Chapitre 1 :

Aujourd'hui est un jour important pour moi, Claudine De la Roseraie, venant à peine d'arriver à la cour de Versailles. J'y accompagnais mon père en lieu et place de ma mère, celle-ci venant de succomber d'une maladie dont les médecins n'avaient pus trouver cure. Et ce malgré les innombrables saignées qu'elle avait subie chaque semaines, et les diverses éruditions, que charlatant comme honnêtes hommes, avaient bien pus formuler.

Cela avait commencé un beau jour de printemps, les dernières neiges avaient laissées places aux premières fleurs, Mère s'était sentie souffrante au levé du lit. Elle y était restée alitée tout un mois, son état empirant jour après jour. Elle en criait et se tordait parfois comme aux prises avec un démon, rien ne parvenant à la soulager. Nous avions fait venir un prêtre pour l'en exorciser, mais il repartit de chez nous les épaules chargées de son impuissance. Elle se mourrait d'un mal plus vicieux encore, et bientôt, devrait aller rejoindre Dieu et ses anges.

Cela faisait deux mois, qu'elle avait retrouvé nos ancêtres. Père avait été inconsolable, ce pourquoi il me fallut reprendre le titre et la fonction de Mère, afin d'éviter à notre marché de sombrer. Nous étions tout deux à la tête d'un petit atelier où nous apprêtions la majorité des bonnes gens de Brest, et parfois même celles de la Cour. Nous filions toutes sortes de matières qui venaient de l'autre bout du monde, comme de la Soie d'Inde, de Chine ou de Perse, du Cotton d'Amérique ou de Grèce, du Satin et du Velours Italien… La rumeur courait que certaines de nos plus fines chausses étaient tissées de fils de Lune, et nos plus rutilantes robes cousues en fils Solaire.

Rien n'était plus faux, pour sûr, mais notre réputation ne s'en portait que mieux. C'est donc en la qualité de premier Comte et Comtesse tisserand de Brest que Louis 14ème du nom nous avait fait mandés à sa Cour.

Deux officiers étaient venus nous porter le message Royal, et avaient euent pour ordre de nous escorter ensuite, le Roi se portant garant de notre sécurité. Père avait longuement tergiversé, cependant, l'idée de laisser se reposer le fantôme de Mère, qui hantait encore les mûrs de notre humble demeure, fini par le convaincre. Quant à moi, rien n'aurait pus me faire plus plaisir que de partir à la découverte de l'univers fascinant que représentait pour moi Versailles et ses jardins dont la splendeur était vantées jusqu'à notre porte.

Aujourd'hui était donc, mon premier jour à la cour. Le voyage avait duré longtemps, mais toute la fatigue qu'il put me causer fut vite oubliée alors que notre voiture avançait à vive allure dans la forêt alentour. J'entendis le cocher prévenir l'un des gardes de notre arrivée imminente aux abords des grilles du château, faisant s'élever mon cœur du fond de ma poitrine. Mon père ne semblait pas plus nerveux que d'ordinaire, cependant, il ne put se retenir de remettre en ordre ses cheveux poivre et sel une énième fois, m'arrachant un sourire que je camouflais au derrière de mon éventail en dentelle. Il n'était vraiment pas convenable qu'une jeune femme de 23 ans se moquasse ainsi de son Père si ouvertement.

Moi même, j'ignorais si ma coiffe et ma toilette conviendraient aux apparats habituels des nobles vivant en ces lieux. Père m'avait conseillé de m'apprêter de récents atours, d'un bleu pâle rivalisant avec la clarté aérienne de cet après-midi radieux, surfilée de fils d'or. Il s'agissait de la dernière robe qu'il avait confectionnée pour Mère, que j'avais dus raccourcir à ma taille. J'y avais rajouté ma touche personnelle, amoureuse comme je l'étais de la fine dentelle de Belgique blanche, qui comme quelques nuages, venaient compléter mon tableau céleste.

