« Pourquoi n'as-tu pas demandé à mon jeune alter-égo de t'accompagner ? » s'enquit Spock tandis qu'ils parcouraient les étals du marché extérieur. C'était un marché multiculturel, principalement vulcain mais présentant un afflux de marchandises de toute la Fédération. Les installations étaient simples, des boxs avec des panneaux écrits à la main bougeant doucement dans le souffle chaud du désert. Certains étaient couverts d'une toile qui les protégeait du soleil. Jim loucha derrière ses lunettes de soleil, essayant de déchiffrer les pattes de mouche épinglées à la caisse de ce qui semblait être des fruits.
« Je voulais que ce soit une surprise » répondit Jim. « En plus, il travaille. Et je pense que nous avons besoin de passer un jour loin l'un de l'autre ».
Il se souvint de la porte de la salle de bain ouverte le matin même, comment il avait attendu que Spock finisse avant d'y aller lui-même. Le brun était passé devant lui la tête baissée, et ils furent tous deux silencieux au petit déjeuner. Jim passa la matinée à discuter avec Sarek de la technologie des serres hydroponiques, et considéra qu'il avait gagné un point.
« Oh ? » s'informa Spock. Jim soupira et rajusta ses lunettes.
« Tu as vraiment envie d'entendre l'histoire ? »
« Si tu souhaites me la conter » répondit l'ambassadeur. « Ce qui se développe entre toi et mon jeune moi est votre affaire ».
« Dis l'homme qui m'a téléporté dans un vaisseau voyageant à vitesse supraluminique pour que son jeune alter-égo et moi-même puissions régler nos problèmes ».
« Tu ne peux pas blâmer un vieux vulcain de souhaiter le bonheur pour lui-même » répondit le vieil homme avec une expression douce.
A ces mots, Jim sourit. « Ce n'est pas le cas » répondit-il, avant de redevenir sérieux tandis qu'ils passaient à l'étal suivant. « Qu'est-ce que c'est que ça ? »
« Soltar. Similaire à une prune. Cela fait d'excellentes confitures ».
Jim fit signe au commerçant et lui en demanda deux douzaines. Il lui tendit sa carte de crédit, et ils continuèrent de flâner.
« Je ne saurais dire si j'interprète mal ses signaux ou non » lui confia le capitaine, « ou si ce sont des signaux tout court. Si ça se trouve il est juste à l'aise avec moi ? Je ne veux pas profiter de cette situation. Et je suis son supérieur. C'est à lui de faire le premier pas. Ethiquement parlant, je ne peux pas ».
Spock marchait avec les mains croisées devant lui, étroitement liées. Un sourire jouait sur ses lèvres sans pour autant prendre forme.
« A quel propos ris-tu ? » demanda Jim.
« Tu as une remarquable conscience des choses » répondit Spock après quelques secondes. « C'était tout l'opposé dans ma ligne de temps. J'en suis venu à comprendre les sentiments que j'avais développé pour mon Jim au fil du temps, mais il était obnubilé par sa carrière. Il faisait souvent la remarque qu'il n'avait pas l'intention de se poser ».
« Que s'est-il passé ? »
« Je ne devrais pas te le dire » répondit Spock, à moitié pour lui-même.
« Mais tu vas le faire quand même, pas vrai ? » lui dit Jim tout en lui donnant un coup d'épaule, d'instinct. Il se tendit, mais Spock ne semblait pas offensé. « Allez » l'encouragea-t-il, « quel mal cela peut-il faire ? ».
« Je ne l'ai pas revu pendant trois ans » finit par dire l'ambassadeur.
« Quoi ? » Jim stoppa net sa progression. « Pourquoi ? »
« La raison importe peu » lui répondit Spock. « Nous avons éventuellement fini par réaliser qu'il était possible d'avoir ce que nous désirions ».
« Bien » dit Jim, se glissant vers un stand de figurines de pierre taillée. Il en saisit une qui semblait familière, examinant les petits crocs, la tête semblable à celle d'un ours. « Regarde ça » dit-il, la présentant à Spock.
« C'est un sehlat » lui enseigna le vieil homme.
« J'ai regardé des images de cet animal toute la semaine » lui apprit le capitaine. « Je devrais peut-être en prendre un pour Jo ».
« La fille du docteur McCoy ? »
« Ouais. Je ne lui ai rien pris pour Noël. En parlant de Noël, qu'est-ce que je devrais te prendre ? »
« L'échange de présents n'est pas typiquement pratiqué parmi les vulcains » répondit Spock avec un ton d'excuse.
