Chapitre 1
Anecdoche
J'aurai les yeux des marées bleues
Et le visage des temps pluvieux
J'aurai le cœur sur un nuage
Passerai ma vie en décalage
J'aurai la tête sur l'oreiller
À peine poser les plumes aux pieds
J'abandonnerai mon âme d'avant
Chercherai celle au présent
Tourne encore
Tourne encore
Sûr de mes pas je prends le large
Les idées un peu moins sages
Je marcherai sans peine sur les os
Mettrai la nuit au tombeau
Que je suis seule
Que je sois folle
Que je ris bien
Que je grogne
Il y aura toujours sur ma peau blanche mes détours et absences
Tourne encore
« Tourne encore – Salomé Leclerc »
- Je sens le soleil sur mon visage, je vois des arbres tout autour de moi, l'odeur des fleurs sauvages dans la brise, tout est si beau. En ce moment même, je ne suis plus prise dans l'espace. Il y a 97 ans, une bombe nucléaire a anéanti tous les habitants de la terre, laissant la planète aux radiations.
Tic tic tic
- Heureusement il y a eu des survivants, douze nations ayant des stations orbitales opérationnelles au moment des bombardements. Il n'y a maintenant plus que l'Arche, une station forgée du rassemblement de toutes les autres. On nous a dit que la terre aurait besoin d'un autre siècle avant d'être viable à nouveau. Quatre générations enfermées dans l'espace avant que l'homme puisse retourner de là où il vient. La terre, voilà le rêve, ici c'est la réalité.
Tic tic tic
Ssssssssssss…
- 18 septembre 1968, séance numéro 4 de la patiente Clarke Collins, premier établissement de lien à son monde fictif par le biais de l'hypnose. Docteur Jake Griffin, établissement psychiatrique l'Arche, Mt Weather.
Ssssssssssss…
Au son de grésillement de l'enregistreur, la docteur Abigail Griffin éteignit l'appareil, retira le ruban qu'elle écoutait jusqu'alors. Elle regarda l'étiquette qui y était collée, y lit la même date qu'elle avait entendu son mari réciter. La docteur se recula sur sa chaise de bois, toisa le contenu du bureau de Jake où elle était enfin venue. Elle tourna la tête vers le large coffret d'où elle avait pris l'enregistrement, réalisa combien il y en avait beaucoup. Dans un soupire elle se frotta les yeux, replaça la bobine avec les autres. Abby ne se décida pas à en écouter une seconde, referma plutôt le couvercle et se pencha sur les dossiers manuscrits.
Elle étala les divers porte-documents, ne se surprit pas du nombre. Combien de fois avait-elle écouté Jake parler de cette fameuse patiente en particulier depuis les deux derniers mois? Mais malgré tout l'intérêt qu'il avait voué à cette jeune femme troublée, il n'avait pu refuser l'offre qui s'était présenté à lui. Chef du département de psychiatrie de l'hôpital Mémorial de Wachington DC, le genre d'opportunité que même le plus grand des attachements patient-médecin ne peut vaincre.
Depuis près de deux semaine qu'il était parti déjà, laissant Abby seule à leur maison au bas de la montagne. Ses nouvelles fonctions et la distance de cette métropole avait rendu impossible de revenir jusqu'à présent. Il appelait toutefois presque à tous les jours, tant pour parler à sa femme que pour s'informer du cas de cette unique patiente. Avant de quitter l'asile où il avait travaillé durant près de vingt ans, Jake avait fait promettre à Abby de s'occuper de Clarke, quoi qu'il arrive.
Et en ce matin brumeux d'octobre, la docteure s'était finalement décidée d'honorer la promesse faite à son époux. Tous les jours elle était passée devant la porte close de son bureau à leur domicile, n'avait pu se résoudre à y entrer, à s'acquitter de la tâche qu'il lui avait abandonné, qui avait allégée sa prise de décision de quitter l'Arche. Mais pour Abigail, l'effet en était tout autre, plus un fardeau qu'un défi à relever. Et suite aux relances incessantes et quotidiennes de Jake, elle avait consentit à véritablement se plonger sur ce cas.
Elle avait repoussé encore et encore car ce genre de patiente était loin d'être celle qu'elle avait l'habitude de traiter. Alors que Jake œuvrait dans l'aile des meurtriers aliénés, elle était dans le secteur de sécurité minimale, à bonne distance des prisonniers dangereux tels que cette jeune madame Collins.
Mais en l'absence de Jake, il avait fallu pallier à la demande, redistribuer les pensionnaires à sa charge. Sa collègue Lorelei Tsing ne pouvait tous les prendre, bien qu'elle fût la plus apte à la tâche. Abby et Marcus avait donc hérité de quelques patients supplémentaires demandant ce qui était loin de leur champ d'expertise, du moins en l'attente que le poste soit comblé.
Et même si depuis cette nouvelle redistribution Abby avait pris tout son temps, aujourd'hui elle confrontait ses appréhensions, davantage pour son mari de plus en plus soucieux que véritablement pour la jeune femme en question.
