Eren laissa échapper un sifflement en frottant ses mains l'une contre l'autre, il ne parvenait même plus à se réchauffer malgré le petit feu de camp qu'il entretenait désespérément depuis près de huit jour. Soulevant le drap qui l'abritait, toit de fortune, il jeta un œil au ciel nocturne toujours gris, chargé d'une neige qui tombait presque sans discontinuée depuis près de cinq jours maintenant. Enroulant ses bras autour de ses jambes rendues malingres par la faim et le froid, il reporta son attention sur les rails qui disparaissait sous la neige, comme son ultime espoir. Il attendait ce train comme le messie, foutu légende urbaine auquel il se raccrochait, parce qu'Armin avait pris beaucoup de plaisir à le lui compté, parce qu'il l'avait promis à sa mère sur son lit de mort. Et parce qu'il s'était mis à y croire, ces foutus élites qui traversait le continent pour échapper à ce que la nature avait de pire à offrir. Il frissonna à cette pensée, jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, quêtant le moindre mouvement dans les fourrés. C'était un fichu puma qui avait mordu Jean, et ce dernier n'avait pas tardé à succombé malgré l'amputation de sa jambe et toutes les souffrances qui vont avec. La forêt en était gorgée, il le savait bien, d'ours aussi, d'autant d'animaux sauvages qui fêtaient en carnage la quasi disparition de leur ennemi commun. Mais malgré tout cela il tenait bon :

« Les rails sont là, murmura t-il doucement, elles ne bougeront pas… »

Il reposa sa tête sur ses genoux meurtris :

« Les rails sont là… »

Le visage souriant de sa mère lui frottant doucement les cheveux le fit sourire distraitement, ses petites visions étaient toujours les bienvenus. Il fredonna la comptine de son enfance, la voix de sa génitrice semblant faire écho à la sienne.


Eren se raccrocha au drap, pestant lorsque celui-ci s'effondra sur lui, alourdis par le poids de la neige. Il émergea en pestant, tentant de se mettre debout alors que la terre se mettait en branle, jurant tout son saoul il écarquilla les yeux devant les gerbes d'étincelles visible malgré l'aurore : il était là. Le jeune garçon sentit aussitôt les larmes lui montées aux yeux, se mordant le poing alors qu'un rire dément naissait dans sa gorge, il se jeta au sol, agrippant le précieux harpon si cher à ses yeux avant de se ruer au bord de la voie. La locomotive, carlingue presque flamboyante, s'approchait à une vitesse vertigineuse, arrachant une grimace au châtain, conscient qu'il n'aurait droit qu'a un seul et unique essai. Enroulant fermement la corde de chanvre autour de son bras, il prit une inspiration sèche qui lui brûla aussitôt les poumons. Eren fit tournoyer le grappin après l'avoir brièvement soupesé, il n'en avait pas vraiment besoin, ils se connaissaient comme deux frères après tout. La vision d'une Mikasa las en le voyant jeter une énième fois son harpon qui se percutait toujours le vide s'imposa naturellement à son esprit :

« Je dois pas me rater, ne pas se rater, ne surtout pas la rater, pria t-il. »

Un seul essai, le fuselage de la locomotive était la seule chose sur lequel il pouvait espérer avoir une prise quelconque, les wagons offrait une prise à l'air bien moins importante et ne bougeait que d'un seul tenant. Autant harponner une rivière en somme. Eren lança le décompte dès que la locomotive amorça la dernière courbe dans sa direction, il amplifia la rotation de son précieux grappin alors que le fuselage de l'appareil lui apparaissait désormais plus nettement :

« Encore un peu, approche encore un peu, souffla t-il. »

Tous ses muscles se bandèrent, l'accroche fut violente et son cœur rata un battement tandis que son corps s'élevait brutalement dans les airs. Il lâcha un hurlement sourd, roula sur le coté en agrippant son épaule, frissonnant lorsque le vent balaya sa veste. Ses yeux encore embué de douleurs se posèrent sur la chenille grondante qui lui faisait face, les roulements mécaniques agressèrent ses oreilles, abasourdis il baissa la tête, observant le petit ponton gris acier sur lequel ses genoux ensanglantés reposaient désormais :

« J'ai réussi… J'ai réussi… »

