaître, disparaître, ainsi de suite avant de finalement recevoir une réponse.
Eren: non
Eren: cav a pas
Levi n'hésita pas une seconde, que son travail aille se faire foutre. Il sélectionna le bouton d'appel et amena son téléphone à son oreille. Eren était bien plus important que son job de merde.
Il fallut plus d'une sonnerie pour qu'Eren ne réponde, assez de sonneries pour que la peur s'installe chez le corbeau, se rappelant de la dernière fois, mais le son d'Eren décrochant son téléphone le calma rapidement. La partie moins relaxante était le son d'une respiration laborieuse et rapide accompagnée de quelques reniflements.
"Eren," dit Levi dans un soupir de soulagement. C'était rassurant de pouvoir lui parler, même s'il était en piteux état. "Qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qui se passe?"
"J - je sais pas . . . " Il pris quelques inspirations pénibles, comme s'il manquait d'air. Sa voix tremblait et Levi espérait que ce n'était rien de plus que le stress de sa situation. "C'est juste . . . ça va pas. Pas bien. Ça fait trop mal."
"Mal?" le poussa Levi. Il le regretta en entendant une expiration brusque, de douleur.
"Ma poitrine." Parler semblait lui demander un si grand effort, Levi l'aurait applaudi pour son courage, félicité pour avoir répondu à son appel dans son état, mais ce n'était pas le moment. "D-dur de respirer."
"Qu'est-ce que je peux faire?" La panique était contagieuse. Eren allait mal, plus mal que ce à quoi était habitué Levi, et il ne savait absolument pas quoi faire. Il n'était pas entraîné pour ça.
"Je sais pas," dit Eren dans un gémissement pathétique. Puis, encore plus désespéré, il continua, "Bordel, Levi, je p-peux p - je veux pas mourir - "
"Non!" était la réponse instinctive de Levi, et il aurait été embarrassé par sa voix désespérée si il n'était pas en panique totale, à cause de l'état d'Eren ou simplement par contagion, il n'en savait rien, et il s'en foutait. "Je vais . . . ne fais rien. Je vais venir. Juste - reste où tu es. S'il te plaît."
Les mots dévalèrent de sa bouche avant qu'il comprenne ce qu'il était en train de dire, mais même avec le manque de préparation, c'était la vérité. Il allait venir. C'était stupide de penser qu'Eren pouvait s'en sortir seul. Tellement d'autres avaient échoué avant lui. Les taux de dépression et de suicide montent en flèche pendant les mois sombres. Tellement de personnes, tellement de gens différents, des plus dépressifs aux plus optimistes, tous tués par cette longue nuit.
"Tu devrais pas . . . "
Mais Levi éteignait déjà son ordinateur et enfilait sa veste. "Reste là," répéta-t-il, trop apeuré pour avoir honte de son bégaiement. "Juste - Bordel, Eren, ne fais rien de stupide et reste là."
Un son étranglé lui répondit, et Levi l'aurait presque imité, mais fit de son mieux pour le contenir. Il pris sa canne et se prépara à partir. "C-c'est dur, Levi - "
"Je sais," dit le corbeau, mais il ne savait pas. Il n'en avait aucune idée. Même après avoir perdu chaque être qu'il aimait, il n'avait jamais vécu cela. Il n'avait jamais voulu mettre fin à ses jours. Tout ce qu'il savait, c'était qu'Eren souffrait et qu'il aurait dû prendre cette décision il y a très, très longtemps. "Juste - envoie-moi ton adresse. Et reste dans ta chambre. Ne va pas dans la cuisine. Ni dans la salle de bain."
Une respiration profonde. "Je vais essayer," promis Eren, tremblant.
Levi se dépêcha de verrouiller la porte de son bureau. Le chemin vers celui d'Erwin était bien plus long que d'habitude à cause de sa jambe blessée, et il utilisa ce temps pour parler à Eren et encoder son adresse dans le GPS. Des mots stupides, sans réelle valeur, passaient ses lèvres et il était content que le bureau était relativement vide à une telle heure - bien qu'il n'aurait rien fait autrement s'il avait été bondé.
Il fut forcé de raccrocher en arrivant devant son objectif, et la peur ne se fit que plus intense. Il se mit à frapper frénétiquement à la porte et trébucha presque quand Erwin l'ouvrit, l'air surpris.
"Levi?"
"Il me faut un jet privé. Maintenant."
Cinq heures. Cinq putain d'heures. Cinq heures entières pour rejoindre Eren et s'assurer qu'il ne s'était rien infligé. Cinq heures, pas de réseau ni wifi dans ce putain de jet. Il ne pouvait qu'anticiper, peut-être pleurer, et attendre. Le temps ne s'était jamais écoulé si lentement.
Erwin, après avoir écouté une partie de l'histoire, avait appelé un taxi et préparé tout le nécessaire pour Levi. Au-delà de leurs nombreuses querelles, même si Erwin pouvait être aussi dur que critique, même si ses priorités étaient parfois incompréhensibles, il s'arrangeait toujours pour que Levi aie tout ce dont il avait besoin. Si c'était sincère ou une conséquence de sa culpabilité, Levi ne le savait pas et ne s'en souciait guère. Tout ce qui le préoccupait en ce moment était de trouver Eren.