La docteur Griffin sortit quelques dossier des porte-documents et en ouvrit un. Dans le coin droit y était agrafée la photo de Clarke, blonde et froide. À cette image, Abby revit sa première rencontre avec la jeune femme quelques jours auparavant. Un premier contact distant où elles avaient échangés quelque peu. De ses yeux grands ouverts elle ressentait à nouveau le poids de ce bleu la scrutant. Cette couleur d'un ciel aussi clair que tourmenté, un voile d'une réalité insondable. Pour l'atteindre il lui faudrait suivre les traces de son mari, lui faudrait reprendre cette thérapie expérimentale qu'il avait progressivement tenté, qu'il avait laissé en plan avec son départ. Voilà ce qui préoccupait Abigail, cette manière de rejoindre cette jeune femme par le biais de manœuvre visant à violer son esprit, à l'atteindre sans son réel consentement.
Abby relu à nouveau les informations sur la jeune Collins, sur les événements l'ayant conduit à son internement. Elle serra les dents alors qu'elle se laissait étrangement gagner par l'émotion. Elle pencha la tête en arrière, fixa le plafond un court moment avant de refermer durement les paupières. La docteure soupira à nouveau tout en refermant le document. D'un bref coup d'œil à l'horloge accroché au mur recouvert de papier peint, elle se releva. Sans trop se presser elle rassembla tout le travail qu'elle avait ramené à la maison, celui de Jake devenu le sien.
En trois allers-retours à sa voiture, les dossiers dans les boites de cartons rangés sur la banquette arrière, elle put enfin verrouiller la porte de la maison. Comme elle était grande et vide maintenant qu'elle y vivait seule, le couple n'ayant jamais eu d'enfant. Abby chassa cette nostalgie passagère de son esprit, remonta le col de son imperméable beige alors que le vent lui mordait le cou. Tout en frissonnant, elle grimpa dans sa voiture et prit le chemin de l'institut.
En tournant le coin de rue qui lui faisait quitter son quartier, elle se décida à allumer la radio, à emplir ce silence qui l'accompagnait déjà bien assez à la maison.
- C'est aujourd'hui que le jury rendra son verdict sur le cas de la Reines des glaces.
Abby secoua la tête tout en syntonisant une autre chaine. Depuis des mois que cette histoire alimentait les médias. Combien de première page avait fait les meurtres sordides perpétrés par celle que les tabloïdes avaient nommé « La reine des glaces ». Presque autant d'encre que de sang avaient été versés pour chaque nouveau corps retrouvés la tête tranchée. Les dépouilles laissées dans les congélateurs des victimes, attendant patiemment d'être découverts, d'être révélé au grand jour. L'appellation, quoi qu'ironiquement morbide lui allait plutôt bien, et le nom était resté.
Si la peur avait été le plus grand motivateur à sa popularité jusqu'à maintenant, c'était désormais sa capture qui attirait l'attention générale. S'en était suivi son procès qui touchait maintenant à sa fin, heureusement.
Alors que la musique succédait aux informations, Abby se remémorait ce qu'elle avait lu sur les évènements au tribunal. Comment le processus avait été long et laborieux, comment l'accusée avait enchainé les avocats, clamant avec violence une innocence teintée de folie. Et comme l'avait annoncé le présentateur radio, tout serait terminé aujourd'hui, le cas serait enfin clos, et on entendrait plus parler de cette meurtrière au cœur de glace, enfin.
Abigail chassa ces pensées de son esprit alors qu'elle commençait à discerner l'imposante bâtisse qu'était l'Arche. Tout au bout de la route devenant un cul-de-sac, se perdant de sa hauteur dans le brouillard, l'asile psychiatrique dégageait une sorte de prestance néanmoins lugubre. La forêt d'arbre gris dénués de feuille l'encerclant et les hautes grilles de fer forgées venaient encadrer ce tableau tristement sinistre.
Le portail s'ouvrit à son approche et elle fit un signe de tête au gardien de la guérite tout en ralentissant progressivement. Abby alla se garer dans l'emplacement à son nom, celui qui avait été jusqu'à présent à la droite de celui de Jake. Son écriteau n'avait pas encore été changé, restait en dernier vestige de sa présence interrompue. Elle sortit de la voiture et se raidit à la sensation de l'air froid qui s'infiltrait sous son manteau. L'imperméable devrait bientôt être remis au placard, car l'automne devenait de plus en plus mordant en l'attente de l'hiver précoce.
- Matinale, Docteur Griffin.
Abby pivota sur elle-même, cherchant cette voix qu'elle avait reconnue aussitôt.
- Là-haut, madame.
La docteure leva les yeux vers le lampadaire du stationnement pour enfin y apercevoir la jeune femme d'entretien.
- Raven, lui dit-elle tout en ouvrant la porte arrière pour récupérer ses cartons.
- Besoin d'aide avec tout ça? Lui demanda la brune.
Abby ne répondit pas immédiatement, regarda les boites qui impliqueraient plusieurs voyages jusqu'à son bureau. Son hésitation donna à Raven la réponse qu'elle supposait et en un rien de temps, elle descendit habilement de là où elle était perchée.
- Merci, dit simplement la docteure alors qu'elle refermait de son dos la portière, les bras chargés, quoi que moins que la jeune préposé d'entretien.
