Nda : Bonjour à tous. Je suis désolée pour cette longue absence ! J'ai passé une année 2019 dingue au travail à enchaîner les heures supplémentaires et le stress accumulé. Résultat : j'ai délaissé momentanément l'écriture par manque de courage. Pour autant, j'ai continué à écrire même si très peu pendant une période, privilégiant avant tout ma fiction originale.

En ce début d'année, je me suis remise sérieusement à l'écriture de Mortelle destinée et je suis heureuse d'avoir bien avancé au cours du mois de janvier et début février avec près de 5000 mots ajoutés rien que pour cette fanfic ! Bref, tout ça pour dire que le chapitre XIV est enfin prêt et pour me faire pardonner, c'est un looonnng chapitre qui sera centré cette fois-ci sur l'enquête.

Bonne lecture !

Pour rappel, le précédent chapitre était centré sur Gray et Elfman, de leur dispute jusqu'à leur discussion qui scelle leur réconciliation.


Mortelle destinée

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Partie I :

Le cas des Strauss


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- XIV -

Le chemin du retour s'effectua dans le silence le plus total. Bien que le climat se fût apaisé entre les deux amis, leur discussion ayant éloigné leurs différends pour au moins quelque temps, Gray n'était pas dupe et ne se faisait guère d'illusion quant à la pérennité de la relation qu'il partageait avec Elfman. Pour le moment, il refusait d'y penser, le plus important pour lui actuellement restait le bien-être de son ami et seul son intérêt était à prendre en compte. Le jour où leur relation prendrait fin serait aussi celui où Mirajane et Lisanna seraient retrouvées, saines et sauves. Elfman pourrait reprendre sa vie là où il l'avait laissée. Tout serait alors pour le mieux. Il retrouverait ses sœurs qu'il chérissait tant et le sourire avec. Quant à Gray… Il panserait ses blessures comme il le faisait depuis toujours. Pour lui, c'était le seul dénouement possible, l'autre alternative étant inenvisageable.

A peine le jeune policier eut-il franchi les portes du commissariat, qu'il se remit au travail sans tarder. Une réunion était prévue en fin de matinée et Gray comptait bien avancer autant que possible d'ici-là. Il observa un instant la place vide laissée par Elfman. Son collègue lui avait dit vouloir s'entretenir avec Luxus avant de poursuivre ses recherches. Cela faisait une bonne dizaine de minutes qu'ils étaient enfermés dans le bureau du commissaire et Gray ne put s'empêcher de se demander de quoi les deux hommes pouvaient bien parler. Sans doute de Lisanna et de Mirajane, songea-t-il. Elfman et Luxus étaient beaux-frères après tout. Il était tout à fait normal qu'ils se confient l'un à l'autre en dépit de leur retenue naturelle. Un instant pensif, Gray se replongea dans son enquête, se promettant de ne plus lever le nez jusqu'à ce qu'il trouve une information importante.

Elfman sortit du bureau de Luxus une dizaine de minutes plus tard. Gray faillit ne pas le remarquer tant il était absorbé par son dossier. Lorsqu'il leva la tête vers son collègue, il eut l'impression qu'il était embarrassé.

— Tout va bien ? s'enquit-il inquiet.

— Oui, ça va, s'empressa de répondre Elfman en évitant son regard.

Gray fronça un instant des sourcils mais comprenant que son ami ne voulait pas lui confier le contenu de sa conversation avec Luxus, le jeune inspecteur n'insista pas. Tout de même, son comportement l'intriguait. La réaction de son ami était inhabituelle… S'il s'était disputé avec Luxus, Gray l'aurait tout de suite remarqué. Il avait plutôt l'impression que cela le concernait, lui. Mais en quoi ? Se pourrait-il que leur supérieur soit au courant de leur relation ? Sentant ses réflexions se transformer en migraine, Gray coupa court à celles-ci et se recentra sur ses recherches en espérant que son ami finirait par se confier à lui tôt ou tard.

Il avait commencé par enquêter sur le passé de la victime de l'accident de chasse mais ses résultats l'avaient vite mené à une conclusion indiscutable. Le frère de la victime, qui avait inexplicablement disparu après la mort de son frère, avait été retrouvé dans le nord du pays. Marié à un autre homme, il avait changé de nom de famille ce qui avait rendu les recherches plus difficiles. D'après les informations dont Gray disposait désormais, l'homme avait fui sa famille qui n'avait pas accepté sa décision de vivre son homosexualité au grand jour. Gray avait vérifié que ses informations étaient justes en passant quelques coups de fil et en avait vite conclu que cette piste n'était plus à suivre. Un suspect de moins sur la liste qui s'était réduite depuis le début de l'enquête. Soulagé, Gray savait malgré tout qu'un long travail restait à faire…

Désormais, lui et Elfman se penchaient sur le cas de l'homme qui s'était suicidé dans son garage. Son unique frère demeurait introuvable malgré les recherches effectuées par les agents assignés à cette affaire. Elfman mettait tout en œuvre pour retrouver sa trace tandis que Gray se concentrait sur son passé. Si tous les suspects jusque-là avaient vécu un passé tourmenté, force était de constater qu'ils étaient loin du calvaire qu'avaient subi les deux frères Yura. De père inconnu, les deux garçons avaient été élevés par une femme toxicomane qui se prostituait pour obtenir sa dose. Plus Gray se plongeait dans les détails sordides de l'enfance des deux frères, plus la sensation d'être sur la bonne voie se faisait certitude.

Son intuition se confirma au moment où il reçut par mail les dernières informations demandées sur le dossier judiciaire qui concernait la famille Yura. Gray le parcourut rapidement, puis, pris d'une soudaine frénésie, il en lança l'impression avant de se lever brutalement de sa chaise, manquant de la faire traverser le bureau.

— Gray… ? s'enquit Elfman intrigué par le comportement inhabituel de son collègue.

— Je crois qu'on l'a !

— Qu… ?

— Suis-moi Elf !