J'avais lu que les femmes de la Cour arboraient toutes d'élégants et sophistiqués chignons, où elles accrochaient perles et tresses savamment entrelacées. J'avais donc passée des heures à coiffer mes longs cheveux brun dont je détestais la couleur, qui n'éveillait en moi que les reflets de la boue sur de l'écorce. Mon chignon me semblait trop imposant et rudimentaire, bien que je sois assez fière de mes deux longues mèches laissées libre qui m'arrivaient aux reins.

Remarquant sans aucun doute mon trouble intérieur, Père me complimenta sur mon allure, ce qui m'échauffa les pommettes de plaisir. Père avait toujours été avare flatterie, si bien que ses mots me firent plus de bien que venant de n'importe quelle autre personne.

Je promenais mon regard par la fenêtre, perdu au loin, et discernais une grande ouverture dans la forêt, menant à une immense cour de terre et de graviers blancs. Ma nervosité laissa place à l'excitation, je pouvais presque me voir me pavaner dans les jardins verdoyants du palace.

Après quelques mots échangés aux gardes chasses, et aux douaniers, le grand portail en fer forgé blanc et or s'ouvrir. La voiture reprit sa course folle, un des coursiers renâclant bruyamment de fatigue. Je retins un glapissement de joie, m'éventant de plus belle ce qui arracha à Père un sourire désabusé, alors qu'il levait les yeux au ciel.

Enfin, nous nous arrêtâmes pour de bon, le cocher descendit de la voiture puis vint nous ouvrir la portière. Une main se tendit pour m'aider à sortir à mon tour, que je restais à regarder un instant, confuse, jusqu'à ce que Père se racle discrètement la gorge. Le soleil était tellement éblouissant que je n'arrivais pas même à percevoir le visage de la personne qui se trouvait à ma gauche.

Je fini par accepter cette main aux longs doigts fins couverts de bagues, m'étonnant de la douceur de cette peau pourtant masculine, avant de poser mon premier pas sur ce sol encore inconnu. Je me sentis l'âme d'une exploratrice découvrant une nouvelle terre, un nouveau peuple.

Alors que mes yeux s'habituaient à la lumière inondant les alentours, je pus détailler, enfin, celui qui me tenait encore à bout de bras. Il était de taille moyenne, les cheveux d'un châtain tellement brillant que le soleil le paraît d'un lustre velouté que je n'avais jamais pus observer. Son regard d'un bleu gris clair était accueillant, souriant, céleste. Ses joues étaient poudrées aussi finement que le seraient celles d'une femme, faisant ressortir la couleur pâle de ses lèvres et de sa fine moustache.

Vêtu avec opulence, sa veste bleu marine se couvrait d'enluminures d'or, une écharpe rouge de velours frangé d'or la refermait. Son jabot couvert de fines broderies anglaises qui lui entourait le menton était du même blanc immaculé que ses chausses. Ses souliers d'une coupe à la dernière mode, dorés comme l'astre diurne, complétaient sa tenue de véritable Seigneur.

Après avoir tiré la révérence au Roi (car c'était bien lui), je pris la liberté d'observer en silence chaque couture de ses habits, découvrant au premier coup d'œil qu'il ne portait pas du vulgaire coton d'Asie, mais plutôt une popeline Égyptienne délicate et résistante. Un matériau rare, coûteux, mais prisée pour son satiné délicat.

Une fois encore, ce fut Père qui me tira de mes observations, me présentant de sa voix grave à notre Roi. Ce dernier reporta de nouveau le regard sur moi, cette fois-ci brillant d'une lueur qui m'était quasi étrangère. Je me gardais bien de répondre à son sourire aussi franchement que lui, mais l'impression qu'il me laissa éveilla une vielle gêne en moi, que je ne ressentais qu'occasionnellement.

La dernière fois, cela avait été un soir où je devais déposer une précieuse commande chez un client une fois la nuit tombée. Celui-ci, complètement ivre m'avait lorgné comme si je me trouvais être une gourgandine de bas étage, et cela m'avait ébranlée d'un dégoût profond. Bien que je ne me sois jamais donnée à un homme (aucun n'avait pus me convaincre de lui offrir une telle faveur), je n'étais pas ignorante de la chose. Alors, quand ce même reflet dangereux germa dans les pupilles du Roi, je ne pus que balayer le reste de la Cour à la recherche d'un échappatoire.