- Vous avez entendu les informations ce matin, madame?
Abigail se contenta de hocher la tête.
- Je sais qu'il y en a des cinglés ici mais…
- Des patients Raven, des patients.
- Oui bon, mais tout de même, c'est un sacré psycho folle…
- Raven…
- Madame, on parle ici d'une femme qui a décapité plus d'une dizaine de personnes et les a congelé ensuite… si ce n'est pas être totalement à côté de la plaque je ne sais pas ce que c'est.
Abby secoua la tête l'air déconcerté, ce qui fit sourire Raven au passage. Elles approchèrent rapidement les marches de pierres menant aux grandes portes de l'institut.
- Hey Monty, tu nous ouvre? Lança Raven en direction d'un haut buisson à la gauche des pavés.
La docteure n'eut pas le temps de se demander où était le jeune jardinier que déjà le petit asiatique sortait la tête des arbustes. Le regard effarouché, il remarqua les deux femmes qui le fixaient, des cartons plein les bras. Sans dire un mot, il se rua au haut des escaliers, ouvrit l'une des lourdes portes pour les laisser passer.
- Merci beaucoup M. Green, lui dit Abby.
- La galanterie n'est pas encore morte à ce que je vois, Monty, ajouta Raven en donnant un coup de coude au passage au jardinier.
Celui-ci lui fit un sourire gêné puis referma derrière elles, retourna à la taille des vivaces. Les femmes traversèrent le grand hall dont le plafond n'atteignait de limite qu'à la cime du cinquième et dernier étage. Les talons de la docteure résonnèrent sur le marbre du plancher, emplirent les lieux jusqu'alors silencieux. Au centre des deux imposants escaliers allant se rejoindre en un seul plus en hauteur, le bureau d'accueil se trouvait vide de la secrétaire. À sa place, le gardien de nuit attendant sa venue qui signerait la fin de son chiffre.
- Mesdames, dit-il en les apercevant.
Il releva sa casquette et replia son journal, non sans attirer le regard d'Abby.
- M. Sinclair, dit-elle en ralentissant, penchant légèrement la tête pour lire la première page.
« LE VERDICT TOMBE AUJOURD'HUI » était inscrit en caractères gras au-dessus d'une gravure illustrant l'accusée. La scène montrait un visage furibond qui hurlait en se débâtant des mains des gardes de justice, un air à glacer le sang, littéralement.
- Vous voulez le journal, madame, je l'ai déjà lu deux fois depuis les petites heures? Demanda le gardien en lui tendant le papier plié.
- Non, merci M. Sinclair…
- Moi je vais le prendre alors, la coupa Raven.
Elle alla coincer le tabloïde entre son menton et le dessus de la boîte du haut qu'elle transportant.
- Merci, ajouta-t-elle dans une grimace visant à maintenir le journal et d'éviter qu'il ne glisse au sol.
Abby lui lança un regard réprobateur, quoi que peu convaincant. Raven lui renvoya ce sourire arrogant qui lui était propre et sans rien ajouter, elles gravirent les marches jusqu'au quatrième pallier. Tout au bout de l'aile Ouest se trouvait son bureau ainsi que celui de Marcus Kane, celui avec qui elle se partageait les cas dit légers.
Toujours au son du claquement de ses chaussures, elles regagnèrent la porte où Dr. Abigail Griffin était marqué en lettres dorés sur le verre givré. Raven déposa les cartons au sol et se massa inconsciemment le haut de la jambe en se redressant. La préposée d'entretien remarqua le regard préoccupé de la docteure et ne perdit pas plus de temps pour mettre un terme à cette pause dans son horaire.
- Je dois retourner au travail maintenant, madame, dit Raven d'un signe de la main alors que déjà elle s'éloignait.
Abby la regarda tenter de cacher sa claudication, secoua la tête sachant déjà comment la jeune femme était têtu et refuserait son aide si elle le lui offrait à nouveau. Elle pivota sur elle-même, se dégagea une main pour tourner la poignée et entre dans son bureau. La première boite sur la chaise longue rembourrée, elle se frotta le front devenu légèrement humide à l'effort. En se retournant, quel ne fut pas sa surprise de voir Marcus qui fixait le sol de la pièce. Son cœur manqua un battement de stupeur et elle appuya sa main contre son torse pour se ressaisir.
- Marcus, mais qu'est-ce que tu...
Elle laissa sa phrase en suspens alors qu'elle remarquait l'état de son collègue. Il avait le teint pâle et semblait songeur, non, affecté.
- Marcus? Demanda-t-elle en le rejoignant lentement.
- Hum? Répondit-t-il quand elle posa sa main sur son avant-bras.
- Qu'y a-t-il? Reprit-elle tout en plongeant son regard dans le sien.
- Une de mes patientes s'est suicidé cette nuit, avoua-t-il en se passant la main sur le front.
- Qui est-ce?
- Celle que m'avait confiée Jake… Anya.
Abby se recula tout en se passant la main dans les cheveux, visiblement affecté. Elle referma durement les yeux tout en expirant.
- Anya, prends ma main!
