Bonjour à tou(te)s,
Ceci est le tout dernier chapitre de la fiction. Pas vraiment un épilogue, mais presque...
Comme promis, voici les différentes oeuvres qui ont pu m'inspirer sur une fiction à tendance "fantastique", à savoir : The Devil's Advocate, Constantine, Supernatural, Kuroshitsuji, le livre "Dos velas para el diablo" que je cite en début de fiction, oh, et… un très bref clin d'oeil à la série Sabrina, pour ceux qui reconnaîtront.
Et puis... dédicace à Mana et Alivia qui avaient trouvé dès le premier chapitre de quoi il retournait, et ce bien malgré elles, en fait... Mesdemoiselles, mes respects.
Merci d'avoir suivi cette histoire, peut-être à bientôt...
*Harlem, votre dévouée.
Enjoy it !
Epilogue :
« Tu sais quoi ? J'vais te dévoiler une petite info exclusive au sujet de Dieu : Dieu aime regarder […].
Et pendant que vous êtes tous là à sautiller d'un pied sur l'autre, lui qu'est-ce qu'il fait ?
Il se fend la pêche à s'en cogner son vieux cul de cinglé au plafond !
C'est un refoulé ! C'est un sadique ! C'est un proprio qu'habite même pas l'immeuble !
Vénérer un truc pareil ? Jamais ! »
John Milton, « l'Associé du Diable »
.
POV Law :
Luffy va râler quand je vais lui raconter que j'ai joué avec la nourriture, mais quand je vois son expression, ça en vaut tellement la peine que j'oublie tout de suite les heures qu'il va passer à me bouder.
J'aimerais pouvoir la photographier, et balancer ça à Shachi et Penguin, histoire qu'ils prennent un peu leur revanche sur elle, mais je sais qu'ils vont devoir se contenter de mes mots pour le moment.
Je me redresse et sors du lit, traversant la chambre pour récupérer mon jean et le passer sans un mot, sous le regard étrangement inexpressif de Bonney. Je m'attendais à me faire insulter, mais je crois que là, j'ai touché une corde plus sensible que je ne le croyais.
En même temps, qui ne serait pas choqué, à sa place, mmn… ?
- Je pense que c'est le bon moment pour être honnête, soufflé-je en boutonnant la pression du pantalon, avant de fouiller dans ma poche arrière et d'y trouver mon paquet de clopes.
- …
- J'ai vraiment cru que t'allais me faire rater mon coup, ces derniers mois, et tu peux te féliciter pour ça, ça ne m'était jamais arrivé jusqu'à aujourd'hui… !
Je fais craquer la pierre du briquet et allume ma cigarette, expirant une lourde bouffée dans la pénombre de la pièce. Un coup d'œil au réveil m'apprend qu'il est 23:15.
Je ne vais pas me perdre dans les détails, de toute façon ça ne lui servira à rien. Et si sa mémoire décide de toujours jouer au con, soit, je ne vais pas me bousiller les neurones pour ça.
- … tu ne sais toujours pas pourquoi je suis là, pas vrai… ?
- … de toute évidence, non, murmure-t-elle mécaniquement.
- C'est bien ce que je pensais… t'étais à la fois la meilleure et la pire des candidates, JJ, chuchoté-je en exhalant une nuée de nicotine. Tu pouvais tellement apporter… et en même temps, t'étais désespérément terre-à-terre. Trop, peut-être, et c'est ça qui a failli me perdre.
Les premières gouttes de pluie commencent à tomber, dehors, dispersées pour débuter, puis de plus en plus bruyantes et resserrées alors que les secondes s'égrènent.
Par où dois-je attaquer, alors ? Par quel bout saisir l'histoire pour que l'exposé soit le plus pertinent possible, pour qu'elle comprenne « pourquoi maintenant » ?
Je me hisse sur la commode qui fait face à son lit et croise les jambes dans une éternelle attitude désinvolte qui a toujours agacé, chez moi.
- La première fois où je suis entré dans ta chambre, tu avais 10 ans, murmuré-je. Tu pensais que Dieu était un putain d'enfoiré, pour te laisser comme ça, et moi c'était tout ce dont j'avais besoin pour venir.
Bonney déglutit, mais n'a pas quitté son immobilité de statue.
L'état de choc, peut-être.
- Je sais pas pour qui ou pour quoi tu me prenais. Ton ami imaginaire, je dirais… Moi, je n'avais pas besoin de beaucoup plus. Tu avais juste besoin… de quelques touches de persuasion. C'est comme ça que j'ai procédé, pendant des mois et des mois. Je suis devenu ce qui se rapprochait le plus d'un ami ; quand j'étais là, pour sûr que ton père ne montait pas. Ce genre d'esprit est totalement influençable et ces nuits-là, tu avais assez la paix pour pouvoir dormir. Tu n'imagines pas les heures que j'ai pu passer assis sur le rebord de ta fenêtre, ou sur ton lit, ou dans le placard quand tu t'y cachais…
Aux mouvements de ses pupilles, je vois que son cerveau fait le lien avec cette sensation de déjà-vu dont elle m'a plusieurs fois parlé, et je suis certain qu'elle doit se sentir stupide de ne pas avoir saisi avant.
Malgré tout… est-ce que ça me surprend vraiment, quand j'y pense ? Pas tellement. Elle avait déjà tant subi et encaissé que c'était certainement la goutte de trop pour son cerveau d'adolescente, qui s'est protégé comme il l'a pu, en faisant le tri entre ce qui lui paraissait acceptable, et ce qui ne l'était pas.