Gray n'attendit pas la réponse de son collègue qu'il rassembla les feuilles éparpillées sur son bureau avant de les ranger dans un dossier qu'il serra comme s'il s'agissait du plus précieux des trésors. Il récupéra tout aussi rapidement les documents fraîchement imprimés puis se faufila avec dextérité et d'un pas rapide entre les bureaux du même étage.

Gray réagissait rarement avec autant de fébrilité. Ses mains tremblaient, son front ruisselait de sueur, ses pupilles dilatées s'agitaient dans tous les sens, ne faisant que persuader son ami qu'il tenait quelque chose d'important. Le colosse ne mit pas longtemps avant de le suivre jusqu'au bureau de Luxus. Fébrile, son cœur se mit à battre avec frénésie après avoir manqué un battement ou deux.

Le jeune homme ne frappa qu'un coup à la porte et l'ouvrit avant même de recevoir une réponse de son supérieur.

— Pardon de débarquer comme ça mais… je crois qu'on a notre homme !

Gray tendit le dossier à son supérieur. Luxus le parcourut rapidement du regard et plus il avança dans sa lecture, plus son regard s'écarquillait de stupeur.

— Quoi ?! s'exclama Elfman. Vous allez me dire ce qu'il se passe tous les deux !

Le policier était à deux doigts d'exploser et de voir ses collègues ne pas faire grand cas de sa demande le rendit plus fou que jamais !

— Je réunis l'équipe, annonça Luxus en s'adressant directement à Gray. En attendant, rassemble tout ce que tu as sur lui et rejoignez-nous en salle de réunion ! Tu lui expliqueras en même temps.

Luxus n'attendit pas que Gray sorte du bureau talonné par un Elfman au bord de la crise de nerfs qu'il se saisit avec frénésie du combiné.

Le colosse essaya de suivre son ami mais le jeune homme, lorsqu'il avait un objectif en tête, était difficile à stopper.

— Gray, dis-moi ce qui se passe, bordel ! explosa-t-il finalement.

— Laisse-moi juste deux minutes Elf, répondit le jeune homme en lançant plusieurs impressions tandis qu'il réunissait tout ce qu'il avait sur le suspect.

Il savait que son ami était sur des charbons ardents à attendre le verdict mais il était plus important de tout rassembler aussi vite que possible pour pouvoir enfin accélérer le mouvement de cette enquête interminable.

Elfman crut devenir dingue pendant ce laps de temps qui lui parut interminable. Pourtant, Gray fit aussi vite que possible, à la fois conscient de l'état d'impatience dans lequel se trouvait son ami et empressé lui-même de rejoindre rapidement ses collègues. Quand il eut tout réuni, il entraîna son coéquipier à sa suite et entreprit de résumer la situation pendant le court trajet dans l'ascenseur.

— J'ai lancé une recherche sur la base de données de la police pour savoir s'il existait quoi que ce soit sur les deux frères. Je n'avais aucune information sur le petit frère du type qui s'est suicidé et je commençais sérieusement à me dire qu'il avait disparu, voire qu'il n'avait jamais existé. Mais il semblerait qu'ils aient tous deux eu un passé. Et pas des moindres ! Une vieille enquête sur la mort d'une femme dans un motel.

Le bip de l'ascenseur retentit au moment même où Gray s'apprêtait à entrer dans les détails, les portes s'ouvrant sur l'étage réservé aux profileurs.

— Je n'ai plus le temps de tout te détailler, tu en sauras plus dans quelques minutes. Tout ce que je peux te dire, c'est que je suis sûr à 99 % que ce type est notre homme !

Elfman ne savait plus s'il devait se sentir soulagé ou bien le contraire. Il se sentait à la fois euphorique et angoissé comme jamais il ne l'avait été jusque-là et encore plus depuis la disparition de ses précieuses sœurs. Se sentir soudain si proche d'elles mais en même temps si loin… Ses sentiments menaçaient de déborder, pourtant, il se força au calme avant de pénétrer dans la grande salle de réunion, inspirant profondément lorsqu'il rejoignit ses collègues assis autour de la grande table ovale.

Une certaine fébrilité s'était emparée de chacun des enquêteurs, tous biens conscients que les éléments qu'ils étaient sur le point de découvrir seraient déterminants pour la poursuite de l'enquête.

— Très bien, on t'écoute Gray, l'invita sans attendre Luxus qui contenait tant bien que mal son impatience.

Le jeune homme brancha sa clé USB sur l'ordinateur de la salle de réunion. Le vidéoprojecteur était déjà en marche et il ne fallut pas longtemps pour que le portrait de Caleb Yura, l'homme retrouvé pendu, s'affiche à l'écran. La ressemblance avec Jorg Kleeman, le complice présumé du tueur aux bas rouge, bien que lointaine, était suffisante pour un homme dérangé comme le tueur que la police recherchait. Même mâchoire carrée, même coupe de cheveux et de corpulence équivalente. Cette volonté, presque obsessionnelle, d'inclure son frère ou en tout cas un sosie dans son mode opératoire, montrait sans doute possible à quel point sa mort brutale avait été un déclencheur à la folie meurtrière de son cadet.

— Caleb Yura s'est suicidé il y a neuf ans de cela. Il était âgé de trente et un ans lorsqu'on l'a retrouvé pendu dans son garage. Les causes de la mort étant évidentes, les conclusions du légiste ont été rendues rapidement. Le corps a été transféré dans un funérarium pour y être incinéré. Hormis ces informations, on en sait peu sur lui. Il était sans emploi depuis plusieurs années. D'après son ancien employeur, il avait des problèmes de boisson qui l'ont conduit au licenciement. Il n'était pas marié et pour ce qu'on en sait, il n'existe aucune trace d'une quelconque compagne ou d'un compagnon.

— Son frère ?

— Invel Yura. Nous avons des difficultés à lui mettre la main dessus. Il semble avoir disparu des radars. Nous avons donc lancé une recherche sur le réseau de la police en espérant qu'il ait connu quelques démêlés dans son passé… mais je ne m'attendais pas à apprendre ça.