Clarke l'aida à se relever alors qu'elle-même tenait à peine debout. Elles avaient dû tomber l'équivalent de deux étages dans cette chute à linge. Dans leur fuite elles avaient aperçu cette trappe, avaient eu la mauvaise surprise de découvrir sa fonction. Bien qu'elles n'aient plus aucune idée d'où elles se trouvaient, il y avait toute de même cette certitude rassurante, elles gagnaient du terrain.
Anya la regarda droit dans les yeux avec encore ce mépris d'une confiance à prouver, une alliance éphémère. Elle lui prit la main et la blonde l'aida à sortir de l'énorme benne de linges souillés où elles avaient atterri. Alors qu'elle reprenait encore son souffle, Clarke toisa les lieux pour arriver à cette simple évidence.
- On est sorti, laissa-t-elle échapper dans un soupir.
Elle s'éloigna de la benne en pressant le pas, s'accroupit devant un tas de vêtement probablement réservé au personnel d'entretien.
- Hey! Allez, viens te changer. On ne pourra pas couvrir beaucoup de distance habillé comme ça! Dit Clarke alors qu'elle commençait déjà à choisir bottes et chemise.
- Je ne laisserai pas les autres ici, lui répondit-elle le regard toujours fixé sur les linges souillés.
Clarke se releva prestement et alla la rejoindre.
- Anya, écoute moi, ils ont des gardes, ils ont des armes. Une fois que nous serons sorties d'ici, nous pourrons trouver de l'aide, nous pourrons revenir…
- Il n'y a pas de nous, la coupa Anya.
La blonde soutint son regard, y vit toute précarité de cette évasion commune. Elle n'eut pas le temps de s'abandonner à de plus amples questionnements que des voix au loin attirèrent leur attention. Anya lui tourna le dos, regarda dans la direction d'où provenaient les discussions encore incompréhensibles par la distance.
- Quelqu'un approche, dit-elle.
Clarke la contourna et fixa le couloir leur apportant ces voix peu rassurantes.
- Pas juste quelqu'un…
TOC TOC TOC
- Debout là-dedans, dit Byrne alors qu'elle donnait trois coups au mur capitonné de la cellule d'isolement qu'elle venait d'ouvrir.
La garde rangea son trousseau de clef à sa ceinture et s'approcha de la jeune femme jusqu'alors endormi.
- Debout Clarke, c'est terminé je te ramène à l'étage, ajouta-t-elle en saisissant la blonde par le bras.
Le geste n'était ni brusque ni contraignant, mais ne laissait pas non plus place à la contradiction. Clarke avait encore les yeux plissés par la soudaine lumière vive tranchant sévèrement avec le noir opaque qui lui avait tenu compagnie. Depuis combien d'heure elle était ici, elle n'en avait plus la moindre idée, dans ces cellules le temps perdait de son sens. Elles sortirent dans le couloir du premier sous-sol. Le béton froid sous ses pieds finit de la réveiller totalement. La blonde arrêta de marcher, ce qui fit resserrer la poigne de Byrne.
- Où est-elle? Demanda Clarke alors qu'elle pivotait à droite et à gauche, semblait chercher quelqu'un.
- Vient Clarke, tout est fini, je te ramène avec les autres, lui redit la garde.
- OÙ EST-ELLE? Hurla-t-elle, s'agitant de plus en plus.
- Clarke ne me force pas à…
Byrne n'eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà la blonde perdait toute sa fougue, se calmait si rapidement que cela en était presque incroyable. La garde la dévisagea alors qu'elle la voyait tomber à genoux, le regard tourné vers le fond du corridor. Elle finit par suivre des yeux la direction qui avait causé pareille accalmie.
À quelques dizaines de mètres, les portes séparant le secteur d'isolement de celui des locaux médicaux se refermaient lourdement. Dans leur ballant de va et vient encore en mouvement, Byrne pu discerner Jackson qui poussait une civière. Sur celle-ci y était étendu un corps recouvert d'un drap blanc. Un bras pendait librement sur le côté, trahissait de par son tatouage l'identité de cette patiente dont le combat était maintenant terminé, Anya.
Les talons d'Abby résonnaient à nouveau dans le long couloir du quatrième étage alors qu'elle et Kane se dirigeait vers l'aile opposée. Marcus n'était pas uniquement venu lui annoncer la mort de l'ancienne patiente de Jake, il était également venu la prévenir que Dante l'attendait. Néanmoins ce n'était pas que la docteure Griffin qui était convié mais tous les psychiatres en poste.
Ils arrivèrent tous deux au grand bureau de leur patron dont la porte était entr'ouverte. Kane y appuya de sa large paume et fit signe à Abby de passer devant. Tsing était déjà là, assise du côté gauche de la table ovale au centre de la pièce. L'endroit était relativement sombre dû au couvert nuageux. Quelques lampes sur les meubles en bois dispersaient une lumière jaunâtre. Malgré le papier peint, les tapis et le mobilier austère, il y avait cette odeur qui persistait ici seulement. Comme un souvenir dans lequel on entre, les feuilles d'un livre emprunté, une bibliothèque d'un temps passé, une senteur étonnement apaisante.
- Abby, Marcus, venez prendre place, dit Dante alors qu'il se levait de son siège pour les accueillir.