Je la revois encore, assise au milieu de son lit, la couverture sur la tête, à trembler de peur en entendant son père monter les marches ; et à peine la fenêtre passée, elle courait et venait m'agripper la jambe, paniquée, en me suppliant de le faire partir. Le gros porc faisait demi-tour au bout de quelques secondes et Bonney se calmait, enfin, après avoir passé ce que je soupçonnais être des heures d'angoisse en attendant le retour de son géniteur.
Presque trop facile.
- Tu étais bien trop jeune pour qu'on puisse parler business, toi et moi, au début ; j'étais juste là pour te souffler les bonnes idées pour la suite.
- … la suite… ?
- Le 1er septembre. Le jour de tes 15 ans, JJ. Tu te rappelles, de cette nuit-là ?
Je suis odieux comme c'est pas permis ; rien qu'à voir la vitesse grand V à laquelle elle blêmit, je devine que ce souvenir est resté douloureusement vivace dans sa mémoire. Dommage qu'elle ait été si sélective…
- Tu pouvais même plus marcher droit. Tu m'as dit que tu voulais mourir, que tu n'en pouvais plus de cette vie. Et moi, je t'ai offert une autre alternative, ajouté-je après un long silence. Je t'ai dit que je pouvais régler tout ça si c'était ce que tu voulais vraiment. Si tu voulais...
- ... que tout s'arrête. Définitivement, achève-t-elle à ma place d'une voix monocorde. Et ma mère ?
- I l fallait mieux choisir tes mots, mon cœur, raillé-je.
Elle me déteste. Mais ce qu'il y a de mieux, dans tout ça, c'est qu'elle se déteste encore plus pour avoir pris cette décision. Peut-être à la fois la pire et la meilleure de sa vie, sûrement, mais elle a décidé en connaissance de cause.
- T'es qu'une putain de saloperie de–
- Tu m'as appelé ! m'exclamé-je, agacé. Je ne t'ai jamais forcé la main, tu as eu le choix jusqu'au bout. Et même avec ça, t'as réussi à me rouler.
Cette fois, c'est l'incompréhension qui peint son visage ; oh, quoi, elle n'a pas compris, peut-être ? Décidément, je la croyais bien plus intelligente que ça.
- Que–
- Tes conditions , JJ.
J'arpente la chambre, mes yeux courant sur le radio-réveil. 23h18.
Mon portable est resté silencieux, et je me demande à quoi ils peuvent bien penser, tous, là-bas ; Shachi et Penguin doivent être en pleine crise d'angoisse, et j'imagine mon père renfermé, taciturne au possible. À attendre en fixant l'horloge, pour voir si quelqu'un lui ramène la tête de son fils.
Je lui fais face et ses yeux clairs ne cillent pas quand je m'y plonge, encore une fois.
- Personne ne lit jamais les petites lignes. C'est une règle qui est valable à tous les moments de la vie, parce qu'on est tous beaucoup trop pressé pour prêter attention à ce qui compte vraiment. Tu sais c'est quoi, mon tour préféré ? souris-je. La formulation du délai. C'est ma grande spécialité, et tu sais à quel point j'aime jouer sur les mots, mmn...? « Fais de moi un homme riche jusqu'à la fin de mes jours », ça, c'est ce que je passe mon existence à entendre . Excellente tournure de phrase , simple, concise, efficace . Ces gens-là meurent dans les heures qui suivent leur contrat , parce que c'est moi qui décide de quand leur vie s'arrête. Une fois le compte en banque crédité, je viens récupérer ce qui m'est dû .
Bonney a les dents serrées, et je donnerais cher, encore une fois, pour savoir ce qui peut bien lui traverser l'esprit, en ce moment ; est-ce qu'elle songe à la meilleure manière de m'arracher les tripes ? Ça aurait au moins l'avantage de me faire rire...
Je me rapproche du lit et m'assois tout près, me penchant vers elle sans cesser de sourire. Elle ne recule pas, et je salue sa bravade.
- J'en ai conclu que personne ne se souciait de ce qui était mentionné tout en bas, en petits caractères... Sauf toi, JJ, murmuré-je. L'emmerdeuse de première catégorie… T'étais pas d'humeur à me faciliter la tâche, la nuit où toi et moi on a conclu notre petite affaire.
- Je venais de me faire passer dessus par mon propre père, bouffon, tu croyais que j'avais envie d'enfiler des perles ? persifle-t-elle.
- Bien sûr que non, JJ. Tu sais, contrairement à ce que tu peux penser, j'ai du mépris pour ce genre de personne. Quand tu m'as servi ton petit laïus sur dieu et le diable, tu m'as dit être persuadée que les penchants pédophiles de ton père lui venaient tout droit d'En-bas... et moi, je vais simplement te répondre que ça serait beaucoup trop facile de mettre ça sur le dos du Diable. Parce que les hommes n'ont pas besoin de ça pour se comporter comme des sous-merdes, ma grande... Ton père était juste un putain de tordu, et il paye pour ça, si ça peut te rassurer.
Très maigre consolation, ce que je lui offre, mais c'est la seule chose que je peux lui donner. Le reste ne dépend pas de moi.