« Une bonne chose que je sois humain » lui rappela Jim. « Dis-moi ».
« Je n'ai besoin de rien ».
« Et, qu'en est-il de ton autre toi ? » Spock ouvrit la bouche pour répondre, mais Jim le coupa. « Et ne me dis pas qu'il n'a besoin de rien. Qu'est-ce qu'il aimerait ? »
« Tu le connais bien » lui indiqua Spock.
« Tu le connais mieux ».
Spock l'observa un moment, son regard s'adoucissant. « J'avais un sehlat comme animal de compagnie, enfant ».
Jim observa la figurine dans sa main et referma les doigts autour d'elle.
« Comment était le boulot aujourd'hui ? » demanda Jim lorsqu'il rentra les bras chargés de victuailles, les déposant sur le comptoir, en les séparant par plat. Lorsqu'il arriva à la figurine sehlat, il sentit son visage s'échauffer à l'idée de la donner à Spock, et la rangea dans une des poches de sa robe.
« Productif » répondit Spock depuis sa place près de la table. Il leva les yeux, rencontra le regard de Jim, et la gêne si évidente qu'il y avait eu entre eux le matin même semblait s'en être allée.
« Tant mieux »
« As-tu été en mesure de trouver tous les ingrédients dont tu avais besoin ? »
« Plus ou moins » dit Jim. « Je n'ai rien trouvé qui se rapproche un tant soit peu du bacon, mis je serais le seul à en manger de toute façon. L'autre toi m'a convaincu d'essayer quelques plats vulcains. Je pense que j'y ajouterai mon grain de sel. Vas-tu travailler demain ? »
« Non » lui apprit Spock. « Je vais rester ici avec toi ».
« Cool » dit Jim tout en mettant les denrées périssables au frigo. « Je vais commencer à cuisiner ce soir. Tu as réussi à me convaincre de faire une sorte de confiture, ce qui prend apparemment plusieurs heures à cuire ».
« Je ne savais pas que tu avais un tel intérêt pour la cuisine ».
« Et bien, il n'y a pas beaucoup d'opportunités pour ça sur le vaisseau » répondit Jim dans un sourire. « Maman était souvent absente de la planète, alors il n'y avait que moi et le réplicateur. J'en ai eu marre du goût au bout d'un moment et je suis devenu plutôt bon à faire deux-trois trucs. Maman cuisinait beaucoup, lorsque nous étions petits ».
« C'est un savoir-faire pratique » agréa Spock.
« A un moment j'ai pensé en faire ma profession, avant de rencontrer Pike. Barman me permettait de bien gagner ma vie, mais je ne voulais pas y faire carrière ».
« Qu'est-ce qui t'en as empêché ? » demanda le brun, se levant de sa place et se plaçant en face de Jim de l'autre côté du comptoir. Le comptoir lui arrivait à la taille, et il croisa les mains en face de lui.
« L'argent » répondit Jim avec un haussement d'épaule. « Je n'en avais pas assez pour l'école. En rétrospective, je n'avais pas la patience de travailler dans cette industrie à cet âge. Et ça avait tendance à faire remonter d'assez mauvais souvenirs ».
« A quel propos ? » s'enquit Spock en penchant la tête.
« Veux-tu honnêtement le savoir, ou essayes-tu juste d'être sympa ? » demanda Jim, parcourant des yeux le comptoir.
« Je ne demanderais pas par pure politesse ».
Jim soupira, plia le sac qu'il tenait et le posa devant lui. Il se dirigea vers le canapé, s'assit, et resta silencieux pendant une minute, réfléchissant. Spock ne le pressait pas, se contentant de rester assis en silence, attendant que le capitaine parle. C'était étrange combien la maison était silencieuse, aucune horloge, aucun bruit provenant de l'extérieur.
« Bones t'as probablement dit, si tu ne l'as pas lu dans mes archives » commença Jim, jouant avec un fil lâche sur sa robe. L'idée qu'il était enveloppé dans un tissu qui d'habitude enveloppait le corps de Spock le faisait frissonner. Il repoussa cette idée, gardant la tête baissée contre sa poitrine. « Lorsque j'avais treize ans, je vivais sur une autre planète. J'avais supplié d'y aller à vrai dire. J'étais prêt à tout pour m'éloigner de mon beau-père ».
« Il était violent ? » demanda Spock, se tournant de façon à faire face à Jim.