La suite du Roi s'attroupait sur un atrium en marbre noir et blanc, au dessous d'un bâtiment dont la magnificence et la grandeur ne devait avoir d'égal que l'ego du maître des lieux. Quelques femmes soupiraient et coquetaient dans une effusion de parfums entêtants et d'éventails de dentelles, leur jalousie transcendant de leur attention somme toute mesquine à mon égard.

Père échangea quelque mots courtois avec le monarque dont la voix douce me sembla caressante comme le serrait le sifflement d'un serpent. Puis avec un grand geste gracieux Sa Majesté fit volte face et reparti vers l'entrée vitrée de son domaine, ne m'accordant plus aucune attention, si bien que je crus avoir rêvé cet instant malaisé entre lui et moi.

La procession de nobles le suivi sagement comme le ferait un troupeau de brebis, bientôt rattrapé par Père dont l'ordre lui avait été donné de prendre sur l'instant les mesures du Roi. Je demeurais donc en retrait, les regardant disparaître en quelques doux bruissements de tissus. Une fois seule, le désespoir vint me cueillir avec une telle fougue que je ne pus que pousser un profond soupir. Cette arrivée n'était pas de celles que j'avais espéré, mais je fini une nouvelle fois par me ressaisir et me tourner vers le cocher qui descendait nos lourdes malles emplis de nos matériaux professionnels, et nos effets personnels. J'eus la désagréable surprise de constater que ma valisette avait été en partie déchirée par une branche sur le chemin, manquant de révéler son contenu à tout œil indiscret.

Je la collais contre moi, me dirigeant finalement moi aussi vers l'entrée du château, refrénant mon adoration pour les merveilles qui se pressaient à mes prunelles. Mes souliers claquaient élégamment sur le parquet, alors que je flânais le nez en l'air.

Je demandais mon chemin à une servante qui me mena jusqu'au couloir où seul mes appartements attenaient. Elle m'abandonna là, sans un mot, disparaissant comme un songe au petit matin. Trop pressée de découvrir cette modeste chambrée comme l'avait décrite la servante (qui devait pourtant être bien plus spacieuse que celle que je possédais dans notre humble masure familiale), je me précipitais sans trop prendre garde, vers la porte en partie intégrée à la tapisserie. Si bien que je me heurtais contre quelque chose ou quelqu'un sans aucun préambule, avec une effusion de tissus que vomissait ma valisette définitivement hors service.

La confusion plus que la douleur m'empourpra les joues alors que je me répandais en excuses, honteuse. Sans oser relever le regard vers la personne que j'avais vraisemblablement bousculée, je me mis a ramasser mes mouchoirs brodés, et tissés à la main, à la va vite, de plus en plus consciente du regard scrutateur qui pesait sur mes épaules.

Une longue main aux doigts tout aussi fins et longs que ceux du Roi, mais couverts de bagues d'or blanc et de saphirs s'aggripèrent à quelques pièces de tissus.

« -Oh non, laissez je vous en prie, je suis vraiment confuse !

-Ne craignez rien, c'est de ma faute si vous gisez sur le sol comme une souillon. »

La voix de l'homme était douce, dénuée de faux charmes et de luxure comme l'avait été celle du Roi, légèrement plus légère aussi. Pourtant, le timbre avait quelque chose de semblable, un accent peut-être, je n'aurais su le dire.

Enfin, je me décidais à relever le regard, lentement, craignant un peu la personne que je trouverais face à moi. Je vis d'abord des souliers magnifiquement ouvragés, bien plus soignés que ceux de sa Majesté, mais d'un argenté léger. Puis des chausses en cotonnades grises marsouin habillant ses fines et graciles chevilles. Le haut de ses cuisses était couvert d'un léger pantalon bouffant du même gris que ses chausses. Sa veste en popeline avait la même coupe que celle du roi, mais d'un noir élégant éclairé d'enluminures complexes en fil d'argent. Je pris sur moi pour continuer à remonter le menton.