- ... Je pense que je t'avais sous-estimée. Je n'avais jamais passé de contrat avec quelqu'un comme toi, et encore moins pour un motif de ce genre. J'ai plutôt l'habitude de traiter avec des types qui veulent être meilleurs que leurs associés, être plus riche, plus beaux, plus intéressants... Toi, tu ne voulais pas quelque chose de plus, tu voulais quelque chose de moins. Et ça, ça changeait toute la donne.
Je me lève et m'éloigne sans lui tourner le dos, constatant qu'elle me suit des yeux avec l'air de vouloir anticiper chacun de mes mouvements. Elle connait l'issue de mon monologue, et je sens que la partie d'elle que je préfère n'a pas l'intention de capituler aussi facilement.
Elle veut jouer au plus malin ? Soit.
- Un contrat comme celui-là, il en existe un nombre dérisoire, parce qu'ils sont d'une complexité sans nom, poursuis-je. Tellement réglo que je m'en arracherais presque les cheveux. Et toi, t'étais déjà assez intelligente pour savoir quoi me demander.
- Si j'avais vraiment été intelligente, j'aurais appris à fermer ma bouche et j'aurais été trancher la gorge de mon père pendant qu'il dormait, rage-t-elle.
Un bref instant, j'envisage de lui répondre qu'elle aurait pu le faire, c'est vrai... mais j'ai aussi envie de lui dire qu'elle n'était qu'une gamine, à cette époque-là, et qu'elle était déjà assez occupée à survivre chaque jour pour pouvoir prêter attention à ce genre de détails. Et pour ne rien arranger, je doute fortement que Bonney ait eu la force physique de tuer son père – trancher une gorge n'est pas si évident que ça, en réalité.
- Et pourtant, tu l'as été. Un contrat de 10 ans, prenant effet le jour de sa signature. C'était le jour de tes quinze ans, la nuit du 1er septembre. Ton père est parti au petit matin, et sa voiture s'est écrasée dans le ravin sur le trajet du retour.
Bonney a l'air sur le point de vomir, et je sais à quoi elle pense : si elle avait conclu le contrat sous une autre forme, elle aurait pu n'obtenir que la mort de son père. Et comme je suis un irrécupérable connard, j'ai préféré attendre le moment où je ferais le maximum de dégâts.
- Et là où tu t'es le plus attardée, c'est sur... ce que j'aime appeler les modalités de paiement. Les humains sont comme des lignes de compte : débitable sur l'instant ou à débit différé. J'ai décidé d'être indulgent, avec toi, et je t'ai accordé 10 ans. Tu vas me répondre, comme à l'époque, que c'est peu, et je vais te répondre à mon tour que c'est incroyablement long, pour un règlement. Alors tu as décidé de jouer tes cartes sur le seul enjeu qu'il te restait : le jour où j'allais pouvoir venir chercher ce qui m'était dû.
Je prends une pause , le temps d'évaluer sa réaction, qui me paraît toujours aussi bizarrement retenue.
Qu'est-ce qu'elle me prépare encore...?
23h35.
J'entends presque le tic-tac de ma montre.
- Je pouvais prendre ton âme à condition que tu aies trouvé une raison d'être heureuse avec un homme.
À en juger l'expression de son visage, je ne lui apprends rien. Je suppose que la majeure partie de ses souvenirs lui est revenue, mais je tiens à ce qu'elle comprenne à quel point ces derniers mois ont été une torture pour moi. Elle peut bien en retirer de la fierté, si elle le veut – ça m'est totalement égal.
- C'était ton challenge, JJ. D'accord pour t'emmener à condition que tu parviennes à changer d'avis sur les hommes, et à te laisser faire. À en aimer un, profondément, à te donner sans réfléchir. Pour toi, c'était... simplement impossible.
Je la revois encore, assise au bord de la fenêtre, avec moi, à regarder le sol en contrebas – je pense que l'idée de se suicider lui avait déjà effleuré l'esprit, mais qu'elle ne l'a jamais exécutée pour ne pas faire encore plus de mal à sa mère que son père n'en faisait déjà.
Elle était si cynique, si narquoise cette nuit-là ; c'était plus qu'elle ne pouvait en supporter. J'avais avec moi une gamine de quinze ans prête à envoyer quelqu'un pourrir six pieds sous terre : pas assez mûre pour prendre une décision intégralement pensée et repensée sous tous ses aspects, mais assez brillante pour s'attarder sur les détails. Et comme le dit le proverbe, le Diable se cache dans le détail. Bonney avait magnifiquement joué sa partie, à ce moment-là, malgré son jeune âge.
- Tu m'as dit : « Oh, bien, tu peux faire cesser tout ça, et après, quoi ? Qu'est-ce que je vais en retirer ? Je vais être heureuse, tout est bien qui finit bien, elle vécut heureuse et eut beaucoup d'enfants ? ». Moi, je t'ai dit que j'étais sûr que tu allais finir par l'être, et je t'ai garanti qu'en dix ans tu aurais trouvé quelqu'un pour te rendre heureuse. Tu as signé, JJ, et encore aujourd'hui je me demande si tu n'avais pas déjà prévu ton coup, ou si tout ce qui s'est passé ensuite ne relève que du fortuit.
Elle ne flanche pas – toujours aussi irascible, hein... Même adolescente, elle était déjà comme ça, pire, même. Zoro, Sanji, l'ont aidée à s'ouvrir un peu aux autres, mais elle était sauvage comme c'était pas permis. Au point même qu'elle m'envoyait sur les roses quand ça lui chantait.
