Bonjouuuur !
Ouhla, ça fait super longtemps que je n'ai pas posté, j'avais hâte de m'y remettre... Me re-voilà donc avec une nouvelle fic sur le Hobbit, que vu mon indescriptible retard, j'offre à la merveilleuse Sanashiya en cadeau de non-anniversaire (parce que plus de trois mois après, c'est quand même ridicule).
Joyeux non-anniversaire donc, Sana ! J'espère de tout cœur que cette histoire te plaira (et j'espère secrètement qu'elle te relancera sur Fractured Life - non, je fais pas des cadeaux intéressés, c'pas mon genre... :p) !
Cette fic sera en sept chapitres et un épilogue, qui sont TOUS ÉCRITS, donc la publication régulière est assurée ! Sana, je te laisse me dire à quel rythme tu veux que je poste... ;)
Evidemment, je remercie la plus géniale bêta de l'univers, j'ai nommé Nalou !
Sur ce, je vous laisse découvrir le premier chapitre, et je vous souhaite une bonne lecture !
Flo'w
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« … C'est fini, Bilbo. Je suis désolé. »
Le ton n'était pas désolé du tout. C'était le ton d'un homme d'affaires qui voulait se débarrasser d'un problème, et Bilbo en avait parfaitement conscience. Il l'avait su dès qu'il était entré dans le bureau du nouveau patron, et le discours qui avait suivi l'avait confirmé. Il avait décroché au bout de deux phrases : pas besoin d'écouter pour savoir qu'on lui parlait de chute d'audience, de besoin de nouveauté, de « changement d'orientation artistique ». De chiffres.
Il haussa les épaules face aux excuses hypocrites.
« Je comprends, fit-il.
- Si tu te mets à la 3D, préviens-nous », tenta de plaisanter l'homme en costume, de l'autre côté du bureau.
Bilbo ricana faiblement – aucune chance. Il se leva et serra machinalement la main tendue. Ton boulot était original et sympa mais on va le remplacer par de la daube commerciale, merci, au revoir, pensa-t-il amèrement. Bande de vendus.
Bon. Une page à tourner dans sa vie. La petite chaîne qui s'était voulue indépendante et excentrique avait fini par se laisser étouffer par les magnats du petit écran – qui n'était plus si petit que ça – et le dessin animé en deux dimensions, c'était soudain devenu has been. Qui regardait encore ces trucs-là, à l'ère de l'animation en trois dimensions ? Personne, c'est ce qu'on venait de lui enfoncer dans le crâne pendant vingt minutes. Chute d'audience. Ses gribouillis ne valaient plus rien.
Il avait eu son heure de gloire, pourtant. Sa petite série, qu'il avait affectueusement nommée Cul-de-Sac en souvenir du quartier où vivait sa mère, avait eu beaucoup de succès. Des dessins au style bien reconnaissable, un humour subtil et mordant, la recette avait bien marché. Il avait même gagné une certaine renommée dans le milieu.
Mais c'était fini. La série Cul-de-Sac, du presque célèbre Bilbo Baggins, était terminée, et condamnée à tomber dans l'oubli. Has been. C'était lui, le has been, maintenant.
Bilbo regagna son bureau et le contempla avec une moue désabusée. C'était ici que Cul-de-Sac était née. Ici qu'il avait gribouillé, réfléchi, gommé, re-gribouillé, des heures durant. Et voilà. Sept ans de travail acharné, et il n'avait fallu que vingt minutes pour que le château de cartes s'écroule. Vingt minutes qui lui avaient coûté son job. Presque toute sa vie, en fait.
La mort dans l'âme, le dessinateur rassembla sas affaires dans le carton que lui avait tendu la secrétaire avec une mine désolée. Elle l'avait embrassé sur la joue. Reviens me voir, d'ac ? D'ac. Il n'en avait aucune intention.
Le carton fut vite rempli, le bureau vite vidé. Ses pochettes remplies de dessins restaient là. Propriété de la chaîne. Les salauds lui piquaient même ses souvenirs. L'air de rien, il récupéra un des dossiers et le glissa au fond du carton, sous son ordinateur portable. C'étaient les dessins du premier épisode de Cul-de-Sac. Son bébé, en somme. De toute façon, ils ne les rediffuseraient jamais…
Par-dessus l'ordinateur, il empila à la va-vite ses crayons, fusains, pinceaux et autres pastels. Son bloc de papier calque. Il jeta un œil autour de lui, mais il n'y avait rien d'autre à emmener. Il leur laissait la plante verte. Elle était en train de crever, de toute façon.