Le jeune homme chargea le portrait d'une femme cette fois-ci. Les cheveux blonds très clairs et courts suffirent à faire se redresser les enquêteurs autour de la table. Un regard bleu et franc mais légèrement vacillant laissant entrevoir la personnalité ombrageuse de la jeune femme.

— Maya Yura, la mère de Caleb et d'Invel a été retrouvée morte poignardée il y a vingt-cinq ans. Elle baignait dans son sang lorsque la police est arrivée sur les lieux. A côté d'elle, gisait un homme, poignardé lui-aussi, et deux gamins recroquevillés dans un coin de la pièce. Aux dires de l'aîné, elle se prostituait et ramenait ses clients dans la chambre qu'elle partageait avec ses enfants. Ce soir-là, elle était prête à vendre le plus jeune, alors âgé de sept ans, à son client. Selon le témoignage de Caleb, il a voulu protéger son petit frère et les a tués tous les deux…

— Whaou, il avait quel âge le môme ? s'enquit Bixlow abasourdi.

— Quinze ans.

— C'est une histoire de dingue… et ça pourrait expliquer le basculement du plus jeune dans la spirale meurtrière. Mais ce n'est pas une preuve suffisante pour l'accuser… ajouta Fried en pleine réflexion.

— Ce n'est pas tout, le coupa Gray.

Il modifia la photo sur l'écran pour mettre celle de la mère des deux garçons sur la scène de crime.

— Lorsqu'elle a été tuée, elle portait…

— Des bas rouges ! s'exclamèrent les enquêteurs sidérés.

— Bon sang… si ça ce n'est pas une preuve, souffla Elfman bouleversé.

— Dis-nous ce qui est arrivé aux deux gosses ensuite, reprit Luxus dont le visage se crispa un instant avant de reprendre une apparence fermée.

Gray chargea une nouvelle photo, celle des deux frères Yura après la mort de leur mère. Si l'aîné était brun avec des yeux foncés et une peau légèrement hâlée, le plus jeune était son exact opposé. Il ressemblait davantage à sa mère. Blond platine, les yeux bleus et une peau très pâle. Au vu de la photographie, les deux enfants étaient visiblement mal nourris. Les joues creuses, le regard vide, leur enfance semblait s'être envolée avant même d'avoir commencé.

— Après avoir été tous les deux interrogés par la police puis par un juge pour enfant, Caleb n'a pas été condamné, le juge estimant que la légitime défense était évidente, sans compter qu'il était mineur au moment des faits. Les deux frères ont été placés dans un foyer. C'est tout ce que je sais pour le moment. Je vais prendre rendez-vous avec la directrice de l'établissement pour qu'elle nous reçoive le plus vite possible.

— Très bien, parfait. Enfin on avance ! Continuez sur votre lancée tous les deux. Fried et Bixlow, vous allez tous deux travailler sur ce crime pour dresser un profil plus précis du tueur et de son mode opératoire. En même temps, nous allons lancer une recherche à partir de la photo la plus récente du suspect et voir si nous retrouvons sa trace quelque part. Je vais confier le cliché à Readers pour qu'il nous en fasse un portrait vieilli.

Les deux hommes acquiescèrent prêts à se remettre aussitôt au travail.

— Toi Evergreen, tu rejoins l'équipe qui travaille sur les victimes du bois de Magnolia.

— Comment ça ? interrompit Elfman. Tu ne mets pas tous les agents disponibles sur le tueur aux bas rouges ?!

— Même si je le voulais, je ne le pourrais pas Elfman. Il y a d'autres affaires qui ont autant d'importance. On a retrouvé une bande de jeunes sauvagement assassinés dans les bois il y a quelques jours. Leurs familles ont tout autant le droit de savoir ce qui leur est arrivé que n'importe qui d'autre, rétorqua Luxus d'une voix ferme.

— Bien sûr, répondit Elfman, se sentant soudain égoïste.

Il avait été tellement obnubilé par la disparition de ses sœurs qu'il en avait complètement oublié le reste. Ces gosses morts, il n'en avait même pas entendu parler… Pourtant, il n'arrivait pas à s'en émouvoir, en tout cas, pas suffisamment pour en occulter le sort de ses sœurs qui le préoccupait bien davantage.

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Les deux hommes roulaient jusqu'à l'orphelinat situé en périphérie, à l'autre bout de la ville. Le soleil faisait quelques apparitions mais les nuages épais persistaient à assombrir l'atmosphère. Ils n'avaient pas pu obtenir de rendez-vous plus tôt, la directrice étant en déplacement mais Gray avait insisté pour qu'elle soit prévenue aussitôt et sommée de rentrer à l'orphelinat dès que possible. L'après-midi était déjà bien avancé lorsqu'ils purent enfin se mettre en route.

— Je sais qu'il a morflé quand il était gosse mais je m'en contrefiche. Ce type est une immonde ordure.

L'état d'Elfman était tel que Gray avait décidé de prendre le volant. Il observa un court instant le profil fermé de son coéquipier qui tournait son regard vide vers le paysage défilant.

— Je ne te contredirai pas sur ce point Elf. Si toutes les victimes de maltraitance devenaient des meurtriers en puissance, le monde en serait recouvert. Mais le fait est que ces sévices ont largement contribué à faire de lui un monstre. Si tu veux mon avis, son frère a dû l'enfermer dans une bulle pour pouvoir le protéger, et pour cause ! Mais celle-ci a dû finir par éclater à la mort de Caleb.

— Tu crois que s'il avait su comment son frangin allait tourner, il se serait quand même suicidé ?