- J'ai rangé ton contrat avec les autres, et je suis passé à autre chose, en te laissant mener ta barque comme tu l'entendais. Et c'est peut-être ma seule véritable erreur, dans cette histoire : je ne t'ai pas surveillée. C'est toi qui m'as appris que tu avais été envoyée dans une famille d'accueil, qui avait pris bien plus soin de toi que je ne l'aurais cru. Tu étais déjà mignonne, quand je suis parti, et tu n'en es devenue que plus belle. Comment est-ce que j'aurais pu me douter que tu ne trouverais pas le moyen de dépasser ce que tu avais vécu...? J'ai cru, stupidement, que tu allais trouver le bonheur avec un homme, et toi, tu t'es totalement fermée à eux. Et quand j'ai exhumé ton contrat, six mois avant notre rencontre, pour commencer à te chercher, je me suis rendu compte que tu avais totalement oublié, quand je t'ai trouvée. Tout oublié de moi, des soirs passés dans ta chambre à négocier, des nuits passées à te veiller quand ton père en avait fini avec toi, des heures passées dans ton placard où tu pouvais t'enfermer toute la nuit. A ce rythme-là, comment est-ce que j'allais être en mesure de récupérer ce que tu m'avais promis ? La condition n'était pas remplie, et j'étais le seul à blâmer pour ça. Et je me suis retrouvé coincé… obligé de jouer ce rôle moi-même.
Bonney garde le silence, mais cette fois, son regard est beaucoup trop vague pour que je la croie ici, avec nous.
- C'est pour ça que j'ai triché, JJ. Je suis revenu dans ta vie dix ans jour pour jour après la date d'exécution de notre contrat. 25 ans, le 1er septembre, celui où je suis entré dans cette école juste pour être ton modèle, et tout mettre en œuvre pour être cet homme qui allait faire pencher la balance. Tu as eu un sursis incroyable, plus de six mois, et chaque journée où tu respirais était une journée que je perdais.
- Et la nuit où j'étais ivre ? Pourquoi tu t'es pas gêné, ce soir-là...?
- Ça comptait pas, ne sois pas stupide. Tu pensais qu'à ton père, à ce moment-là : il fallait que tu sois en confiance, pour que ça fonctionne. Comme ce soir.
- ... Sabo...?
- Même verdict, le contrat est applicable pour tous ceux qui veulent le solder, ça ne concernait pas que moi. Sabo pensait que je faisais traîner le contrat. Il avait l'intention de jouer un peu avec toi avant de t'arracher les tripes, si l'envie l'en avait prise, mais il s'est rendu compte que toi et moi, on allait pas plus loin que deux ados de douze ans. Et c'est là que ce crétin a cru que j'étais amoureux de toi, et que je n'avais simplement pas le courage de finir ce que j'avais commencé.
- Tu m'as jamais aimée, hein...? murmure-t-elle avec une ébauche de sourire, à en juger son expression.
- On a passé de bons moments ensemble, souris-je. T'as eu la chance d'être... distrayante. Mais pas assez pour que je prenne sur moi pour t'épargner. J'ai déjà fait ça par le passé, et c'était déjà la fois de trop.
Ma mémoire sans limite me rappelle à quel point la décision de le sauver de ce qui l'attendait – une éternité de souffrances sans nom – avait manqué me coûter ma tête. J'avais un faible pour l'humain qu'il était, je ne me le suis jamais expliqué, et je n'ai jamais cherché à savoir. De toute mon existence, il était le seul à m'avoir plu, et j'étais horrifié de voir que la situation dans laquelle je m'étais embourbé était une impasse complète.
Alors, j'ai joué au même jeu que celui dans lequel j'avais toujours excellé : j'ai passé un contrat avec le Boss final. Ça l'a bien fait marrer, de me voir me démener pour obtenir une dérogation qui était un non-sens à elle toute seule.
J'ai eu le droit de le garder, à condition qu'il soit utile. Le cas contraire ne s'est jamais présenté, et quand je me remémore les lignes du contrat stipulant ce qui m'arriverait si j'échouais... j'aime autant apprécier le fait qu'il soit resté à mes côtés pendant des siècles pour devenir mon égal.
- Cet humain avait un potentiel incroyable, et j'en ai fait quelque chose qui dépasse tout ce que tu peux concevoir, chuchoté-je. Toi, en revanche, tu n'as pas le calibre. Le prends pas mal, chérie, mais pour moi, t'es juste bonne à mourir. Et maintenant que j'ai réussi… y'a rien qui m'empêchera de prendre ce que tu me dois.
23h45.
Je vérifie, d'un coup d'œil, que le rideau de la chambre est tiré – j'aime autant que d'autres humains ne voient pas ça – et reporte mon attention sur Bonney ; j'ai tout juste le temps de tourner la tête dans sa direction que sa lampe de chevet se brise dans un fracas sonore contre ma tempe. Le choc se répercute dans chaque recoin de mon crâne et je grogne à la sensation désagréable, alors que la porte de la chambre me claque au nez.
- Bonney..., soupiré-je en secouant la tête pour chasser la céramique morcelée de mes cheveux.
Je prends le temps de traverser la pièce et d'ouvrir la porte de manière civilisée et conventionnelle, entendant le bruit de ses pas dans la cuisine.