Quelques mèches d'un brun luisant et soyeux comme de l'onyx liquide ondoyant gracieusement sur ce torse androgyne mais puissant, me guidèrent sur un visage que je n'oublierais jamais. Fin, poupon, d'une pâleur de porcelaine. Ses pommettes elles aussi poudrées avec légèreté, étaient frugalement rosie par son embarras. Ses fines lèvres se teintaient de la même nuance que les pétales d'un bouton de rose dans les lueurs de l'aube. Ses yeux, d'une pureté angevine se teintaient d'un bleu céleste, parsemé de petites paillettes bleu marine. Les mêmes que dans celles du Roi, mais les iris de cet homme étaient plus douces, parfaites.

« -Serais-ce… de la soie de Perse ?

Sa remarque m'ôta de mes réflexions, et me tira un sourire surpris.

-Oui, en effet. J'aime travailler cette matière, répondis-je, ébahie.

-Laissez moi vous aider à vous relever…

Il me releva en effet, arrachant un soupir à mon cœur de jeune femme alors que sa peau rencontrait la mienne.

-Merci, le remerciais-je de nouveau, rougissante. Je suis Claudine de La Roseraie, me présentais-je ensuite en faisant une révérence que je voulais parfaite.

-Je vous en prie. Philippe d'Orléans, enchanté, se pencha t-il gracieusement à son tour.

-C'est moi, murmurais-je en réalisant trop tard de l'impertinence de mes propos.

Il sourit de nouveau, je baissais le regard, les pommettes en feu.

-Vous êtes la fille du tisserand ? S'enquit-il sans en prendre ombrage.

-Sa fille, son apprentie, et son associée, cafouillais-je, toujours confuse.

-Vraiment ?! Oh, alors vous travaillez vraiment la soie ?

Sa surprise innocente m'emplis d'une douce joie, j'aurais payé cher pour que cette rencontre fracassante et fortuite dans ce couloir ne cesse jamais. Il ne se séparait toujours pas, par ailleurs, de mon mouchoir de soie brodé de l'initiale de Mère : Primerose.

-Bien sûr ! Je pourrais aisément vous faire une pièce comme celle-ci, si vous le désirez… fis-je en lui montrant le petit morceau de tissus gris qu'il caressait machinalement du pouce.

Son regard passa rapidement de ce dernier à ma main encore tendue, un sourcil froncé, sa bouche tordue en une moue amusée qui me fit comprendre que j'avais encore eu un comportement qui ne seyait guère a une Comtesse de la cour.

-C'est un des derniers vestiges de feu ma Mère, m'expliquais-je, peu encline à perdre ses bonnes grâces. Mais, s'il vous plaît, prenez le, la lettrine n'est pas des plus féminine, et saurait vous convenir également.

-Pourquoi me l'offririez vous compte tenu de l'importance qu'il a à vos yeux ? Est-ce en toute connaissance de mon statut ? Fronça t-il des sourcils, un instant déstabilisé.

-Votre statut ? Répétais-je, pertinemment consciente qu'une Dame de la Cour ne devait pas répondre à une question par une autre.

-Vous ignorez qui je suis ?

Cette fois, son visage s'illumina d'un sourire plus sincère. J'étais de plus en plus confuse.

-Vous êtes Philippe d'Orléans, comme vous me l'avez dit vous même, répondis-je ensuite sans trop savoir sur quel pied danser.

-Oui, c'est exact, mais ici, je ne suis pas connu comme tel. Je suis connu comme le frère du Roi.

Mon cœur loupa un battement, descendant encore et encore jusque dans le creux de mes entrailles. Je m'étais montrée si peu présentable face à cet homme.