— Aucune idée… mais je ne pense pas qu'il ait vraiment pensé à son frère au moment où il a pris sa décision. Il devait lui-même être prisonnier de ses démons. Il a quand même tué sa propre mère ! De plus, si celle-ci était capable de vendre l'un de ses gosses pour se payer sa came, qui te dit qu'elle ne l'avait pas déjà fait avec l'aîné ? Ou alors, il est possible aussi qu'il se soit persuadé que son petit frère serait mieux sans lui… difficile à dire. Aucune lettre n'a été retrouvée, on ne saura sans doute jamais à quoi il pensait lorsqu'il a décidé de passer à l'acte.

Gray ressentait de la compassion pour Caleb. Cet homme avait-il au moins connu un seul instant de bonheur dans sa vie ? Si ce fut le cas, cela n'avait pas suffit à le maintenir hors de l'eau… Il n'imaginait même pas le calvaire qu'il avait dû vivre pendant toutes ces années. La mort devait lui être apparue comme l'unique solution à tous ses problèmes.

La silhouette massive d'une imposante bâtisse émergea de derrière une rangée de peupliers qui bordaient la route, jusqu'à l'apparition d'une grille en fer forgé. L'orphelinat de Magnolia avait été installé dans un ancien hospice autrefois utilisé pour y interner toutes personnes atteintes de troubles psychiques, avérés comme supposés. Gray préféra ne pas imaginer ce qui avait pu se produire comme actes abominables dans ce lieu reculé.

Les deux enquêteurs s'annoncèrent à l'interphone et attendirent que la grille s'ouvre entièrement avant d'y pénétrer. Un gardien vérifia leurs plaques et identités avant de les laisser entrer. Un lieu presque aussi surveillé qu'une prison, songea Gray. Le vaste jardin ne semblait pas beaucoup fleuri mais il supposa qu'à l'arrière, tout avait été fait pour accueillir des enfants en rupture familiale dans de bonnes conditions. Enfin, l'espérait-il. Il repensa à sa propre expérience de placement en foyer qu'il aurait souhaité de loin oublier…

Gray gara la voiture sur l'esplanade déjà occupée par une quantité d'autres véhicules.

Les deux hommes durent encore attendre une bonne dizaine de minutes après s'être présentés à l'accueil. Ils en profitèrent pour observer autour d'eux. Le bâtiment ancien semblait être assez bien entretenu quoique d'allure plutôt austère. Un escalier monumental trônait au fond du hall à côté duquel avaient été ajoutés deux ascenseurs relativement récents.

Madame Polyussica les reçut dans son bureau au rez-de-chaussée. Grande et d'allure sévère, le nez surmonté d'une paire de lunettes, la femme avait tous les attributs de la caricature des directrices d'orphelinat que l'on pouvait voir dans certains programmes jeunesse.

— Messieurs, j'espère que vous avez une très bonne raison de m'avoir forcée à interrompre un rendez-vous important avec une future famille d'accueil… les accueillit-elle sans préambule d'un air pincé.

Gray espérait que cela n'était pas un signe avant-coureur d'un futur manque de coopération de sa part. Les deux coéquipiers prirent place en face de l'imposant bureau de la directrice. Le temps semblait s'être arrêté au début du siècle dernier dans cette pièce aux meubles sombres et massifs. Seul l'ordinateur dénotait dans ce décor suranné.

La gérante les sondait d'un regard perçant qui aurait mis mal à l'aise le plus aguerri des soldats.

— Nous ne nous serions pas permis de vous faire revenir au plus vite si nous n'avions pas une bonne raison pour cela, répliqua Gray se voulant courtois pour ne pas la refroidir plus qu'elle ne l'était déjà.

— Très bien, je vous écoute, finit-elle par accepter sans toutefois masquer son agacement.

— Nous souhaitons vous parler de deux de vos anciens pensionnaires. Ils ont été admis chez vous il y a vingt-cinq ans, expliqua Gray.

— Nous avons pour habitude de protéger la vie de nos jeunes pensionnaires, répondit la femme, montrant déjà une certaine réticence.

— C'était il y a plus de vingt ans, grogna Elfman qui ne prit pas la peine de masquer son impatience.

— L'un d'eux est mort il y a plusieurs années et le deuxième est soupçonné d'être un meurtrier en série, ajouta Gray.

La femme écarquilla un bref instant les yeux puis se leva, cherchant du regard un tiroir qu'elle ouvrit brusquement.

— Vingt-cinq ans dites-vous ? Hum. Je vais voir s'il me reste quelque chose, ce n'était pas hier… marmonna-t-elle les sourcils froncés tout en passant rapidement en revue les dossiers suspendus. Leur nom ?

— Caleb et Invel Yura.

— Oh… Je me souviens bien d'eux, se remémora la femme avant de sortir un épais dossier.

Elle l'ouvrit en observant pensivement les photos qui apparaissaient sur la première page avant de leur tendre le dossier.

— Je me souviens de leur arrivée. Caleb était déjà grand et je me souviens avoir pensé, en le voyant serrer son jeune frère contre lui, qu'il serait difficile de les séparer le jour où Caleb serait obligé de quitter l'établissement. Vous dites que l'un d'eux est mort ?

— Caleb s'est suicidé il y a neuf ans de cela.

— Oh… répondit la femme, paraissant sincèrement affectée par cette nouvelle. Caleb était un gentil garçon, très doux et discret. Les seuls moments où il se mettait en colère c'était pour protéger son frère.

— Combien de temps sont-ils restés chez vous ? s'enquit Gray, rappelant à la directrice la raison de leur visite.

— Pas plus de trois ans pour Caleb. A leur majorité, ils doivent quitter les lieux.

— Vous voulez dire que vous les lâchez comme ça dans la nature ?! s'emporta Elfman.

— Non, bien sûr que non ! répliqua sèchement la directrice, piquée par l'accusation du policier. Ils suivent des cours au sein de l'établissement jusqu'à l'âge de onze ans. Ils vont ensuite au collège puis au lycée ou suivent un apprentissage pour ceux qui le désirent. Certains réussissent à poursuivre leurs études au-delà du lycée grâce à une bourse et pour les autres, on leur trouve une place dans une entreprise. Ils sont alors logés dans un foyer de jeunes travailleurs le temps qu'ils puissent s'assumer seuls. Vous trouverez le nom de l'entreprise qui a accueilli Caleb dans le dossier.