- Et si tu envisageais, une seule fois dans ta vie, de ne pas me casser les noix et de te laisser un peu faire ?
- Tu trouves pas que j'me suis assez laissée faire comme ça ? rétorque-t-elle.
- Je t'accorde le point, ma belle.
J'arrive dans la cuisine et, à peine ais-je tourné le mur du garde-manger que je reçois un coup de couteau en pleine poitrine, pile à l'endroit du cœur. La sensation est hautement désagréable, une fois encore, mais c'a le mérite d'être plutôt amusant. Bonney recule vers la salle, et ses yeux s'écarquillent quand je retire la lame pour la balancer dans l'évier.
- ... c'était supposé me faire mal...?
Elle court vers la porte, portable à la main – je note qu'elle a eu le temps d'enfiler mon tee-shirt au passage, belle ironie – mais je suis infiniment plus rapide. Elle n'a pas encore sa main sur la poignée que je me matérialise contre le battant, faisant rempart avec la sortie. Elle sursaute et recule dans l'autre sens, cette fois, les jambes flageolantes.
Et comment lui en vouloir ? Elle n'est ni la première, ni la dernière à agir ainsi.
Mes yeux font le point sur l'écran de son portable, et je souris en voyant qu'elle a ouvert son répertoire à la dernière page.
- Oh... tu crois que Zoro est de taille contre moi ? Si toi tu n'arrives pas à me tuer, qu'est-ce que tu crois qu'il fera, lui… ? Tu es seule. Toute seule, JJ. Personne ne viendra t'aider. Personne ne te sauvera de moi, pauvre petite chose...
.
POV Bonney :
Toute vie a un prix. Reste à savoir quel montant on est prêt à donner pour la sienne.
Vous avez le choix. On a toujours le choix. C'est Dieu qui l'a voulu en nous créant.
Le Vieux est tout-puissant et hors du temps.
Je ne sais pas combien vaut ma vie. Enfin, si… j'en ai une petite idée. Le prix de cette vie, je l'ai déjà payé, et j'ai un dernier échéancier à régler. Une dernière dette.
« T'es quand même pas né dans un foutu bled paumé ? Genre qui existe même pas sur une carte ? »
« …pas de bled paumé, non », qu'il a sourit.
Putain.
Tu m'étonnes.
Là d'où il vient…
Les citations de Faust.
Ses private joke.
Sa façon d'être là quand je ne m'y attends pas.
Toutes les affaires qu'il possède et qui retracent l'histoire de l'humanité.
J'ai choisi. Longtemps auparavant. J'ai eu le temps d'oublier et de passer à autre chose. Mais l'hallali sonne et je sais que je n'ai plus beaucoup de temps.
À la réflexion… c'est cher payé pour la vie que j'ai eue.
.
POV Law :
- Tu n'as pas l'intention d'abandonner, pas vrai ? murmuré-je en marchant vers elle, les mains dans les poches.
- Tu me connais mal, Law.
- C'est un point discutable. Mais il faut savoir reconnaître sa défaite quand elle se présente.
23h50.
Je presse le pas et Bonney se détourne pour fuir, mais j'ai assez joué au chat et à la souris.
J'en peux plus.
Il faut que je finisse ce contrat, coûte que coûte.
J'en ai bavé pour les prochaines décennies, c'est certain ; j'ai assez donné, aussi, pour tout ça. Pour en arriver là.
Je lui attrape le coude et elle se débat, me frappant avec toute sa force – je ne peux que reconnaître que si j'avais été un de ses pairs, elle m'aurait fracturé une côte ou deux, mais ce n'est pas le cas. Je suis né pour tuer les gens comme elle, et ce n'est pas aujourd'hui que je vais dévier de cette voie.
Les conditions sont remplies. Les siennes comme les miennes. Il est l'heure, définitivement, cette fois.
Elle essaye de me repousser, lutte comme pas possible, s'accroche au coin de mur le plus proche ; j'y prête à peine attention et l'entraîne vers la salle de bain, et j'entends ses ongles racler le mur alors qu'elle résiste. Je tire sèchement sur son bras et elle perd l'équilibre, s'éclatant par terre dans un bruit sourd.
Je me penche et attrape sa cheville, avant de la traîner derrière moi en sifflotant, la sentant résister à ma prise encore et encore ; farouche jusqu'au bout, hein… ?
Je claque la porte derrière nous, nous plongeant dans le noir, et ses cris s'éteignent quand ma main se plaque sur sa bouche.
. . . . . . . . . .
00:15.
Je fais le tour de l'appartement, fermant soigneusement chaque fenêtre, chaque velux, en m'assurant que tout soit en ordre, autour de moi ; surtout, aucune trace de lutte – le seul moyen que j'ai trouvé pour clore l'affaire du saccage de l'atelier remonté chez les flics, c'est le suicide. Ils pensaient déjà que Bonney débloquait complètement, autant les conforter dans cette idée pour qu'ils n'aient pas à chercher plus loin.
Je jette un dernier coup d'œil à son corps, étendu dans la baignoire, éteins la lumière et traverse le salon pour rejoindre l'entrée, que je verrouille à double tour avant de me retrouver de l'autre côté la seconde d'après, réajustant ma veste en quittant le palier pour emprunter la volée d'escaliers.