En sortant, il ignora les regards de pitié qui le suivaient. Dehors, une grande silhouette l'attendait, enveloppée dans un manteau gris et appuyée sur une canne en bois sculpté.
« Gandalf », le salua platement Bilbo.
Son ancien patron et grand ami, lui aussi victime de la « réorganisation du personnel », hocha la tête. Il n'y avait pas grand-chose à dire.
« Pinte ? » proposa-t-il simplement, laconique.
Bilbo approuva vigoureusement. Son carton sous le bras, il suivit son ami jusqu'à un pub quelques rues plus loin. Ils s'installèrent à une table dans un angle de la salle encore déserte avec deux pressions fraîches.
Ils restèrent là en silence, regardant leurs boissons plus qu'ils ne les buvaient, jusqu'à ce que le bar commence à se remplir, et que le bruit des conversations couvre la musique d'ambiance qui donnait à la salle un relent d'ascenseur vide. Gandalf prit une longue goulée de sa bière, et grimaça. Le liquide s'était réchauffé pendant leur mutisme.
« Bon, Bilbo. Il va falloir penser à la suite. Tu sais ce que tu vas faire ?
L'intéressé haussa les épaules.
- Du calme. Je suis au chômage depuis moins de trois heures. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'y réfléchir. Tu as des idées, toi ?
Gandalf sourit.
- Quelques pistes. Ça fait un moment que je m'attends à ce que notre chaîne se fasse racheter. Je connais du monde dans le milieu, et je devrais pouvoir me refaire une place. Peut-être que je m'orienterai vers l'édition. Moins changeant que la télé.
- Je n'ai pas cette chance. Les seules personnes que je connaisse dans mon domaine sont aussi à la rue que moi.
Un sourcil grisonnant s'arqua.
- Vraiment ? En toute modestie, il me semble que je fais partie de tes connaissances. Si je peux, je t'aiderai. Tu n'es pas sans ressources.
Bilbo noya son regard dans son fond de bière tiède.
- Je vais peut-être rentrer chez ma mère quelque temps.
Une tape sur le crâne accompagnée d'un grognement exaspéré lui fit relever les yeux.
- Aïe ! Qu'est-ce qui te prend ?! protesta-t-il en se frottant la tête.
- Bilbo, je ne me souvenais pas que tu étais si peu combatif ! Ressaisis-toi enfin, c'est la fin d'un job, pas du monde !
Bilbo pinça les lèvres. Cul-de-Sac, c'était son monde à lui. Mais Gandalf ne le laissa pas s'apitoyer longtemps.
- Je dois y aller. Je t'appellerai un de ces jours, et j'espère t'entendre dire que tu cherches ou que tu as trouvé du travail ! Allez, ça va s'arranger », conclut-il en se levant.
Le dessinateur le suivit des yeux et jeta un regard peu convaincu à son verre presque vide. Il jeta un billet sur la table et quitta le pub, se dirigeant à pas lents vers son appartement.
Le désordre qui l'accueillit lui réchauffa un peu le cœur. Son chat vint se frotter contre ses chevilles, et il se baissa pour le ramasser après avoir posé son carton sur la petite commode de l'entrée.
Salut, toi. Tu mènes ta petite vie tranquille, hein ? pensa-t-il en regardant l'animal qui s'agrippait à sa veste. Fais pas tes griffes sur du velours, tu veux ?
Il remplit machinalement la gamelle du chat, et mit de l'eau à chauffer.
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Bilbo passa quelques semaines à broyer du noir, mais les coups de fil réguliers de Gandalf finirent par l'aider à se ressaisir. Il se lança dans une laborieuse recherche d'emploi, postulant un peu partout en désespoir de cause, dessinateur, graphiste… Mais personne n'était intéressé par Bilbo Baggins, le type qui s'était fait virer parce que son travail était ringard. Il élargit donc son champ de recherches, posant sa candidature pour des boulots de plus en plus improbables.
Ce fut quatre mois plus tard que le vent tourna, alors qu'il était sur le point de rentrer effectivement chez sa mère par manque de moyens pour payer son appartement. Il avait postulé pour un poste de professeur de dessin au centre culturel municipal du village voisin, et lors de l'entretien, le responsable lui proposa d'élargir un peu l'activité. Etant donné son expérience, est-ce que ça lui plairait aussi de faire inventer des histoires aux enfants, ou d'en raconter ? Oui, certainement. Bilbo ne s'attendait pas à une telle offre, mais effectivement, il était tout disposé à accepter. Des dessins et des histoires, c'était exactement ce qu'il savait faire.
