Un grand merci pour vos reviews sympathiques !
Après réflexion, je pense arrêter la fiction à cette partie plutôt que sceller leur destin.
Peut-être tenterai-je une happy ending à la suite plus tard, je verrai =)
Bonne lecture !
Partie II : La chasse est ouverte
Quelques secondes plus tôt, ils s'enlaçaient affectueusement. Désormais, alors que la voix de Claudius achève à peine sa terrible annonce, ils sont à deux bons mètres l'un de l'autre. Malgré tous les sentiments, tout l'attachement, leur nature reprend inconsciemment le dessus. L'amour ne balaie pas aussi facilement 15 ou 18 ans de vie et de moeurs. Clove se rappelle qu'elle a lancé tous ses derniers couteaux, qu'ils sont éparpillés à des endroits précis dans l'arène, et que c'est d'ailleurs Cato qui porte le dernier à sa ceinture. Lui, il n'a pas besoin de la quitter des yeux pour avoir conscience de son épée plantée dans le sternum de la Fille du Feu, à quelques mètres. Même sans arme, il aurait l'avantage. Clove a beau être une combattante hors pair, que pourrait-elle face à un homme qui pèse vingt kilos de plus et dont la spécialité est justement le corps-à-corps ? Avec l'épée, elle aurait ses chances mais, hélas, c'est lui qui en est le plus proche… Clove en tremble de rage, plus que de peur.
« Ils se sont moqués de nous… » peste t-elle, les jambes légèrement fléchies en position défensive.
Les deux Carrières ont été tournés en dérision. Jamais il n'a été question de laisser deux vainqueurs. Le Capitole voulait juste un final grandiose bourré de sentiments et de rebondissements. On a voulu les faire marcher... et ils n'ont pas marché. Ils ont couru.
Cato n'a pas fait du lancer de couteau sa spécialité. Cette arme est trop légère pour lui. Ça n'empêche qu'à cette distance, il ne la raterait certainement pas s'il décidait de se servir du sien.
« On a été assez stupides pour y croire. C'est tout ce qu'on mérite », rétorque t-il amèrement.
Comment avaient-ils pu se laisser avoir aussi facilement par cette fausse invitation au romantisme ? Gober la nouvelle et se jeter dans la gueule du loup comme des proies faciles, comme des idiots qu'ils n'avaient jamais été avant de tomber amoureux l'un de l'autre... C'était une honte de la part de deux Carrières. Leur estime mutuelle, leur attachement, et leur alliance parfaitement assortis avaient forcé le respect, jusqu'à ce que leur comportement absurde ne les ridiculise aux yeux de leur district. Couverts de honte, ceux qui souhaitaient être couverts de gloire ! Le seul moyen de retrouver l'honneur ? Vaincre dignement… ou mourir dignement. Les deux s'observent en chien de faïence, longtemps, sans bouger. Cato se rend compte d'un manque dans sa poitrine, un manque de Clove alors qu'elle est juste en face de lui. Il n'ose même pas imaginer ce qu'il ressentira si elle meurt. Sa place devrait être dans ses bras, pas sous la lame de son épée. Il se flagelle à cette pensée. Non, il doit penser l'inverse. Cato se rend compte de sa terrible sottise. Son père lui disait toujours d'attendre pour vivre, de laisser les déboires, les divertissements, les sentiments, les amitiés pour plus tard, passé ses 19 ans. Son père lui disait toujours de se focaliser sur son entrainement, que les douceurs de la vie arriveraient après, qu'il faille être patient, qu'il faille les mériter. Son père l'avait mis en garde contre la gente féminine, il lui disait qu'il aurait tout le temps pour s'en préoccuper après. Après. Cato a voulu l'écouter, vraiment. Mais il est tombé dans le piège. Maintenant, il doit en payer le prix et se repentir dans la mort de celle qu'il aime. Il n'a pas le choix, elle ne l'a pas non plus. Si seulement ils avaient été moins faibles…
« Je te laisse une longueur d'avance », décrète t-il alors.
Tout comme elle, Cato ne renonce pas, mais il ne l'attaquera pas ainsi. Il refuse cette victoire. Pour laver leur déshonneur à tous les deux, il faut un grand combat. Plutôt mourir comme un héros que vaincre comme un lâche, surtout face à Clove. Elle doit se battre, il veut qu'elle se batte comme jamais et montre à tous les vauriens devant leurs écrans qu'ils ne pourront jamais rêver de lui arriver à la cheville, qu'ils l'admirent comme lui l'admire. La jeune femme sait comment il fonctionne, elle pourrait presque voir le raisonnement qui s'est formé dans la tête de son ancien partenaire.