Je descends les marches à pas rapides, fredonnant déjà en rythme avec ma course ; une petite partie de moi a du mal à se rendre compte que cette histoire est terminée et que je n'aurai plus à me ramener ici, à faire semblant chaque jour qui passe – non pas que l'exercice ait été insurmontable, seulement, il m'aura retiré quelque chose que je crève d'envie de revoir.
Jouer la normalité, maintenant, encore quelques minutes.
J'arrive dans le couloir d'entrée de l'immeuble et sors sous la pluie, dévalant les quelques marches du porche pour rejoindre la voiture qui m'attend, garée à quelques mètres des portes ; j'ouvre la portière et m'engouffre côté passager, la claquant derrière moi avant de tendre le poing pour l'entrechoquer avec celui de Zoro qui me sourit, mutin.
- Déjà fini ? s'étonne Sanji, à l'arrière, en s'allumant une cigarette.
- Qu'est-ce que tu croyais ? soupiré-je en passant une main dans mes cheveux pour chasser les gouttes d'eau qui s'y trouvent. Qu'elle allait me balancer de l'eau bénite en récitant trois pater… ?
- On fume pas dans ma caisse, marmonne Zoro en le fusillant du regard dans le rétroviseur.
- Tu dis rien à Law quand il s'en grille une.
- Law c'est mon boss, toi t'es juste un gros co–
- Stop, tranché-je en levant le doigt. Sinon, ce soir, vous créchez dehors.
Leur joute s'arrête là – pour le moment – et Zoro s'engage dans la circulation en suivant mes indications pour rejoindre le lieu de passage ; avec son sens de l'orientation totalement inopérant, pour ne pas dire inexistant, je doute fortement qu'il y parvienne seul. Sa seule excuse à ce propos tient dans le fait qu'au fil des siècles, les configurations des rues changent, les façades, le revêtement, les boutiques, au point qu'il ne reconnaisse plus rien et soit incapable de trouver sa route.
Mais bien sûr.
Je croise les bras, m'installe plus confortablement contre l'appuie-tête et ferme les yeux, laissant Sanji prendre le relai des indications, le noir de mes paupières closes troublé par les lumières des belvédères qui défilent au bord de la route.
Je suis… épuisé – tout ce que je voudrais, à cet instant, c'est dormir, mais la nuit n'est pas terminée et, sérieusement, je vais avoir bien mieux à faire.
Il y a quelques jours, quand je tentais de me représenter cet instant où le contrat serait terminé, je m'imaginais surexcité, fier et pressé de narguer ceux qui avaient douté de moi ; arrogant, comme toujours. Et à présent que j'y suis… je veux juste rentrer chez moi. Avec lui. Juste lui, et ne plus entendre parler du monde pendant les jours à venir, rester en retrait de toute cette civilisation dont j'observe l'évolution depuis ce qui me paraît être une éternité.
La voiture ralentit, les pneus crissent quand on passe un bateau, et sa course s'arrête dans un ronronnement de moteur ; je rouvre les yeux et contemple la porte noire, un long moment, Sanji et Zoro demeurant immobiles et silencieux à côté de moi, attendant certainement ma permission pour y aller.
Difficile de croire que je leur ai laissé carte blanche depuis plus de dix ans…
Et je ne suis pas le plus à plaindre ; ils vont devoir terminer leur cycle d'étude et jouer les ignorants, simuler larmes et tout le toutim pour que personne ne soupçonne rien et les prennent pour ce qu'ils sont supposés être : les meilleurs amis dévastés par le suicide de Bonney.
Je m'étire un bref moment et ouvre la portière, sortant sous le torrent qui tombe du ciel pour traverser la ruelle plongée dans la pénombre et atteindre la volée de marches qui mènent à l'entrée ; le battant grince en s'ouvrant, et j'ai une brève pensée pour Bonney qui a eu le cran de s'aventurer ici.
Tss.
On longe le couloir en silence, Sanji me précède et frappe à la porte que Magellan ouvre lentement, nous jetant un coup d'œil avant de s'effacer pour nous laisser passer ; le silence se fait quand les têtes se tournent dans notre direction, chaque personne présente constatant que le Patron n'aura pas à choisir ma tête comme déco pour les dix prochaines années.
Il est là, d'ailleurs, dans une des alcôves avec mon père, qui affiche un air profondément satisfait ; satisfait de prouver aux autres que j'ai réussi, même si ça semblait perdu d'avance, et satisfait de savoir que ce n'est pas ce soir qu'il me perdra.
Je sais très bien ce que le Boss a à la bouche.
Monseigneur Gol D. Roger, à qui je dirais bien ce que je pense de son coup de fil à Madrid, mais j'ai déjà beaucoup trop tiré sur la corde, autant ne pas abuser de sa patience relativement inexistante ; comme le dit un proverbe persan, la précipitation vient du Diable, Dieu travaille lentement.
Au travers de tout ça, je devine les futurs compliments de mon père, mais je ne veux pas de leurs félicitations, c'est même la dernière de mes préoccupations. Shachi et Penguin font leur danse de la joie – un mélange ridicule de valse et de remuements de hanches random – un peu plus loin, Jean Bart lève un verre à mon intention, et Thatch, Mihawk et Vista me gratifient d'un hochement de tête qui veut tout dire, les concernant.
Eux aussi, ils ont galéré ces dernières années, mais ça en valait la peine, je suppose. Thatch va me faire payer de lui avoir fait supporter les piques bien senties de Bonney, c'est certain.