-Je vous prie de m'excuser mon Seigneur, je me suis montrée bien trop…

-Vous étiez parfaite. Ne gâchez pas cet instant, je préférerais en réalité que bien plus de personnes soient ainsi à mon égard. Je serais ravi que vous me fassiez un exemplaire comme celui-ci, mais surtout gardez-le. Je connais la souffrance que l'on ressent lorsque l'on perd sa mère. J'aurais aimé, moi aussi, pouvoir garder un objet lui aillant appartenu.

Il prit l'une de mes mains dans la sienne pour y déposer le tissus qui ne m'en sembla que plus doux. Il voulu s'en aller, mais je retins sa main.

-Je sais que cela n'est pas convenable, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, mais… en mémoire de nos mères, je souhaite vous l'offrir.

Il sourit encore, le porta à son visage pour en humer mon parfum qui s'y accrochait sans doute encore, me fixant de son regard que j'avais parfaitement assimilé à celui du Roi. Inconsciemment, sans même le savoir, j'avais sus reconnaître son lien de fraternité royal. Puis de son autre main, il prit la mienne pour y déposer un petit baiser, qui dura selon moi, un tantinet plus longtemps qu'il n'en était de coutume. Mes humeurs en furent bousculées, mais je tins à les garder dissimulées.

-Merci, nous nous reverrons sans nul doute très bientôt. »

Il disparut ensuite, comme une ombre silencieuse, me laissant le cœur battant la chamade au pied de ma porte.

Il me fallut un léger moment pour reprendre mes esprits et enfin découvrir ce qui allait devenir mon refuge durant les prochains mois. La chambrée était bien plus spacieuse que celle que j'occupais auparavant, comme je me l'imaginais, mais je n'aurais jamais pensé trouver tant de splendeur dans les draperies et les teintures qui recouvraient les murs de couleurs rose pastel (qui ne manqua pas de me rappeler les cieux crépusculaires). De délicats motifs argentés les paraient d'une lumière liquide des plus ravissantes sur laquelle flambait l'éclat du soleil, et où danserait celui des bougies à la nuit tombée.

Un grand lit à baldaquin en sureau, comblait une infime partie de l'espace par sa magnificence boisée. Jamais de ma vie, je n'avais pus observer plus fin travail d'orfèvre que sur la tête de lit ornée d'un grand cygne aux ailes déployées royalement. Ou bien sur les colonnes torsadées qui s'élevaient jusqu'au plafond, faisant retomber en une cascade soyeuse de lourds rideaux de soie jusqu'au sol, d'un gris aussi clair que le plumage d'une colombe. Il m'avait été installé une grande table d'atelier en chêne, aux spirales appréciables, bien que moins travaillées que sur la commode et le buffet dans lesquelles je pourrai aisément y faire tenir tant mes affaires personnelles, que mon matériel et mes imposants rouleaux de tissus.

Toujours fascinée par ces décors qui me firent sentir comme une princesse, je caressais du bout des doigts le bois poli par l'usure de la tablée aux abords couverts de dorures qui s'écaillaient par endroit. J'étais définitivement sous le charme de Versailles.

Quelques coups secs à ma porte me tirèrent un soubresaut de surprise, mais ce n'était que le cocher qui venait déposer mes effets à mes appartements. Je le remerciais avec gratitude, désolée de le voir s'essuyer le front de sa manche, suant sous le poids colossal de mon gros coffre de voyage. Je profitais enfin de la solitude qui m'était offerte pour m'installer, déposant en premier, le précieux cadre où j'avais enfermé la gravure qui avait été faite de Mère des années auparavant.

La suite de la soirée se déroula pour le mieux, Père et moi fûmes invités à la tablée du Roi. Ce dernier se montra fort agréable et conciliant, il assura à mon Père qu'il lui fournirait tout ce dont nous aurions besoin. Philippe ne m'adressa qu'un regard amical en début de dîner, bien que je jurais l'avoir vu agiter mon mouchoir à son nez.

Le faste du repas m'enchanta : les sons des musiciens qui s'évertuaient à nous distraire, les lumières d'or qui nous inondaient depuis les lustres, l'explosion des saveurs qui me fascinaient le palais, les pompeux parfums fruités et musqués qui s'entremêlaient… Je n'aurais jamais pus imaginer à quel point tout était exquis ici. Ce que j'avais entendu des racontars et ce que j'avais lu dans divers documents, n'auraient sus rendre justice à toutes ses merveilles qui comblaient le moindre de mes sens.