— Et Invel, comment s'est-il comporté après le départ de son frère ?

— Il n'était déjà pas très sociable à cette époque mais sa solitude s'est renforcée au départ de son frère. Caleb lui avait promis de le récupérer dès qu'il aurait les moyens de trouver un logement mais les services sociaux ne lui ont pas facilité la tâche, soupira-t-elle en songeant à cette époque. Invel n'a pu le rejoindre qu'à l'âge de quinze ans.

— Je ne comprends pas, vos pensionnaires ne sont pas accueillis dans des familles ou adoptés ? interrogea Elfman surpris.

— Vous savez, plus ils sont âgés en venant ici, moins ils ont de chance d'intéresser des familles… Invel aurait pu encore être adopté, il n'avait que sept ans, mais il était hors de question de le séparer de son frère. Pour ce qui est des familles d'accueil, malheureusement elles sont de moins en moins nombreuses, regretta la femme.

Elfman se sentait en colère pour ces gosses trop âgés soit disant pour être accueillis et aimés par une famille recherchant l'adoption. C'était à se demander si ces gens méritaient vraiment d'avoir des enfants ! ragea-t-il intérieurement.

— Est-ce qu'il s'est passé autre chose avant que Caleb ne récupère la garde de son frère ? s'enquit Gray.

— Invel a eu quelques démêlés avec d'autres enfants de l'orphelinat… il n'en a pas gardé un très bon souvenir.

— A-t-il subi quoi que ce soit que nous devrions savoir ?

— Il y a eu des soupçons de maltraitance de la part de plus grands que lui, oui, soupira la vieille femme. Je pense que certains ont profité du départ de Caleb pour s'en prendre au plus jeune. Les enfants ne sont pas tendres entre eux…

Elle ôta ses lunettes pour se frotter les yeux d'un air las.

— Une enquête a été menée et les coupables sévèrement punis, tout est dans le dossier. Après cela, il n'a plus été le même… Il s'est même enfui une nuit mais par chance, les chiens ont donné l'alerte.

— Comment a-t-il réussi à s'enfuir d'une telle forteresse ? demanda Elfman perplexe.

— Invel était peut-être très discret mais il était aussi extrêmement intelligent.

— Outre les maltraitances qu'il a subies entre vos murs, a-t-il été soupçonné d'avoir lui-même infligé des sévices à d'autres pensionnaires ?

— Eh bien… je n'en suis pas sûre… mais peu de temps avant son départ définitif, nous avons retrouvé l'un de ses agresseurs, en tout cas le dernier encore à l'orphelinat, prostré dans les toilettes. Nous n'avons pas su qui ou quoi l'avait mis dans cet état, il n'a jamais voulu nous répondre. Mais je me suis demandée s'il ne s'agissait pas d'Invel. Depuis quelques temps, il était devenu froid et calculateur aux dires de ses camarades et des professeurs.

— Vous avez le nom de cet enfant ? demanda Gray en se préparant à le noter sur son carnet.

— Oui mais vous ne pourrez pas l'interroger, John s'est suicidé l'année suivante.

Madame Polyussica parut prendre dix années de plus en quelques secondes. Se sentait-elle encore responsable de ses anciens pensionnaires tant d'années après avoir quitté l'orphelinat ?

— Vous savez, beaucoup de ces gosses partent avec un lourd bagage. Ce qu'ils décident après leur départ n'est pas de votre responsabilité, crut-il bon de lui rappeler.

Gray en savait quelque chose, pour en avoir fait un temps partie et côtoyé… Parmi ses camarades, si certains avaient mal tourné, beaucoup s'en était parfaitement bien sorti. Faisait-il lui-même partie de ces derniers ? Il n'en était pas très sûr…

— Avez-vous eu des nouvelles des deux frères après le départ d'Invel ? reprit Elfman devant le silence prolongé de son collègue.

— J'en ai pris dans les premiers temps mais lorsqu'ils ont déménagé sans m'en informer, j'ai compris qu'ils voulaient faire table rase du passé. Qui étais-je pour m'en offusquer ? Je me suis dit qu'ils avaient besoin de couper les ponts pour repartir de zéro. Ces deux enfants ont tellement souffert…

— Très bien, merci pour toutes ces précisions. Nous allons devoir emmener le dossier sur les frères Yura. Des profileurs risquent de vouloir vous parler, merci de rester dans les parages pendant quelques temps.

La directrice de l'orphelinat acquiesça mais avant de confier le dossier aux deux inspecteurs, elle regarda une dernière fois une photo où les deux garçons posaient l'un contre l'autre.

— Vous pensez vraiment qu'Invel a pu tuer tous ces gens… ? s'enquit-elle lorsque Gray et Elfman se relevèrent de leur chaise.

— Qu'en pensez-vous Madame Polyussica ?

La femme ferma un instant les yeux, elle paraissait bouleversée.

— Vous savez… je tenais sincèrement à ces deux enfants, comme à tous mes pensionnaires. Mais malheureusement, il arrive que certains tournent mal malgré nos efforts, comme vous l'avez si bien remarqué, soupira-t-elle. J'aimerais me tromper sur Invel mais… je pense qu'il en serait capable, oui.

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Les deux inspecteurs n'attendirent pas pour retourner au commissariat et rendre compte de leurs observations auprès de Luxus puis de Fried et Bixlow. Ils avaient confié l'imposant dossier qui concernait les deux frères Yura à leurs collègues pour qu'ils puissent dresser un profil plus précis du suspect.

Le reste de la journée, ils la consacrèrent à tenter de retrouver la trace de Caleb et Invel Yura après que le plus jeune eût quitté l'enceinte de l'orphelinat. Dans un premier temps, ils avaient occupé un petit appartement dans le centre ville. Caleb travaillait alors dans une scierie à l'extérieur de la ville.