Ma mère est là, dans la pénombre, un peu plus loin ; ses yeux me fixent avec une expression que je ne saurais déchiffrer, mais je jurerais voir un sourire railleur au coin de ses lèvres, invisible pour celui qui n'y attarde pas son regard.
Est-ce que j'aurais, à défaut d'avoir atteint de stade du respect, au moins effleuré du bout des doigts celui de l'attention ?
Je détourne le regard, descends les marches et fends la masse qui se presse là, sous le regard éternellement pensif de Shakky, trouvant celui que je veux remercier en premier lieu, et que je trouve accoudé au bar, pour ne pas changer : j'ouvre mes bras et Shanks me serre contre lui de son bras unique, me tapotant ferment le dos, tout sourire.
- T'as mis du temps, gamin.
- Il faut savoir soigner ses sorties, tu sais bien, souris-je.
- … quand même. Nous refais plus un coup comme ça, c'est un coup à frôler la crise cardiaque, s'esclaffe-t-il.
- … merci, Shanks, murmuré-je contre son épaule. J'aurais jamais réussi, sans Zoro et toi.
Il ne répond rien : c'est tout lui, ça. Peu de paroles, beaucoup d'action.
C'est lui qui a donné à Bonney une raison de continuer, de s'accrocher à quelque chose, d'amorcer cette parcelle de bonheur qu'elle était supposée atteindre avant que je ne vienne prendre mon dû.
Et Zoro de prendre le relais, des années durant, avant de lui donner la dernière impulsion en exploitant son esprit de contradiction : lui dire de ne pas me fréquenter pour la pousser à faire l'inverse.
Il m'étreint une dernière fois, me donne du clin d'œil et me fait signe de décamper ; je m'extirpe de son accolade et me dirige vers le fond du bar, où je trouve Luffy occupé à expliquer la recette des pizzas à Bartolomeo, un os de poulet encore coincé au coin de la bouche. Quand il me voit, il m'offre un de ses immenses sourires et me donne du V de la victoire ; il doit comprendre ce à quoi je pense quand il voit mon expression, et se lève pour me rejoindre, un peu à l'écart des autres.
- … il n'est pas là ? murmuré-je.
- Si, il est dehors, à l'arrière, sourit-il, amusé par mon anxiété. Il est là depuis ce matin, un vrai lion en cage, il a passé la journée à angoisser et engueuler tout le monde. Shakky l'a fait sortir il y a une demi-heure, histoire qu'il se calme un peu avant de commencer à foutre le feu aux rideaux. Tu l'connais, il est chiant quand il s'y met…
Et dire qu'il a dû le supporter, tout ce temps…
Oh, je ne vais pas le plaindre : vivre avec lui n'est pas insurmontable, mais je garde à l'esprit que Luffy a dû sacrément déguster, ces derniers temps, à encaisser à ma place la frustration de mon amant. Sabo a parfaitement su jouer sur cette corde là, d'ailleurs, et ça me rappelle que je vais en devoir une bonne au gamin.
Je le remercie en lui ébouriffant les cheveux et poursuis mon chemin à travers le bar, poussant les tentures sur mon chemin pour atteindre la porte du fond, le cœur battant à tout rompre. Je tourne la poignée et écarte le battant, qui donne de l'autre côté, dans notre monde à nous, terre brûlée aride où jamais ne tombe la moindre goutte de pluie. Un monde stérile où je déteste me trouver quand il n'y est pas.
- … Ace ?! crié-je à la silhouette qui fait les cent pas sur le bitume craquelé, au loin, tout juste visible dans les volutes de chaleur.
Il se retourne et ses yeux noirs vrillent les miens, furieux, l'espace d'un instant, avant de s'adoucir quand il me reconnaît.
Quelle tête de con, celui-là.
Je souris et l'instant d'après, il se matérialise à mes côtés et se jette contre moi pour me serrer contre lui de toutes ses forces, alors que je le retrouve enfin, le nez dans ses cheveux, les yeux clos, pour profiter de ce qui m'a tant manqué ces derniers mois.
- On a passé minuit… ? souffle-t-il contre mon cou.
- Si tu t'obstinais pas à faire la gueule, idiot, tu le saurais, souris-je en prenant un peu de recul pour prendre son visage entre mes mains et le contempler.
- Tu m'insultes déjà… ?
- Tu m'as fait carrément chier ces derniers mois, et j'ai pas encore décidé comment j'allais te punir pour ça.
- T'as toute la nuit pour y réfléchir, non… ? murmure-t-il en m'amenant à lui pour m'embrasser.
Toujours la réponse qu'il faut, hein.
Mais pour la première fois depuis ce qui me semble être une durée infinie, je vais lui donner raison.
. . . . . . . . . .
10:15.
Sans un bruit, je m'extirpe du canapé où Ace dort encore profondément, étendu sur la méridienne, lové dans le drap ; je repousse les mèches qui couvrent son visage et caresse sa joue couverte de tâches de rousseur, le dévisageant une dernière fois avant de me détourner pour aller chercher mon trousseau de clés, dans l'entrée, et ouvrir la porte de l'appartement pour trouver les journaux fraîchement déposés sur le paillasson. Je referme derrière moi et, quotidiens sous le bras, je fais un détour par la cuisine pour me servir un café et prendre un des cookies qu'Ace a faits, hier soir, en calant un au coin de ma bouche avant de me détourner et rejoindre mon bureau dont j'allume la lampe, m'asseyant dans ma chaise en ouvrant mon ordinateur d'une main, entrant dans ma session non sans jeter un autre coup d'œil à mon colocataire toujours endormi.