« Nan » répondit Jim en hochant la tête de manière négative. « Ce n'était pas un mauvais gars. C'est juste qu'on ne s'entendait pas. Pendant de longues années il n'y avait eu que moi, maman et Sam, et ensuite Franck s'est rajouté au tableau. Je n'aimais pas le changement. En plus j'étais une saleté à cet âge. Alors, quand j'ai entendu parler de la colonie, je les ai suppliés d'y aller. Nous avions de la famille là-bas ».
« J'avais lu que tu étais sur Tarsus IV ».
« Ouais » Les doigts de Jim s'immobilisèrent. « J'essayais de trouver de la nourriture pour les autres enfants. C'était… c'est la seule bonne chose que je n'ai jamais faite, jusqu'à rejoindre Starfleet ».
« Tu n'étais qu'un enfant » dit doucement Spock.
« Pas après ça* ».
Spock ne répondit rien en retour, mais Jim le sentit se rapprocher.
« Peux-tu me montrer ? » demanda-t-il d'une voix faible, comme s'il était hésitant. Il lui fallut un moment avant de rencontrer le regard de Jim. Le blond ne demanda pas de clarification. Il hocha doucement de la tête, et sentit les doigts de Spock effleurer son visage. Spock avala sa salive de manière audible Jim l'entendit inhaler par la bouche en tremblant. Mais son toucher était léger, apaisant, et Jim se pencha vers lui.
Ça n'avait rien à voir avec sa fusion avec l'ambassadeur, mais il était conscient d'une seconde conscience dans son esprit, comme si quelqu'un l'observait à travers une fenêtre mentale. Il observa Spock, dont les yeux étaient clos. Ils étaient si proches, plus proches que lorsqu'ils étaient assis l'un à côté de l'autre, et il pouvait voir la teinte olive sous les yeux de son commandant. Il y eut une pression, presque comme une étreinte, quelque part au fond de son esprit, et une chaleur envahit l'endroit glacé où reposaient ses souvenirs de Tarsus. Il inhala de manière tremblante, et la main de Spock s'en alla. Jim n'avait pas la force de lever les yeux vers lui. Il cligna des yeux, qui commençaient à piquer.
« Jim » dit Spock en touchant le poignet de son capitaine. « Leurs morts n'étaient pas de ta faute ».
« Je le sais, maintenant ».
Jim essaya de sourire, et le regarda dans les yeux. L'expression de Spock était sombre, et Jim pouvait sentir quelque chose à travers leur contact. Il se concentra sur le sentiment, un murmure à peine discernable dans son esprit. Il était conscient de l'inquiétude de Spock, de sa tristesse. Pour une raison inconnue, il attrapa la main du brun, même s'il savait qu'il n'aurait pas dû. Il la maintint entre les siennes jusqu'à ce qu'elles arrêtent de trembler.
« Merci » dit-il finalement. Il se pencha et embrassa doucement Spock, avant de se lever et de retourner derrière le comptoir, cherchant dans les tiroirs un ustensile pour peler le soltar. Spock le suivit sans un mot, le scrutant jusqu'à ce que Jim lui fasse un sourire.
« Je te jure, je vais bien » dit-il. « Retourne à ta lecture ».
Ce ne fut que plus tard, lorsqu'il se tenait au-dessus de la casserole, regardant les fruits mijoter et le jus réduire, qu'il toucha ses lèvres, et se souvint de la sensation qu'avaient causé celles de Spock pressées contre les siennes.
* Cela fait référence au massacre de Tarsus IV. Pour celles et ceux qui ne seraient pas au courant, la colonie sur Tarsus IV a dû faire face à la destruction de toutes ses cultures par une maladie. Le gouverneur Kodos, qui la dirigeait, a décidé de rationner la population en faisant deux groupes : les « nécessaires » et les « moins nécessaires » à la survie de la colonie. Les 4000 personnes qui faisaient partie des moins nécessaires, soit la moitié de la population, ont été massacrés. Jim Kirk, enfant à l'époque, faisait partie des survivants.
Bonsoir tout le monde ! Un bout de temps que j'avais pas traduit, je sais, mais je profit de mon mois de vacances ^^
Le prochain chapitre n'arrivera pas tout de suite, mais promis je n'abandonne pas ! J'espère que celui ci vous a plu, ça fait très plaisir de voir toutes les personnes qui suivent cette histoire :)
Bonne soirée à tous et à la prochaine ;)