— Je n'y crois pas, souffla Elfman en vérifiant l'adresse de l'entreprise. Si on avait encore besoin d'une preuve que ce fils de pute est bien Invel !

Gray leva un regard intrigué vers son collègue.

— La scierie dans laquelle Caleb a travaillé est la même où on a… où ce salaud les a enfermées !

— Hum, réfléchit Gray. C'est bon à savoir ! Cet élément peut peut-être nous aider à retrouver la planque actuelle d'Invel. Tout semble lié à son frère pour le moment, et à leur passé commun. Tu devrais transmettre cette information à Fried et Bixlow Elf.

Le colosse se fustigea de ne pas avoir songé que cet élément pourrait les aider dans leur enquête. Décidément, depuis que Mira et Lisa avaient disparu, il n'était plus lui-même. Heureusement que Gray était là et qu'il réfléchissait pour deux ! songea-t-il en envoyant à ses collègues profileurs ce nouvel indice.

Caleb avait ensuite travaillé sur différents chantiers pendant que son jeune frère suivait les cours au lycée public du centre ville. Ils notèrent minutieusement chaque adresse. Ce fut de cette façon qu'ils retrouvèrent la deuxième adresse à laquelle les deux frères avaient vécu.

— Quelque chose me dit qu'il était très bon élève… marmonna Elfman alors que Gray visionnait son dossier scolaire.

— Eh bien détrompe-toi, il avait des résultats plutôt moyens, lui apprit Gray en consultant les relevés de notes du suspect. Il a eu son diplôme mais pas de mention. D'après son dossier, il était plutôt discret et on ne trouve aucune trace de lui dans un quelconque club sportif ou culturel.

— Pourtant, la vieille a bien dit qu'il était particulièrement intelligent !

— L'un n'empêche pas l'autre Elf, nombre de génies étaient de véritables cancres à l'école.

— Merci de vouloir me rassurer, grogna Elfman sarcastique.

Gray se frotta les yeux. Il commençait à voir flou, signe qu'il était temps d'aller prendre un peu de repos. Elfman ne semblait pas plus en forme que lui. Il était quasiment minuit et, hormis leur entretien à l'orphelinat, ils avaient passé la majeure partie de la journée à éplucher des dossiers pour essayer de retrouver la trace du suspect. Maintenant qu'ils étaient sûrs de son identité, la frustration était d'autant plus palpable. Sans compter que malgré leurs recherches, il n'y avait aucune trace d'une quelconque activité professionnelle d'Invel une fois son diplôme en poche et encore moins de son lieu d'habitation. Les deux hommes envoyèrent les adresses relevées au cours de la journée à l'équipe de nuit pour que chacune d'elle soit vérifiée aussi vite que possible.

— Nous retournerons chez Caleb demain matin, maintenant qu'on en sait plus sur Invel, nous trouverons peut-être un indice sur le lieu où il vit aujourd'hui.

— Et s'il habitait avec son frère ?

— D'après les fouilles qui ont été faites chez Caleb, rien n'indiquait qu'il partageait sa vie avec qui que ce soit. On interrogera aussi le voisinage, peut-être l'auront-ils déjà croisé.

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La nuit fut courte pour les deux inspecteurs et la découverte du ciel chargé d'eau au saut du lit n'arrangea en rien leur humeur maussade. Elfman et Gray passèrent rapidement au commissariat faire un point avec Luxus sur l'enquête et sur leurs futures recherches puis filèrent en direction de l'habitation de Caleb Yura.

Située dans le quartier nord de la ville, l'ancien quartier ouvrier de Magnolia, la petite maison mitoyenne ressemblait à toutes celles qui bordaient la rue. Parfaitement alignées, Gray songea qu'il aurait eu du mal à retrouver sa propre maison s'il avait vécu ici. Si l'on en omettait le crépi défraîchi et les volets écaillés, rien ne différenciait la petite habitation de ses voisines. La maison n'avait pas été rachetée depuis la mort de son propriétaire, laissant envisager que quelqu'un en avait héritée et l'avait entretenue au minimum ces huit dernières années. Dans le cas contraire, elle aurait été en bien moins bon état qu'à présent. Pourtant, d'après le voisinage, cela faisait des mois que personne n'était venu.

— D'après ce qu'on sait, c'est une société qui est propriétaire de cette maison et ce, depuis même avant la mort de Caleb. C'est cette même société qui a demandé l'incinération du corps de Caleb.

— Une société qu'il aurait créée avec son frère à ton avis ?

— Il y a des chances oui. Voyons un peu son nom… YCM informatique, lut Gray en faisant face à la porte. Je vais envoyer ces informations à Lévy pour qu'elle fasse quelques recherches. Si cette entreprise a bien été créée par les deux frères, il est possible qu'Invel y travaille toujours.

— J'aimerais interroger les voisins, je te laisse commencer les recherches sans moi ? s'enquit Elfman.

— Très bien mais garde ton calme, ok ?

— Oui chef ! répondit Elfman en lui adressant un salut militaire.

Gray fit un sourire en coin avant de lui tourner le dos pour insérer la clé dans la serrure. Une équipe d'agents était passée avant eux pour photographier les lieux. A lui maintenant de trouver ce qui ne pouvait être vu au premier regard. Elfman quant à lui, se dirigea vers la maison directement voisine à celle de Caleb.