Il va pester quand il va se rendre compte que je travaille à peine le soleil pleinement levé, mais je n'ai pas le luxe de m'accorder des vacances, puisque le Patron considère mes derniers mois de boulot comme un congé quasi-sabbatique. Il m'a accordé deux jours, qui finissent ce matin même, et je reprends l'exécution et la conclusion de mes autres contrats en cours ou à venir.
Je récupère la clé qui m'intéresse dans le trousseau et déverrouille le tiroir de droite, où se trouve mes dossiers en cours ; le plus gros est celui de Bonney, que j'extirpe de sa pochette.
Prenant une gorgée de café, je feuillette les journaux qui relatent les évènements de la veille, mes yeux parcourant à toute vitesse les pages des faits divers – je sais où trouver ce qui m'intéresse, et je mets le doigt dessus dans une rubrique bien particulière. Non sans réprimer un sourire, je découpe avec soin l'encadré visé et me lève, mâchant mon biscuit, pour atteindre le pan de mur de la pièce suivante où j'épingle le minuscule article qui traite de mon emmerdeuse première catégorie, retrouvée morte hier après-midi. Zoro doit être en train de jouer les types éplorés qui chiale comme pas permis, notamment auprès de son ancienne famille d'accueil que je n'avais pas prise en compte, trop persuadé d'avoir le droit à une affaire servie sur un plateau.
Mon stage débute aujourd'hui, officiellement, dans le cadre de la dernière année d'étude ; je n'aurai qu'à pointer ma tête au moment de la remise du mémoire, et à récupérer mon diplôme dans quelques mois quand le temps de la remise officielle viendra, et ce contrat-là sera totalement clos.
Ne pas faire de vagues, comme je l'ai dit à Ace. Rester réglo. Garder à l'esprit qu'on doit paraître les plus humains possibles.
Je prends une photo de l'encadré que j'envoie sur mon ordinateur et m'atèle à compiler tout ce qui s'y trouve la concernant, toutes les photographies, les études, les écoutes de conversation, les notes sur ses habitudes, avant de transférer le dossier zippé dans la clé USB au nom de Jewelry Bonney, dont j'inscris la date de décès juste en-dessus de son patronyme avec un soin tout particulier.
Je la range dans le tiroir qui demeure déverrouillé, près des autres clés, et je ne peux m'empêcher de sourire, encore une fois. Elle m'aura bien fait marrer, quand même, cette nana. Mais je saurai être plus ferme au prochain contrat de ce genre, histoire de m'éviter des ennuis supplémentaires – même si, au fond de moi, je brûle d'envie d'avoir à nouveau cette adrénaline, ce challenge, cet attrait du nouveau qui brise la routine monotone des contrats qui se succèdent et se ressemblent tous.
Je referme tout et me lève, traçant cette fois vers la salle de bain, où je trouve Bepo en train de se tremper dans le lavabo à grand renfort de ronronnement.
- Qu'est-ce que tu fous ? soupiré-je en détachant les cordons de mon pantalon.
- J'me lave les oreilles. Vous m'avez empêché de dormir toute la nuit, crache-t-il à mon attention.
Je lui fais un doigt et il feule, maussade – ça lui va bien, de dire ça, à cet arriéré de chat… il préfère ça plutôt que me voir déprimer sur le canapé, mais il ne l'avouera jamais.
Je finis de me déshabiller et je l'entends râler contre les types comme moi qui n'ont aucune pudeur quand je passe derrière la paroi de la douche, où je fais couler l'eau brûlante sur ma tête.
Shachi m'a dégoté de nouveaux contrats potentiels et j'aimerais observer tout ça de plus près, et pour ça j'ai besoin de m'y rendre moi-même au petit matin. Ce contrat-là va être compliqué, mais je vais laisser Shanks, Zoro et tous les autres tranquilles, ils ont d'autres choses à faire – et je suis persuadé que, hiérarchie ou pas, ils me dépèceraient si je leur demandais de renouveler l'exploit à la Truman Show que j'avais exigé pour pouvoir récupérer l'âme de Bonney. Et à juste titre – Zoro, particulièrement, voudrait à coup sûr m'arracher les ongles à la tenaille par pur esprit de vengeance.
Tout ce que j'ai à faire, d'après le planning, c'est observer une gosse battue par ses tuteurs légaux, sa tante Roji pour être plus précis. Comme quoi, apprendre quelque chose dans le genre aurait complètement miné Bonney, qui croyait dur comme fer – et comment le lui reprocher ? – que les femmes avaient bien plus l'instinct de protection que les hommes.
Nico Robin, d'après les données de Shachi.
C'est mon boulot d'évaluer qui a le meilleur potentiel pour faire le meilleur contrat ; mon boulot de rédiger ce contrat, dans les moindres lignes ; mon boulot, de m'assurer de l'acquittement de la dette contractée.
Je souris à travers l'eau qui ruissèle sur mon visage, lève la tête vers le pommeau de douche et croise mes mains sur ma nuque, laissant l'eau imprégner mes cheveux.
Car c'est pour ça que je suis fait :
estimer la valeur d'une âme.
.
« Les monstres sont réels, les fantômes le sont aussi, ils vivent à l'intérieur de nous.
Et parfois… ils gagnent. »
Stephen King