- Docteur Wallace, dit Abigail alors que Kane se contentait d'un hochement de tête.
Ensemble ils s'exécutèrent tel que demandé par leur directeur, s'attablèrent pour cette rencontre matinale. Le vieil homme les regarda tous un à un, puis joint ses mains ensemble avant de prendre la parole.
- Je vous ai convié ce matin pour plusieurs raisons. La première, le décès de la patiente…
Il fronça les sourcils, cherchant le nom de la femme en question. Abby et Loroleï échangèrent un regard qui hurlait en silence ce qu'aucune ne diraient à haute voix. Les yeux toujours fixés sur ceux de sa collègue, Abigail termina la phrase de Dante.
- Anya, elle s'appelait Anya.
- Elle m'avait été confié... commença Kane.
- Par Jake, nous le savons tous Marcus, le coupa Tsing.
Dante leva ses mains dans les airs, le regard réprobateur. Ce n'était un secret pour personne qu'il ni avait aucune chimie entre Tsing et les deux autres. Avec Jake connaissant d'avantage Loroleï, un statu quo régnait, mais depuis son départ rien n'était plus pareil, rien.
- Le suicide de mademoiselle Anya est un triste événement, fâcheux également…
Wallace fit une pause et prit une profonde inspiration.
- Nous contacterons la famille…
- Elle n'avait plus aucune famille monsieur, termina Marcus.
Dante hocha la tête en fixant la table d'acajou.
- Nous prendrons les dispositions nécessaires Docteur Kane, nous ferons ce qui se doit d'être fait. Vous et moi en discuterons ensemble plus en détail à la fin de cette réunion.
Le vieil homme secoua légèrement la tête, comme s'il désirait chasser physiquement le présent sujet de son esprit. Son expression changea alors qu'il redevenait immobile.
- Voilà quelques temps déjà que nous pallions à l'absence du docteur Jake Griffin. Vous avez tous reçus des patients supplémentaires et ce même s'ils ne sont pas dans votre champ d'expertise habituel.
Dante regarda tour à tour Marcus et Abby en terminant ses mots.
- Toutefois, vous serez heureux d'apprendre que cette charge imposée touche à sa fin, ajouta-t-il en se reculant sur son siège.
- Vous avez engagé un nouveau psychiatre, monsieur? Demanda Tsing tout en n'arrivant pas à masquer totalement l'appréhension dans sa voix.
Wallace pinça légèrement les lèvres tout en secouant à nouveau la tête d'un ballant d'hésitation.
- Pas exactement. Vous connaissez tous mon fils, Cage?
- Oui, monsieur, répondirent-ils tous à un quasi unisson.
- Cage est de retour au pays, ses études de médecine outremer sont bel et bien terminées…
- Sauf votre respect M. Wallace, vous l'avez dit vous-même, votre fils vient de terminer sa médecine, il n'est nullement…
- Docteur Tsing, c'est à Cage que je léguerai tout ce qui se trouve autour de nous, c'est à lui que je laisserai les rênes de cet endroit. Ma vision, le travail d'une vie, Loroleï. Il est grand temps qu'il fasse parti des nôtres…
Il fit une pause et fit un tour de table du regard, toisant chacun de ses médecins, s'attardant sur Tsing pour finir.
- Je compte sur votre collaboration à tous sur ce point.
Dante referma les yeux un court moment et soupira, calma ce qui tentait de monter en lui.
- Le départ du Docteur Griffin aura laissé un grand vide à combler, tant en la personne que par son travail à reprendre. Vous avez œuvré à vous quatre pendant de nombreuses années, une équipe ébranlée qui se doit néanmoins d'être ressoudée.
Un silence s'en suivit. Les trois psychiatres traitants se perdirent en songe, le rappel d'un temps filant trop rapidement. Des années à quatre s'étant envolées comme on ne peut les retenir, comme l'air nous fuit entre les doigts. Il ne restait plus que leurs souvenirs partagés, l'écriteau du Docteur Griffin devant sa place de parking vide.
- Je vous retire donc les patients de Jake, commença le directeur.
- Pour ce qu'il en reste, murmura Abby pour elle-même.
- Cage viendra travailler de concert avec la docteure Tsing, ce qui vous allégera tous les deux, termina-t-il en fixant Abigail et Kane.
Marcus fit un oui de la tête qui trahissait un énorme soulagement de pouvoir enfin retourner à ses tâches habituelles. Abby, quant à elle, fixait le centre de la table en bois, le regard absent. De ses yeux grands ouverts elle revoyait le dossier de Clarke, ses yeux bleus tourmentés lors de leur première rencontre. Puis elle réentendait la voix de son mari lui demandant de reprendre ce cas qui lui était si cher. Enfin elle se revoyait elle-même faire cette unique promesse avant qu'il ne parte. Et dans un soupir elle releva les yeux vers Dante.
- Je garde l'une des patiente de Jake… je garde Clarke Collins, dit-elle d'une voix lente mais ferme.
Elle et Wallace restèrent le regard plongé l'un dans l'autre durant des secondes aussi longues que des heures. Tsing alla s'objecter quand Dante la fit taire d'un bref signe de la main.
- Si c'est vraiment ce que tu veux Abigail.