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Une odeur de renfermé le prit à la gorge lorsqu'il pénétra à l'intérieur de l'habitation. La minuscule entrée n'était pas très engageante. Sombre, les murs défraîchis étaient recouverts d'un papier peint démodé depuis bien longtemps. Gray esquissa une grimace en constatant le manque de goût apparent des générations passées. Lui qui aimait la sobriété se serait senti étouffer au milieu de toutes ces fleurs aux couleurs criardes ! Un petit placard occupait le mur à droite de la porte. A l'intérieur, une paire de chaussures et des bottes étaient encore là comme attendant le retour de leur propriétaire. Il n'y avait rien d'autre qu'un manteau d'hiver usé et une veste de velours. Gray songea à la situation de Caleb avant son suicide. Il était au chômage depuis longtemps et selon son ancien patron, il souffrait de problèmes de boisson. Gray n'osait imaginer ce qui avait pu se passer dans sa tête au cours de ces nombreuses années. Devoir tuer sa propre mère avait dû être un véritable traumatisme pour lui. Certes, il avait sauvé son frère mais à quel prix ? Personne ne devrait vivre pareil événement. Et encore moins à cet âge ! Un âge où la seule préoccupation devrait être les jeux, les filles… ou les garçons dans son cas. Comment aurait-il réagi à sa place ? songea Gray un pincement au cœur en pensant à cet homme brisé.

Gray fouilla les poches et jeta un œil derrière les manteaux pour voir si rien ne s'y cachait mais il referma bien vite la porte de la penderie.

La pièce à vivre était exactement telle que Gray se l'imaginait. Quelques vieux meubles et peu d'objets personnels, ce qui ne reflétait pas vraiment la personnalité du propriétaire des lieux. Il feuilleta les rares livres disposés pêle-mêle sur une étagère pour vérifier qu'ils ne renfermaient aucun indice. Mais il ne remarqua rien de particulier hormis que ses goûts en matière de littérature se cantonnaient aux vieux polars.

Gray aurait pensé trouver au moins quelques photos de lui et de son frère mais malgré ses recherches, il n'y en avait aucune, ni même la moindre carte ou lettre échangée avec qui que ce soit.

— Possible qu'Invel se soit débarrassé de tout ce qui aurait pu être gênant après la mort de Caleb, songea-t-il à voix haute.

Gray poussa ses recherches en fouillant dans les meubles de la pièce puis de la cuisine. Comme il s'y attendait, le frigo était quasiment vide. Seules deux bouteilles de bières étaient encore debout dans la porte. Pour le reste, tout était normal. Quelques aliments, sans doute périmés depuis bien longtemps, gisaient dans le fond d'un placard.

Gray ne s'attarda pas plus longtemps au rez-de-chaussée. Un escalier étroit séparait les deux pièces. Il y avait deux chambres à l'étage selon les agents qui avaient déjà relevé les éventuels indices et les empruntes dans la maison. Gray espérait y trouver des éléments supplémentaires susceptibles de les faire avancer dans l'enquête. Quoi de plus intime qu'une chambre pour y laisser quelques objets personnels tels que des photographies ou pourquoi pas un journal ?

— Ne rêve pas mon vieux, se reprit-il conscient de sa naïveté. Tu auras de la chance si tu trouves la moindre lettre.

Recouvert d'un vieux tapis élimé, le palier de l'étage desservait quatre portes. Deux chambres, une salle de bain et l'accès aux combles. Gray commença par la première porte à sa gauche. Une petite pièce, entre le bureau et la chambre d'à point et qui sentait le renfermé. Cette pièce n'avait visiblement pas été visitée depuis un moment. L'ameublement était minimaliste : un lit en bois rustique encadré de deux chevets et une armoire. Pas de bureau, ni d'étagère. Gray commença par l'armoire monumentale sur le pan de mur à droite du lit. Seuls quelques vêtements y étaient disposés et une vieille valise en tissu au fond. Aucune boîte à chaussures regorgeant de vieux souvenirs ni même de coffres forts.

Gray jeta un œil derrière le meuble pour voir si rien n'y était caché puis recentra ses recherches autour du lit. Sur la table de nuit, une petite lampe de chevet. A l'intérieur du petit meuble, Gray trouva un livre entamé, encore un polar dont la page était marquée par un ticket de caisse. Le policier tourna les pages pour vérifier que rien n'y était incéré jusqu'à ce que son regard soit piqué par la présence d'un cadre photo posé à plat au fond du chevet. Gray sentit son cœur manquer un battement à cette trouvaille. Bien sûr, il ne devait pas crier victoire trop vite mais il y avait si peu d'objets personnels dans cette maison que la moindre photo apparaissait comme un trésor.

Il se saisit du cadre et fut soulagé d'y découvrir une photo personnelle de Caleb. Avec un peu de chance, il trouverait un indice. Sur le cliché, le jeune homme posait en tenant un gros poisson au bout du bras qu'il venait sans aucun doute de pêcher. Un léger sourire sur le visage, il semblait heureux à ce moment précis de sa vie. Gray ne sut pourquoi il se sentit aussi soulagé que cet homme qu'il ne connaissait pourtant pas, ait eu un jour, dans sa courte vie, quelques moments qui avaient allégé son cœur.

L'inspecteur se concentra sur la photo, essayant de deviner l'endroit dans lequel ce cliché avait été pris. Un lac ou peut-être un étang en bordure de forêt. Dans le coin gauche du cliché, il distingua comme la façade d'un chalet ou d'une cabane en bois. Si la petite construction appartenait à Caleb, il le retrouverait facilement dans le dossier. La date n'était pas indiquée mais Caleb semblait un peu plus jeune que l'année de sa mort. Il avait peut-être vingt-sept ou vingt-huit ans, songea Gray. Celui qui avait pris la photo était sans doute son frère lui-même, à moins qu'il ne s'agisse d'une ancienne petite-amie ? Gray en doutait, rien n'indiquant que Caleb eut un jour partagé sa vie avec une femme ou qui que ce soit d'autre.

Lorsqu'Elfman pénétra dans la chambre, il trouva Gray assis sur le lit de Caleb, observant avec attention le cadre qu'il tenait entre les mains.

— Tu me sembles bien pensif, déclara -t-il après avoir observé son ami avec attention.

— Oh, Elf, je ne t'avais pas entendu, répondit Gray en redressant la tête de son observation. Regarde ce que j'ai trouvé !

Elfman prit le cadre et observa la photo attentivement.

— A part apprendre que Caleb aimait pêcher, je ne vois pas comment ça peut nous aider, marmonna-t-il déçu de la trouvaille de son coéquipier, lui qui semblait pourtant si ravi par sa découverte.