Malheureusement, le voyage, les émotions et cette agitation inhabituelle eurent raison de moi, et bientôt la tête me tourna. Si je n'y accordais qu'une brève attention, occupée à écouter les discussions qui allaient bon train à propos des projets du Roi, je fini par me rendre à l'évidence qu'il était préférable pour moi de me retirer lorsque je n'arrivais plus à percevoir distinctement mon assiette, pourtant posée devant moi et d'un or rutilant. Aussi, il me fallut m'excuser, et me faire porter pâle, sous le regard inquiet de sa Majesté et de ses conseillers qui m'avaient enchantés un peu plus tôt de leurs visions d'avenir.

Je rassurais mon père, en l'implorant de rester à la tablée, peu désireuse de le priver d'un de ses rêves les plus chers, puis m'inclinais de mon mieux devant Sa Majesté avant de sortir de la grande salle de réception. Je remontais les divers escaliers de marbre avec quelques difficultés, pour enfin retrouver avec reconnaissance le calme de mon repaire luxueux. Épuisée au-delà de ce que j'aurais pus le penser, je me laissais tomber sur le lit qui me recueillit avec une mollesse délectable. La tête entre les bras, je refis le compte de la journée, puis, comme il m'arrivait parfois de le faire lorsque je me trouvais troublée, je me saisi du petit portrait de Mère pour tout lui raconter. Je trouvais toujours le réconfort et la force dont j'avais besoin dans le reflet de ses yeux d'encre.

Peu à peu, mes vertiges me quittèrent, me laissant si alanguie que je fini par m'endormir, encore vêtue, sur ma couche qui me semblait royale.

Un léger son me tira de mes songes, alors qu'il devait être peu après minuit, si léger que je jurais l'avoir rêvé, mais je tendis cependant l'oreille, attentive. Mais rien que le profond silence environnant répondis à mes interrogations, si bien que je m'apprêtais à replonger dans le sommeil bienfaiteur. Pourtant, un nouveau bruit se fit entendre, comme un pas feutré.

Je souris, puis feignis de dormir profondément, il s'agissait sans aucun doute de mon Père venu vérifier que je me portais bien.

Le lit s'affaissa légèrement sous le poids de ce dernier quand il s'assit à son bord, mais je ne bougeais pas. La lueur d'une bougie voleta jusqu'à la table de chevet, puis sa main fraîche se posa sur mon front. Je ne retins pas un nouveau sourire, quand un doute me frappa alors que cette main s'éloignait de ma peau pour mieux aller déloger le cadre que je serrais toujours contre détail vint me titiller l'esprit : le parfum qui exaltait des vêtements de propriétaire de cette main ne semblait pas appartenir à mon Père... Je mit cela sur le compte de mon endormissement, peu encline à m'affoler, surtout que la main se posait à présent sur ma joue.

Cette fois, je fronçais des sourcils. La froide morsure d'une bague me fit comprendre que je n'étais pas en présence de mon Père, mais de quelqu'un d'autre qui me trouvait là dans une bien fâcheuse posture. Il n'était pas bienséant d'une Dame de la Cour qu'elle s'endormît de manière si disgracieuse et encore vêtue, comme le ferait une gaupe après sa dure journée de labeur. Si jamais cela arrivait aux oreilles Royales, mon Père risquait d'avoir de gros ennuis, et je ne désirais pas lui construire une réputation de rustre rural mal éduqué.

Sur le coup de la panique mesurée qui germait en moi, je me redressais vivement en repoussant la main d'un grand geste, les yeux grands ouverts.

Quelle stupéfaction vint se peindre sur mes traits lorsque je reconnu la personne qui se trouvait à mon opposé. Sa chevelure brune, son regard bleu, ce sourire reconnaissable entre milles… Je déglutis, le cœur tambourinant au creux de mes tempes.