- Non… mais c'est ce que Jake voulait.
Le directeur conclus le sujet d'un hochement de tête que lui rendit Abby.
- Bien, nous réglerons plus en détail les transitions lorsque Cage sera en poste, il devrait passer dès aujourd'hui en fin de journée. Il y a maintenant un dernier point dont je dois vous informer.
Le vieil homme se massa les tempes un bref moment avant de poursuivre.
- Je viens de recevoir un appel du procureur Miller, le verdict est tombé.
- Mais quel verdict, de quoi parlons-nous ici? Demanda Kane qui ne semblait pas saisir un traitre mot.
Abby quant à elle, espérait ne pas comprendre comme son collègue, souhaitait ardemment que le directeur ne poursuivrait pas dans la direction qu'elle redoutait.
- Vous parlez… d'elle, monsieur? S'enquit Tsing
Dante fit oui de la tête.
- Mais de qui parlons-nous? Redemanda Marcus.
- Tu ne lis pas les journaux peut-être? Elle, celle dont tout le monde parle, la reine des glaces! Lui répondit Loroleï.
- Oh… dit-il simplement alors qu'Abby à ses côté fermait les yeux en soupirant.
- En effet, comme je le disais, le jugement a été rendu… Celle que les médias ont nommée la reine des glaces a été jugé coupable de ses douze meurtres. Néanmoins, vue la violence et la démence qui se dégageait tant de ses actes que de sa personne, son avocat n'aura eu aucun mal à convaincre le jury de sa folie. Elle ne sera donc pas condamnée à la peine de mort mais viendra plutôt…
- Ici, compléta Abigail.
- Oui, soupira Dante. Les inspecteurs chargés de l'affaire viendront nous la reconduire dès demain à l'aube, Tsing vous devrez être présente pour son arrivée.
- Bien monsieur, dit-elle en masquant son sourire qui tentait de lui fendre le visage. Cependant, elle ne pouvait masquer cette brillance dans ses yeux, la frénésie de pouvoir traiter celle qui était maintenant lugubrement célèbre.
- Les journalistes seront nombreux dès demain, je compte sur votre discrétion des plus totale, pas un mot à la presse. Je peux comprendre votre fascination docteure Tsing mais tout ceci est une publicité dont je préférerais bien me passer.
- Monsieur, c'est pourtant une chance, une opportunité…
- Non Docteure, dit-il en levant la main vers elle pour l'interrompre. Ici nous traitons les patients, nous ne les utilisons pas à des fins personnelles d'avancement ou de glorification quelconque.
Abby et Loroleï échangèrent un court regard qui pour une rare fois, se voyait complice. Car toutes deux savaient que leur directeur ignorait bien plus qu'il ne le croyait. Si Abby trouvait déjà que les méthodes de son mari était expérimentale et aux limites du moral, elle n'osait imaginer ce que tentait Tsing de son côté sur ses propres patients. Abigail détourna les yeux de sa collègue comme elle l'avait toujours fait, se disant comme toujours « il y a des choses qu'il vaut mieux de pas savoir ».
- Demain nous accueillerons notre nouvelle pensionnaire et je ne veux plus jamais entendre ce nom de reine de glaces entre ses murs. Cette jeune personne a un nom et vous l'emploierez comme il se doit.
- Et comment s'appelle-t-elle, monsieur, demanda Kane intrigué.
- Heda… Alexandria Heda.
Abby n'était pas revenue à son bureau depuis plus de dix minutes qu'on cogna déjà à la porte. Elle se passa la main sur le front, se remémorant encore la réunion tout juste achevée.
- Oui? Lança-t-elle en soupirant.
La porte s'ouvrit lentement et la garde Byrne passa la tête dans l'embrasure.
- Je vous escorte la patiente Collins tel que prévu madame, vous préférez peut-être que je la reconduise avec les autres?
Abby haussa les sourcils ayant totalement oublié sa rencontre prévue en fin d'avant-midi.
- Non… faites la plutôt entrer, merci madame Byrne, je vous ferai demander quand j'en aurai terminé.
- Bien, docteure, dit la garde en sortant.
Quelques secondes suffirent pour que la porte s'ouvre à nouveau afin de laisser entrer une jeune femme blonde. Et en aussi peu de temps, Byrne referma derrière elle, la laissant seule avec la psychiatre.
Abby restait assise, fixait sa jeune patiente debout devant la porte close. Clarke regardait vers le bas, se frottait les mains avec avidité comment si elle tentait de les nettoyer de quelque chose. Pourtant, il n'y avait rien, et après quelques secondes elle s'interrompit brusquement. Ses mains restèrent suspendues dans cette manie passagère auquel elle s'était soustraite. Ses doigts se détendirent et dérivèrent vers ses poignets.
Tout en se les massant délicatement, elle releva la tête. Les regards d'Abby et Clarke se croisèrent enfin. Dans un lourd silence elles restèrent là, à se jauger l'une l'autre. Il y avait quelque chose dans ses yeux bleus, une lueur presque imperceptible dans ce qui semblait une mer noire d'égarement.
- Bonjour, Clarke, dit Abby en lui faisant un léger signe de tête.
- Docteur Griffin.