— C'est le seul véritable objet personnel retrouvé ici, ce n'est pas anodin ! De plus, regarde un peu plus attentivement, l'invita Gray.

Son collègue s'exécuta, piqué par l'intérêt de son ami.

— Hum, il est au bord d'un lac ou d'un étang… mais ça peut être n'importe lequel, il y en a des tas dans la région !

— Regarde encore, en haut à gauche.

Elfman concentra un peu plus son regard et distingua enfin ce que Gray voulait lui montrer et comprit du même coup où il voulait en venir.

— Je sais que ce n'est pas grand-chose, temporisa Gray, mais je trouve que c'est un indice suffisamment important pour qu'il mérite qu'on se penche dessus. Caleb semble plutôt heureux sur cette photo et c'est la seule que nous ayons trouvée ici. Invel est sûrement celui qui prend la photo, elle devait être importante pour lui.

— Tu penses qu'il l'a conservée parce qu'elle représente un moment important de leur vie à tous les deux ?

— Je sais que ce n'est qu'une hypothèse mais on est presque certain que c'est la mort de son frère qui a déclenché sa folie meurtrière. Le lieu où il retenait ses victimes encore récemment est l'ancienne scierie dans laquelle son frère travaillait. Je pense que tout ce qui concerne Caleb Yura a une incidence sur son cadet. Et si ce lieu était spécial pour lui ?

— Tu penses qu'il est retourné là-bas ?! Tu veux dire que Mira et Lisa sont peut-être…

— Elf, je ne veux pas que mes hypothèses te donnent de faux espoirs donc ne te fie pas trop à ce que je dis, le coupa Gray se fustigeant d'avoir montré autant d'enthousiasme à Elfman.

— Ça c'est aux experts d'en décider ! décida le colosse convaincu par les arguments de son collègue.

— Tu as raison, déclara Gray un léger sourire aux lèvres en voyant la détermination nouvelle qui emplissait son regard. Et toi de ton côté, qu'est-ce que ça a donné ?

— Je n'ai rien, enfin presque. Les voisins de Caleb se souviennent d'un homme discret et poli mais rien de plus le concernant. Par contre, ils ont bien aperçu à plusieurs reprises un jeune homme aux cheveux très clairs lui rendre visite de temps en temps. C'est le seul visiteur qu'aurait reçu Caleb. Ils n'ont jamais parlé avec lui.

— S'il s'agit bien d'Invel, nous avons la confirmation qu'il ne vivait pas chez Caleb… Finissons de fouiller ici puis rentrons pour apporter la photo. Je vais la photographier et l'envoyer à Lévy, mais avant je dois vérifier quelque chose.

Gray démonta le cadre pour examiner l'intérieur et voir si aucun message n'y était inscrit, la date de la prise de vue par exemple, mais rien ne s'y trouvait, comme il s'y attendait malheureusement. Elfman le regarda faire en silence, songeant au dessin effrayant qu'il avait lui-même découvert au dos d'une photo de Gray. Cet homme qui était son meilleur ami et amant mais qu'il connaissait pourtant si peu…

Elfman fouilla le deuxième chevet mais la tâche fut rapidement exécutée, le petit meuble étant complètement vide. Gray défit le lit, révélant un matelas usé dans lequel il ne devait pas faire bon dormir. Il le souleva, cherchant tout indice qui aurait pu être caché entre le matelas et le sommier.

— Aide-moi Elf.

Le colosse souleva le matelas pendant que Gray glissait sa main sur les lattes. Ses doigts buttèrent contre quelque chose. Il s'agenouilla pour se glisser sous le lit et y trouver un petit objet scotché sur le dos d'une des lattes du sommier.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? murmura-t-il, prenant une photo avant de décrocher le petit objet métallique avec son gant.

Gray se releva et découvrit une petite clé qu'il observa attentivement.

— Tu crois qu'elle ouvre quoi ? s'enquit Elfman le cœur battant.

— Aucune idée mais si elle est là c'est qu'elle a une importance particulière… murmura le jeune homme tout en observant le petit objet métallique sous toutes les coutures. Confions-la à la scientifique, ils sauront peut-être quel type de porte elle peut ouvrir.

Les deux hommes poursuivirent leurs investigations, fouillant de fond en comble la petite maison sans rien trouver d'autre d'intéressant. La clé et la photo furent les seuls indices qu'ils découvrirent. Pour autant, Gray était certain que ces derniers n'étaient pas si anodins que cela contrairement à Elfman qui se sentit dépité après des heures de recherche qu'il jugeât infructueuse. Certes, il avait confiance en Gray et son instinct mais le colosse peinait à croire que ces deux simples objets pourraient les aider à retrouver Lisanna et Mirajane. Cela faisait des semaines qu'elles avaient été enlevées et plus le temps passait, plus les chances de les retrouver en vie s'amenuisaient…

Sur le chemin du retour, le colosse se montra inhabituellement taciturne. Gray songea qu'aucune parole ne le ferait changer d'humeur alors il posa simplement une main rassurante sur sa cuisse. Elfman resta les yeux rivés sur le paysage défilant mais sa gigantesque main se posa sur celle de Gray, la serrant doucement dans sa paume. Leurs doigts s'entrelacèrent tandis que le trajet se déroula dans un silence apaisé.

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Nda : Voilà pour ce chapitre ! Comme promis, un chapitre beaucoup plus long et centré sur une enquête qui avance enfin ! Malgré tout, des petites touches de tendresse entre Gray et Elfman parsèment le chapitre, histoire qu'on n'oublie pas leur relation, il y en aura plus, beaucoup plus dans le prochain ! ;)

Comme vous vous en doutez sûrement, je n'ai pas de pronostic sur la date à laquelle sortira le prochain chapitre mais je vais faire au mieux pour que vous n'ayez pas trop longtemps à attendre !

En attendant, n'hésitez pas à laisser votre avis !

Merci de votre lecture et à bientôt :)