Il faisait glacial à Barrow, si froid que la jambe de Levi devint rigide et douloureuse à chacun de ses pas. Il n'y fit pas attention. Il tomba presque en quittant la chaleur du taxi, le froid de la neige semblait traverser ses pieds et rejoindre tous ses membres, raidissant ses muscles et le forçant à boiter de façon assez pathétique jusqu'à la porte d'entrée, les alentours faiblement éclairés par un lampadaire.
La maison était immense, Levi se rappela qu'Eren vivait avec d'autres personnes. Ça ne fit que lui donner un goût amer dans la bouche en plus de la panique et de l'adrénaline. Ces gens l'avaient abandonné à son destin, à ces ténèbres qui rendaient déjà Levi fou après quelques minutes.
Il ne sentait plus sa main quand il la força en forme de poing et frappa énergétiquement à la porte, son autre main attaquant la sonnette. Quand il n'y eut aucune réponse, l'angoisse ne fit que grandir, au point que lui, un vétéran de guerre, pouvait sentir des larmes se former aux coins de ses yeux. Il s'appuya sur sa canne pour enfoncer la porte à l'aide de sa jambe intacte. Il lui fallut quelques coups avant d'avoir raison du verrou, et le cadre de la porte était trop abîmé pour la refermer correctement.
L'intérieur était bien plus chaud que l'extérieur, bien que toujours plus froid que ce à quoi un californien était habitué. Il ferma la porte du mieux qu'il put et, d'une voix tremblant de froid ou d'émotion, sûrement des deux, appela.
"Eren!"
Pas de réponse. Il boita vers un couloir sombre - il remarqua que toute la maison était sombre - et appela le brun une nouvelle fois. Il y avait une porte entrouverte au bout du couloir, une lumière jaune en sortait, une fine ligne sur le sol jusqu'au mur opposé. Il s'empressa de l'ouvrir avec un nouvel appel enroué.
"Eren?"
Il était là. La respiration de Levi s'arrêta un instant. Il n'aurait jamais pu deviner qu'Eren était encore plus beau en personne - cette peau couleur caramel, les cheveux bruns en bataille, ces longs cils caressant presque ses joues . . . Et ces yeux qui ne s'ouvriraient plus jamais.
Des pilules jonchaient le sol, trois bouteilles vides traînaient non loin, et une lame tranchante était toujours posées entre ses doigts. Levi tomba à genoux à côté de lui, cherchant immédiatement un signe de respiration, mais il savait que c'était en vain. Eren était parti depuis longtemps déjà, son visage pâle contrastant avec le bronzage que Levi avait toujours aimé, lèvres et doigt bleus, froid dans ses bras. Le sang avait arrêté de couler des lacérations profondes de ses bras depuis trop longtemps.
Une larme tomba sur la joue d'Eren, et il fallut un long moment à Levi pour réaliser qu'elle lui appartenait. C'était injuste, impossible! Ça ne devait pas se terminer comme ça!
Il prit le corps glacé dans ses bras, ses mains tremblantes s'emmêlant dans ces cheveux couleur chocolat, ils étaient aussi doux que ce qu'il avait imaginé. Il allait trouver Eren à temps, en vie. Ils allaient chacun tomber dans les bras de l'autre, il allait être si chaleureux, si câlin. Les larmes sécheraient de ces magnifiques yeux émeraude et ces douces lèvres rencontreraient les siennes en désespoir, en soulagement, et ces mains délicates enlaceraient les siennes. Il entendrait son nom de cette voix doucereuse pour la première fois.
Levi mit une main sur une joue froide, son pouce effaçant une des larmes séchées sous ces yeux fermés à jamais. Il s'attarda, visage près de celui d'Eren, hésitant, sa respiration réchauffant infimement sa peau. Finalement, il changea de trajectoire, et posa un baiser tendre sur le front d'Eren. Un bonjour, un au revoir. Une déclaration d'amour bien trop en retard.
Il fit le tour de la pièce de son regard, familière depuis les dizaines, peut-être les centaines d'appels Skype. Levi reposa doucement Eren et s'approcha du bureau. Son ordinateur était toujours allumé, et une capture d'écran de son propre visage, tiré d'un de leurs appels, le regardait, un léger sourire sur ses lèvres. Il y avait un document ouvert dans Word. Levi ne fut pas capable de le lire.
Posé en dessous d'une lampe, la seule lumière de la pièce, il y avait une petite boîte en plastique avec une note sur le couvercle. Un nom était écrit sur le côté - Manten. A l'intérieur, sur une fine branche, était posé un papillon monarque magnifique, ses ailes jeunes et encore froissées s'agitaient lentement, presque comme une salutation. Après ce qui semblait être des années à regarder ce papillon, Levi jeta enfin un regard à la note.
Il la lut. Encore et encore. Sa main monta à sa bouche, et une larme de plus tomba.
Il va sûrement sortir du cocon bientôt. Prends soin de lui, Levi.
Eren avait une écriture brouillonne. Ça devait être un truc de docteurs. Dentiste, se corrigea-t-il. Les ailes continuaient à bouger doucement, à prendre vie, alors que les yeux de Levi restaient bloqués sur la dernière ligne.
Je t'aime.
The end.