Il fut donc embauché comme animateur de l'atelier « contes pour enfants ». Il passerait donc chaque soirée, à partir de l'heure de sortie des écoles, à dessiner et inventer des histoires avec de petits groupes d'enfants et d'adolescents. Le mercredi, l'atelier durerait tout l'après-midi, et se terminerait par Bilbo contant une de ses propres histoires. Lors de la rentrée de septembre, le concept eut beaucoup de succès et les inscrits furent nombreux, remplissant tous les créneaux horaires que Bilbo pouvait leur proposer.
Le directeur du centre lui assigna une des grandes salles, garnie d'une large table ronde et de nombreuses chaises, ainsi que d'un grand écran et d'un vidéoprojecteur. Il fut averti que cette pièce servait également de local de répétition pour un groupe de musique le mercredi soir après sa séance, et qu'il devrait prendre soin de ranger la salle ces soirs là pour laisser de la place.
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Le premier soir, Bilbo avait le trac. Les parents arrivèrent à l'heure, amenant les sept enfants de huit à douze ans qui constituaient son groupe du lundi. Mais aussitôt seul avec ses élèves, le trac disparut, et il eut de vagues réminiscences de ses années de lycée, pendant lesquelles il avait passé ses vacances à encadrer des colonies. Il commença par se présenter rapidement, enjoignant les enfants à le tutoyer et à l'appeler par son prénom, puis leur proposa de s'installer à la table où il avait déjà disposé papiers et crayons.
Les deux heures que duraient la séance passèrent à toute allure. Comme c'était le tout début de l'activité, Bilbo avait simplifié son programme du jour, les laissant dessiner à leur guise et leur posant quelques questions sur leurs œuvres pendant la moitié de la séance, puis avait passé un certain temps sur les principes du schéma narratif, essayant d'éviter une explication trop scolaire et proposant plutôt aux enfants de lui expliquer ce qui arrivait dans une histoire et dans quel ordre. L'opération fut couronnée de succès, et le groupe se montra enthousiaste à l'idée d'écrire de petites histoires pour aller avec leurs dessins lors de la séance suivante.
Les parents revinrent, et Bilbo rangea tranquillement la salle, classant soigneusement les dessins des enfants, satisfait de son démarrage. Il avait hâte de travailler avec les adolescents, en fin de semaine, et il était curieux de voir comment se dérouleraient les séances du mercredi, qui étaient ouvertes à tous les âges. En pensant au mercredi, il se souvint qu'un groupe de musiciens devait répéter dans la salle après lui, et il se promit de les rencontrer pour faire connaissance – il adorait la musique. C'était une source d'inspiration majeure pour lui, et le nom du groupe, que son responsable lui avait indiqué, le faisait d'ores et déjà rêver. Into the Dragon's Den. Dans la tanière du Dragon.
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La séance du mardi se déroula à merveille, et Bilbo rentra chez lui satisfait et impatient. Le mercredi promettait d'être riche en émotions, la liste d'inscrits comportant douze noms d'enfants de dix à dix-huit ans. Il espéra que la cohabitation entre les grands et les petits se ferait sans trop de problèmes pendant les trois heures et demie que durait la séance, mais ne s'inquiétait pas trop : les deux élèves de dix ans, Sam et Rosie, faisaient également partie de son groupe du lundi et il avait pu constater qu'ils étaient particulièrement matures pour leur âge, et ne ralentiraient pas la progression de l'équipe du mercredi.
C'est donc confiant qu'il se rendit au centre culturel le jour suivant, et ses prédictions se révélèrent justes : le groupe se montra intéressé, calme et motivé, sans que les différences d'âge ne créent de problèmes. A dix-sept heures trente, les parents récupérèrent leur progéniture impatiente de revenir, et Bilbo commença à ranger la salle plein d'entrain. Il rangea méthodiquement les dessins des enfants dans un trieur, et le déposa dans le placard qui lui était assigné, à côté du vidéoprojecteur. Après avoir verrouillé le placard, il empila les chaises dans un coin de la salle, et repoussa la table contre le mur.
Au moment où il s'étirait le dos en inspectant la salle pour vérifier que tout était à sa place, des pas et des voix retentirent dans le couloir. Bilbo enfila sa veste, un blazer en velours côtelé couleur lie-de-vin qui commençait à s'user aux coudes, mais qu'il aimait trop pour l'abandonner. Il tira machinalement sur les rabats du col pour ajuster le vêtement, et ramassa sa sacoche en cuir brun. Elle aussi avait connu des jours meilleurs, mais Bilbo aimait les objets anciens ou abîmés : ils avaient une histoire à raconter…. Il jeta un œil à l'intérieur pour s'assurer que rien ne manquait – il avait une fâcheuse tendance à perdre ses affaires – et fut tiré de son contrôle par la porte s'ouvrant à la volée. Il releva la tête tout en commençant à parler.