Malgré sa proposition tentante, les pieds de Clove restent enfoncés dans le sol. Elle sait pertinemment que, dès l'instant où elle aura disparu de sa vision, ils seront devenus des ennemis mortels et la chasse débutera. Elle n'a pas peur de la chasse. Quant à la mort, un peu peut-être... Clove ne s'en rend pas compte tant qu'elle ne la voit pas assez de près. Ce qui lui fait peur à l'instant, c'est ce poids en son cœur, cette douleur dans ses entrailles, et la crainte qu'elle soit la seule à ressentir une telle chose. S'il ne compte pas l'attaquer quand elle est en désavantage, pourquoi partirait-elle tout de suite ? Ne peut-elle pas lui dire au revoir avant ? Et sentir son étreinte une dernière fois ? Elle se sent niaise à s'en enfoncer des couteaux dans le crâne. Mais c'est plus fort qu'elle, le regard plein d'espoir, elle fait un pas dans sa direction tandis que lui fait automatiquement un pas en arrière, levant une main pour lui imposer d'arrêter. Les émotions qu'il lit dans son regard lui lacèrent le coeur mais cela n'importe plus.
« Non », dit-il sèchement.
Elle comprend. Ce serait rendre les choses plus difficiles pour eux. Clove s'arrête, heurtée. S'ils s'attardent en bienveillance l'un envers l'autre, les juges enverront sur eux tous les feux de l'enfer pour pallier le cruel manque de spectacle entre les amants maudits. Elle le sait, ça aussi. Puis, Clove se détourne, n'ayant aucune crainte à lui exposer son dos, car elle a confiance en ce qu'il lui a dit, sans savoir pourquoi, confiance qu'il ne la frapperait pas de la sorte. Tout le contraire de lui qui, à plusieurs reprises, a déjà rêvé que Clove le poignarde dans le dos au cours d'une étreinte hypocritement réconfortante.
« Sois prête », entend-elle.
Seule Clove est capable de discerner cette pointe de souffrance dans cette voix grave et ferme. Un dernier regard en arrière.
« Sois prêt. »
Et elle fuit à toute jambes.
En route, elle se souvient que certaines de ses armes laissées sur des cadavres ont donc été emportées avec eux. Elles retrouvent deux couteaux sur son chemin et, arrivée à la Corne d'Abondance, Clove s'équipe à bloc: elle cale dans sa ceinture les doubles dagues qu'elles avaient planquées pour elle-même, puis dissimule un troisième et un quatrième couteau dans ses bottes. La seule chose qui lui manque pour se sentir prête désormais, c'est une bonne nuit de sommeil, mais Clove peut toujours courir pour l'avoir…
Maintenant, il faut attendre Cato de pied ferme. Il prend son temps. Après avoir récupéré son épée du corps défunt de Katniss Everdeen, le blond prend la sage décision de se rendre à la Rivière pour se désaltérer. Ne pas trop trainer non plus, au risque d'impatienter les juges qui leur enverront des crasses pour leur pourrir la vie. Les gens du Capitole sont scotchés devant leurs écrans, songeant: "Et maintenant ? Et après ?" "Hésite, n'hésite pas ?" "L'aime, ne l'aime pas ?" "La tuera, ne la tuera pas ?".
Cato sait où la trouver. La Corne d'abondance, bien sûr, leur repère. Là où tout a commencé et où tout doit se terminer. Sur le chemin, la vision de Clove le poignardant dans le dos le hante. La vision de Clove souhaitant sa mort le hante. La vision du cadavre de Clove le hante. Il ne saurait dire ce qu'il y a de pire entre mourir de sa main et vivre sans elle... mais on s'en moque, n'est-ce pas ? Pas d'état d'âme. Pas de sentiment. Honneur et devoir. Honneur et souffrance. Il faut vaincre à tout prix. La victoire est la seule chose qui s'immortalise, le reste est éphémère, le reste est faux, le reste s'échappe, le bonheur est vain. Cato atteint la lisière de la forêt et l'aperçoit quand il débouche sur la plaine. Elle l'attend juste devant l'antre de la Corne. A cette distance, les yeux de Clove sont deux onyx dénués d'émotion. Le vent souffle doucement sur le silence. Petit à petit, tout ne devient plus qu'instinct. Cato s'avance encore, prédateur tranquille, et c'est la lionne qui lance l'assaut la première en courant vers lui. Il court à son tour. Elle réduit la distance pour le rendre accessible à ses tirs de couteaux. Lui réduit la distance pour la rendre accessible à son épée. Plus que vingt mètres et, avec une lance dans sa main, il aurait pu la transpercer. Clove envoie son premier couteau, sa main fendant l'air comme l'éclair. Mais les réflexes de Cato sont plus aiguisés encore que sa lame et, d'un coup violent, son épée envoie valser la petite arme sur le côté. Il ignore combien elle en a d'autres, planquées derrière elle.