- Si tu veux bien, ajouta Abigail en lui indiquant l'une des deux chaises devant son bureau.
Clarke fit un premier pas hésitant, puis un second, et alla finalement s'asseoir tout en continuant à se masser les poignets.
- As-tu mal, Clarke? S'enquit la docteure d'une voix calme et neutre, néanmoins sans la moindre pointe de réconfort.
La blonde relâcha ses doigts qu'elle referma plutôt en poing. Ce fut la seule réponse qu'elle donna. Son regard dévia plutôt vers l'un des cadres qui reposait sur le bureau de la psychiatre. On y voyait un photographie de Jake et Abby, souriant et heureux, ensemble.
Abigail profita de cette dérive d'attention pour la scruter. Ses cheveux étaient en bataille, du moins plus qu'à l'ordinaire, ses poignets étaient violacés et quelques égratignures ici et là trahissaient une nuit mouvementée. Mais surtout, il y avait ses yeux. Cernés et enflés à la fois, signe d'un sommeil absent et de pleurs retenus.
Que c'était-il passé, elle n'en avait pas la moindre idée. Il suffirait de vérifier auprès des gardes de nuit, de passer les registres des cellules d'isolement des sous-sols. Cependant, ce ne serait que des faits de surface. Car une autre version miroitait plus en profondeur, dans une noirceur liant le vrai au faux. Celle gardée jalousement dernière ses prunelles bleutées, celle de Clarke. Mais pour obtenir ces aveux, Abby savait très bien où elle devrait aller, où elle devrait plonger pour trouver les réponses.
À son tour, elle détourna le regard vers la photo qui semblait tant captiver Clarke. Elle esquissa un fin sourire en voyant celui de son mari, figé dans le temps, gardé derrière le verre du cadre d'argent. Elle s'entendit à nouveau alors qu'elle s'adressait à Dante lors de leur réunion « c'est ce que Jake voulait ». Elle referma les yeux durement et serra les dents.
- Clarke, j'aimerais que tu t'allonges sur le long fauteuil s'il te plait, dit Abby en rouvrant enfin les yeux.
La jeune femme détacha son regard de la photographie et fixa sa récente psychiatre. Après un moment à rester de marbre, elle finit par se lever, prenant appuis sur les bras de la chaise. De son pas toujours lent elle traversa la pièce et alla s'étendre sur la méridienne de cuir capitonnée.
La docteure se leva à son tour et passa aux grandes bibliothèques qui meublaient l'entièreté de l'un des murs de son bureau. Elle s'immobilisa devant l'enregistreur et le métronome qu'elle y avait placé bien des jours auparavant. Tout était prêt pour ce moment depuis un temps, mais elle n'avait encore su trouver son chemin jusqu'à cet instant précis. Celui qui marquerait le point de non-retour.
Elle inspira fortement, appuya de son index sur l'une des touches de l'enregistreur. Dans un grésillement, les bobines se mirent à tourner, à graver sur ruban ce qui allait suivre. Abby retira ensuite le couvercle triangulaire à l'avant de l'instrument de tempo. Délicatement, elle descendit le poids jusqu'au rythme désiré, puis, donna une poussée à la fine tige de métal.
Tic tic tic
Voilà, elles y étaient, tout pouvait commencer, ou du moins, continuer.
- Clarke, je veux que tu fermes les yeux, que tu te concentres au rythme du métronome.
Abby laissa ses mots commencer à faire leur effet tout en allant récupérer crayon et papier avant d'aller s'asseoir dans le fauteuil près de celui de la blonde.
- Je veux que tu oublis l'instant présent, que tu te délaisses de tout ce qui te retient ici.
Tic tic tic
- Rien n'est ce qu'il n'y parait, plus d'une personne sous un même visage, plus d'une réalité à explorer, plus qu'un monde où se réfugier. Va où toi seule sait aller, retourne là-bas…
La respiration de Clarke se ralentit progressivement, devint plus profonde et stable. Elle y était, loin et si près à la fois.
- Clarke, je veux que tu me dises où tu étais la nuit dernière.
- Avec Anya…
Abby manqua échapper son stylo en entendant ce nom.
- Que faisais-tu avec Anya, Clarke, ajouta-t-elle tout en tentant de masquer la curiosité qui s'installait.
- Nous avons attendu que la docteure Tsing s'éloigne et nous sommes sorti de la cage.
Abigail savait que Loroleï était la médecin de garde la nuit dernière, commençait vraiment à se demander où allait se rendre la blonde dans son récit. Elle l'écouta parler d'une fuite dans les couloirs sous la montagne, comment elles s'étaient perdues.
- Nous sommes tombés dans la trappe… nous… sur des corps de natifs morts… vidés de leur sang.
La docteure encercla le mot trappe et natifs, se laissant des pistes pour le moment où elle tenterait de démêler tout cela, si toutefois cela était possible.
Clarke relata comment, avec Anya, elles s'étaient retrouvées à plonger à l'eau, comment elles avaient parcouru la forêt pour tenter d'échapper à ceux qui les pourchassaient. Tout était si clair et chaotique à la fois, des détails précis et des sensations, un voile de l'esprit aussi complexe que nébuleux.