« Oh, bonjour, vous êtes déjà là ! Je m'apprêtais à partir. »
Il adressa un sourire chaleureux aux trois hommes qui étaient entrés dans la salle. Celui du milieu était immense, le crâne rasé mais la barbe fournie. Il portait des vêtements noirs, à l'exception d'une veste en jean sans manches couverte d'inscriptions et de patches portant des noms de groupes de musique connus. Il accorda un regard froid à Bilbo et alla ouvrir le grand placard du fond, duquel il tira une batterie toute installée sur un grand tapis. Surpris de si peu de réaction, Bilbo se retourna vers les deux autres, qui portaient chacun un étui de guitare sur le dos. L'un était aussi blond que l'autre était brun, et ils semblaient légèrement plus jeunes que Bilbo. Tous deux avaient de longs cheveux, et le blond avait la barbe tressée – ils avaient l'air tout droit sortis d'un univers de fantasy, ou de faire partie d'un groupe de métal. La deuxième solution était plus plausible, mais l'imagination de Bilbo se souciait peu des probabilités…
Les deux jeunes hochèrent vaguement la tête dans sa direction, mais continuèrent leur conversation sans s'interrompre. Vaguement déçu par cette première entrevue, il passa sa sacoche en bandoulière et se dirigea vers la porte. Au moment de sortir, il se retourna vers les trois hommes et, sans grand espoir de recevoir une réponse, il s'adressa à nouveau à eux en conservant son ton enjoué.
« Je pars, bonne soirée ! Vous avez bien la clé pour fermer en partant ?
- Oui, nous avons la clé », répondit une voix grave derrière lui.
Le dessinateur fit volte-face et sentit sa voix se bloquer dans sa gorge. Celui qui ne pouvait être que le quatrième membre de groupe le regardait curieusement, avec une expression indéchiffrable. Bilbo était à peu près sûr de le regarder avec les yeux du Loup dans les dessins animés de Tex Avery (1).
Il lui aurait été difficile de faire autrement. Des yeux d'un bleu glacier, perçants, surplombés de sourcils froncés. Des cheveux longs et ondulés, noirs – quoique parsemés d'argent – qui encadraient son visage à la mâchoire volontaire. Un bouc qui entourait une bouche fine, dont le sourire promettait d'être aussi rare qu'acide. Si Bilbo avait effectivement été plongé sans le savoir dans une aventure de fantasy, l'homme qui lui faisait face aurait certainement été le chef de la troupe, au passé sombre et mystérieux.
« Bon, machin, tu laisses entrer Thorin ou tu comptes bloquer la porte toute la soirée ?! »
Le grognement, venu de l'intérieur de la salle, tira brutalement Bilbo de ses divagations. Il voulut s'écarter, bouscula gauchement le dénommé Thorin qui eut l'air profondément atterré devant tant de maladresse, et s'excusa en bafouillant.
« Pardon. Je… Pardon. Au revoir ! »
Il s'en fut sans laisser le temps à l'autre de lui répondre, mais son trouble l'avait fait aller à l'opposé de la sortie, face aux toilettes. Pour éviter de compléter le tableau du parfait imbécile, il entra dans la cabine et s'y enferma, en espérant qu'il n'avait pas hésité trop longtemps et qu'il avait eu l'air de se rendre là volontairement. A l'intérieur, il appuya son front contre le mur – avec un tantinet de brusquerie due à la frustration – et souffla par le nez pour essayer de retrouver son calme. Crétin. Crétin, crétin, crétin. Voilà. C'était exactement pour ça que personne ne le prenait au sérieux et qu'il faisait rire les enfants. Pour ça qu'il avait toujours refusé les entrevues avec les fans et la presse à l'époque où Cul-de-Sac avait eu du succès. Sa vie était un gag continuel – et l'ironie l'avait parfois poussé à s'inspirer de ses propres mésaventures pour écrire celles de ses personnages.
En soupirant, il tira la chasse d'eau pour conserver les apparences, et déverrouilla la porte. Il traîna les pieds dans le couloir. Ces temps-ci, le moindre petit échec lui rappelait qu'il était un raté, un loser, et une première rencontre aussi ridicule avec le groupe menaçait de jeter sa fragile bonne humeur au fond du puits.
