Nda : Voilà, nous sommes au terme. Merci à celles et ceux qui ont suivi cette histoire et en particulier à AvaTarbleu et ses commentaires motivants. Allez jetez un œil sur son profil si ce n'est déjà fait, s'y trouve la géniale histoire d'Alifair. Le mot de la fin est pour Drago.
Mydriase (II)
Dimanche 15 janvier 2017
Zénith
Ce matin, à l'heure où les premières lueurs du jour blanchissent les landes brumeuses, je me suis réveillé en sursaut, une douleur violente dans la poitrine.
J'ai été incapable de me rendormir, alors j'ai erré dans les pièces encore sombres de ma trop grande demeure. Et à huit heures, un Elfe de Maison est apparu dans mon salon, alors que je tentais en vain de me plonger dans un livre. C'était le tien. Je ne comprenais pas ce qu'il faisait là, les yeux rougis et la respiration haletante. Agacé, je l'ai sommé de parler. Mais avant qu'il ne prononce un son de sa voix grelottante, j'ai su.
Je suis arrivée chez toi le ventre noué, le cœur lourd. Le manoir, plongé dans l'obscurité des rideaux tirés, ne m'a jamais paru aussi lugubre. J'ai pourtant monté les marches de notre escalier de marbre avec une lenteur contrôlée. J'ai serré les dents, et je me suis dirigé à pas précautionneux vers ta chambre. Je savais ce que j'allais y découvrir.
Et quand je pousse la porte, je ne suis pas surpris de te trouver allongée dans ton lit, le brouillard de tes yeux fixé vers la porte de bois sombre, figeant ainsi ton un dernier regard. Ton visage est paisible. Je sais déjà, à ce moment-là, que tu n'as pas eu peur.
Je n'osais pas entrer, comme ce soir d'hiver dans le boudoir. Mais une tâche noirâtre sur les draps de soie a rapidement attiré mon attention. Sans trop réaliser ce que je faisais, je me suis approché. Une plume neuve baignait dans une petite mare d'encre noire, à côté d'une feuille de parchemin griffonnée. Je me suis assis sur le lit, et j'ai lu ce que tu avais cru bon d'écrire avant de partir.
Les premiers mots m'ont surpris. Mais pas autant que les suivants. Et alors que je tentais de poursuivre ma lecture, mon regard s'est brouillé. J'ai été submergé par une vague fracassante qui te ressemblait. Cela faisait des années que je n'avais pas pleuré. Mais puis-je réellement qualifier de larmes le torrent qui a dévalé mes joues? Pour la première fois, je n'ai pas honte d'avouer une de mes faiblesses. Pour la première fois, je découvre la femme qu'était ma Mère. Et cette découverte me dévaste.
Voici donc ton ultime acte de cruauté? Me montrer qui tu es alors que tu m'as abandonné?
Comment pourrais-je te pardonner cette révélation égoïste? Et surtout, comment pourrais-je vivre en sachant que tu as passé ta vie à m'échapper? Cette lettre lève tous les doutes que je nourrissais à ton égard. Elle panse toutes mes vieilles plaies tout en laissant des écorchures béantes qui elles, ne se refermeront jamais. Pourrais-je seulement affronter ce que diront les autres?
Je n'ai, pour l'instant, que survolé les dernières lettres que tu as écrites. Le nom de Scorpius est partout. Tu as noirci des dizaines de pages en mentionnant amoureusement ses moindres faits et gestes. Pourtant, c'est à moi, à moi seul qu'est destiné la dernière. Je peine encore à croire les découvertes que je fais à ton propos, Mère. Je peine à croire que finalement, tu m'aimais tant.
Le courage que tu louais a disparu. Je suis pour l'instant incapable de lire tes autres épitres tout en sachant que tu ne liras jamais les miennes. Je suis incapable de les lire car j'ai peur de découvrir que tu me connaissais mieux que tu ne me le laissais comprendre. J'ai peur d'apprendre que je ne t'ai jamais leurrée.
Et au fond de moi, je sais que je vais découvrir tour à tour la lucidité puis l'indulgence de ton regard de mère aimante. Car dans les abysses de mon cœur, j'ai toujours su que tu me connaissais comme personne et que ton amour ne m'avait jamais quitté. Mais j'ai aimé me complaire dans la distance, j'ai aimé croire que ta froideur n'était pas qu'apparente. Comment pouvais-je supporter tout ton amour alors que je me haïssais?
J'aurais tant aimé avoir le temps et l'intelligence de te faire lire mes propres missives fantômes. J'aurais tant aimé te montrer le fils que tu devinais sous mon masque de hauteur.
Je ne sais combien de temps je suis resté à tes côtés, prostré de la même immobilité des gisants. Je suis certain qu'à ce moment-là, je te ressemblais. Quand j'ai enfin eu le courage d'arracher mes prunelles au parchemin, j'ai plongé mes yeux dans les tiens, éteints. À peine quelques secondes ont dû s'écouler, elles semblaient une éternité. Puis, ne pouvant soutenir ton regard assombri plus longtemps, de ma main, je t'ai rendue aveugle à tout jamais.
J'ignore si ceci est la dernière lettre que je t'écris. Je me surprends à espérer que, où que tu sois, tu pourras désormais lire toutes mes épitres manquées. Je me surprends à espérer que tu savais combien, moi aussi, je t'aimais. Combien tu me manqueras. Combien j'ai à la fois aimé et détesté notre relation si particulière. Nous nous connaissions étrangement bien pour d'intimes inconnus. Même si nous nous sommes manqués toute notre vie.
Mais, je te promets de faire en sorte que nos erreurs n'aient pas été vaines. Je te promets de faire en sorte que tu sois toujours fière de moi, maintenant que j'ai enfin compris qui nous étions. Je te promets de ne jamais plus effacer de ma mémoire ces mots que nous n'avons que trop oubliés. Maman, je te promets qu'à l'avenir, je rirai.
Drago