Abby continua à orienter Clarke du mieux qu'elle pouvait dans ce monde qui lui était impossible de voir, uniquement d'entendre de cette jeune voix éraillée et profonde. La docteure s'avança au bord de son fauteuil alors que la tournure des événements rejoignait quelques faits réels, dont la mort d'Anya.
- Elle est morte devant moi… elle… son combat est terminé, dit la blonde en retenant ses larmes de tomber.
Ses mains étaient serrées en poing et son visage de plus en plus crispé.
- Comment est-elle morte, Clarke?
- Ils ont tiré vers nous…
Abby soupira alors que ce qu'elle croyait une piste vers ce suicide inexpliqué lui échappait dans le brouillard de l'incohérence de Clarke.
- Bien, Clarke, je voudrais maintenant…
- Nous avons été séparé… j'ai reçu un coup à la tête et…
Le visage de la jeune femme se détendit, ses mains de desserrèrent.
- Quand j'ai repris conscience des gardes m'ont conduit de force mais…
La docteure usait de tout son contrôle pour ne pas insister, pour ne pas forcer la réponse. Elle attendit plutôt, stylo en main.
- Maman?
Il était passé minuit quand Loroleï regarda sa montre. Elle se frotta les yeux et poussa la porte menant de l'isolement au secteur médical. L'endroit était blanc et stérile, céramique et mobilier de métal froid. L'air était plus frais ici et elle resserra son sarrau à l'avant. Elle se rendit devant les compartiments réfrigérés, tira la poigné et ouvrit. Dans un glissement métallique elle sortit le longeron sur lequel était étendu un corps sans vie.
Dans la lumière blanche de la pièce, les traits d'Anya se voyaient accentués et creusés. Un tissu pâle la couvrait des aisselles au milieu des cuisses, laissant les ecchymoses récemment apparues à la vue de tous.
Tsing releva brusquement la tête alors que le bruit du ballant des portes se faisait entendre. Le regard noir elle regard l'homme s'approcher vers elle, venir la rejoindre de l'autre côté du corps.
- Docteur Wallace, dit-elle en reposant les yeux sur le cadavre.
- Cage suffira, je peux vous appeler Loroleï?
- Non, dit-elle sèchement.
Cage ne put retenir un rire étouffé. Le sourire aux lèvres il prit l'avant-bras d'Anya et en approcha son visage.
- S'ouvrir les veines… dit-il dans un quasi murmure.
Sans même prendre le temps de mettre des gants, il passa son pouce sur la plaie traversant le poignet de la jeune femme. Puis, dans une caresse lente et morbide, il fit remonter son doigt jusqu'au creux du coude d'Anya. De là, il marqua une pause et se pencha encore d'avantage jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres de sa peau pâlie. Il renifla quelques coups, puis se redressa, un sourire lui fendant le visage.
- Le suicide est une bonne explication, mais je crois que tu aurais pu trouver mieux, Loroleï.
- Je ne vois pas de quoi tu veux parler, lança-t-elle alors qu'elle tendit la main pour replonger le brancard dans son caisson.
Cage l'interrompit, plaquant sa main sur la sienne. Tsing serra la mâchoire alors que de son regard toujours noir elle fixait ce visage suffisant face à elle.
- Je crois que tu te méprends sur mes intentions, très chère.
La docteure ne répondit pas, se contenta de soutenir son regard plus encore. Cage rit brièvement à nouveau.
- Je ne sais pas encore ce que tu as tenté sur cette patiente pour ensuite dissimuler ton échec par son suicide.
Cage retira sa main de celle de Tsing.
- Ce que je sais par contre… c'est qu'une belle collaboration nous attend, Loroleï.
- Docteure Tsing, le reprit-elle le regard mitigé.
- Loroleï, pas de ça entre nous voulez-vous?
Cage se recula en se frottant les mains, le regard vif et brillant.
- Premièrement, il nous faut faire disparaitre tout ceci, dit-il en agitant ses mains avec un faux dégoût en direction du corps d'Anya.
Tsing appuya ses deux mains sur le rebord du longeron et soupira.
- Allez ma chère, les marques des piqures ne tarderont pas à transparaitre sous sa peau morte. Et alors toute cette façade de suicide ne pourra plus vous cacher.
Cage claqua des doigts en secouant la tête comme pour trouver une solution. Il pivota sur lui-même pour finalement s'immobiliser.
- L'incinérateur, dit-il.
- D'ordinaire nous enterrons les morts, ce n'est que sur les cas de contagions ou exigence de la famille que nous…
Le jeune Wallace leva la main vers elle pour la faire taire.
- Je me charge de ces détails. Occupons-nous de ceci pour le moment et ensuite…
- Ensuite? S'enquit-elle.
- Ensuite vous me direz tout Loroleï… absolument tout.
*Anecdoche – Conversation où tout le monde parle, mais où personne n'écoute.
Bien le bonjour à vous tous!
Eh oui, me revoilà. Je dois admettre que je suis bien heureuse d'être de retour. Fiction d'un genre bien différent, en espérant que cela vous plaise également. N'hésitez pas à m'écrire, me faire part de vos commentaires, vous savez à quel point j'adore vous lire.
A.S.