Il suffit d'une note pour lui faire relever les yeux de ses chaussures. L'insonorisation de cette partie du centre culturel laissait franchement à désirer, surtout quand un groupe de musiciens occupait les lieux, Bilbo le constata en quelques secondes. Personne ne devait s'en soucier, étant donné qu'ils étaient seuls dans le bâtiment le mercredi à cette heure-là, et le dessinateur pouvait ainsi les entendre aussi bien que s'il avait été à l'intérieur avec eux. Bilbo aimait la musique, et celle-ci – celle-ci était incroyable. Le groupe venait de se lancer dans un morceau qui s'apparentait fortement à du folk-métal, un genre qui tirait souvent ses influences de la mythologie nordique. Il tendit l'oreille, et déglutit difficilement lorsque le chanteur entonna les paroles. Ça ne pouvait être que Thorin – il ne l'avait pas vu porter d'instrument – et sa voix fit frémir Bilbo jusqu'à l'os. Profonde, vibrante, elle fit courir un frisson le long de son échine. Bilbo se concentra sur les paroles, qui retraçaient apparemment le naufrage d'un drakkar et la survie d'un guerrier viking au milieu des glaces sauvages du Nord. Comment des personnes si peu amènes pouvaient-elles produire une musique si prenante et magnifique ? Comment pouvaient-elles écrire des textes aussi poignants, aussi justes ? Le ventre noué, Bilbo ferma les yeux, se laissant emporter par la musique.
Le silence le tira de sa transe et il sursauta, seul dans le couloir sombre. A l'intérieur, les voix des musiciens s'animèrent, puis la musique reprit, différente. Bilbo serra les dents, et s'enfuit. Il avait assez fait de bêtises pour la journée, inutile de tenter le diable en campant devant la porte. Un seul coup d'œil à Thorin avait suffi pour lui donner cent idées de dessins ; une chanson avait suffi pour lui donner mille idées de scénarios. Il les repoussa tout au fond de son imagination et boucla la porte du placard à mauvaises idées. Il refusait de se laisser tenter. Pas tant qu'il se serait montré un peu moins stupide devant le groupe – jusque-là, il ne méritait pas de s'en inspirer.
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Le mercredi suivant, après une semaine passée à ressasser son incapacité à garder ses moyens en présence d'inconnus, Bilbo était résolu à dissiper la gêne qu'il ressentait et à remonter un peu dans l'estime du groupe. Décidé à arranger les choses et à faire proprement leur connaissance, motivé par l'excellente séance qui venait de se dérouler, il rangea la salle avec efficacité, confiant.
Bientôt, des voix se firent entendre dans le couloir, et Bilbo hocha fermement la tête, ignorant ostensiblement le fait que ses tripes étaient en train de s'auto-tricoter. Il verrouillait le placard lorsque le groupe entra dans la pièce sans frapper.
Il y eut un flottement dans la conversation entre les quatre hommes, Bilbo se retourna, un peu trop brusquement, et sa manche s'accrocha à la clé toujours dans la serrure. Ladite clé fut arrachée, effectua un vol plané, atterrit et glissa jusque sous la table. Le dessinateur se retint tout juste de se cogner le crâne contre le mur. Etait-il donc obligé d'être si parfaitement maladroit ? Il était pourtant à peu près sûr d'avoir une seule main gauche, et une main droite relativement fonctionnelle lorsqu'elle tenait un crayon. Il adressa un sourire crispé à ses spectateurs, dont deux étaient visiblement en train d'étouffer leur fou rire, et se fit violence pour aller chercher sa clé à quatre pattes sous la table. Inévitablement, il se cogna la tête en se redressant – et cette fois, la litanie d'injures qui demandait à sortir depuis la semaine précédente ne put être retenue.
« AOWH saloperie de putain de table de mes… ! »
Il se tut tout en se frottant l'arrière du crâne, fourra la clé dans sa poche, et commit l'erreur de croiser le regard de Thorin qui réglait la hauteur de son micro. L'homme l'observait avec un air à la fois consterné et… vaguement inquiet ? Bilbo se sentit rougir et sa colère augmenta encore d'un cran. Il détourna les yeux, se dirigea d'un pas qu'il espérait ferme vers la porte. On peut dire que tu as le sens du spectacle, songea-t-il amèrement en claquant le battant derrière lui.
Il n'attendit pas que la musique commence pour partir, et dans sa petite voiture, sur le chemin du retour, l'autoradio resta silencieux.
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Et voilà pour ce soir ! J'espère que ce début vous donne envie de lire la suite... :)
N'hésitez pas à me laisser un petit message pour me faire part de votre avis, vos retours me font toujours plaisir !
Des bisous et à très vite
Flo'w
(1) Les yeux du loup de Tex Avery, pour les intéressé(e)s... sur youtube : watch?v=o4Q91JQ_od8 à 1:03 ! ;) ah, les dessins animés de mon enfance...