Clove cesse de se diriger vers lui et le contourne, toujours à pleine vitesse, tandis que lui s'arrête pour se tenir prêt. Un autre couteau est lancé vers son visage, puis, dans la course, Clove se baisse pour porter la main à sa botte. Presque instantanément, c'est un autre couteau qui fonce vers lui par dessous cette fois. Cato a eu le temps de parer l'un avec l'épée et tente d'esquiver l'autre qui se plante dans son épaule en un bruit sec. Joli. Il ne l'a jamais vue faire un enchaînement aussi rapide. La mâchoire crispée de douleur, il le retire et le renvoie vers elle, qui esquive en roulant sur le côté. Ce petit jeu a assez duré. Il franchit les quelques mètres qui les séparent en la rattrapant au pas de course, et Clove sort ses deux dagues qu'elle croise pour arrêter à deux bras le coup mortel de Cato qui l'aurait décapité. Désormais, elle doit placer toute la force du désespoir, de ses deux mains, pour parer chacun de ses coups colossaux, devant même se déplacer afin de les amortir. Clove est rapide, agile, mais les frappes puissantes de son adversaire l'ébranlent, la déstabilisent, et lui donnent du mal à repartir. Elle n'a pas touché la bonne épaule, Cato est droitier... Les deux se battent avec automatisme, ne pensant à rien d'autre que d'anticiper le prochain coup. Tout est futile, il n'y a que l'adrénaline courant dans leurs veines, leur cœur battant dans leurs oreilles et le bruit des lames s'entrechoquant. Chaque son leur est assourdissant et résonne autour d'eux alors que, paradoxalement, pour les spectateurs devant leur écran, tout est très silencieux en dehors de l'impact des armes, et c'est ce silence qui rend cette lutte pour la vie encore plus prenante. Les deux Carrières leur offrent un combat digne, un combat divin. Hercule et Athéna. Lui est force, et elle est précision. Cependant, et beaucoup s'y sont attendus, Clove s'épuise plus vite face aux assauts impitoyables de son adversaire, elle tombe, se dérobe et se relève agilement à plusieurs reprise. Elle a trois ans de moins que lui, après tout, et donc trois ans d'expérience en moins. C'est une énième frappe ignoblement violente qui la fait lâcher d'un même coup ces deux dagues. Une autre occasion se présente pour la décapiter, mais le cœur de Cato l'en retient. A la place, il saisit la gorge de Clove et d'un mouvement brusque, la fait basculer vers l'arrière pour l'écraser contre le sol.
Tout se passe en un éclair, mais Clove se sent choir au ralenti. Elle a toujours un dernier couteau, dans l'autre botte, et elle s'en saisit pour tenter de le poignarder en tombant. Mais il a anticipé le geste et la jeune femme se retrouve désarmée, les deux poignets plaqués contre le sol, et lui la dominant. Clove analyse son environnement et réalise qu'il n'y a plus rien qu'elle peut faire. Ses couteaux et dagues étant hors de portée, elle est démunie. Cato a lâché son épée pour maintenir ses deux poignets au sol, mais un tour de bras suffirait à la tuer. Elle ramène un regard calme vers lui. Clove sait reconnaître une défaite et, d'un côté, elle est probablement heureuse de ne pas être celle qui tuera l'autre. Certes elle ne veut pas mourir, mais elle ne veut pas qu'il meurt non plus ! Clove n'éprouve pas de regret, ni de colère qu'il n'ait pas eu suffisamment d'amour pour elle à en préférer la mort. Cato a toujours protégé son honneur, il aurait pu l'abattre dès que Claudius les avait invité à le faire, mais à la place, il lui a offert un merveilleux combat. Au fond d'elle danse la peur étranglante de la mort. C'est la fin, elle le sait. Toutefois, celui qu'elle aime a comme un moment d'hésitation. Elle a donc le temps de dire quelque chose, et ce doit être quelque chose de très important car ses paroles seront les dernières pour lui. Que dire, alors ? Pour s'aider, Clove se demande : Quels mots je veux qu'il retienne de moi ? Quelle paroles le réconforteront de m'avoir perdue pour gagner ? La vérité surgit spontanément, avec un calme macabre et une sincérité profonde :
« Je suis fière de toi. »