Se relevant avec avidité, il fut plaqué au sol derechef par une bourrasque. Ses côtes furent secoués de spasmes, sa gorge meurtrie par le froid laissa échapper un rire rauque et douloureux, ses prunelles émeraudes reflétaient le soleil levant avec reconnaissance tandis que le train poursuivait sa course à travers les plaines. Oublié ses journées de lutte avec les forces de la nature, oublié le visage de sa mère baigné de larmes, oublié les reproches de ses amis aujourd'hui disparus, sa douleur à l'épaule qui tentait pourtant d'attirer un peu son attention. Il l'avait fait, son avenir démarrait à cet instant. Il essuya nerveusement ses joues trempées, pas franchement le moment d'attraper des engelures, avant de se redresser sur les coudes, grimaçant aussitôt. Un claquement semblable à un coup de tonnerre le fit tressauter, il n'eu pas le temps de réaliser quoi que ce soit que déjà il se retrouvait, une fois de plus, plaquer au sol, écarquillant les yeux d'horreur alors que sa nuque se retrouvait dans le vide :

« J'me disais bien que c'était pas un putain de couguar. »

Un humain, un autre. Le chevauchant littéralement, vieux colt en main, c'était un garçon sensiblement de son âge. Enrouler dans une parka, la gorge à nue malgré le froid saisissant, il ignorait ostensiblement à la fois ses cheveux corbeau lui fouettant le visage, la neige qui lui mordait la peau et les éclats émeraudes qui luisaient sous lui :

« T'as du cran morveux, rare sont ceux qui osent s'aventurés ici. »

Eren secoua vivement la tête, déglutit pour rendre ses paroles aussi clair que possible, pria pour que sa voix sonne moins rauque que celle de son vis-à-vis dont l'arme continuait à lui presser le front :

« Je ne suis pas du Train ! Je viens de monter, à l'instant ! »

L'homme aux yeux gris acier les plissa à peine :

« Là, regarder, j'ai utilisé ce grappin, j'ai réussi à accrocher la parcelle, le voilà, le voilà, bégaya le plus jeune garçon en parvenant avec peine à dégager une de ses mains pour se saisir de l'objet. »

L'autre y adressa à peine un regard :

« Donc… Tu viens de l'extérieur.

-C'est-c'est bien ça, souffla Eren se sentant immédiatement soulagé.

-Voilà qui est intéressant.»

Les yeux du jeune garçon manquèrent de sortir de leurs orbites lorsqu'il fut empoigné par le col et pousser sans ménagement, la moitié de son dos désormais sans soutien, seul un réflexe le faisant s'agripper à la petite barrière de fer forgée qui parcourait le pourtour de la parcelle lui fut salutaire :

« Tch.

-Qu'est ce que vous faîtes ?!

-Oh, tu préfères que je te colle une balle entres les deux yeux d'abord ? A la vitesse où nous allons tu n'as déjà aucune chance de survie, ta mort sera rapide et indolore.

-Je veux juste monter à bord, je suis un humain, tout comme vous, vous ne pouvez pas…

-Qu'est ce que je ne peux pas gamin ? Est-ce que tu vois quelqu'un ici qui serait en mesure de t'aider, railla le brun, quelqu'un qui s'oppose à ce que je fais ? »

Eren mordit ses lèvres tremblotantes, tout ce chemin… Ces morts… Il haleta faiblement lorsque l'autre poussa un à un ses doigts engourdit toujours agrippés à la barrière et tout ceci avec un détachement certain. L'adolescent se sentait trembler de tout ces membres, n'émouvant en rien son assaillant tout à sa tache. Lorsqu'enfin il l'eu achevé, il lui offrit sa propre poigne en guise d'accroche avant de se redresser et glisser son pied entres ses jambes recroquevillées. Cette main brûlante qui agrippait la sienne était désormais son ultime lien avec le train qui fusait toujours, indifférent au drame qui se jouait sur sa locomotive. Personne ne saurait jamais qu'Eren Jaeger avait lui aussi foulé de son corps meurtri cet arche de Noé moderne. Il darda une ultime fois ses yeux vert sur ceux impassible de l'autre qui s'était presque accoudé à la rambarde :

« Me regarde pas comme ça gamin, je te renvoie d'où tu viens tout simplement.

-Vous allez vraiment me tuer hein, souffla le châtain d'une voix blanche. »

Restant un instant interdit, le jeune homme laissa sa poigne faiblir et posa sa tête sur sa main libre, dévoilant à la fois une meurtrissure imposante à la naissance de sa clavicule et un sourire carnassier :

« Désolé mais ce train ne prend plus de voyageurs…»

A suivre…


Et vive la SNCF ! Voici le premier chapitre de Colchique, qui au vue de sa longueur est plus un prologue qu'autre chose… L'histoire s'inspire (très) librement de « Snowpiercer » et plus récemment « Kutetsujou no Kabaneri » (qui est un anime que je ne saurais que chaudement vous recommander !). En espérant recevoir modestement vos impressions…